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“Toutes les réformes majeures ont été introduites de manière extralégale puis légalisées”, assène Bart De Wever 

RTBF, 29 janvier 2023

À un an des élections, les partis politiques du sud comme du nord du pays commencent à présenter leurs propositions électorales. La dernière idée choc de Bart de Wever, président de la N-VA et bourgmestre d’Anvers, est de modifier la répartition des compétences entre les différentes entité belge de manière “extralégale”, en allant jusqu’à affirmer que cela a déjà été réalisé de nombreuses fois dans le passé. L’homme politique, bien qu’il soit aussi historien, détourne tout de même sans états d’âme la réalité juridique et politique des réformes passées qu’il vise.

Amadou Barry, étudiant en droit à l’Université Saint-Louis – Bruxelles et Pierre-Olivier de Broux, professeur de droit public à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, le 29 mars 2023 (mis à jour le 20 avril 2023)

Le président de la N-VA, Bart De Wever, souhaite parvenir à une Belgique confédérale après les élections de 2024, même si cela nécessite une « réforme extralégale ». Il est possible que « extralégal » ne soit pas synonyme d' »illégal« , mais il faut rappeler à Bart De Wever qu’il y a une limite à respecter dans un État de droit, à savoir la Constitution. 

Pour créer une Belgique confédérale, il faudrait modifier structurellement la Constitution et donner toujours plus d’autonomie aux entités fédérées. Un tel projet implique nécessairement une réforme constitutionnelle qui respecte les procédures énoncées à l’article 195 de la Constitution. Des obstacles difficiles à surmonter, comme nous l’avons déjà surligné, et Bart De Wever le sait bien. D’où l’invocation de procédés “extralégaux”, prétendûment inspiré de l’histoire constitutionnelle belge. 

Le législateur peut se montrer créatif… 

La Constitution étant difficile à modifier, cela a souvent poussé le législateur à faire preuve d’originalité et d’inventivité pour faire face à des situations de crise. Deux exemples historiques de cette créativité ont été cités par Bart De Wever pour soutenir sa proposition. 

Le premier exemple concerne la solution trouvée par les partis politiques belges en 1919, juste après la fin de la Première Guerre mondiale, pour instaurer le suffrage universel masculin. À cette époque, le système de vote inscrit dans la Constitution était le suffrage universel tempéré par le vote plural, ce qui signifiait que tous les hommes avaient le droit de vote, mais certains hommes avaient plus d’une voix. Pourtant, les nouvelles élections organisées par la loi du 9 mai 1919 ont eu lieu sans vote plural: tous les hommes ne pouvaient plus donner qu’un seul vote. Et ce, alors que la Constitution n’avait pas été modifiée. 

Le deuxième exemple concerne la création de conseils culturels autonomes dans les années 1970. À cette époque, les francophones et les néerlandophones se sont accordés pour confier plus d’autonomie aux deux communautés linguistiques pour les matières culturelles et pour l’enseignement. A cette fin, les députés de la Chambre des représentants et ceux du Sénat ont été divisés en groupes linguistiques. Chacun de ces groupes formait un conseil culturel compétent dans les matières culturelles et d’enseignement. Selon Bart De Wever, ce transfert de compétences n’était pas inscrit dans la constitution, mais seulement dans une loi spéciale. Et ce transfert n’imposait nullement le partage des portefeuilles ministériels qui ont suivi, en scindant la politique de l’enseignement au sein du gouvernement (un ministre francophone devenant responsable pour l’enseignement francophone et un ministre flamand pour l’enseignement flamand). 

… tout en respectant la Constitution.

Cependant, Bart De Wever est dans l’erreur en prétendant que ces exemples ont été mis en place de manière « extra-légale ». 

Dans le premier exemple, même si les élections se sont déroulées selon des modalités différentes de celles prévues dans la Constitution, cela s’explique par la situation exceptionnelle du pays à la fin de la Première Guerre mondiale, guerre qui a causé la perte des informations et documents nécessaires au vote plural. Ainsi, comme le soulignent les députés au Parlement en 1919, “le Parlement, constatant l’impossibilité d’appliquer le suffrage plural aux élections qui s’imposent à bref délai, se verra forcé de prendre une mesure exceptionnelle, limitée, bien entendu, à ce seul et unique cas de nécessité”. Si cette loi ne respecte pas la lettre de la Constitution, une large majorité d’acteurs et de commentateurs ont estimé qu’elle en respectait l’esprit.  

Dans le deuxième exemple, contrairement à ce que prétend Bart De Wever, il n’y a pas eu de transfert “extra-légal” de compétences aux conseils culturels. Ces conseils ont été explicitement créés et dotés de compétences par la révision de la Constitution en 1970 (voy. l’article 59bis dans le texte de l’époque), laquelle renvoyait ensuite tout aussi explicitement à la loi pour mettre en œuvre cette réforme, lois qui ont été respectivement adoptées le 3 juillet 1971 (par une majorité ordinaire) et le 21 juillet 1971 (par une majorité spéciale), sans que le moindre élément “extra-légal” n’apparaisse à ces occasions. Et si la scission linguistique des portefeuilles ministériels de l’enseignement n’était pas prévu par la Constitution, rien ne l’empêchait non plus : cela ne peut pas davantage être considéré comme “extra-légal”. 

Les exemples avancés par le président de la N-VA ne viennent donc pas au secours de la volonté affichée par Bart De Wever d’agir de manière “extra-légale”. Comme le souligne le commentateur politique flamand Ivan De Vadder, cette proposition ne serait en réalité que le symptôme de l’isolement de plus en plus visible du président de la N-VA. Contrairement aux exemples historiques qu’il a invoqués, caractérisés par un consensus très fort des partis politiques à la manœuvre, le bourgmestre d’Anvers est bien seul pour tenter de faire croire à la possibilité de nouvelles réformes sans révision de la Constitution.  

Contacté par nos soins, Bart De Wever n’a pas répondu à nos sollicitations. 

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TRIBUNAL SPÉCIAL CHARGÉ DE POURSUIVRE LE CRIME D’AGRESSION CONTRE L’UKRAINE : POURQUOI LES TRIBUNAUX INTERNATIONAUX DÉJÀ EXISTANTS NE PEUVENT ÊTRE SAISIS

À tous ceux qui réclament la création d’un tribunal chargé de juger les agissements de la Russie en Ukraine, il est tentant de répondre qu’il existe déjà une cour internationale compétente pour les crimes d’agression, il s’agit de la Cour pénale internationale (CPI), créée en 1998. Selon le Statut de Rome (qui est en quelque sorte le règlement de cette cour), la compétence de la CPI (en d’autres termes son champ d’action) se limite aux crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale. Il s’agit des crimes suivants : le crime de génocide ; les crimes contre l’humanité ; les crimes de guerre ; le crime d’agression. Et pourtant, la CPI ne peut pas juger le cas de l’agression de l’Ukraine par les dirigeants russes.

Autrice : Halyna Dmytrychenko-Kuleba, master de droit de l’Union européenne, Université de Lille / Relecteur : Raphaël Maurel, maître de conférences en droit public, chercheur au CREDIMI et au CEDIN, secrétaire général adjoint du Réseau francophone de droit international / Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay / Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Emma Cacciamani / Création : le 26 janvier 2023 Dernière modification : le 27 janvier 2023

LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE (CPI) JUGE BIEN LES CRIMES D’AGRESSION MAIS ILS N’ÉTAIENT PAS DÉFINIS AVANT 2018

La Cour pénale internationale ne juge les crimes d’agression que depuis le 17 juillet 2018 à la suite des amendements dits de Kampala en 2010 qui ont modifié le Statut de Rome en y ajoutant la définition du crime d’agression et en déterminant les conditions dans lesquelles la CPI peut juger ces crimes.

Le crime d’agression est défini comme la planification, la préparation, le lancement ou l’exécution, par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un État, d’un acte d’agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies”. Ainsi, constitue un acte d’agression “l’emploi par un État de la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations-Unies”.

Cette définition est assortie d’une liste exhaustive. Ainsi, sont des agressions, qu’il y ait ou déclaration de guerre ou non, les actes suivants:

  • L’invasion ou l’attaque par les forces armées d’un État du territoire d’un autre État ou l’occupation militaire, même temporaire, résultant d’une telle invasion ou d’une telle attaque, ou l’annexion par la force de la totalité ou d’une partie du territoire d’un autre État ;
  • Le bombardement par les forces armées d’un État du territoire d’un autre État, ou l’utilisation d’une arme quelconque par un État contre le territoire d’un autre État ;
  • Le blocus des ports ou des côtes d’un État par les forces armées d’un autre État ;
  • L’attaque par les forces armées d’un État des forces terrestres, maritimes ou aériennes, ou des flottes aériennes et maritimes d’un autre État ;
  • L’emploi des forces armées d’un État qui se trouvent dans le territoire d’un autre État avec l’agrément de celui-ci en contravention avec les conditions fixées dans l’accord pertinent, ou la prolongation de la présence de ces forces sur ce territoire après l’échéance de l’accord pertinent. 
  • Le fait pour un État de permettre que son territoire, qu’il a mis à la disposition d’un autre État, serve à la commission par cet autre État d’un acte d’agression contre un État tiers ;
  • L’envoi par un État ou au nom d’un État de bandes, groupes, troupes irrégulières ou mercenaires armés qui exécutent contre un autre État des actes assimilables à ceux de forces armées d’une gravité égale à celle des actes énumérés ci-dessus, ou qui apportent un concours substantiel à de tels actes”.

LES PEINES ENCOURUES

Lorsqu’elle constate de tels actes, la CPI peut engager la responsabilité pénale individuelle du dirigeant du pays agresseur (et pas la responsabilité du pays-même) : cela signifie que Vladimir Poutine et d’autres dirigeants qui exercent un contrôle effectif sur l’appareil politique ou militaire de la Russie pourraient être traduits personnellement devant la CPI.  Ainsi, les Tribunaux militaires internationaux de Nuremberg, de Tokyo, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie sont quelques exemples ayant permis de juger les  hauts responsables des États pour les crimes les plus graves de droit international.

Au début, la plus sévère des condamnations pour les crimes d’agressions fut la peine de mort. Le Tribunal militaire international Nuremberg a condamné 12 personnes à mort, parmi lesquels les hauts dignitaires du régime nazi, notamment Ribbentrop (ministre des affaires étrangères) et Goering (dirigeant de premier plan du parti nazi et du gouvernement du Troisième Reich). De nos jours, la CPI peut infliger une peine d’emprisonnement n’excédant pas 30 ans. Toutefois, si l’extrême gravité du crime le justifie, la Cour peut prononcer une peine d’emprisonnement à perpétuité.

MAIS EN L’ÉTAT DU DROIT, LA CPI NE PEUT  PAS JUGER LES DIRIGEANTS RUSSES

D’abord, ni l’Ukraine ni la Russie ne reconnaissent la compétence de la CPI pour les crimes d’agression.

Ensuite, le Conseil de sécurité des Nations-Unies, qui peut saisir la CPI, serait systématiquement bloqué par le veto russe. En effet, le Procureur de la CPI, chargé des poursuites, ne peut mener une enquête sur un crime d’agression que si le Conseil de sécurité a d’abord constaté l’existence d’un acte d’agression, après en avoir été informé par le Secrétaire général des Nations-Unies.

Le Procureur peut contourner l’obstacle en demandant à la CPI de l’autoriser à ouvrir une enquête, mais encore faut-il que le Conseil de sécurité ne s’y oppose pas.

QUELLES ALTERNATIVES À LA CPI  ?

Le fait d’agression commis par la Russie contre l’Ukraine a été vite reconnu par l’Assemblée générale des Nations-Unies, comme une violation de la Charte des Nations-Unies. Mais cela ne permet pas de lancer les poursuites sans passer par le Conseil de sécurité, sauf à interpréter le Statut de Rome de manière très extensive comme le proposent certains universitaires : il faudrait que certains articles du Statut de Rome soient interprétés de façon à permettre à l’Assemblée générale des Nations-Unies de saisir directement la CPI sans passer par le Conseil de sécurité.

La CPI n’étant pas compétente en l’état, il ne reste que la création d’un nouveau tribunal international. L’Ukraine avec ces partenaires internationaux sont en  négociation en vue de la création de ce futur tribunal. Deux options ont été avancées par la Commission européenne pour juger les crimes d’agression. Il s’agirait, première solution, de créer un tribunal international spécial indépendant, fondé sur un traité multilatéral, autrement dit un Tribunal  ad hoc, c’est-à-dire limité aux crimes d’agression commis par les dirigeants russes contre l’Ukraine.

Une autre possibilité serait de créer ce Tribunal avec l’Organisation des Nations Unies par l’adoption d’une résolution d’Assemblée Générale qui autoriserait le Secrétaire général des Nations-Unies à travailler avec les autorités ukrainiennes sur l’élaboration d’un accord international. En 2003, ce mécanisme a permis un Accord entre l’Organisation des Nations Unies et le Gouvernement royal du Cambodge, qui fut à la base de la création  les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens.

Autre solution enfin, la création d’un tribunal spécialisé intégré dans un système judiciaire national, mais comportant des juges internationaux : une juridiction hybride en somme, à la fois nationale et internationale. Par exemple, le Tribunal spécial pour le Kosovo fut  institué en 2015 par la loi kosovare, mais il se situe à La Haye et est composé de professionnels issus de la communauté internationale. Ce Tribunal  n’a aucun lien avec l’Organisation des Nations Unies.

Le 19 janvier 2023, à travers une Résolution du Parlement européen sur la création d’un tribunal pour le crime d’agression contre l’Ukraine, les députés européens ont affirmé la nécessité de créer un tribunal international spécial chargé de poursuivre le crime d’agression contre l’Ukraine. Ils ont invité les institutions de l’Union et les États membres à travailler en étroite coopération avec l’Ukraine afin de rechercher et de renforcer le soutien politique au sein de l’Assemblée générale des Nations-Unies et d’autres enceintes internationales, y compris le Conseil de l’Europe, l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération et le G7.

LES DIFFICULTÉS PRATIQUES

S’il existe de moins en moins de doutes sur la création prochaine de ce tribunal, cela prendra du temps, et surtout il faudra surmonter des difficultés pratiques. D’abord, ce qu’on appelle “l’immunité de juridiction” permet aux États et à leurs dirigeants d’échapper à toutes poursuites judiciaires devant les tribunaux nationaux étrangers. Mais cette immunité n’est pas absolue, au sens où les dirigeants n’échappent pas aux poursuites devant les tribunaux internationaux pour les crimes internationaux. C’est le cas devant la CPI. Cela signifie que la création du tribunal puisse être décidée par la communauté internationale pour contourner l’obstacle de l’immunité des responsables russes.

Il faut aussi collecter l’ensemble des preuves des crimes, ce que fait l’Ukraine, aidée de la communauté internationale.

Enfin, qui ira arrêter Vladimir Poutine ? Selon la procédure établie dans le monde, ce n’est pas le Tribunal international qui procède à l’arrestation des personnes à juger. Il se borne à délivrer un mandat d’arrêt, et ce sont les organes policiers (sauf si une force internationale est créée dans ce but) des États concernés qui auront la charge de l’arrestation…

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Ben Weyts, Ministre de l’enseignement flamand souhaite priver certaines familles de leurs allocations familiales si elles ne mettent rien en place pour que leurs enfants améliorent leurs niveaux de néerlandais en dehors de l’école.

VRT News, 17 janvier 2023

Le Ministre flamand de l’enseignement, Ben Weyts souhaite que les parents dont les enfants ne connaissent pas correctement le néerlandais, soient privés de leurs allocations familiales. Cette proposition est contraire à la Constitution, car les allocations familiales sont garanties pour toute personne vivant en Belgique et ayant à sa charge des enfants. En outre, cette mesure serait discriminatoire à l'égard des enfants concernés.

Théo Schwers, étudiant en master de droit public et international, Université libre de Bruxelles // sous la supervision de Marie-Sophie de Clippele, professeure de droit et membre du Centre d’Etudes du Droit de l’Environnement (CEDRE), Université Saint-Louis , le 11 février 2023

Le Ministre de l’enseignement, Ben Weyts (N-VA) souhaite sanctionner les parents des enfants dont le niveau de néerlandais en 3e maternelle est insuffisant en les privant de leur droit aux allocations familiales. Selon le Ministre, l’école ne peut pas assumer seule l’apprentissage de la langue. En ne pratiquant pas le néerlandais en dehors de l’école avec leurs enfants, les parents seraient responsables de sa méconnaissance. Malgré les fortes réactions négatives parmi les partis politiques de sa majorité ou de l’opposition, le Ministre-Président, Jan Jambon, a renchéri quelques jours plus tard en soutenant la proposition de son ministre. 

La proposition du Ministre Weyts est toutefois problématique à l’égard de plusieurs droits protégés dans la Constitution belge. Une telle privation de droits aux allocations familiales serait discriminatoire et contraire aux droits de l’enfant. Plus frontalement, elle violerait le droit aux prestations familiales. 

Selon la Constitution, toute personne a droit aux allocations familiales (article 23, 6° de la Constitution). Toute personne vivant en Belgique qui a des enfants à sa charge a droit de bénéficier de prestations familiales, qu’elle soit de nationalité belge ou non. Les autorités publiques, comme la Communauté flamande, ont l’obligation de concrétiser ce droit, entre autres par des décrets ou par des règlements. Mais ce droit ne peut pas être invoqué directement devant un juge par le citoyen. 

Si la Flandre veut changer les droits aux allocations familiales, ces changements ne peuvent constituer un recul pour les bénéficiaires de ces droits. En d’autres mots, si la Flandre va limiter l’accès aux allocations familiales à l’égard de certaines personnes qui ne stimuleraient pas assez leur enfant de parler le néerlandais, elle violerait le droit constitutionnel aux allocations familiales car ce serait clairement un recul dans la protection de ce droit pour les familles concernées. Plus précisément, la Flandre violerait le principe de standstill, selon lequel on ne peut pas réduire significativement le degré de protection offert par tel ou tel droit, ici les allocations familiales, sauf sous certaines conditions, non remplies à notre estime dans ce cas-ci. 

La réduction des allocations familiales serait par ailleurs discriminatoire. Elle réaliserait une distinction de traitement entre des familles sans justification objective et raisonnable (articles 10, 11 et 191 de la Constitution). Comment d’ailleurs distinguer les familles ayant droit ou non aux allocations familiales ? Quel serait un niveau de néerlandais suffisant ou non pour justifier une réduction (totale ? partielle (combien) ?) des allocations familiales et comment le contrôler ?  

Enfin, la proposition du Ministre Weyts est contraire aux droits de l’enfant (article 22bis de la Constitution) et est à ce titre également anticonstitutionnelle. Priver les parents de leurs allocations familiales, c’est agir contre l’intérêt de l’enfant en les discriminant et en fragilisant économiquement les familles. 

Une autorité publique ne doit donc pas oublier ses devoirs constitutionnels. Les droits sociaux et économiques sont des droits garantis tant par l’État fédéral que par les entités fédérées. Le Ministre flamand de l’enseignement ne peut donc pas les ignorer. 

Contacté par nos soins, le cabinet du ministre s’est contenté de souligner que “Le néerlandais est crucial. Les enfants souffrant d’une déficience linguistique n’ont de facto pas d’égalité des chances” et que “Les parents jouent également un rôle crucial. On ne peut pas tout mettre sur le dos des écoles. Les parents ont une responsabilité.” (traduction libre du néerlandais). 

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Dans l’enquête pour corruption visant des députés européens pourquoi l’immunité n’a pas protégé certains élus ?

Le Parlement européen est secoué par un des scandales les plus retentissants de son histoire. En cause, des sacs de billets retrouvés chez une députée et un ancien député, dont la provenance serait attribuée au Qatar

Autrice : Angèle Dupont, master de droit de l’Union européenne, Université de Lille / Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay / Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Clotilde Jégousse, le 17 janvier 2023 - dernière modification le 19 janvier 2023

Nouveau rebondissement dans l’affaire du “Qatargate“, dans laquelle plusieurs députés et anciens députés européens sont accusés de corruption au profit du Qatar. Pier Antonio Panzeri, chez qui quelques 600 000 € en liquide auraient été retrouvés, a décidé de coopérer avec la police belge en signant un accord de repenti.

Le 10 décembre, Roberta Metsola, la présidente du Parlement européen, avait tweeté qu’elle ne pouvait pas commenter les enquêtes en cours, tout en affirmant au nom du Parlement coopérer pleinement avec toutes les autorités policières et judiciaires compétentes.

Ce tweet fait suite à la mise en cause de plusieurs personnalités politiques européennes, dont celle qui était encore récemment l’une des vice-présidentes du Parlement européen, Eva Kaili, députée membre du groupe des Socialistes et Démocrates (S&D), soupçonnée de trafic d’influence au profit du Qatar.

Cette affaire a amené un juge d’instruction belge à effectuer des perquisitions aux domiciles des personnes concernées, mais également au sein des locaux du Parlement européen à Bruxelles. Cela  i peut intriguer, quand on pense à l’immunité dont disposent les députés et à l’inviolabilité des institutions européennes qui repose sur l’article premier d’un protocole de l’Union européenne, plus précisément le n°7. Eva Kaili est, depuis vendredi 9 décembre, détenue en prison en Belgique. La justice belge a ordonné jeudi 22 décembre son maintien en détention provisoire pour un mois supplémentaire. En réalité, l’immunité ne pouvait pas complètement jouer ici.

QUELS SONT LES DEVOIRS DES DÉPUTÉS EUROPÉENS ? 

A priori, les députés ne sont pas exempts de toute obligation déontologique, outre le respect de la loi. Il existe un Code de conduite des députés au Parlement européen en matière d’intérêts financiers et de conflits d’intérêts. Dès son premier article, le code rappelle que les députés européens doivent faire preuve de désintéressement, d’intégrité et doivent assurer le respect de la réputation du Parlement. Ils doivent par ailleurs agir uniquement dans l’intérêt général et ne doivent pas obtenir d’avantage financier direct ou indirect ou quelconque gratification. Car comme le prévoit l’article 14 du Traité sur l’Union européenne, le Parlement représente les citoyens de l’Union européenne, et eux seulement.

Or ce Code de conduite n’a pas de force contraignante. En septembre 2021, les députés européens avaient demandé la création d’un organe chargé de surveiller l’éthique des parlementaires et des commissaires, mais la proposition était restée lettre morte.

POURQUOI L’IMMUNITÉ PARLEMENTAIRE NE S’APPLIQUE-T-ELLE PAS DANS CETTE AFFAIRE ?

En vertu du protocole n° 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne, l’immunité parlementaire garantit au député de pouvoir exercer librement son mandat sans s’exposer à des poursuites de nature arbitraire ou politique. Il s’agit d’une garantie de l’indépendance et de l’intégrité du Parlement dans son ensemble.

Comme le rappelle Philippe Frumer, chargé de cours à l’Université Libre de Bruxelles, l’immunité parlementaire se dédouble en deux catégories. Concernant la première, en vertu de l’article 8 de ce même protocole, les députés du Parlement européen disposent d’une irresponsabilité parlementaire, ainsi ils ne peuvent pas être arrêtés ou poursuivis en raison des opinions ou votes qu’ils émettent en leur capacité de député au Parlement européen. Cette immunité est absolue, c’est-à-dire que le Parlement européen ne peut lever cette immunité.

Mais pour la seconde catégorie, qui est en cause dans cette affaire, il en va autrement. Il s’agit de l’inviolabilité parlementaire, elle vise à préserver l’indépendance des parlementaires européens en empêchant qu’ils ne subissent des pressions, sous la forme de menaces d’arrestation ou de poursuites judiciaires, que ce soit pour des faits commis avant leur entrée en fonction ou pendant l’exercice de leurs fonctions”, comme l’explique Philippe Frumer pour le site Justice en ligne. Cependant à la différence de la première, cette seconde catégorie n’est pas absolue.

Ce qui explique que dans cette affaire l’immunité ne pouvait pas protéger la députée et ce qui a permis sa détention, c’est que l’immunité ne peut être invoquée dans le cas de flagrance comme le précise l’article 9 du Protocole, or il en est question ici. En cause, des sacs de billets contenant plusieurs centaines de milliers d’euros trouvés en possession du père de la députée à la sortie d’un hôtel, puis chez la députée elle-même lors d’une perquisition.

Ainsi, en plus de lever l’immunité qui empêchait les députés d’être détenus ou poursuivis, la flagrance a permis de délivrer un mandat d’arrêt à l’encontre de plusieurs parlementaires dont la vice-présidente Kaili qui ne bénéficiait plus de l’immunité d’arrestation et de poursuite en dehors de son pays d’origine, la Grèce, précisément en raison du flagrant délit. La flagrance a également justifié les perquisitions aux domiciles des concernés, perquisitions qui ont permis de récolter d’autres preuves à leur encontre.

Et lorsqu’il n’y a pas de flagrance, le justice doit demander au Parlement européen la levée de l’immunité. C’est ce qui a été fait pour les députés S&D Marc Tarabella et Andrea Cozzolino.

QU’EN EST-IL DU DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE ? 

Lors de son discours en séance plénière le 12 décembre à Strasbourg, Roberta Metsola a confirmé qu’avec l’aide des services du Parlement, ils ont pu vérifier que toutes les étapes de la procédure avaient été suivies et que toutes les informations avaient été préservées lors de la perquisition. Elle rappelle également la nécessaire coopération entre le Parlement européen et les autorités nationales.

À l’occasion de son discours, la présidente du Parlement a annoncé retirer à la vice-présidente toutes les tâches et responsabilités liées à son rôle. Mais Roberta Metsola n’en est pas restée là. En application de l’article 21 du règlement intérieur du Parlement européen, elle a annoncé l’ouverture d’une conférence extraordinaire du Conseil des présidents pour retirer à Eva Kaili son mandat de vice-présidente.

C’est chose faite désormais : le Conseil des présidents a décidé par une décision effective et immédiate du 12 décembre de destituer Eva Kaili de son rôle de vice-présidente du Parlement européen pour faute grave dans l’exercice de sa fonction.

Il y a quelques jours, c’était au tour de Maria Arena, députée S&D, de démissionner de son poste de présidente de la sous-commission des droits de l’homme, pour ne pas avoir déclaré un voyage au Qatar, et pour les liens étroits qu’elle entretenait avec l’association Fight Impunity, l’ONG fondée par Panzeri, ancien député européen et qui a été désigné par certains comme le cerveau du système de corruption.

Elle reste néanmoins députée. Seules une démission volontaire ou une décision de justice grecque, son État d’origine, la frappant d’inéligibilité, pourraient la priver de son mandat.

Contacté, le Parlement européen n’a pas répondu à notre demande de précisions.

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Au Brésil, la démocratie sur un fil de discussion

Les enseignements de l’assaut du Capitole des États-Unis et les règles fixées par les plateformes de réseaux sociaux n’auront pas suffi. Dimanche 8 janvier, des centaines de militants pro-Bolsonaro ont envahi le Congrès, la Cour suprême et le palais présidentiel brésiliens, pour tenter de renverser le président nouvellement investi. Une action coordonnée et financée grâce aux réseaux sociaux.

“La patience est terminée, les lignes de front du mouvement sans organisateur sont déjà en train de se former. Si vous êtes à Brasília, organisez-vous”, pouvait-on lire dans l’un des 17 000 groupes publics brésiliens qui discutent de politique nationale sur WhatsApp, surveillés par l’entreprise d’analyse de données Palver, selon l’agence Lupa.

Autrice : Clotilde Jegousse, rédactrice / Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay / Secrétariat de rédaction : Yeni Daimallah et Emma Cacciamani / Le 16 janvier 2023

LES RÉSEAUX SOCIAUX TREMPLINS DU PROJET D’INSURRECTION

Les groupes de l’application de messagerie ont joué un rôle central dans l’organisation de l’invasion des institutions brésiliennes par les militants pro-Bolsonaro, dimanche dernier. Dès mardi 3 janvier, soit cinq jours avant le passage à l’acte, “les camionneurs, les agriculteurs, les propriétaires d’armes à feu”, entre autres partisans de l’ex-Président, y étaient appelés à “déterrer tous les rats qui ont pris le pouvoir”, dans des messages consultés par le site de fact-checking Aos FatosDimanche, ils diffusaient des instructions sur la façon de se rendre sur les lieux. L’administrateur d’un groupe aux 224 000 membres prévenait “En voiture, vous n’entrez pas [dans l’Esplanade des ministères]” et informait de l’absence de la police, selon Lupa.

De nombreuses autres plateformes ont été, elles aussi, de formidables vecteurs du projet de renversement de la démocratie brésilienne. Sur les réseaux sociaux TikTok, Kwai, Facebook, Instagram et Telegram, des messages appelant à une “action de masse” pour arrêter le pays et prendre d’assaut le Congrès ont totalisé des dizaines de milliers de partages et des centaines de milliers de vues, informe Aos Fatos. La plupart des messages sont devenus viraux à partir du 4 janvierL’un d’eux lançait un “appel constitutionnel aux militaires, aux anticommunistes et aux anti-dictatures” pour une “révolution militaire”, qui atteignait plus de 100 000 vues dimanche. Publiée le vendredi, la publication la plus populaire totalisait 820 000 vues et 48 000 partages dimanche après-midi, toujours selon le média de fact-checking brésilien.

Si les réseaux sociaux ont permis la diffusion d’informations nécessaires à l’organisation du mouvement, ils en ont également été une source de financement. Des propriétaires de chaînes Youtube à grande affluence, comme “Bishop Santana” (579 000 abonnés) ont lancé des appels aux dons, selon Aos FatosD’autres ont profité de la monétisation de leur compte pour générer de l’argent en diffusant les événements en direct, comme l’influenceur pro-Bolsonaro Alex Moretti, à la tête d’un compte qui enregistre près de 112 millions de vues, et dont la vidéo a atteint 18 000 spectateurs simultanés, avant d’être supprimée, selon Aos FatosDimanche, le procureur général du Brésil a demandé à la Cour suprême d’ordonner aux plateformes de “démonétiser les profils faisant l’apologie d’actes terroristes”

UN AIR DE DÉJÀ-VU

Les circonstances des événements de dimanche dernier à Brasilia ne sont pas sans rappeler celles de l’assaut du Capitole par les partisans de Donald Trump, le 6 janvier 2021.

D’abord, parce qu’à l’image de son homologue américain, Jair Bolsonaro a mené une campagne de désinformation massive dans les médias sociaux et les applications de messagerie. De quoi renforcer la défiance de ses soutiens vis-à-vis des institutions démocratiques. Avant même la tenue du scrutin présidentiel les 2 et 30 octobre 2022, celui qui était encore Président instillait le doute quant à la fiabilité des urnes électroniques, jetant le discrédit sur le futur résultat de l’élection présidentielle.

Et la magie opère. C’est derrière le slogan “Nous voulons le code source !” –  l’ensemble des instructions composant le programme informatique de comptabilisation des votes – que se sont rassemblés les soutiens de l’ex-Président, selon TV5 Monde. Ivan Paganotti, docteur en Sciences de la communication et professeur à l’Université méthodiste de Sao Paulo, explique à l’AFP que “La désinformation a joué un rôle important pour mobiliser ceux qui avaient besoin d’une justification qui pourrait donner un semblant de légalité à cette invasion”.

Deux ans auparavant, le même discours était tenu par Donald Trump. Sur son compte Twitter, il martelait “Arrêtez le décompte” au fur et à mesure que les résultats de l’élection tombaient. Au lendemain de celle-ci, certaines mesures de modération des contenus avaient été levées, laissant proliférer, des mois durant, des informations erronées sur l’élection, des groupes et des hashtags “Arrêtez le vol” et “Fraude électorale”. “Pour donner la priorité à la croissance au détriment de la sécurité”, dénonçait Frances Haugen, ancienne employée de Facebook, à la SEC (Securities and Exchange Commission), selon The Guardian.

Ensuite, parce que dans les deux cas, les plateformes de réseaux sociaux se sont trouvées submergées par les évènements. La plupart d’entre elles ont des directives contre des contenus qui contreviennent à leurs règles, et en interdisent la diffusion. Par exemple, Youtube interdit “les contenus destinés à louer, promouvoir ou aider des organisations extrémistes violentes ou criminelles”, et Facebook “tout contenu prônant la violence en raison du vote, de l’inscription des électeurs ou de l’administration ou du résultat d’une élection”, selon Aos Fatos. Pourtant, le 6 janvier, lorsque quelque 10 000 partisans de Donald Trump marchent vers le Capitole, ces mêmes plateformes peinent à gérer le flot de signalements – 4 000 par heure sur la plateforme Instagram, selon un rapport interne évoqué par Libération – et à empêcher la diffusion des événements en direct.

Les publications relatives à l’invasion au Brésil ont, elles, été retirées au compte-gouttes. Une vidéo de l’assaut filmée par l’influenceur brésilien Adriano Casto, qui a totalisé 223 000 vues selon Aos Fatos, a été reprise par plusieurs chaînes Youtube dont le contenu n’a pas été supprimé à l’heure actuelle.

QUELLE RESPONSABILITÉ POUR LES PLATEFORMES ? 

Suite à l’insurrection du Capitole, une commission d’enquête parlementaire avait été créée pour faire la lumière sur les événements. Son président, Bennie Thompson, jugeant que certaines plateformes n’avaient pas “répondu de manière adéquate aux demandes d’informations” de la commission, avait pris la décision de les y contraindre, selon RFI.

Quatre plateformes, Alphabet (maison mère de Youtube), Meta (celle de Facebook), Reddit et Twitter avaient été assignées à comparaître, notamment pour évaluer l’impact de la diffusion de fausses informations par Donald Trump via leurs canaux.

Dans l’Union européenne, ces mêmes plateformes ont désormais l’obligation de lutter contre “tout effet négatif réel ou prévisible sur le discours civique, les processus électoraux et la sécurité publique”. À défaut, elles s’exposent à des amendes pouvant atteindre, selon la Loi européenne sur les services numériques (Digital Services Act, DSA), plusieurs milliards d’euros.

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Elon Musk, Twitter et la réaction européenne

“En Europe, l’oiseau volera selon nos règles européennes”.

Auteur : Pierre-Louis Fessol, master de droit des médias électroniques, Aix-Marseille Université / Relecteur : Philippe Mouron, maître de conférences en droit privé, Aix-Marseille Université, Institut de recherches et d’études en droit de l’information et de la culture (IREDIC) / Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Loïc Héreng / Création : 19 décembre 2022

Ce tweet de Thierry Breton, commissaire européen du marché intérieur, reflète l’influence que l’Union européenne aimerait exercer dans la construction du Twitter version Elon Musk. Il constitue l’une des nombreuses réactions de personnalités européennes face à la politique de modération menée par le nouveau dirigeant. Depuis le rachat effectif de Twitter par Elon Musk, ce réseau social est au cœur de l’actualité et des polémiques. En cause, une vague de liberté totale “made in Elon Musk” venant secouer la réglementation européenne et notamment la liberté d’expression et la liberté de la presse.

Sous influence libertarienne, Elon Musk souhaite, selon ses termes, transformer Twitter en “une place publique numérique commune où un large éventail de croyances peut être débattu de manière saine, sans recourir à la violence“. Cette vision heurte celle de l’Union européenne, comme le rappelait Emmanuel Macron pendant l’émission américaine Good Morning America  : “La liberté d’expression et la démocratie reposent sur le respect et l’ordre public. Vous pouvez manifester, vous pouvez vous exprimer librement, vous pouvez écrire ce que vous voulez, mais il y a des responsabilités et des limites“. Ainsi, le cœur du débat est centré sur la gestion de Twitter par son dirigeant qui représente une source d’inquiétude pour le vieux continent.

UNE POLITIQUE DE MODÉRATION DÉSORMAIS AUTOMATISÉE

Après avoir rompu entre 4 400 et 5 500 contrats de prestataires, qui entre autres s’occupaient de la modération du réseau social, il reste aujourd’hui moins de 2 000 modérateurs à travers le monde. Elon Musk privilégie une modération automatisée pour déréférencer les contenus haineux sur le site. Ces contenus seraient ainsi autorisés, à la réserve près qu’ils ne seraient plus accessibles sur le fil d’actualité des individus, uniquement sur leur profil et donc démonétisés.

L’ère Musk marque aussi la fin de la politique de modération vis-à-vis de la crise du Covid-19 et la lutte contre la désinformation relative aux vaccins. Rappelons qu’auparavant il était interdit sur Twitter d’utiliser les services pour partager des informations fausses ou trompeuses sur le Covid-19 susceptibles d’entraîner un préjudice.

De plus, près de 12 000 comptes antérieurement bannis ont été rétablis, 50 000 autres comptes bannis pourraient suivre. Parmi ceux-ci, on peut citer des comptes de suprémacistes blancs, de néo-nazis, ou bien le compte de  Donald Trump. Tous ces comptes rétablis ont pu profiter de l’accès à l’abonnement de “Twitter Blue” permettant une visibilité accrue.

UNE MODÉRATION AUTOMATISÉE QUI MONTRE DÉJÀ DES FAIBLESSES

Ce cocktail de modération a rapidement montré ses limites. Selon le New-York Times, les contenus haineux sont déjà massivement diffusés sur la plateforme. L’étude menée par le Center for Countering Digital Hate démontre cette tendance à la hausse : lors de la première semaine sous la direction d’Elon Musk, on a ainsi enregistré 26 228 Tweets et re-tweets mentionnant le mot N*gger (traduisible par “négros”), soit une multiplication par 3 en 2022 ; une augmentation de 60 % des messages antisémites ; 4000 tweets homophobes par jour, soit une progression de 58%. Les contenus terroristes sont également en expansion. Selon le Global Network on extremism and technology, lors des premiers jours de Twitter sous le règne Elon Musk, 450 nouveaux comptes de l’État islamique ont été détectés, soit une augmentation de 69 %.

Cette expansion des contenus terroristes sur la plateforme ainsi que la diminution de la modération pourraient mettre à mal la conformité de Twitter vis-à-vis du devoir de lutte contre ces contenus. En effet, le règlement dit “TCO” (“terrorist content online”), applicable depuis le 7 juin 2022, impose aux plateformes en ligne le retrait dans l’heure des contenus terroristes ou leur blocage dans l’Union européenne. Le non-respect de cette obligation peut entraîner une amende allant jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise.

Elon Musk a réfuté ces chiffres : selon lui, “les visionnages de discours haineux (nombre de fois où le tweet a été vu) continuent de diminuer, malgré une augmentation significative du nombre d’utilisateurs ! La négativité devrait obtenir et obtiendra moins de portée que la positivité“. Il ajoute : “Les discours haineux représentent moins de 0,1 % de ce qui est vu sur Twitter“.

L’UNION EUROPÉENNE SÉVIT

Thierry Breton, chargé de mettre en œuvre le Digital Services Act, a eu un échange en visioconférence avec Elon Musk, pour lui rappeler les grands principes de ce règlement.

Premier principe, Twitter doit concourir à la lutte contre les contenus illicites en introduisant un outil facilitant leur signalement. Il devra aussi coopérer avec des “signaleurs de confiance, dont le rôle est d’apporter une expertise dans le signalement des contenus. Deuxième principe, la transparence de la politique de modération, avec l’obligation de créer un système interne de traitement des réclamations permettant aux utilisateurs de contester une sanction de la plateforme. Le fonctionnement des algorithmes et leur utilisation pour cibler des contenus publicitaires doivent être connus des utilisateurs et de la Commission Européenne. Pour finir, le troisième principe est la participation active à l’atténuation des risques de désinformation et à la prévention des crises : codes de conduite, promotion des informations vérifiées, suppression des comptes véhiculant de la désinformation, etc.

Le résultat de cet échange entre Thierry Breton et Elon Musk a permis d’espérer qu’Elon Musk se conformerait au DSA. Un test de résistance se déroulera au siège de Twitter en début 2023, afin d’évaluer sa mise à conformité.

EMMANUEL MACRON RAPPELLE ELON MUSK À SES OBLIGATIONS

Lors de sa visite aux USA, le président de la République et le dirigeant de Twitter ont pu se rencontrer en Louisiane. Elon Musk a ainsi confirmé la participation de Twitter à l’appel de Christchurch, qui est un mouvement composé d’États, d’entreprises et d’ONG luttant contre la diffusion des contenus terroristes et extrémistes sur internet. En participant à cet appel, Twitter s’engage au retrait immédiat des contenus terroristes, et à vérifier que les algorithmes ne suggèrent pas aux utilisateurs des contenus extrémistes. Elon Musk a également promis la mise en place d’outils plus efficaces de vérification de l’âge des utilisateurs, de détection des prédateurs sexuels et de lutte contre le cyberharcèlement.

L’AFFAIRE ELON JET : DE LA LIBERTÉ EXACERBÉE À LA CENSURE

La dernière décision d’Elon Musk soulève une grande inquiétude pour le futur de l’oiseau bleu en Europe : Elon Musk a suspendu plusieurs comptes de journalistes américains appartenant à CNN, New York Times ou le Washington Post qui avaient tweeté sur la décision de suspendre le compte qui relayait les trajets du jet d’Elon Musk. Le compte “Elon Jet” utilisait des données publiques pour indiquer de façon automatique l’emplacement du Jet d’Elon Musk. Elon Musk disant craindre pour sa sécurité ainsi que celle de sa famille, a justifié ces suspensions par le “doxing (divulgation  d’informations personnelles sur un individu sur internet sans son accord).

Au départ suspendu pour sept jours, Elon Musk s’est une nouvelle fois tourné vers les abonnées de son compte Twitter pour choisir la durée de la suspension. Finalement, la twittosphère a parlé, et les comptes qui avaient publié la localisation vont voir leur suspension levée. Ainsi, le rétablissement des comptes devrait avoir lieu rapidement.

Reste que la décision d’Elon Musk a engendré une colère au sein de l’Union européenne mais aussi à l’international. Le franchissement de la ligne rouge est proche. Le blocage de journalistes constitue une entrave à la liberté de la presse ainsi qu’au pluralisme des médias.

Le porte-parole du secrétaire général de l’ONU a qualifié ces suspensions de “dangereux précédent”. De plus, l’Union européenne est unanime : il y a “un problème avec Twitter” selon le ministre allemand des Affaires étrangères, qui estime aussi que “la liberté de la presse ne doit pas être activée et désactivée à convenance”.

De plus, la vice-présidente de la Commission européenne a qualifié cette décision “d’inquiétante” et invité Elon Musk à ne pas franchir ”la ligne rouge” sous peine de sanction. Outre le Digital Services Act qui protège les droits fondamentaux sur les plateformes en ligne, la vice-présidente évoque le Media Freedom Act, un texte européen en cours d’élaboration, et qui, au vu du contexte, devient plus que légitime.

Ce projet de règlement prévoit entre autres la protection de l’indépendance éditoriale, la protection du pluralisme des médias, l’interdiction de l’utilisation de logiciels espions contre les médias. Enfin, la protection des contenus médiatiques en ligne impose aux très grandes plateformes de justifier les décisions de retrait d’article de presse dès lors qu’il n’y a pas de désinformation.

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UN TWEET DEVENU VIRAL : “L’ITALIE VIENT DE DÉCIDER DE NE PAS RESPECTER CETTE FOLIE EUROPÉENNE D’INTERDIRE LES VOITURES THERMIQUES EN 2035. LA BRÈCHE EST OUVERTE, D’AUTRES VONT SUIVRE.”

Compte Twitter "On m’appelle 404", 16 décembre 2022

Le projet de règlement en question interdit la vente de véhicules neufs émettant du CO2, dès en 2035. Cela ne concerne pas ceux déjà en usage, comme veut le croire l’auteur de ce tweet. En tout état de cause, un État membre de l’Union européenne ne peut pas décider de ne pas appliquer un règlement européen. Et d’ailleurs, le gouvernement italien n’a rien dit de tel.

Autrice : Clotilde Jegousse, rédactrice / Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay / Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay / Secrétariat de rédaction : Héreng Loïc et Emma Cacciamani / Création : le 9 janvier 2023 Dernière modification : le 18 janvier 2023

Il faut d’abord rétablir les faits : le 27 octobre dernier, le Conseil de l’Union européenne – qui réunit les représentants des États – et le Parlement européen – directement élu par les citoyens européens – n’ont pas décidé d’interdire les véhicules thermiques en Europe en 2035, mais la vente de véhicules neufs émetteurs de CO2. Ensuite, l’Italie, qui ne s’est pas formellement prononcée, n’aura pas d’autre choix que de respecter le nouveau règlement européen.

QUE PRÉVOIT EXACTEMENT LE PROJET DE RÈGLEMENT QUE L’ITALIE ENTENDRAIT NE PAS RESPECTER SELON LE TWEET ?

Ce texte, qui n’est pour le moment qu’un accord entre le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne, doit encore être formellement adopté. Il prévoit l’interdiction de la vente des véhicules essence et diesel neufs dans l’Union européenne dès 2035, au profit des véhicules non émetteurs de CO2. Les voitures à moteur thermique déjà en circulation ne seront donc pas interdites, et pourront toujours être sorties du garage après cette date. Des modèles neufs pourront même être produits, mais seulement pour être exportés hors de l’Union. Seule exception : les constructeurs automobiles de luxe. Ceux qui produisent moins de 1 000 véhicules par an ne seront pas touchés, et ceux qui en produisent moins de 10 000 auront, eux, jusqu’en 2036 pour réaliser leur transition électrique.

Les objectifs fixés par le texte pourront néanmoins être adaptés. La France, par l’intermédiaire de son ministre des Transports, Clément Beaune, a défendu une “clause de revoyure” en 2026. Celle-ci permettra de prendre en compte les avancées technologiques réalisées d’ici là, et d’inclure, pourquoi pas, les e-carburants.

L’ITALIE NE PEUT PAS DÉCIDER DE NE PAS RESPECTER CETTE FOLIE EUROPÉENNE”

Sur la toile, c’est l’argument phare de certains internautes opposés à ce projet de règlement : L’Italie a pris une décision de bon sens en refusant l’interdiction européenne”.

En réalité, il n’en est rien, au moins en droit. Si la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, a jugé au mois de décembre que l’échéance n’était pas raisonnable”, l’Italie n’a pas déclaré qu’elle refuserait de respecter le règlement. Elle n’en a d’ailleurs pas le droit.

Il existe – Les Surligneurs le martèlent régulièrement – un principe de primauté du droit de l’Union. La Cour de justice de l’Union européenne l’a consacré en 1964 : les règles de l’Union européenne priment sur les droits nationaux, qui se doivent d’être conformes à celles-ci. Si elle adoptait une loi contraire au règlement, l’Italie s’exposerait donc à de fortes pénalités financières infligées par l’Union.

C’est d’autant plus vrai que les règlements européens sont d’applicabilité directe. Ils n’ont pas besoin d’être transposés dans le droit national pour s’appliquer. Les constructeurs automobiles italiens devront donc s’y conformer dès que celui-ci entrera en vigueur après avoir été publié au journal officiel de l’Union européenne. Et cela, sans que l’Italie n’ait son mot à dire. Le texte législatif, une fois adopté par les députés européens et une majorité d’États membres, s’appliquera sur tout le territoire de l’Union.

LE DERNIER MOT REVIENDRA AU JUGE ITALIEN

L’applicabilité directe permet également aux individus de se prévaloir d’un règlement européen directement devant le juge de leur propre État. Si l’Italie votait une loi nationale autorisant la vente de voitures neuves émettant du CO2 malgré ce règlement européen, le juge italien ne pourrait pas l’appliquer, et tout producteur tentant de vendre des véhicules émetteurs après 2035 serait en infraction.

Dans ce cas précis, si certains constructeurs italiens font la sourde oreille, on imagine aisément que leurs concurrents saisiront les tribunaux nationaux, et que les fauteurs seront condamnés. Donc même si l’État italien voulait empêcher l’application de cette interdiction, il ne le pourrait pas réellement.

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Selon l’eurodéputée belge Saskia Bricmont: “il n’y a pas de définition commune (européenne) du terrorisme”

Le soir, 23 novembre 2023

Le Parlement européen a été victime d’une cyber attaque après avoir voté en séance plénière un texte qualifiant la Russie d’État soutenant le terrorisme et ayant “recours aux moyens du terrorisme”.

A l’occasion de ce vote, la députée écologiste, Saskia Bricmont, s'est abstenue de voter la résolution car, selon elle, il n’existe pas de définition européenne commune du terrorisme. Mais cette affirmation n'est pas correcte.

Wesmael Tessa et Sefu Asha Amanda, étudiantes en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain professeure de droit pénal, Université Saint-Louis – Bruxelles, le 28 février 2023.

Dans le cadre d’un vote du Parlement européen sur une résolution visant à condamner la Russie “d’État soutenant le terrorisme” et “ayant recours aux moyens du terrorisme”, l’eurodéputée écologiste, Saskia Bricmont, s’est abstenue de voter au motif qu’il n’existerait pas de définition européenne du terrorisme. Elle a en effet déclaré : “J’ai des réticences sur le plan légal, en tant que colégislateur européen nous risquons d’ouvrir une brèche. Il n’y a pas de définition commune (européenne) du terrorisme. Et les crimes d’agression et crimes de guerre imputés à la Russie dans son invasion de l’Ukraine sont en eux-mêmes déjà définis dans le droit international”.  

Ses propos ne sont pas corrects dans la mesure où il existe une définition européenne du terrorisme.  

En effet, la Décision-cadre 2002/475/JAI du Conseil (13 juin 2002) relative à la lutte contre le terrorisme, adoptée dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, donne une définition (par essence) européenne du terrorisme.  

Elle précise ainsi, à l’article premier, que doivent être considérées comme des infractions terroristes, certains actes intentionnels visés par la décision-cadre (telles les atteintes contre la vie d’une personne pouvant entraîner la mort) qui, “par leur nature ou leur contexte, peuvent porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale”, lorsque l’auteur les commet dans le but soit de gravement intimider une population, de contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ou, encore, de gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou une organisation internationale. 

Il est important de noter que cette décision-cadre a été remplacée par la Directive (UE) 2017/541 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2017 relative à la lutte contre le terrorisme. Néanmoins, la définition du terrorisme n’y a pas été modifiée de manière substantielle.  

En conclusion, il existe bien une définition commune du terrorisme dans le droit de l’Union Européenne et ses propos sont juridiquement erronés.   

Contacté par nos soins, une collaboratrice de l’eurodéputée indique que Saskia Bricmont considère qu’aucun de ces deux instruments européens ne définissent le terrorisme, en tant que tel, se contentant de lister les infractions terroristes et les infractions liées à un groupe terroriste.  

Elle reconnait que la différence entre la notion de terrorisme et la liste d’infractions définissant le terrorisme est mince, mais que cette différence reste “essentielle dans un contexte où le terme terrorisme est utilisée dans différents contextes politique et national”. Cette absence de définition montre, selon elle, “les différences de perception entre États membres”. 

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George-Louis Bouchez: “il aurait dû être privé de liberté dans le cadre d’une garde à vue de 24h qui peut être prolongée jusque 72h en cas de terrorisme”.

RTL Info, 17 novembre 2022

L’assassinat d’un jeune policier par une personne fichée comme étant radicalisée, le jeudi 10 novembre 2022, a suscité de vives réactions tant de la part de la société civile que du monde judiciaire et politique. Parmi ces réactions, nous avons relevé celle de Georges-Louis Bouchez, président du MR, qui affirme : “Si cette personne n’est pas privée de liberté dans le cadre d’une garde à vue de 24h, qui peut aller jusqu’à 72h en cas de terrorisme, je ne sais pas qui, dans ce pays, peut faire l’objet d’une garde à vue".

Amadou Barry, étudiant en droit à l’Université Saint-Louis-Bruxelles, sous la supervision de Christine Guillain, professeure en droit pénal à l’Université Saint-Louis-Bruxelles, le 23 février 2023

Georges-Louis Bouchez, juriste de formation, semble confondre différents concepts de droit pénal. 

La garde à vue: un concept inexistant en Belgique  

La garde à vue est un concept français qui n’existe pas en droit belge où on parle plus volontiers d’arrestation judiciaire dont la durée ne peut dépasser 48h ,depuis la révision de la Constitution en 2017 (contre 24h auparavant). Certes, il a été question, après les attentats, d’allonger la durée de l’arrestation judicaire jusqu’à 72h en cas d’infraction terroriste, comme c’est le cas dans d’autres pays, mais la proposition n’a finalement pas été retenue. Un suspect ne peut dès lors être privé de liberté, sans intervention d’un juge, que pour une durée maximale de 48h, quel que soit le type d’infraction. L’arrestation judiciaire n’est autorisée que lorsque la personne est suspectée d’avoir commis une infraction pénale (délit ou crime) et doit obligatoirement faire l’objet d’un procès-verbal. Les modalités de l’arrestation judiciaire diffèrent selon qu’on est arrêté ou non en état de flagrance. 

George-Louis Bouchez n’est pas le seul membre du MR à opérer quelques amalgames en la matière. Denis Ducarme a lui aussi réagi, en affirmant : “le gars est fiché depuis 2015, cela aurait dû suffire au magistrat pour le garder en détention 24 ou 48h sur base de la législation antiterroriste”. Ce faisant, Denis Ducarme confond deux types de privation de liberté : les arrestations judiciaires, d’une part, et les détentions préventives, d’autre part. 

Deux notions proches mais assez différentes  

En se référant à la législation antiterroriste, Denis Ducarme semble davantage évoquer la détention préventive que l’arrestation judiciaire. La détention préventive est une mesure privative de liberté qui nécessite la délivrance d’un mandat d’arrêt par un juge d’instruction et la réunion de plusieurs conditions énoncées à l’article 16 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive. Le mandat d’arrêt ne peut ainsi être décerné qu’en cas d’absolue nécessité pour la sécurité et ne peut poursuivre comme objectif d’exercer une répression immédiate ou toute autre forme de contrainte sur l’individu, qui serait ressentie comme une peine avant la peine alors qu’il est présumé innocent. Ensuite, le fait présumé commis par l’inculpé doit être puni par la loi au minimum d’un an d’emprisonnement (peine correctionnelle). Néanmoins, si le maximum de la peine ne dépasse pas quinze ans de réclusion (peine criminelle), le juge doit aussi rencontrer d’autres critères pour pouvoir délivrer un mandat d’arrêt. Il doit ainsi exister de sérieuses raisons de craindre que l’inculpé, s’il était laissé en liberté́, commette de nouveaux faits (risque de récidive), se soustraie à l’action de la justice, tente de faire disparaitre des preuves ou entre en collusion avec des tiers. C’est ici que la législation antiterroriste a introduit un tempérament en 2016. En cas d’indices de culpabilité de la commission d’une infraction terroriste punissable de plus de cinq ans d’emprisonnement, le juge d’instruction ne doit pas rencontrer ces critères. Enfin, le juge d’instruction doit décider si le mandat d’arrêt doit être exécuté dans une prison, ou sous la forme d’une détention sous surveillance électronique.  

Le fichage d’un individu n’est ni un crime, ni un délit et est dès lors insuffisant pour justifier une arrestation judiciaire ou une détention préventive. Ces deux formes de privation de liberté ne peuvent être ni automatique, ni systématique et doivent répondre à certaines conditions qui doivent faire l’objet d’une appréciation individuelle de la part d’un magistrat, en ce compris pour les infractions terroristes.

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Le “Plan IKEA” du Vlaams Belang pour défendre une autre politique migratoire

VRT News, le 15 novembre 2022

Le Vlaams Belang, parti politique d’extrême droite, a utilisé l’identité de la marque IKEA pour illustrer sa propagande pour un durcissement de la politique migratoire, en reprenant le logo, les couleurs et le style de la chaîne d’ameublement. Or, en droit, tirer un avantage de la renommée d’une marque est illégal.

Rania Sabaouni et Lucia Naredo, étudiantes en droit à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, sous la supervision de Luc Desaunettes-Barbero, professeur en droits intellectuels à l’Université Saint-Louis-Bruxelles, le 16 décembre 2022

En réaction à la crise d’asile migratoire que traverse la Belgique, le parti d’extrême droite Vlaams Belang propose un « IKEA plan ».  Dans ce contexte, IKEA est l’acronyme d’ « Immigratie Kan Echt Anders » qui en français peut se traduire par « L’immigration peut vraiment [être organisée] autrement ». Suite à cela, la célèbre marque suédoise, tenant à sa neutralité politique, a engagé des poursuites pour l’usage illégal de sa marque. 

En droit, il faut d’abord vérifier qu’IKEA est titulaire d’un titre de propriété “intellectuelle”, c’est-à-dire que l’entreprise a bien enregistré sa marque, et donc que cette marque est protégée par la réglementation européenne. En l’occurrence, et sans surprise, IKEA est titulaire d’une marque enregistrée (voir le registre européen sous le numéro 0926155). Par conséquent, elle peut faire valoir le préjudice qu’elle subit. 

Selon ces règles européennes en effet, l’usage du logo de IKEA par le Vlaams Belang est problématique. Aucun tiers ne peut tirer un avantage ou un profit, fût-il électoral, de la renommée d’une marque enregistrée, ni porter atteinte à cette renommée. 

Or, précisément ici, le Vlaams Belang profite de la réputation d’IKEA, entreprise qui exploite 422 magasins éparpillés dans 50 pays du monde, et que tout le monde connaît bien en Belgique. Le Vlaams Belang reprend sur son affiche les couleurs, la calligraphie, la mascotte ainsi que l’acronyme du magasin. On reconnait clairement la référence à IKEA, qui est donc un usage interdit par le droit européen. Cette utilisation est préjudiciable à la renommée de la marque, car elle lui associe des valeurs politiques, alors que IKEA est une entreprise apolitique et qui souhaite le rester. Enfin, l’usage est fait “sans juste motif”. Assurément, l’usage par le Vlaams Belang n’entre pas dans une des exceptions prévues dans la réglementation européenne (noms de personnes, mots trop communs, etc.). Il ne s’agit pas davantage des rares situations où le juge européen a admis l’usage d’une marque similaire. Soit lorsque les logos, slogans ou couleurs utilisés ne sont pas si ressemblants, et donc ne créent pas de risque de confusion – dans le cas du Vlaams Belang, c’est vraiment tout l’inverse. Soit lorsque l’usage de la marque constitue l’extension de services déjà offerts sous cette marque ou sous une marque similaire – impossible également à invoquer pour le Vlaams Belang. 

Il est donc certain qu’en politisant IKEA, le Vlaams Belang viole les règles européennes.  

IKEA exige donc que le Vlaams Belang cesse d’utiliser son logo, car elle tient particulièrement à sa neutralité politique. Le parti politique n’en était pas à son coup d’essai dans ce domaine. En invoquant déjà à l’époque sa liberté d’expression, il avait produit une vidéo, en pleine pandémie, dans laquelle les acteurs portaient le même uniforme que les facteurs de bpost. Le Tribunal de l’entreprise a immédiatement condamné le Vlaams Belang et ordonné la suppression de la vidéo litigeuse, en jugeant que cela ne portait pas atteinte à sa liberté d’expression. IKEA a donc toutes les raisons de faire valoir ses droits face à ces pratiques illégales du parti d’extrême droite.

Contacté par nos soins, le Vlaams Belang n’a pas répondu à nos sollicitations.

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Nicole de Moor est “en contact avec la France” afin d’expulser l’Imam Hassan Iquioussen du territoire belge 

RTBF, 16 novembre 2022

Nicole de Moor (CD&V), secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, a déclaré, sur Twitter et sur son site internet, discuter avec la France de l’expulsion de l’Imam Hassan Iquioussen, malgré la décision judiciaire belge de ne pas exécuter le mandat d’arrêt européen émis par les autorités de l’Hexagone.

Cathy Bodson, étudiante en droit à l’Université Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain, professeure de droit pénal, Université Saint-Louis – Bruxelles, le 9 décembre 2022.

Un arrêté d’expulsion émis par la France 

Hassan Iquioussen, de nationalité marocaine, a été sommé, à plusieurs reprises, de quitter la France. A la fin de l’année 2021, après avoir demandé le renouvellement de son titre de séjour, il reçoit un premier avis d’expulsion. Le 29 juillet 2022, le ministre français de l’intérieur, Gérald Darmanin, lui notifie un arrêté d’expulsion du territoire français, en raison de discours prosélytes jugés “contraires aux valeurs de la République”. Mais cet arrêté est suspendu par le tribunal administratif de Paris qui considère que contraindre l’Imam à quitter la France porterait “une atteinte grave et manifestement disproportionnée à son droit à mener une vie privée et familiale”. Gérald Darmanin introduit un recours au Conseil d’Etat français, qui décide, le 30 août 2022, d’aller à l’encontre de la décision du tribunal parisien et de donner “son feu vert à l’expulsion de l’Imam Iquioussen”.  

Lorsque la police se rend, le 31 août 2022, au domicile de l’Imam, ce dernier est introuvable et on le soupçonne d’avoir pris la fuite en Belgique. Selon certains, en quittant la France de lui-même, Hassan Iquioussen aurait respecté la décision de justice, en exécutant l’arrêté d’expulsion. Le jour même, un juge d’instruction de Valenciennes délivre néanmoins un mandat d’arrêt européen pour soustraction à l’exécution d’une mesure d’expulsion du territoire. 

L’imam Iquioussen est arrêté le 30 septembre 2022 en Belgique et placé en détention préventive à la prison de Tournai, sur la base du mandat d’arrêt délivré par la France. 

La Belgique refuse d’exécuter le mandat d’arrêt européen 

Après examen par le tribunal de première instance de Tournai et par la Cour d’appel de Mons, les deux juridictions rendent le même verdict : le mandat d’arrêt n’est pas exécutable dans ce cas de figure car les “faits à la base du mandat d’arrêt européen décerné le 31 août 2022 ne sont pas constitutifs d’une infraction en droit belge”, souligne le substitut du procureur François Demoulin 

En d’autres mots, le mandat d’arrêt ne respecte pas la condition de la double incrimination, à savoir que les faits à la base du mandat d’arrêt doivent être punis tant dans le pays d’émission du mandat que dans celui de son exécution. En effet, la « soustraction à l’exécution d’une mesure d’éloignement » qui a justifié la délivrance du mandat d’arrêt européen constitue une infraction aux yeux de la loi française, mais pas selon la loi belge.  

Une ordre de quitter le territoire en lieu et place du mandat d’arrêt européen ?  

Le 15 novembre 2022, la Secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, Nicole de Moor, notifie à Hassan Iquioussen une décision qui comprend trois volets : un ordre de quitter le territoire sans délai, la reconduite à la frontière et le maintien en centre fermé en vue d’éloignement, au motif que “l’intéressé n’a pas la volonté de respecter les décisions administratives prises à son égard et qu’il risque donc de se soustraire aux autorités compétentes”. Il est placé au centre fermé de Vottem.  

En droit belge, il est prévu que “le ministre ou son délégué doit donner à l’étranger, qui n’est ni autorisé ni admis à séjourner plus de trois mois ou à s’établir dans le Royaume, un ordre de quitter le territoire”. La même loi définit précisément ce “retour”, imposant à la personne de retourner, soit dans son pays d’origine, soit “dans un autre pays tiers dans lequel le ressortissant concerné décide de retourner volontairement et sur le territoire duquel il est autorisé ou admis au séjour”. En cas d’expulsion, l’Imam pourrait donc retourner dans son pays d’origine, le Maroc, ou dans un autre pays, dans lequel il souhaite séjourner et où il peut prétendre à un droit de séjour, ce qui n’est à l’évidence pas le cas de la France, puisqu’il doit en être expulsé. 

En réaction à l’ordre de quitter le territoire, ses avocats ont introduit un recours en extrême urgence au Conseil du Contentieux des Etrangers belge. D’une part, ils exposent que la décision administrative “ne contient aucun motif de droit autorisant une remise à la France”. D’autre part, ils redoutent qu’une remise à la frontière française entraîne immédiatement des poursuites judiciaires et une condamnation, ce qui  serait contraire à la directive 2008/115 de l’Union européenne. En effet, selon eux, “le droit de l’Union interdit clairement qu’un Etat membre puisse infliger une peine d’emprisonnement pour le seul motif qu’un étranger demeure en séjour irrégulier sur le territoire ou refuse d’exécuter volontairement une décision d’éloignement”.  

Dans son arrêt rendu ce 5 décembre 2022, le juge administratif belge refuse de suspendre la décision prise par Nicole De Moor. Il confirme néanmoins que la décision administrative a pour objet la remise de Hassan Iquioussen à la frontière française et considère déjà que, sur ce point, la décision est problématique, car elle ne fait pas mention d’un traité entre, notamment, la Belgique et la France, à savoir “l’Arrangement du 16 avril 1964 concernant la prise en charge de personnes aux frontières communes entre le territoire de ces Etats”. Or, selon les termes de ce traité, la France ne peut être considérée que comme un pays de résidence ou de transit, en vue d’un renvoi vers le Maroc. La remise de Hassan Iquioussen aux autorités françaises ne pourrait dès lors poursuivre comme objectif de le faire juger en France, au risque de contourner, par la voie administrative, la décision des autorités judiciaires belges.  

Contacté par nos soins, le cabinet de la Secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, Nicole de Moor, a répondu que “ce n’est pas parce que la justice ne peut pas extrader l’homme que nous ne pouvons rien faire en matière de migration”. Selon eux, l’Imam Iquioussen est en séjour illégal sur le territoire belge et ne semble pas vouloir partir de manière volontaire. La collaboration avec la France a pour but de le faire expulser du territoire belge étant donné qu’il représente un danger pour la société. 

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Selon Alexander De Croo, “l’impact sur le réchauffement climatique, on l’a surtout en dehors de nos frontières” 

RTBF, Matin Première, 7 novembre 2022, 10’ 13’’

Lors d’une interview à la RTBF au lendemain de l’ouverture de la “COP27”, le Premier ministre, Alexander De Croo, a déclaré que “l’impact sur le réchauffement climatique, on l’a surtout en dehors de nos frontières”. Or, ces propos sont contraires à l’engagement pris par la Belgique lors de sa ratification de l’Accord de Paris.

Mata Sherel, Sefu Asha Amanda, étudiantes en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Marie-Sophie de Clippele, professeure de droit et membre du Centre d’Etudes du Droit de l’Environnement (CEDRE), Université Saint-Louis – Bruxelles, le 16 novembre 2022

Comme chaque année, la Conférence des Parties, plus communément appelé “COP”, réunit tous les Etats ayant ratifié l’accord de Rio en 1992. Cette conférence vise à mettre en place, selon les termes de l’Accord de Paris signé en 2015 “une riposte efficace et progressive à la menace pressante des changements climatiques”. Cette année, c’est la ville de Charm el-Cheikh, en Egypte, qui accueille le 27e sommet de la Conférence des Parties. A quelques jours du départ de la délégation belge, Alexander De Croo explique que, selon lui, les défis climatiques auxquels font face les Belges ne doivent pas être amenés sur la scène internationale, mais doivent faire l’objet d’une concertation sociale au niveau national. Il précise que les efforts individuels des Belges comptent, mais que cela n’a pas de réel impact sur une population mondiale de 7 milliards d’habitants. 

En insistant lourdement sur les efforts qui devraient être faits par les autres pays, et en particulier les plus grands Etats de la planète, le discours du Premier ministre contredit frontalement le texte de l’Accord de Paris, texte que la Belgique a pourtant ratifié en 2016. 

En effet, les articles 2 et 4 de l’Accord précisent que chaque Etat signataire, si petit soit-il, doit travailler à réduire son impact sur le réchauffement climatique. L’article 3, oblige chaque État partie à engager et communiquer des « efforts ambitieux ». L’article 4 alinéa 3 souligne à cet égard que les Etats devront contribuer à atteindre l’objectif de température à long terme (maximum 2° au-dessus de la température moyenne préindustrielle de la planète et de préférence 1,5°) au niveau national par “une progression par rapport à la contribution déterminée au niveau national antérieure” qui “correspondra à son niveau d’ambition le plus élevé possible”. Si chaque État doit faire son maximum selon l’Accord de Paris, il ne faut pas minimiser cette contribution, au contraire.  

Ce même article 4 alinéa 3 précise par ailleurs qu’il faut tenir comptes des capacités de chaque pays ainsi que des responsabilités communes mais différenciées pour réaliser cette ambition. Les pays développés, comme la Belgique, ont une responsabilité historique, et du coup plus importante, par rapport aux pays en développement. Ils se doivent de leur “montrer la voie”, tout en respectant leurs propres responsabilités climatiques. 

La Belgique a donc un impact non négligeable dans la responsabilité commune face au réchauffement climatique. Notre pays est obligé d’y contribuer, comme l’a d’ailleurs exigé un collectif de citoyens dans l’affaire Klimaatzaak, qui a conduit à une première condamnation de toutes les autorités belges compétentes. Ces autorités, “dans la poursuite de leur politique climatique”, ont été jugées imprudentes, et donc fautives. 

Contacté par nos soins, Alexander De Croo n’a pas répondu à nos sollicitations.

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La ministre flamande de la Justice, Zuhal Demir, retient une subvention pour la KU Leuven, vu le « silence assourdissant du rectorat » dans une affaire de viol. 

De Morgen, 24 octobre 2022

La ministre flamande de la justice, Zuhal Demir (N-VA), a suspendu 1,4 million d'euros de subventions prévues pour la KU Leuven. Cette suspension a pour but de faire comprendre son mécontentement sur la manière dont l'université a traité une affaire de viol d’une étudiante par un professeur. Cette annonce a nourri un sérieux débat sur un éventuel abus de ses compétences.

Olivia Keteleer, étudiante en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles // Pierre-Olivier de Broux, professeur de droit, Université Saint-Louis – Bruxelles, le 24 novembre 2022.

Un manque de transparence de la KULeuven ? 

En juillet 2016, lors d’une conférence à Barcelone, une étudiante a été violée par un professeur de la KULeuven. L’étudiante, ne voulant pas faire de scandale, est passée par un intermédiaire pour avertir une personne de confiance au sein de la faculté concernée. Aucune plainte officielle n’a été déposée. Ce n’est qu’en 2018 que les parents, après avoir rencontré le recteur de la KULeuven, sont invités à déposer plainte auprès de la police. Entre la plainte formelle et la suspension officielle du professeur, il a pu poursuivre ses activités pendant six mois. Selon l’avocat de l’université, l’absence de mesures de protection durant cette période était une requête venant du parquet, qui exigeait de ne rien faire qui puisse alarmer le suspect. Toute réaction de l’université “aurait immédiatement fait comprendre que quelque chose se passait et aurait potentiellement conduit à la perte de preuves ». 

Malgré cet ordre de la justice, désormais rendu public, beaucoup se posent des questions sur la manière dont la KULeuven a géré cette affaire. Notamment, la ministre flamande de la Justice, Zuhal Demir (N-VA), également compétente pour l’environnement, l’énergie et le tourisme. Elle tient à punir « le silence assourdissant du rectorat actuel« , en suspendant une procédure de subvention grâce à laquelle l’université devait toucher 1,4 million d’euros pour célébrer son six-centième anniversaire. La ministre Demir affirme devoir se « montrer dure envers une institution qui ne condamne pas immédiatement le viol ». Elle veut ainsi rappeler la responsabilité sociale de la plus grande université du pays. La ministre affirme néanmoins que la suspension est temporaire, le temps que le recteur apporte suffisamment de clarté et de transparence dans le dossier. 

Mais un abus temporaire de la ministre 

Si les intentions de la ministre Demir sont ainsi parfaitement transparentes, elles posent néanmoins question sur le plan juridique. Même si la mesure annoncée par la ministre est temporaire ou provisoire, il est en effet très difficile de la justifier, comme l’ont déjà souligné plusieurs commentaires dans la presse. 

En effet, comme le souligne une professeure de droit administratif à l’Université d’Anvers, Zuhal Demir « utilise un pouvoir que lui confère la loi dans un but autre que celui pour lequel il a été accordé« . La ministre dispose en effet du pouvoir d’accorder des subventions en matière de tourisme, comme ici pour soutenir le futur anniversaire de l’université. Mais, en principe, elle ne peut refuser ou suspendre de telles subventions « que pour des raisons liées à la valeur d’un projet du point de vue touristique ». Or, ici, la ministre Demir justifie sa décision par des motifs et une indignation qui sont tout à fait étrangers à l’intérêt “touristique” de la subvention. L’affaire de viol et le subside ne sont pas liés par le seul fait qu’ils concernent la même université. 

Le juge administratif qualifie une telle situation de “détournement de pouvoir”. Comme indiqué dans une décision récente (p. 23), il s’agit de la situation où l’autorité agit “de façon tout à fait régulière en apparence”, mais pour atteindre “un but autre que celui de l’intérêt général en vue duquel ces pouvoirs lui ont été conférés« . Dans l’affaire de la KULeuven, si la ministre Demir peut évidemment suspendre ou bloquer un subside “touristique”, elle le fait ici dans un tout autre objectif que ceux liés à ces compétences touristiques. Il s’agit donc d’un “détournement de pouvoir”. 

Si les intentions de la ministre Demir ne sont évidemment pas critiquables, elle devait donc trouver d’autres moyens de faire connaitre son indignation. L’abus « temporaire” de la ministre ne devrait cependant pas vraiment avoir de conséquences, puisque l’enquête d’un commissaire du gouvernement a confirmé dans les jours qui ont suivi le traitement suffisamment correct de l’affaire par l’université. On peut donc supposer que le subside suspendu sera finalement accordé. 

Contactée par nos soins, Zuhal Demir n’a pas répondu à nos sollicitations. 

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Selon Nicole de Moor, les étrangers peuvent, de nos jours, « choisir le pays où ils veulent demander l’asile ».

Het Laatste Nieuws, le 22 octobre 2022

Dans une interview donnée sur VTM : la secrétaire d’état, Nicole de Moor, compétente en matière d’asile et de migration au sein du gouvernement De Croo, a affirmé que les migrants pouvaient choisir le pays dans lequel ils vont demander l’asile. Or le règlement Dublin III, qui est applicable en Belgique, vise justement à éviter ce phénomène.

Tessa Wesmael, étudiante en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles, sous la supervision de Pierre-Olivier de Broux, professeur de droit public à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, le 8 mars 2023.

Dans une interview donnée à la presse flamande (et répétée sur la chaîne de télévision VTM le lendemain), la secrétaire d’État a défendu sa politique en matière d’accueil des réfugiés notamment en regrettant que la Belgique doive accueillir tant de personnes migrantes, en comparaison avec un grand nombre d’autres pays européens. Elle dénonce alors le fait que «  aujourd’hui, les gens peuvent simplement choisir le pays où ils veulent demander l’asile. […] Ils passent d’un pays à l’autre et ce n’est pas acceptable » (traduction libre). Cet argument contredit cependant de manière assez flagrante le droit européen. 

Le règlement Dublin III est en effet un règlement du Parlement européen et du Conseil européen mis en place pour régir la manière dont les demandes d’asile sont traitées dans l’Union européenne (UE). 

Il s’applique dans les 26 pays de l’UE, ainsi qu’en Suisse, en Islande, en Norvège et au Liechtenstein, mais plus au Royaume-Uni depuis le 1er janvier 2021. Ce champ d’application géographique s’appelle plus communément “l’espace Dublin”. 

Ce règlement permet de déterminer quel État membre de l’UE sera responsable de chaque demande d’asile et d’énoncer les critères sur lesquels se baser pour prendre cette décision. Comme le souligne l’administration suisse, le règlement va également donner “à chaque requérant l’assurance que sa demande est bien examinée et qu’elle ne fait pas l’objet d’un examen dans deux États en même temps”. Cela permet d’éviter le phénomène de « l’Asylum shopping”, qui se produit lorsque les demandeurs d’asile se voient refuser leur demande dans un pays et décident alors de changer de pays pour réitérer leur demande. 

Malgré ses avantages, le règlement Dublin III pourrait bénéficier de quelques aménagements et d’une modernisation pour mieux faire face à la réalité actuelle. 

Dans la majorité des cas en effet, c’est le pays où le demandeur d’asile est arrivé en premier qui est responsable de sa demande, et cela pose des problèmes pratiques. Un très grand nombre de personnes migrantes arrivent en bateau dans le sud de l’Europe, et certains pays se retrouvent à gérer des demandes d’asile en quantités nettement supérieures à d’autres pays. Les pays qui sont accessibles en bateau par la Méditerranée sont particulièrement concernés par cet afflux : la Grèce, par exemple, appelle à la « solidarité européenne » pour faire face au surcroît de demandes d’asile. C’est ce que souligne Alexis Deswaef, avocat et vice-président de la Fédération internationale pour les droits humains au micro de la RTBF : « C’est une norme totalement dépassée. À l’époque où le règlement a été établi, les candidats à l’asile arrivaient essentiellement en avion. Depuis, avec la sévérité accrue des contrôles dans les aéroports, cela a changé : ils entreprennent la route principalement par terre ou par la mer. Dès lors, le critère du pays d’arrivée pénalise les pays comme l’Italie, la Grèce et l’Espagne. Lors de la crise migratoire entre 2015 et 2016, l’Italie avait tiré la sonnette d’alarme, mais c’est resté lettre morte. » 

En conclusion, le règlement Dublin III ne permet donc pas de faire de « l’Asylum shopping”. Des exceptions existent évidemment (par exemple pour les mineurs ou les membres d’une même famille), mais nous sommes loin de ce que soutient Nicole de Moor. Elle ne peut pas faire de ces exceptions une généralité. Ses propos sont donc juridiquement erronés. 

Contactée par nos soins, Nicole De Moor a précisé qu’elle critiquait en réalité la mauvaise application du règlement de Dublin. S’il y a indéniablement des améliorations possibles à la mise en œuvre de ce règlement européen, les propos tenus dans les interviews surlignés n’évoquent en rien cette précision, et sont donc erronés. 

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L’Exécutif des Musulmans de Belgique a dénoncé une action « grossièrement inconstitutionnelle »

Le Monde, 8 octobre 2022

L’Exécutif des musulmans de Belgique conteste la décision du ministre belge de la justice, chargé des cultes, Vincent Van Quickenborne, de priver de sa reconnaissance officielle et de sa subvention l’organe représentatif du culte musulman, notamment en qualifiant cette décision de “grossièrement inconstitutionnelle”. Indéniablement, les questions posées par la décision du gouvernement restent nombreuses.

Ilias Amechrouk, étudiant en droit, Université Saint-Louis - Bruxelles // sous la supervision de Jogchum Vrielink et Pierre-Olivier de Broux, professeurs de droit public, Université Saint-Louis - Bruxelles, le 9 décembre 2022.

La décision prise par le ministre de la Justice le 29 septembre 2022 est la conclusion d’échanges qui datent déjà de l’automne 2020, et de déclarations épinglées sur notre site en mars 2022. Le ministre de la Justice a maintenant formellement décidé de priver de reconnaissance l’organe représentatif du culte musulman, en rendant publics l’ensemble des motifs de sa décision et en suscitant des réactions outrées de la part des membres de l’Exécutif musulman de Belgique (EMB). 

Le retrait de la reconnaissance d’un organe représentatif d’un culte doit être sérieusement justifié 

Comme déjà expliqué, la reconnaissance de l’organe représentatif d’un culte n’est pas en soi un droit fondamental, mais les restrictions qui lui sont apportées doivent néanmoins être suffisamment justifiées en droit. Elles constituent en effet une atteinte à la liberté de la religion, qui est un droit garanti notamment par la Constitution et par la Convention européenne des droits de l’homme.  

Les justifications invoquées par la décision gouvernementale sont multiples. Premièrement, l’EMB prendrait “des mesures concrètes insuffisantes pour organiser effectivement des élections” pour son renouvellement, alors que les mandats de ses membres sont expirés depuis le 1er avril 2020. Deuxièmement, les élections annoncées par l’EMB ne garantiraient pas la représentativité et la légitimité requises. Dans un communiqué de presse préalable, le ministre de la Justice expliquait en effet que “à l’automne 2020, par exemple, la Sûreté de l’État a constaté qu’il était question d’ingérence étrangère. […] Malgré un conseil d’administration composé de 17 membres élus censés représenter les différents courants de la communauté musulmane, la gestion était de facto entre les mains de quelques individus […]. De ce fait, la communauté musulmane de notre pays ne dispose toujours pas de la représentation à laquelle elle a droit, ce qui entrave l’intégration des musulmans dans notre pays”. Troisième motif de la décision : il “existe de sérieux manquements et de graves dysfonctionnements dans le fonctionnement de l’Exécutif actuel”, ce qui serait confirmé par l’opposition de certains membres de l’EMB lui-même.  Les reproches concrets adressés à l’EMB ne sont cependant pas rendus publics. Le communiqué de presse du ministre les synthétise sous l’exigence d’un organe “inclusif, pluraliste, représentatif et transparent”. 

Conséquences de cette décision : des mesures de continuité pour assurer la reconnaissance des communautés religieuses locales par les entités fédérées, la désignation de conseillers en islam et d’enseignants en islam; mais surtout le gel de toute nouvelle subvention pour l’EMB. 

Le gouvernement ne convainc pas 

Au regard de cette motivation plus détaillée, il n’est donc pas si simple d’affirmer que le retrait de reconnaissance serait “grossièrement inconstitutionnel”. N’empêche : tant factuellement que juridiquement, les justifications du gouvernement soulèvent évidemment de nombreuses questions. Les faits sont-ils établis (malgré les préparatifs électoraux menés par l’EMB) ? Et si oui, ces motifs sont-ils suffisamment sérieux et graves pour justifier le retrait de reconnaissance ? 

En réalité, les restrictions ainsi portées à la liberté de religion sont surtout interpellantes par rapport aux exigences manifestement moins grandes du gouvernement à l’égard des autres cultes reconnus, comme nous l’avions déjà exposé. La mesure dans laquelle les représentants d’autres cultes peuvent être considérés comme “inclusifs”, “pluralistes” et “représentatifs” ne semble pas beaucoup mieux assurée. 

Ces restrictions ne sont par ailleurs pas expressément prévues par la loi, contrairement au prescrit de la Convention européenne des droits de l’homme. La loi ne règle en effet que la création d’un organe représentatif, qui est soumise à l’autorisation du roi : elle ne prévoit pas ce “retrait” de la reconnaissance.  

Le gouvernement doit également démontrer que les restrictions adoptées sont nécessaires par rapport à l’objectif qu’il poursuit. Il aurait donc dû se souvenir d’une situation similaire antérieure, qui l’avait conduit à suspendre le subside de l’EMB, sans lui retirer sa reconnaissance. La nécessité n’est donc pas facile à démontrer en l’espèce. A tout le moins une mesure moins attentatoire à la liberté de religion, et poursuivant le même objectif, semble donc possible. 

Une demande de suspension a déjà été introduite en justice contre la décision de retrait de reconnaissance. Cependant, le Conseil d’État a jugé irrecevable la demande, l’EMB n’étant pas lui-même directement parti au litige, alors qu’il est le seul concerné par la décision, selon le juge administratif. C’est néanmoins indéniablement au juge qu’il appartient désormais de trancher le litige, au vu des épineuses questions soulevées par la décision et au vu de l’atteinte à la liberté du culte musulman qu’elle provoque. 

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Le traité belgo-iranien est-il « taillé sur mesure » pour opérer le transfèrement d’Assadollah Assadi vers l’Iran, en échange du retour de l’otage belge Olivier Vandecasteele ?  

Le traité belgo-iranien organisant le transfèrement est-il "taillé sur mesure" pour échanger Assadollah Assadi, diplomate iranien reconnu coupable de terrorisme par la justice belge, et Olivier Vandecasteele, travailleur humanitaire belge retenu en otage en Iran ?

Cathy Bodson, étudiante en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain, professeure à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, le 15 novembre 2022.

À la Chambre des représentants, certains députés ont critiqué le projet de loi visant à ratifier le traité belgo-iranien de transfèrement des condamnés. Il semblerait que ce traité soit « taillé sur mesure » pour échanger Assadollah Assadi, diplomate iranien reconnu coupable de terrorisme par la justice belge, et Olivier Vandecasteele, travailleur humanitaire belge retenu en Iran. Or, la procédure de transfèrement ne vise pas à échanger des personnes condamnées, mais à favoriser la réinsertion sociale de celles-ci dans leur pays d’origine. 

Le 20 juillet 2022, la Belgique adoptait la loi portant assentiment au traité belgo-iranien organisant le transfèrement de personnes condamnées entre les deux pays. Quelques semaines plus tard, c’est le parlement iranien qui approuvait ce même texte, avant une ratification par le Président de la République, Ebrahim Raïssi, le 13 novembre dernier. Le traité permet qu’un détenu iranien, incarcéré dans une prison belge, puisse retourner en Iran pour exécuter sa peine et vice-versa. 

En Belgique, les débats à la Chambre des représentants ont soulevé l’objectif sous-tendu par la procédure de transfèrement : alors que la mesure vise à favoriser la réinsertion de la personne transférée, n’y a-t-il pas un risque d’instrumentalisation aux fins d’échanger des détenus entre les deux pays ? 

Mais le transfèrement interétatique, c’est quoi ? 

C’est une procédure, encadrée par une convention du Conseil de l’Europe de 1983, permettant à une personne condamnée dans un État A (appelé « État de condamnation ») à être transférée vers un État B (dit « État d’exécution ») pour y exécuter sa peine. Elle doit faire l’objet d’un accord entre les États concernés, notamment par le biais d’un traité bilatéral, comme cela est prévu par la loi belge du 23 mai 1990 

En outre, le transfèrement n’est pas un droit, mais une faculté accordée suite soit à la demande du détenu, soit à la requête d’un des deux États concernés souhaitant le transfèrement, procédure qui nécessite en principe le consentement de la personne condamnée.   

Et quel est son objectif ?  

Tout comme la convention de 1983, la décision-cadre du Conseil de l’Europe de 2008 précise que le transfèrement permet à un État « de reconnaître le jugement et d’exécuter la condamnation  » d’un autre État, « en vue de faciliter la réinsertion sociale de la personne condamnée ».  

L’objectif est donc bien de permettre à la personne condamnée d’exécuter sa peine dans son pays d’origine (ou de résidence), dans le but de favoriser sa réinsertion sociale. Dès lors, comme le précisent Suliane Neveu (UCLouvain) et Biagio Zammitto (SPF Justice), « la réhabilitation du condamné devrait être la seule préoccupation des autorités lorsqu’elles prennent une décision quant au transfert interétatique ». 

Le contexte particulier du traité belgo-iranien 

Le projet de loi portant assentiment au traité belgo-iranien a été déposé au Parlement dans un contexte particulier. D’un côté, Assadollah Assadi, de nationalité iranienne, a été jugé coupable de terrorisme par le tribunal d’Anvers et est incarcéré en Belgique depuis 2021. De l’autre côté, Oliver Vandecasteele, de nationalité belge, est retenu en Iran depuis plus de huit mois. Les raisons de son arrestation restent inconnues et aucune charge ne semble peser contre lui.  

Selon l’avocat Georges-Henri Beauthier, ce traité serait « un tour de passe-passe pour faire libérer Assadi » (Le Monde, International, 22 juillet 2022, p. 7), une sorte de monnaie échange pour obtenir la libération d’Olivier Vandecasteele, ce que le ministre de la Justice, Vincent van Quickenborne, confirme en soulignant la pression que semble subir la Belgique par l’Iran, qui détériorerait « la sécurité de nos intérêts (…) de manière systématique ». Ajoutons que Vandecasteele n’a pas été condamné par la justice iranienne, de sorte qu’il n’est pas éligible au transfèrement (article 3 du traité), mais pourrait simplement être libéré, ce qui sous-tend l’aspect politique des échanges interétatiques.

Ce « tour de passe-passe » a été notamment dénoncé par le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), un collectif de belgo-iraniens opposés au régime en place en Iran, qui a obtenu, devant la justice belge, l’interdiction de transférer Assadollah Assadi vers l’Iran. Le tribunal de première instance de Bruxelles vient de lever cette interdiction. Si le jugement est frappé d’appel, celui-ci n’est pas suspensif. 

D’autres, comme le député Georges Dallemagne (Les Engagés) ou la NVA, craignent, en cas de transfèrement vers l’Iran, qu’Assadollah Assadi ne purge pas le reste de sa peine. Le droit leur donne raison puisque l’article 13 du traité belgo-iranien précise que « chaque Partie peut accorder la grâce, l’amnistie ou la commutation de la condamnation conformément à sa Constitution ou à ses autres dispositions légales ». Le même libellé est repris à la Convention du Conseil de l’Europe, en son article 12. 

En conclusion  

Le transfèrement interétatique de personnes condamnées peut constituer une arme redoutable lorsque des intérêts nationaux sont en jeu. Certains politiciens n’ont pas hésité à qualifier l’attitude de l’Iran de “chantage odieux” en faisant pression sur le gouvernement belge pour obtenir le transfèrement d’Assadollah Assadi en échange de la libération d’Olivier Vandecasteele. Ce contexte politique particulier aurait justifié l’urgence d’adopter la loi du 20 juillet 2022 portant assentiment au traité belgo-iranien. Cette loi fait actuellement l’objet d’un recours en annulation et en suspension devant la Cour constitutionnelle. 

Reste à voir si les garanties offertes par le droit belge et européen seront suffisantes pour respecter l’Etat de droit.

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L’instabilité gouvernementale au Royaume-Uni est-elle inédite ?

Lizz Truss aura quitté Downing Street après 49 jours au pouvoir seulement, sous le regard atterré des commentateurs politiques du monde entier. Mais l’instabilité allègrement qualifiée d’”inédite” par nombre de ces mêmes commentateurs est-elle vraiment si rare ?

Aurélien Antoine, professeur de droit public à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne, Directeur de l’Observatoire du Brexit, auteur de “Le Brexit. Une histoire anglaise“, Dalloz, 2020 et de “Droit constitutionnel britannique”, LGDJ, 3e éd., à paraître

Avec trois Premiers ministres en quatre mois, le Royaume-Uni connaît une instabilité qui a souvent été présentée comme inédite dans l’histoire. The Economist a même saisi l’occasion pour caricaturer les attributs de l’allégorie de la nation britannique, Britannia, dans sa Une du 20 octobre : au trident se substitue une fourchette sur laquelle sont enroulés des spaghettis et le bouclier est remplacé par une pizza. Cette évocation d’un Royaume-Uni en Britaly n’a pas plu à l’ambassadeur de l’Italie à Londres, mais elle est révélatrice de la crainte d’une partie des observateurs de la vie institutionnelle d’outre-Manche que l’instabilité gouvernementale devienne endémique.

DU BIPARTISME À UN PAYSAGE PARTISAN FRACTURÉ

Plusieurs évolutions constatées ces dernières années laissent effectivement penser qu’il pourrait être plus fréquent de voir les gouvernements se succéder à des intervalles brefs. Il y a d’abord une raison exogène au parti conservateur. Le paysage partisan s’est fracturé au point que, depuis 2010, seul Boris Johnson est parvenu à se reposer sur une majorité tory classique. De 2010 à 2015, les conservateurs ont dû conclure un accord de coalition avec les libéraux-démocrates. De 2015 à 2016, si David Cameron a bénéficié d’une majorité sans devoir s’appuyer sur un parti tiers, c’est parce que la formation anti-Union européenne, le UKIP, avait accepté de retirer des candidats à la suite de la promesse du Premier ministre d’organiser un référendum sur l’adhésion du Royaume-Uni à l’UE. De 2017 à 2019, Theresa May n’a pas gagné son pari de la dissolution et a dû composer avec le parti unioniste nord-irlandais, le DUP. Cette petite formation contribua grandement à la chute de la Première ministre. Il appartient aux chercheurs en science politique d’expliquer les motifs précis de cette fracturation, mais l’un d’entre eux est incontestablement le recul des partis conservateur et travailliste en Écosse où les nationalistes du Scottish National Party n’ont cessé d’asseoir leur emprise sur la nation septentrionale de la Grande-Bretagne. Depuis 2015, le SNP détient une très large majorité des sièges écossais à la Chambre des Communes (48 sur 59 en 2019, après un record en 2015 avec 56 élus). Solidement installé comme troisième force politique à Westminster, ce parti n’a vocation à s’allier ou apporter son soutien à aucun gouvernement, que ce soit à droite ou à gauche.

UN PARTI TORY DEVENU ATTRAPE-TOUT

L’autre motif est intrinsèquement lié au parti tory. Bien qu’il ait rarement été une formation politique dotée d’une ligne doctrinale unique, la capacité de plusieurs de ses leaders à réaliser une espèce de synthèse ou à mettre au pas les oppositions internes a souvent permis de préserver l’unité, même de façade. Lorsqu’elle a volé en éclat, les électeurs ont sanctionné les tories. En 2019, après les dissensions majeures qui ont nourri une crise politique intense directement liée au Brexit, Boris Johnson semblait enfin avoir trouvé le moyen de les surmonter. Après avoir conclu un accord de retrait du Royaume-Uni de l’UE avec les négociateurs européens qui a rassuré les Brexiters, il a multiplié les promesses à destination des classes populaires du nord de l’Angleterre (avec le projet de levelling up qui vise à réduire les inégalités territoriales par un investissement public accru dans les régions plus défavorisées). Le Premier ministre parvint ainsi à satisfaire aussi bien l’aile droite que modérée du parti. Son large succès aux élections de 2019 lui permit de récolter les fruits de cette ligne programmatique. Plusieurs journalistes n’ont pas hésité à affirmer, à l’époque, qu’il pourrait se maintenir au 10 Downing Street une décennie tant cette synthèse, malgré sa superficialité, était de prime abord séduisante pour réunir le parti et attirer un nombre important d’électeurs.

Malheureusement pour les conservateurs, le comportement de Boris Johnson a eu raison d’une période de stabilité annoncée avec un peu trop de précipitation. En effet, entre la radicalité des thuriféraires de Margaret Thatcher (qui ont marqué les esprits en 2012 par la publication d’un opuscule néo-conservateur, Britannia Unchained), l’orientation interventionniste défendue par les élus du « mur rouge » anciennement travailliste du nord de l’Angleterre, et l’europhilie de quelques membres du Parlement, il semblait improbable que l’unité soit durable. Le traumatisme de l’année 2019 a laissé des traces et si le Brexit n’est plus au cœur des débats outre-Manche, il est devenu, à l’instar de l’adhésion aux Communautés européennes en 1972, une cause de discorde refoulée, mais bien présente.

DES TURPITUDES DE PREMIERS MINISTRES QUI N’ARRANGENT RIEN

Cependant, ce qui a conduit Boris Johnson, puis Liz Truss à la démission n’a pas vraiment de rapport avec le Brexit. Dans les deux cas, c’est leur manque de respect à l’égard de quelques principes essentiels du droit constitutionnel britannique qui a précipité leur chute. Boris Johnson a dû se retirer parce qu’il avait enfreint à plusieurs reprises les règles que son propre gouvernement avait édictées pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Son attitude fait toujours l’objet d’une enquête parlementaire aux Communes et prouve à quel point ces atteintes répétées au droit (qui ne se limitent d’ailleurs pas aux mesures de confinement, mais concernent également les accords conclus avec l’UE) sapent le principe de rule of law – que l’on peut traduire par prééminence du droit – qui est central dans le fonctionnement de la démocratie parlementaire britannique.

Quant à Liz Truss, outre le fait que son programme contradictoire et dogmatique n’était pas tenable dans le contexte économique actuel, la rupture brutale avec certains des engagements du parti en 2019 qu’elle a soutenue a directement violé un usage d’éthique politique qui veut que le gouvernement soit lié par les promesses que le parti dont il est issu a faites aux électeurs dans le manifesto. Le succès de Rishi Sunak doit être compris comme un retour à une ligne plus en phase avec le programme de 2019. Toutefois, s’il devait à son tour trop s’en écarter, un problème de légitimité se poserait de nouveau.

Les changements rapides de Premiers ministres ont déjà émaillé l’histoire institutionnelle britannique. Après 1945, l’instabilité reste cependant relative. Entre début avril 1955 et janvier 1957, trois Premiers ministres se succèdent : Churchill, Eden et MacMillan. Plus marquants fut les cabinets de Baldwin (tory) et MacDonald (Labour) qui actaient, entre mai 1923 et novembre 1924, l’avènement du bipartisme entre conservateurs et travaillistes au détriment des libéraux. Au XIXe siècle, les ministères brefs ne sont pas rares et concernent les plus grandes personnalités de l’époque. Wellington en 1834 (22 jours, mais il ne comptait pas être Premier ministre et accepta de l’être dans l’attente du retour de Robert Peel alors en vacances familiales en Italie), Peel en 1835 (120 jours), ou Disraeli en 1868 (279 jours) en feront l’expérience. Dans tous les cas, les cabinets sont fragilisés par l’absence d’une majorité stable aux Communes ou en raison de la mauvaise gestion d’un dossier (comme la guerre de Suez par Anthony Eden). L’accalmie est souvent passée par l’appel aux urnes, tout comme en 1924 ou encore en 2019. En 2022, la situation de crise politique a ceci de préoccupant que les conservateurs en sont en partie responsables, qu’ils refusent de revenir devant les électeurs sous prétexte de la gravité du contexte économique, et que les prochaines élections devraient se tenir en principe en janvier 2025.

VERS DE NOUVELLES ÉVOLUTIONS CONSTITUTIONNELLES ?

L’instabilité actuelle a, par certains aspects, quelque chose d’inédit, mais une question plus fondamentale se pose. Serait-elle annonciatrice d’un changement profond de la vie politique britannique qui aurait un fort impact sur les institutions ? Le recul du bipartisme, le progrès de la décentralisation, l’émergence d’une forme de fédéralisme avec l’Écosse, et la suspicion des citoyens à l’égard des institutions londoniennes sont susceptibles de provoquer des évolutions plus radicales afin que ces nouvelles réalités soient prises en compte : l’autonomie accrue des nations celtes (voire leur sortie du Royaume-Uni) ou la transformation d’institutions comme la Chambre des Lords, sont fréquemment évoquées dans les débats politiques depuis plusieurs décennies. La formalisation des règles constitutionnelles est également une constante de discussions entre constitutionnalistes en vue de clarifier les rapports entre les pouvoirs et de les moderniser. Ce n’est certainement pas une solution miracle aux problèmes actuels du Royaume-Uni, mais la récurrence du thème de la réforme constitutionnelle prouve que le régime parlementaire britannique, malgré sa résilience, est mis à rude épreuve par la pratique du pouvoir des conservateurs.

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Selon Josep Borrell, “toute attaque nucléaire de la Russie contre l’Ukraine entraînera une réponse militaire des Occidentaux” 

La Libre, 17 octobre 2022

Suite aux menaces répétées de recours aux armes nucléaires, le Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a affirmé que toute attaque nucléaire russe entraînerait une “réponse militaire des Occidentaux”. Or, l’Union européenne, pas plus que son Haut représentant, n’ont de compétences en matière de conflits armés.

Lucia Naredo, étudiante en droit, Université Saint-Louis - Bruxelles // Timothée Ceurremans, assistant de droit européen, Université Saint-Louis – Bruxelles, le 7 novembre 2022

La représentation extérieure de l’Union européenne (Union) est un vrai casse-tête juridique. Alors que le Traité sur l’Union européenne (le « TUE« ) prévoit que le président du Conseil européen (actuellement Charles Michel) assure « la représentation extérieure de l’Union pour les matières relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (la “PESC”), sans préjudice des attributions du Haut représentant des affaires étrangères et de la politique de sécurité », le même texte prévoit que le Haut représentant représente l’UE pour la PESC et conduit le dialogue politique avec les pays tiers. Ainsi, le TUE laisse une place prédominante aux dynamiques de pouvoir entre dirigeants européens et, en particulier, celles émergeant entre le Président du Conseil européen et le Haut représentant.   

Dans cette mesure, lorsque Josep Borrell affirme que « toute attaque nucléaire contre l’Ukraine entraînera une réponse, pas une réponse nucléaire, mais une réponse militaire si puissante que l’armée russe sera anéantie », il ne dépasse pas nécessairement le cadre de ses compétences, dans la mesure où son message n’implique aucune décision juridiquement contraignante et consiste plutôt en un dialogue politique avec les pays tiers 

En revanche, le Haut représentant de l’Union européenne ne dispose d’aucune base légale pour adopter une décision engageant les forces armées européennes contre l’armée russe en Ukraine. En effet, l’Union européenne – par la voie de son Conseil des Affaires étrangères qui doit statuer à l’unanimité – ne peut intervenir en dehors de son territoire qu’aux fins d’assurer des opérations de maintien de la paix, à prévenir les conflits ou à renforcer la sécurité internationale. Force est de constater qu’une intervention de la nature dont parle Borrell dépasserait le cadre des missions déjà entreprises sur la base de ces dispositions, qui visent principalement la prévention des conflits et le maintien de la paix par le biais d’assistance et de formation militaire. Le recours à la force militaire – antithèse de l’ambition pacificatrice animant l’intégration européenne – n’est même pas envisagé par les Traités.  L’UE ne pourrait donc pas intervenir en Ukraine comme Josep Borrell l’entend, ce dernier n’ayant ni la base juridique, ni les moyens ou l’opérabilité nécessaire.  

En proférant des menaces envers la Russie, Josep Borrell ne fait cependant pas uniquement référence à l’Union, mais également aux Occidentaux, en incluant l’OTAN et les États-Unis qui disposent de davantage de moyens pour « anéantir l’armée russe ». Sur ce point, le TUE rappelle que l’OTAN est le fondement de la défense collective des États-Membres et de sa mise en œuvre, créant par-là une complémentarité implicite avec le Traité de l’Atlantique-Nord. Complémentarité rappelée, au demeurant, très explicitement dans la récente « Boussole stratégique » de l’UE  qui concerne la stratégie de l’UE en matière de défense. C’est donc l’OTAN seule qui peut décider d’intervenir en Russie. 

Contacté par nos soins, Josep Borrell n’a pas répondu à nos sollicitations. 

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La Belgique condamnée en matière d’euthanasie

En ce qu’elles touchent à la fin de vie, les questions relatives à l’euthanasie sont sensibles et font l'objet de vifs débats, tant en Belgique qu'en France. A quelques jours d’intervalle, la Belgique a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme et par la Cour constitutionnelle, ravivant en France le débat sur l'euthanasie.

Christine Guillain, professeure de droit pénal, Université Saint-Louis Bruxelles // Amadou Barry et Lucia Naredo, étudiants en droit, Université Saint-Louis - Bruxelles, le 31 octobre 2022

La loi belge du 22 mai 2002 décriminalise partiellement l’euthanasie en prévoyant que « le médecin qui pratique une euthanasie ne commet pas d’infraction s’il s’est assuré » qu’il respecte un certain nombre de conditions. En France, c’est l’avis rendu par le Comité consultatif national d’éthique français du 13 septembre 2022 sur les questions éthiques relatives à la fin de vie qui vient de relancer le débat de la dépénalisation de l’aide active à mourir. La condamnation de la Belgique par la Cour européenne des droits de l’homme (« la CEDH ») ce 4 octobre 2022, puis l’inconstitutionnalité soulevée par la Cour constitutionnelle le 20 octobre 2022 ne pouvaient donc pas passer inaperçues. L’arrêt de la CEDH a été relayé par les médias belges et français, ainsi que par plusieurs associations françaises. On a notamment pu y lire que la CEDH « condamne les ‘défaillances’ de la loi belge » ou que la « Cour valide la loi belge relative à l’euthanasie » (ici). Que faut-il en penser ?

La CEDH n’a pas vocation à valider une loi nationale, mais uniquement à juger de sa conformité avec le prescrit de la Convention européenne des droits de l’homme, dans le cas spécifique qui lui est soumis.  Lors de l’euthanasie soumise à la Cour, deux contrôles ont eu lieu pour vérifier si cette euthanasie avait été pratiquée conformément à la loi : le contrôle automatique effectué par la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, puis l’enquête pénale ouverte à la suite de la plainte déposée par le fils de la personne euthanasiée. La CEDH constate alors que la procédure prévue par la loi belge n’a pas empêché le médecin qui a pratiqué l’euthanasie de siéger dans la Commission et de voter sur la question de savoir si ses propres actes étaient compatibles avec les exigences matérielles et procédurales du droit interne. Par conséquent, et tenant compte du rôle crucial joué par la Commission dans le contrôle a posteriori de l’euthanasie, la Cour estime que le système de contrôle établi en l’espèce n’assurait pas son indépendance. Par ailleurs, eu égard à l’absence de devoirs entrepris au cours de la première enquête, l’enquête pénale n’a pas satisfait à l’exigence de promptitude requise par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Quelques jours plus tard, la Cour constitutionnelle a considéré, quant à elle, que la loi relative à l’euthanasie était discriminatoire (violation des articles 10 et 11 de la Constitution), dans la mesure où elle prévoit une peine identique quelle que soit l’importance du comportement illégal commis par le médecin qui pratique l’euthanasie. En effet, le médecin qui ne respecte pas les conditions de forme (par exemple en ne transmettant pas à temps les documents à la commission fédérale de contrôle et d’évaluation) encourt les mêmes peines (soit la réclusion à perpétuité pour empoisonnement prévue par le Code pénal) que le médecin qui enfreint les conditions de fond (pas d’alternatives proposées au patient, pas de constat que le patient se trouve dans un état de souffrance irréversible, …). Selon la Cour constitutionnelle, « l’obligation positive incombant au législateur de prévoir des garanties efficaces en vue de prévenir les abus lorsqu’une euthanasie est pratiquée ne va pas jusqu’à nécessiter un système de sanctions à ce point sévère. Un tel système de sanctions a des effets disproportionnés au regard de l’objectif du législateur consistant à veiller à ce que le médecin concerné respecte strictement les conditions et procédures légales ». 

Conclusion : Si l’État belge est condamné tant par la CEDH que par la Cour constitutionnelle, la loi belge relative à l’euthanasie n’est nullement remise en cause. C’est ce que disent en substance tant la CEDH que la Cour constitutionnelle. 

La CEDH précise ainsi que le droit à la vie ne saurait être interprété comme interdisant en soi la « dépénalisation » conditionnelle de l’euthanasie, mais qu’elle doit être encadrée par la mise en place de garanties adéquates et suffisantes visant à éviter les abus et, ainsi, à assurer le respect du droit à la vie. Et si la Cour constitutionnelle invite le législateur belge à modifier la loi, elle précise que son « constat d’inconstitutionnalité n’a par ailleurs aucune incidence sur la dépénalisation de l’euthanasie en tant que telle, lorsque les conditions et procédures prescrites par la loi du 28 mai 2002 ont été respectées ».

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Ursula Von Der Leyen avertit le futur gouvernement italien : l’Union européenne “dispose d’outils” si les choses prennent une “tournure difficile”

Euronews, 22 septembre 2022

Si l’Italie venait à adopter des lois non démocratiques, la Commission européenne seule pourrait difficilement agir. Ce sont principalement les États membres réunis au sein du Conseil qui pourraient suspendre le versement de fonds européens, mais les conditions pour aboutir à cette solution sont assez difficiles à réunir.

Auteur : Eliot Reffait, master de droit et contentieux de l’Union européenne, Université Paris-Panthéon-Assas Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay

Adressés à la probable future coalition italienne menée par Giorgia Meloni, la leader du parti post-fasciste Fratelli d’Italia, ces propos de la présidente de la Commission européenne ont déclenché la colère d’une partie de la classe politique et de l’opinion publique italienne, et plus largement européenne. Ursula von der Leyen voulait ici mettre en garde contre une évolution non démocratique de l’Italie, en la menaçant de suspendre le versement de fonds européens. Prenant en exemple les cas de la Hongrie et de la Pologne, Ursula Von der Leyen a rappelé que l’Union européenne disposait d’instruments pour faire pression sur les États membres. Si l’Union européenne dispose effectivement d’instruments pour peser sur la politique menée par les États membres, leur mise en œuvre n’est pas si aisée.

L’analogie faite par la présidente de la Commission entre la coalition menée par Giorgia Meloni et les gouvernements polonais et hongrois repose sur certaines similitudes entre les discours et les programmes politiques. La cheffe du parti Fratelli d’Italia a en effet fait campagne sur la limitation de l’IVG, le refus du mariage pour les couples homosexuels, et la lutte contre l’immigration irrégulière, réaffirmant sa devise : “Dieu, patrie, famille”.

L’ARTICLE 7 DU TRAITÉ SUR L’UNION EUROPÉENNE, UN OUTIL QUI S’EST RÉVÉLÉ INEFFICACE

La mise en œuvre d’un programme en partie comparable en Hongrie, en y ajoutant une atteinte à l’indépendance de la justice et des médias, avait conduit les institutions européennes à utiliser le premier instrument prévu dans les traités européens (l’article 7 du Traité sur l’Union européenne). Il s’agit d’une procédure visant à faire face aux cas de non-respect des valeurs fondamentales de l’Union européenne par un État membre. Cette procédure n’a été engagée que deux fois, une première fois en 2017 contre le gouvernement polonais, puis en 2018 contre le gouvernement hongrois. Dans les deux cas, la première étape de la procédure n’a jamais été franchie, en raison de blocages politiques, rendant l’utilisation de cet instrument peu probable dans un cas similaire à ceux de la Hongrie ou de la Pologne.

UN RÈGLEMENT POUR LUTTER CONTRE LES ATTEINTES AU BUDGET  DE L’UNION

En 2018, la Commission a donc élaboré un projet d’acte législatif afin de protéger l’État de droit, tout en contournant les blocages politiques. Le projet consistait à conditionner le versement de fonds européens aux États membres au respect de l’État de droit (indépendance de la justice, lutte contre la corruption, etc.). Ce projet a finalement été adopté par le Parlement européen et le Conseil – qui réunit les États membres – le 16 décembre 2020. La Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion de préciser la nature du mécanisme prévu par le règlement. Selon la Cour, via le budget commun de l’Union, c’est le principe de solidarité qui est mis en œuvre. Ce principe de solidarité repose sur la confiance mutuelle entre les États membres. Or, la bonne utilisation du budget peut être compromise par une violation de l’État de droit commise dans un État membre, ce qui fausserait la confiance mutuelle. Pour assurer cette confiance et cette solidarité, il faut s’assurer que les États membres de l’Union respectent les règles du jeu de l’État de droit.

Si la Commission européenne veut faire usage de cette “loi” européenne, l’Italie pourrait se voir suspendre les fonds du budget de l’Union en raison d’atteintes à l’État de droit. Pour ce faire, il faudrait, dans un premier temps, que le programme de Fratelli d’Italia soit effectivement mis en œuvre. Dans un second temps, il faudrait que cette mise en œuvre passe par des réformes contraires à l’État de droit tel que le règlement européen le définit, comme par exemple des atteintes au fonctionnement du pouvoir judiciaire.

Enfin, il faudrait que la Commission soit à même de démontrer que ces éventuelles violations de l’Etat de droit ont un effet négatif sur l’utilisation des fonds européens. Par exemple, si la majorité au pouvoir affaiblit le pouvoir des juges pour enquêter sur les faits de corruption, ce qui est en effet susceptible de grever le budget européen, qui doit servir à financer ce qui est prévu et non des activités illégales. Surtout, ce n’est pas la Commission européenne qui décide, mais le Conseil, c’est-à-dire les États membres, à la majorité.

Ursula von der Leyen peut donc menacer l’Italie, mais son pouvoir de nuisance est limité, soumis à la bonne volonté du Conseil et donc des États membres.

LA SUSPENSION POSSIBLE DES AIDES DU PLAN DE RELANCE

Parallèlement, l’Union a adopté un plan de relance inédit pour lutter contre les conséquences économiques de la crise sanitaire. Pour l’Italie, le plan prévoit le versement de 143 milliards d’euros, ce qui en fait le principal bénéficiaire. Au fur et à mesure de la mise en œuvre des réformes prévues, les fonds seront versés à la République italienne. Deux versements ont déjà été validés par la Commission, qui avait négocié avec l’ancien gouvernement présidé par Mario Draghi.

Mais si la coalition menée par Giorgia Meloni, pressentie pour prendre les rênes du gouvernement italien, appliquait son programme, il ne serait pas si aisé pour la Commission de suspendre les fonds. Il faudrait, pour cela, que le futur gouvernement italien ne mette pas en œuvre les mesures et réformes prévues par les étapes du plan de relance. Or si la leader d’extrême droite a déclaré pendant sa campagne qu’elle souhaitait renégocier les termes du plan d’aide avec Bruxelles, elle a aussi laissé entendre qu’elle ne mettrait pas en danger le versement de cette aide.

La Commission dispose de moyens limités, et qui sont surtout entre les mains des États membres au sein du Conseil.

Contactée, la Commission n’a pas répondu à nos sollicitations.

 

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Le Conseil de l’Europe veut interdire de dire à ses enfants de filer dans leur chambre

Tweet d’Annika Bruna, députée RN au Parlement européen, 10 octobre 2022

C’est sur la base d’un simple dépliant du Conseil de l’Europe, qu’une députée européenne (donc de l’Union européenne qui n’a rien à voir), tweete une contre-vérité juridique. Le Conseil de l’Europe n’a aucun pouvoir contraignant en matière familiale…

Autrice : Tania Racho, docteure en droit européen, chercheuse associée à l’IEDP, Université Paris-Saclay Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Le 10 octobre 2022, Annika Bruna, députée européenne (RN) déclare que “Le Conseil de l’Europe s’apprête à interdire aux parents de dire à leurs enfants “file dans ta chambre” ou “au coin”. Cette intrusion constante dans l’éducation des enfants dénie tout rôle pédagogique aux parents”.

Une vague de protestation a envahi les médias et les politiques à l’égard du Conseil de l’Europe, probablement confondu une fois de plus avec l’Union européenne. Cette organisation européenne ne peut rien interdire : elle ne produit pas de normes contraignantes. Il y a parfois des recommandations de son Comité des ministres ou des résolutions de l’Assemblée parlementaire mais jamais de contrainte.

UN SIMPLE DÉPLIANT NE FAIT PAS LOI !

Reste à savoir pourquoi cette crainte a été partagée de nombreuses fois alors qu’elle est fausse. En réalité, il existe une brochure du Conseil de l’Europe sur le concept d’éducation positive, datant de 2008. Des associations qui souhaitent que le Conseil de l’Europe revoit sa position sur le “time out”, qui consiste à punir les enfants en les envoyant dans leur chambre, ont écrit à ce sujet au service des droits des enfants du Conseil de l’Europe. Ces derniers confirment simplement qu’ils souhaitent mettre à jour la brochure sans apporter davantage d’indications de positionnement sur cette position, comme le souligne un article du média Le Bien Public.

Les erreurs d’interprétation des positions du Conseil de l’Europe sont récurrentes, surtout lorsqu’elles concernent les enfants. En 2015, le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe avait estimé que la France ne respectait pas ses engagements liés à la Charte sociale européenne, en n’interdisant pas la fessée. Une fois encore, la rumeur avait circulé, attribuant cette interdiction à l’Union européenne.

Contactée, Annika Bruna n’a pas répondu à nos sollicitations.


Cet article a été rédigé dans le cadre d’un événement organisé le jeudi 13 octobre, avec le soutien de l’OTAN, pour former les lecteurs des Surligneurs à la lutte contre la désinformation dans le domaine du droit.

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Giorgia Meloni défend l’idée d’un « blocus maritime » dans le cadre de la politique d’immigration que propose son parti Fratelli d’Italia, arrivé en tête des dernières élections italiennes

Info Migrants, 27 septembre 2022

Au risque de nous répéter, le droit international interdit de refouler un navire en difficulté, et s’il est intercepté, il doit être mené vers un port sûr le plus proche. Mais pour créer un "blocus maritime" autour des côtes libyennes afin d’empêcher les navires de migrants de partir, avec l’aide de policiers européens, il faut que la Libye y consente.

Autrice : Tania Racho, docteure en droit européen, Université Paris-Panthéon-Assas, chercheuse associée à l’IEDP, Université Paris-Saclay Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

“Je ne me lasserai jamais de le répéter : la seule façon d’arrêter l’immigration clandestine est le blocus maritime, c’est-à-dire une mission européenne en accord avec les autorités nord-africaines. Il n’y a que comme ça qu’on pourra mettre un terme aux départs illégaux vers l’Italie et à la tragédie des morts en mer”, avait-elle posté, le 28 août, sur son compte Instagram.

Que veut dire blocus maritime” ? Cela peut être soit empêcher les départs depuis la Libye notamment, soit interdire les arrivées en Italie. Dans les deux cas, ce sera difficile.

IMPOSSIBLE DE REFOULER UN BATEAU EN DIFFICULTÉ QUI DOIT ACCOSTER 

La question du débarquement des bateaux est également une question tendue pour l’Italie, qui est souvent le plus proche géographiquement de leur lieu de départ. Or, le droit international interdit de refouler un navire en difficulté.

La proximité d’un port n’est pas le seul critère : les États doivent assurer un débarquement dans les meilleurs délais raisonnablement possibles”  et “en lieu sûr” . Comme nous l’avions déjà expliqué, le droit international définit le lieu sûr de débarquement comme un port où  la vie et la sécurité des personnes n’est plus menacée, et où leurs besoins et droits fondamentaux sont respectés. Dans ces conditions, le retour des migrants à leur port de départ en Libye peut être considéré comme illicite (c’est-à-dire contraire au droit international) compte tenu des risques que les passagers encourent (maltraitance notamment).

DIFFICILE POUR UNE MISSION EUROPÉENNE D’EMPÊCHER LES DÉPARTS IRRÉGULIERS 

Le blocus maritime pourrait aussi signifier, dans la pensée de Giorgia Meloni, que les bateaux sont empêchés de partir par les autorités libyennes et qu’une mission européenne pourrait accompagner ces autorités.

D’une part, l’Union européenne finance déjà les gardes-côte libyens depuis 2016, ce qui a d’ailleurs donné lieu à une résolution des députés européens s’opposant à ce financement en 2020, sans succès. Il est tout à fait possible de prévoir davantage de financement mais pas des agents européens. Ces derniers n’auraient en effet aucune autorité pour intervenir dans les eaux libyennes, sauf si la Libye elle-même y consentait par une loi spéciale.

Contactée, Giorgia Meloni n’a pas répondu à nos sollicitations.


Cet article a été rédigé dans le cadre d’un événement organisé le jeudi 13 octobre, avec le soutien de l’OTAN, pour former les lecteurs des Surligneurs à la lutte contre la désinformation dans le domaine du droit.

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Le fédéral “devrait pouvoir obliger les Wallons à apprendre le néerlandais”, s’indigne Sammy Mahdi

La Libre, 10 mai 2022

L'enseignement, en ce compris l'apprentissage des langues, est une compétence attribuée aux Communautés par la Constitution. L’État fédéral n'est donc pas compétent pour légiférer en la matière. Pour donner suite à la proposition de Sammy Mahdi, il faudrait réviser la Constitution. Or une telle révision paraît très peu probable, tant sur le plan juridique que politique. Plutôt que de réviser la Constitution, la Communauté française pourrait elle-même intervenir afin d'imposer l'apprentissage du néerlandais aux élèves wallons.

Matthieu Nève de Mévergnies et Linda Draoui, étudiants en droit, Université Saint-Louis - Bruxelles // sous la supervision de Pierre-Olivier de Broux, professeur de droit public, Université Saint-Louis - Bruxelles, le 30 mai 2022.

Lors d’un entretien accordé à la Libre, Sammy Mahdi (CD&V), secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, a déclaré qu’il était de la responsabilité du pouvoir fédéral d’imposer aux élèves wallons l’apprentissage du néerlandais. “Apprendre le néerlandais n’est pas obligatoire dans l’enseignement francophone : c’est scandaleux, un manque total de respect”, affirme Sammy Mahdi. “Le pouvoir fédéral devrait pouvoir obliger les Wallons à l’apprendre”. En effet, au nord du pays, le français est enseigné de manière obligatoire, alors qu’au sud, l’apprentissage du néerlandais n’est pas imposé. Or, il s’avère qu’en Wallonie seulement un élève sur trois choisit d’apprendre la deuxième langue nationale, les autres préférant, pour la plupart, l’anglais.

L’APPRENTISSAGE DES LANGUES EST UNE COMPÉTENCE DES COMMUNAUTÉS

En 1970, la Constitution attribue la compétence de l’enseignement aux Communautés française, flamande et germanophone. Dès lors, le pouvoir fédéral se voit dans l’interdiction de légiférer en la matière, sauf en ce qui concerne l’obligation scolaire et les conditions minimales pour la délivrance des diplômes. Autrement dit, l’apprentissage des langues relève de la compétence exclusive des communautés.

Du côté francophone, un décret permet effectivement de choisir, dans la plupart des communes wallonnes, entre l’enseignement du néerlandais ou d’une autre langue moderne, à savoir l’anglais ou l’allemand. En Communauté flamande, c’est également un décret qui régit l’apprentissage des langues, mais ce décret impose l’apprentissage du français aux élèves néerlandophones.

La comparaison est limpide : là où la Flandre impose à tous l’apprentissage du français, la majorité des élèves wallons peut choisir de ne pas apprendre le néerlandais. Seuls les élèves d’une poignée de communes en Wallonie (Comines-Warneton, Mouscron, Flobecq et Enghien) sont tenus de suivre des cours de néerlandais, vu les “facilités” linguistiques dont bénéficient ces communes. Les élèves bruxellois francophones sont également obligés de suivre des cours de néerlandais.

DONC POUR PERMETTRE L’INTERVENTION DE L’ÉTAT FÉDÉRAL, IL FAUT MODIFIER LA CONSTITUTION

Pour mettre en œuvre la proposition de Sammy Mahdi et permettre au fédéral d’imposer aux francophones l’apprentissage du néerlandais, il faut réviser la Constitution. Mais pour ce faire, il faut impérativement que les articles de celle-ci aient été préalablement déclarés “ouverts à la révision”, ce qui implique que le parlement et le gouvernement adoptent une liste d’articles qu’ils souhaitent réviser (ceux ayant trait à l’enseignement), et que des nouvelles élections fédérales aient lieu. Les députés fraîchement élus pourront alors se prononcer sur une éventuelle modification des articles révisables, et ce à la majorité des ⅔ des députés et des sénateurs. Autrement dit, attribuer la compétence de l’apprentissage des langues au pouvoir fédéral est juridiquement très difficile à réaliser.

La particularité d’une telle révision, c’est qu’elle rendrait à l’Etat fédéral une compétence transférée depuis la première réforme de l’Etat, en 1970. En droit constitutionnel belge, jamais une compétence n’a été rendue à l’Etat fédéral. Les transferts de compétence ont toujours été adoptés au profit des Communautés et des Régions. De plus, la compétence relative à l’enseignement est une des plus anciennes à avoir été transférée. La proposition faite par Sammy Mahdi est donc, en plus d’être juridiquement difficile, également très improbable sur le plan politique.

On peut donc douter du caractère réaliste de la proposition de Sammy Mahdi. Pour que les francophones apprennent le néerlandais, il vaut mieux que la Communauté française elle-même modifie sa législation, en imposant aux francophones l’apprentissage du néerlandais. C’est d’ailleurs dans ce sens que les principaux partis politiques francophones – le MR, le PS, Ecolo et le PTB – se sont prononcés récemment. Or, ces groupes politiques disposent d’une large majorité au Parlement de la Communauté française… Alors, qu’attendent-ils pour demander cette modification ?

Contacté par nos soins, Sammy Mahdi partage l’analyse juridique. « Le secrétaire d’Etat n’a pas non plus la volonté de refédéraliser [l’apprentissage des langues]. Son intervention était purement politique, dans le sens qu’il a voulu partager son point de vue. Mais cela reste bel et bien la compétence de la Communauté française. »

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La loi sur les services numériques (DSA) : un accord européen trouvé pour lutter contre la désinformation

Le législateur européen a trouvé un accord sur une version finale d’un texte majeur qui doit permettre d’ici 2024 de mieux réguler internet et les grandes plateformes.

Vincent Arnaud, juriste// Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay, 28 avril 2022.

Le législateur européen a trouvé un accord sur une version finale d’un texte majeur qui doit permettre d’ici 2024 de mieux réguler internet et les grandes plateformes.

Cela fera plus de 20 ans que les textes européens régulant l’environnement numérique n’ont pu bénéficier d’une sérieuse mise à jour. C’est ce que vise enfin, la proposition de loi européenne sur les services numériques, ou Digital Services Act en langage bruxellois (DSA), un projet dont l’ambition est impressionnante et qui sera applicable dès 2024. De la lutte contre la contrefaçon à la lutte contre la haine en ligne, le nombre de sujets concernés laisse entrevoir l’ampleur des avancées promises par ce DSA. On notera également la possible pertinence des outils de lutte contre la désinformation proposés par cette réforme européenne, à l’heure de la guerre de l’information menée par la Russie et l’Ukraine et de la volonté de l’offre de rachat de Twitter par le patron de Tesla, Elon Musk, pour en déréguler l’utilisation.

L’ENJEU : NOS LIBERTÉS

S’inscrivant dans la continuité de la directive sur le e-commerce de 2000, le Parlement européen veut aller plus loin pour enfin mettre en place un cadre bien plus contraignant à l’égard des grands opérateurs du numérique, accusés de profiter de la multitude de réglementations dans les États membres pour porter atteinte aux droits élémentaires des citoyens européens : atteinte à la vie privée avec les publicités ciblées, harcèlement en ligne, atteintes aux droits de l’enfant avec la diffusion d’images d’abus sexuels sur des mineurs, mais aussi menace sur le pluralisme des médias, la diversité culturelle, la liberté d’expression, et plus encore.

Sous l’impulsion de la France, forte de sa présidence du Conseil de l’Union européenne et du désir d’inscrire le règlement DSA à son bilan, les négociations jusqu’alors houleuses semblent avoir trouvé enfin une conclusion dans la nuit de vendredi à samedi 23 avril : un accord a été conclu lors de ce qu’il est convenu d’appeler le “trilogue” entre le Parlement européen, le Conseil – qui représente les États membres – et la Commission européenne, qui avait proposé ce texte. Dans cet espace sans frontières qu’est le numérique, l’importance d’un accord à grande échelle était essentiel. Par le passé, la réglementation européenne en matière de numérique a déjà servi d’exemple dans le monde avec le fameux RGPD qui inspira, entre autres, le California Consumer Privacy Act.

L’AVÈNEMENT D’UN MARCHÉ EUROPÉEN DU NUMÉRIQUE

La clé de voûte de ce projet réside dans la création d’un marché unique européen du numérique, qui va permettre de mettre en œuvre une responsabilité des acteurs du numérique, identique dans les 27 États membres : une seule règle qui s’applique partout, un seul régime de sanction en cas de non respect, en lieu et place des 27 législations existantes parfois très lacunaires. En somme, plus de contournement possible de la loi française en passant par Malte ou l’Irlande. Ainsi, les moteurs de recherche (Bing, Google, Yahoo, etc.) seront désormais tenus de retirer les contenus illégaux, à l’instant même où ils sont signalés.

CE QUI EST ILLÉGAL HORS LIGNE DOIT ÊTRE ILLÉGAL EN LIGNE

L’accord trouvé le 23 avril permet d’avoir une vision plus claire sur la future réglementation des services numériques. Partant du postulat simple que ce qui est illégal hors ligne doit être illégal en ligne, le DSA vise les services offrant une infrastructure de réseau (comme Orange ou SFR), les hébergeurs (comme les cloud de Google ou d’Amazon) ou encore les plateformes en ligne mettant en relation les internautes (comme Facebook, Amazon ou Twitter).

Afin de proportionner les obligations de ces opérateurs à leur taille, plus un service a d’utilisateurs, plus il aura d’obligations. Ainsi, les hébergeurs, dont l’activité n’était pratiquement pas réglementée, seront désormais visés par le DSA. Les très grandes plateformes en ligne sont également la cible de cette législation car les risques de diffusion de contenus illicites sont considérables.

Pour que cette nouvelle législation permette un internet plus sûr, il faut des garanties quant à son respect par les acteurs visés, et donc des sanctions fortes en cas de violation : est ainsi prévue une amende pouvant aller jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires annuel mondial de l’entreprise mise en cause. On parle bien ici de chiffre d’affaires et non de bénéfice. Pourquoi est-ce important ? Une entreprise comme Meta (maison-mère de Facebook) a un chiffre d’affaires de 82 milliards d’euros en 2020, alors qu’elle affiche un bénéfice réduit en France. Ainsi  elle pourrait faire face à des amendes allant jusqu’à 5,2 milliards d’euros.

Depuis janvier 2022, la France est à la tête du Conseil de l’Union européenne, une position dont le président français Emmanuel Macron et son gouvernement veulent profiter dans le but d’exercer une influence forte et pour boucler des projets clés comme le DSA. Cédric O, secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, a donc présidé vendredi 22 avril une réunion importante dans l’établissement d’un accord sur le texte à adopter avec la ferme intention que cette réunion soit la dernière, et il a pu compter sur l’aide de Thierry Breton, commissaire au marché intérieur.

UN OUTIL CONTRE LA DÉSINFORMATION

Le DSA se veut très ambitieux aussi en matière de lutte contre la désinformation. La guerre de l’information n’est pas un phénomène nouveau, mais les nouvelles technologies de communication ont rendu la menace exponentielle et exigent des  législateurs un effort constant d’adaptation. Le contexte actuel d’anxiété et d’incertitude crée un terreau fertile dans lequel prolifèrent défiance, méfiance et théories du complot, entretenues par les acteurs de la désinformation. Dernier exemple en date, les affirmations de fraude électorale massive à l’occasion de la présidentielle, avec un effet parfois dévastateur sur la démocratie et l’État de droit. Aux États-Unis, la désinformation a facilité – voire provoqué ? – l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021.

Afin d’empêcher que surviennent de telles situations risquées pour la démocratie, la future législation sur les services numériques prévoit (futur article 27) des mesures d’atténuation des risques systémiques liés aux puissants algorithmes des grandes plateformes. Parmi ces mesures, il est prévu d’obliger les grandes plateformes comme Facebook ou Twitter à prendre des mesures contre les contenus pouvant avoir un “effet négatif” sur le débat public, sur la santé publique ou encore sur les élections. On vise ici la manipulation de l’information.

Sans le dire, le DSA compte obliger ces plateformes à améliorer la fiabilité de l’information. Pour respecter cette obligation, les opérateurs doivent pratiquer un audit par un organisme indépendant, qui est censé vérifier l’efficacité des outils  mis en œuvre en vue de fiabiliser leur plateforme. Le but serait donc de responsabiliser les plateformes en imposant un contrôle annuel des algorithmes des plateformes, un audit qui serait réalisé par une autorité administrative indépendante et compétente dans chaque État membre (comme l’ARCOM pour la France par exemple). Le potentiel qui réside dans ces dispositions est prometteur, ce qui a fait dire à Thierry Breton, lors de l’annonce du rachat de Twitter par Elon Musk, que “quel que soit le nouvel actionnariat, Twitter devra désormais s’adapter totalement aux règles européennes“. Un avertissement qui prend une dimension nouvelle avec le compromis trouvé sur le DSA et son adoption définitive d’ici l’été.

Les progrès en matière de législation du numérique sont donc à saluer, en ce qu’ils devraient sécuriser un espace qui pour l’instant s’apparente à une sorte de jungle. Mais internet évolue de façon rapide, imprévisible, et les moyens de contournement des réglementations sont nombreux. Le DSA a le mérite de changer de logique en mettant fin à l’impunité des opérateurs, avec une obligation de résultat. Mais le respect de ces règles dépendra des moyens d’audit et d’enquête attribués aux autorités nationales.

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Selon Sammy Mahdi, les réfugiés ukrainiens peuvent recevoir une protection temporaire automatique car ils partagent une frontière avec l’UE, contrairement aux réfugiés afghans ou syriens

La Libre, 3 mars 2022

L’Union européenne a décidé d’activer pour la première fois la directive européenne qui confère la protection temporaire aux réfugiés d’Ukraine, mais pourquoi ne l’a-t-elle pas fait pour d’autres réfugiés ? Les justifications sur le plan politique (l’Ukraine est un pays frontalier, le nombre massif de réfugiés) expliquent peut-être l’activation de la protection temporaire, mais ne se basent pas sur des arguments juridiques. Cependant, même si les propos sont problématiques sur le plan juridique, une potentielle discrimination ne peut être déduite entre ces groupes de réfugiés (d’Ukraine ou d’ailleurs).

Charlotte de Cartier, étudiante en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles, sous la supervision de Marie-Sophie de Clippele, professeure invitée en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles, le 27 avril 2022

Dans le cadre du conflit et de la crise migratoire en Ukraine, l’Europe a décidé d’enclencher une protection temporaire automatique pour les réfugiés d’Ukraine. Les autorités, en ce compris notre Secrétaire d’État à l’asile Sammy Mahdi, justifient cette protection entre autres par le fait que le pays partage une frontière avec l’Union européenne. Mais cette justification n’apparaît pas dans les textes juridiques. Pourquoi d’autres réfugiés n’ont pas eu droit aux mêmes faveurs pendant la crise syrienne ou afghane par exemple ? 

La directive de l’Union européenne relative à la protection temporaire est activée pour la première fois depuis sa création

La première activation de la directive de 2001 relative à la protection temporaire reflète l’élan de solidarité qui anime l’Europe. Cette directive, qui a été transposée en droit belge en 2003, confère une protection temporaire automatique. Les réfugiés d’Ukraine ont alors le droit de résider et de travailler en Belgique et de disposer des mêmes droits que les résidents en Belgique. 

La différence de traitement justifiée par la décision européenne d’enclencher la protection temporaire

Mais cette mesure n’a pas été activée pour d’autres cas de crises humanitaires, y aurait-il un risque de discrimination? Un réfugié afghan pourrait-il contester qu’on lui refuse le bénéfice de la protection temporaire ? 

Probablement non, la décision d’enclencher la protection temporaire a été prise au niveau européen et le juge belge peut s’appuyer sur cette décision pour justifier une distinction objective par rapport aux autres réfugiés. La différence de traitement paraît en plus proportionnelle vu l’afflux massif de réfugiés venant d’Ukraine par rapport aux autres groupes de réfugiés venant d’ailleurs.

Mais la décision européenne n’apparaît pas justifiée par des arguments juridiques

Mais la question est alors, la décision européenne d’enclencher cette protection temporaire est-elle elle-même discriminatoire? Pourquoi ne pas l’avoir prise pour d’autres réfugiés? Là, certains arguments invoqués par le Secrétaire d’État Sammy Mahdi apparaissent plus problématiques.

Sammy Mahdi, secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, justifie cette distinction de traitement par le fait que les autres pays en guerre ne partageaient pas de frontières avec l’Union européenne. Pourtant, la directive ne dit rien sur les frontières partagées ou non. Et, plus largement, aucune disposition en droit international n’indique que la position géographique constitue une condition pour conférer une protection aux individus fuyant leur pays en guerre. La Convention de Genève relative au statut des réfugiés exprime clairement que « Les États contractants appliqueront les dispositions de cette Convention aux réfugiés sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d’origine ». La décision d’enclencher ou non la protection temporaire ne peut donc se justifier, en droit, par la position du pays par rapport à l’Union européenne.

La professeure Sylvie Sarolea estime que le nombre de réfugiés Ukrainiens est significativement plus élevé que lors d’autres crises. Par exemple, durant la crise syrienne, un million de Syriens ont quitté le pays en un an. En Ukraine, un million d’Ukrainiens ont passé les frontières en une semaine seulement. Un nombre important de réfugiés en un laps de temps si court pourrait éventuellement justifier une distinction de traitement puisqu’on pourrait considérer que le nombre important de réfugiés rend leur accueil plus urgent. 

Cependant, ni la directive ni le droit international ne prévoient de disposition concernant le nombre d’individus fuyant leur pays. De ce point de vue, la décision d’offrir la protection temporaire aux seuls réfugiés d’Ukraine, sans l’avoir fait pour d’autres crises migratoires, ne se justifie pas en droit. 

Difficile d’obliger l’Union européenne d’appliquer la protection temporaire à d’autres réfugiés

Les justifications sur le plan politique (l’Ukraine est un pays frontalier, le nombre massif de réfugiés) expliquent peut-être l’activation de la protection temporaire, mais ne se basent pas sur des arguments juridiques. 

Mais il n’est pas pour autant évident de faire ressortir une possible discrimination vis-à-vis d’autres réfugiés. Une action juridique serait en effet compliquée pour obliger d’appliquer la protection temporaire à d’autres réfugiés. On pourrait imaginer un recours en carence contre l’Union européenne, mais il y a peu de chances que cela aboutisse. La décision d’enclencher la protection temporaire reste une décision politique, qui ne peut pas être imposée par un juge.

Par ailleurs, l’asile est toujours possible pour tous les réfugiés, tant pour ceux qui bénéficient de la protection temporaire (conflit ukrainien), que ceux qui n’en bénéficient pas (conflit syrien, afghan…).

Contacté par nos soins, Monsieur Mahdi n’a pas répondu à nos sollicitations.

 

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Sur les routes de l’exode : des agents ukrainiens, polonais et hongrois discriminent des étudiants africains

Le Monde, 1er mars 2022

Des discriminations flagrantes ont eu lieu aux frontières ukrainiennes. Aux premiers jours de la guerre, des résidents africains en Ukraine se sont vu refuser l’autorisation de quitter le pays. Un tel traitement viole notamment la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale signée en 1965, et la Convention européenne des droits de l’homme.

Baptiste de Meeûs, étudiant en droit, Université Saint-Louis - Bruxelles // Pierre-Olivier de Broux, professeur de droit public, Université Saint-Louis - Bruxelles, le 9 avril 2022

Dès le début de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, les résidents ukrainiens se sont massés aux frontières afin d’échapper aux bombardements. De nombreux témoignages, recoupés et sourcés par de nombreux journalistes, ont fait état d’un tri racial sélectif aux frontières, empêchant certains étrangers (principalement d’origine africaine) de quitter le pays par les frontières hongroises ou polonaises. En refusant la sortie du pays, les agents frontaliers ont mis directement en danger la vie de ces personnes, et ce en violation flagrante du droit international. 

La Convention de Genève relative au statut des réfugiés ne s’applique pas de manière évidente 

Si la situation a d’emblée suscité des réactions adéquates sur le plan éthique ou diplomatique, elle est restée peu commentée sur le plan juridique. Le principal texte invoqué dans le cadre de la guerre en Ukraine est la Convention internationale relative au statut des réfugiés signée à Genève en 1951. Selon l’article 3 de cette convention, celle-ci doit s’appliquer “sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d’origine”. Tant l’Ukraine que la Pologne ou la Hongrie semblent donc tenus de laisser cette population discriminée quitter l’Ukraine. 

La difficulté réside cependant dans la définition du “réfugié”, donnée à l’article 1er de la Convention de Genève. Selon ce texte, un “réfugié” est une personne qui “craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays”. Or, ici, les personnes discriminées sont principalement des résidents africains, ayant la nationalité d’un Etat africain. Leur pays d’origine ne se trouvant pas en guerre, il est plus difficile pour eux de démontrer qu’ils ne peuvent pas se réclamer de la protection de leur pays. Et à défaut de le démontrer, ils ne peuvent pas jouir du statut de “réfugié” au sens de la Convention de Genève.

Mais le respect d’autres conventions internationales s’impose

A défaut de pouvoir s’appuyer sur la Convention de Genève, il faut invoquer une autre convention internationale importante, bien que moins connue : la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, signée en 1965. Ce texte, qui n’a pas été évoqué dans les médias, doit permettre de faire pression sur les Etats à l’origine de la discrimination ici dénoncée.  En effet, selon l’article 5 de cette convention, “les Etats parties s’engagent à interdire et à éliminer la discrimination raciale sous toute ses formes et à garantir le droit de chacun à l’égalité devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale ou ethnique, notamment dans la jouissance des droits suivants : (…) Droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays”. Cette convention a été ratifiée le 4 mai 1967 par la Hongrie, le 5 décembre 1968 par la Pologne et le 7 mars 1969 par l’Ukraine. La même interdiction est prévue par l’article 2 du Protocole n° 4 à la Convention européenne des droits de l’homme, également ratifié par ces trois Etats.

Dans le même sens, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, né de cette Convention, a adopté en 2011 sa recommandation n°34 relative à la discrimination raciale à l’égard des personnes d’ascendance africaine. Par cette recommandation, et dans la lignée de la Charte des Nations Unies et de la Déclaration universelle des droits de l’homme, il appelle notamment à “assurer que les personnes d’ascendance africaine ne font l’objet d’aucune discrimination”. Cette recommandation, bien que dépourvue de force juridique, rappelle aux États signataires de la Convention de 1965 leurs engagements. La teneur de cette recommandation est également rappelée par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.

Ce droit pour toute personne de quitter un pays, et la nécessité d’appliquer ce droit sans aucune discrimination, et en particulier sans discrimination raciale, a aussi été rappelé fermement par la Cour européenne des droits de l’homme, dans une affaire rendue en 2005 contre la Russie. Celle-ci a été condamnée parce qu’elle restreignait de manière discriminatoire le droit des personnes perçues comme étant d’origine tchétchène à circuler librement en Russie. Selon le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe (p. 44 d’un de ses rapports), ce raisonnement de la Cour s’applique clairement “aux situations dans lesquelles les personnes sont empêchées de quitter un pays ou rencontrent des obstacles pour le quitter (…) sur la base de leur origine ethnique, réelle ou imputée”. 

La situation dénoncée aux frontières de l’Ukraine était donc à tous égards contraire aux engagements internationaux des Etats concernés, et doit donc être très fermement combattue.

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Selon Bénédicte Linard, Ministre de la culture (Fédération Wallonie-Bruxelles), Monsieur Kacenelenbogen, directeur du théâtre « Le Public », réclamerait des traitements de faveurs

Bx1, « La ministre Bénédicte Linard dénonce les “réclamations indécentes” du théâtre Le Public »

La Ministre de la culture, Madame Bénédicte Linard refuse d’accorder des subsides au théâtre “Le Public”. Attaquer ce refus serait comme demander des traitements de faveur selon elle. Un subside (octroyé ou refusé) n’est pas un traitement de faveur: c’est une aide octroyée à un acteur ciblé par une politique publique. Et un traitement de faveur est une aide non justifiée légalement par le pouvoir compétent. Contester un refus de subsides devant le juge, comme le fait le théâtre, ne signifie pas vouloir bénéficier de traitements de faveur.

Théo Schwers, étudiant en droit à l'Université Saint-Louis - Bruxelles // sous la supervision de Marie-Sophie de Clippele, chargée de recherche FNRS, professeure invitée, Université Saint-Louis – Bruxelles, le 11avril 2022.

La Ministre de la culture, Madame Linard (Écolo) a infirmé les propos tenus par le directeur du théâtre « Le Public », Monsieur Kacenelenbogen, réclamant 386 000 € de subsides pour la période de pandémie de Covid-19.

Le directeur estime que son théâtre a été discriminé car les fonds reçus sont insuffisants et ne sont pas proportionnels par rapport aux autres subsides reçus par les différents théâtres. La fermeture de “Le Public” pendant la crise sanitaire affecterait plus gravement celui-ci car le théâtre ne peut pas s’en sortir économiquement au seul moyen de sa billetterie. Ainsi, des nouveaux subsides ont été demandés à la Ministre. Cependant, ceux-ci ont été refusés, pour des raisons qui ne sont pas connues de manière publique. À la suite de la demande insistante du théâtre et de son recours en justice, la Ministre qualifie cette demande comme si le théâtre demandait « des traitements de faveur ». 

Un problème de terminologie juridique : les subsides publics ne sont pas des traitements de faveur …

Un subside public est une aide octroyée par le pouvoir public compétent, comme la Communauté française (aussi appelée “Fédération Wallonie-Bruxelles”), à une variété d’acteurs entre autres du secteur culturel, tel que le théâtre « Le Public ». Le montant de cette aide dépend de certains critères, notamment du budget disponible, et respecte le principe d’égalité et de non-discrimation (articles 10 et 11 de la Constitution) et le principe de légalité. 

Lorsqu’un subside est octroyé par l’autorité compétente, c’est-à-dire quand l’argent demandé est octroyé, cette aide confère un droit subjectif à celui qui la demande. Autrement dit, si le subside a été octroyé mais n’a pas été versé au bénéficiaire, il peut réclamer son dû auprès du juge. 

Par contre, si un subside a été demandé, mais refusé (soit parce qu’il ne rentre pas dans les critères, soit parce qu’il n’y a plus de budget disponible par exemple), le demandeur n’obtient pas un droit subjectif pour exiger le subside. Il peut contester le refus, comme le fait le Théâtre “Le Public”, devant le juge administratif (le Conseil d’État), mais il doit alors prouver que l’autorité n’a pas respecté les formes soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, ou en cas d’excès ou détournement de pouvoir (non respect de la procédure, manque de motivation de l’acte de refus, contradiction avec des normes juridiques hiérarchiquement supérieures…). 

… et le pouvoir d’appréciation n’est pas un pouvoir arbitraire.

L’autorité a un pouvoir d’appréciation discrétionnaire pour décider d’octroyer ou non des subsides, mais il doit pouvoir justifier son choix. Il ne peut pas refuser ou octroyer des subsides de manière arbitraire. Si l’autorité offre des subsides de manière arbitraire, sans le justifier, alors ce serait un traitement de faveur, ce qui est illégal.

Mais, le fait de contester un refus de subsides ne signifie pas une demande d’un traitement de faveur, c’est-à-dire une aide financière en dehors du cadre légal. Au contraire, le refus n’apparait pas fondé sur le plan du droit, par exemple parce qu’il n’est pas justifié à l’égard des principes d’égalité et de non discrimination. 

Le Public est bien dans son droit de contester le refus de subsides devant un juge, et n’entre pas pour autant dans des demandes de privilèges. 

Mais dire “je fais plaisir aux communes socialistes” révèlerait un traitement de faveur

Il y a deux semaines, la Ministre Karine Lalieux en charge du fonds Beliris aurait dit devant des militants : “Beliris, c’est juste du bonheur. J’ai une enveloppe d’investissements, et je fais plaisir à l’ensemble des communes et en particulier, évidemment, aux communes socialistes.” Ces propos sont, à l’inverse de ceux du théâtre “Le Public”, bien plus problématiques. En versant les subsides en particulier aux communes socialistes, il y aurait comme un aveu d’un traitement de faveur par rapport aux autres communes de la capitale. 

Ce serait la pente glissante du pouvoir d’appréciation discrétionnaire dans l’État de droit vers le pouvoir arbitraire en dehors de l’État de droit… 

Contactée par nos soins, Bénédicte Linard n’a pas répondu à nos sollicitations.

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Vincent Van Quickenborne a notifié à l’Exécutif des musulmans de Belgique le retrait de sa reconnaissance comme organe représentatif du culte islamique belge

La Libre, 26 février 2022

La décision inédite du ministre de la Justice de ne plus reconnaitre l’Exécutif des musulmans de Belgique pose plusieurs questions en droit belge et européen. Non seulement les critères du retrait de la reconnaissance ne sont pas prévus par la loi, mais en outre la décision ne justifie pas suffisamment, à ce stade, l’atteinte portée à la liberté religieuse et au principe d’égalité et de non-discrimination.

Jeanne Le Hardÿ de Beaulieu, étudiante en droit Université Saint-Louis - Bruxelles // Basil Gomes, doctorant FSR au Centre interdisciplinaire de recherches constitutionnelles (CIRC), Université Saint-Louis - Bruxelles, le 30 mars 2022 (mis à jour le 9 avril 2022).

Le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne, soutient que l’Exécutif des musulmans de Belgique n’est plus un organe représentatif de la diversité de cette communauté religieuse. Selon ses propres termes, cette absence de représentativité est “pernicieu[se] pour l’Islam moderne”. Cet organe n’est donc plus reconnu, avec l’espoir de “créer un levier pour que l’Islam moderne puisse éventuellement former une organisation représentative”. En droit, de telles déclarations trahissent une ingérence dans la vie d’un culte, en l’occurrence islamique.

Le retrait de la reconnaissance d’un organe représentatif d’un culte est une procédure inédite 

Dans le cadre d’un État de droit démocratique et pluraliste, la séparation des Eglises et de l’Etat n’implique pas une absence totale de relations entre les deux sphères. Originalité belge, la rémunération, par l’État, des ministres des cultes ou de la laïcité organisée est prévue par la Constitution. Cette relation financière entre l’État et les cultes ou la laïcité organisée permet au premier d’exercer un certain contrôle sur les seconds, notamment par l’établissement de conditions de subventionnement, au nombre de trois : l’unicité, la représentativité et la légitimité de l’organe cultuel.

Sur la base de ces critères précis – provenant de la pratique administrative du ministre de la Justice – les pouvoirs publics peuvent reconnaître certains cultes et octroyer les droits financiers subséquents. Il est donc nécessaire qu’un culte soit structuré et qu’il dispose d’un, et seulement d’un, organe représentatif (critère d’unicité). Cet organe, en plus d’être unique, doit pouvoir personnifier la communauté religieuse dans son ensemble (critère de représentativité), et être accepté par celle-ci, ainsi que par l’État, comme étant à même de la représenter (critère de légitimité). En Belgique, six cultes sont reconnus et subventionnés par l’État : l’Anglicanisme, le Catholicisme, le Judaïsme, l’Islam, l’Orthodoxie grecque et le Protestantisme ; le Conseil central laïc représente la laïcité organisée. En ce qui concerne spécifiquement le culte islamique, la Cour constitutionnelle a admis l’exigence d’une unique autorité religieuse représentative des fidèles, légitimée par une élection libre et transparente. L’État a ainsi pu reconnaître l’Exécutif des Musulmans de Belgique (ci-après l’EMB) comme l’interlocuteur officiel du culte islamique.

A cet égard, l’annonce du retrait de la reconnaissance de l’EMB par le ministre de la justice a surpris. En effet, jusqu’à présent, jamais aucun des six organes représentatifs n’a fait l’objet d’une procédure de retrait de reconnaissance par le ministre de la Justice. Vincent Van Quickenborne s’est ainsi lancé dans un processus inédit dans l’ordre juridique belge, qui n’est encadré par aucune norme spécifique. 

Or, ce retrait porte atteinte à la liberté de religion et doit donc être sérieusement justifié

Le retrait de la reconnaissance de l’organe représentatif d’un culte reconnu constitue  une atteinte importante à l’exercice de la liberté de religion. La Cour européenne des droits de l’Homme explique : “dans la perspective également de la liberté d’association, la liberté de religion implique que la communauté religieuse puisse fonctionner paisiblement, sans ingérence arbitraire de l’autorité. L’autonomie des communautés religieuses est en effet indispensable au pluralisme dans une société démocratique et se trouve donc au cœur même de la liberté de religion”. Pour être admise, la mesure doit donc être accompagnée de justifications graves et sérieuses afin d’être perçue comme nécessaire dans une société démocratique. Pour que la procédure entamée par le ministre de la Justice soit acceptable au regard du droit européen, il devra en démontrer le but légitime (par exemple, la protection de l’ordre ou la sécurité publique). La mesure devra également être jugée proportionnée audit but, à savoir : être adéquate (elle atteint l’objectif), s’avérer nécessaire (aucun autre moyen n’aurait pu être envisagé) et maintenir une balance des intérêts (la mesure ne va pas au-delà de l’objectif légitime). Au-delà du régime juridique des cultes reconnus, les motivations ministérielles du retrait de la reconnaissance de l’EMB doivent s’analyser sous l’angle du principe de l’égalité et de la non-discrimination.

La première justification du retrait porte sur le manque de représentativité de l’EMB envers les femmes, les jeunes et les membres d’autres origines ethniques que les communautés turque ou marocaine. Cette première motivation s’avère problématique au regard du principe de l’égalité devant la loi entre, au moins, la communauté musulmane et l’Église catholique, apostolique et romaine. En effet, le ministre interprète le critère de la représentativité de manière très souple à l’égard de la blanche et masculine Conférence épiscopale de Belgique, mais de façon très stricte envers l’EMB. Peut-on sérieusement défendre l’idée qu’une jeune femme catholique afro-descendante soit effectivement suffisamment représentée par la Conférence épiscopale, mais pas une jeune femme musulmane d’origine afghane par l’actuel EMB ? En toute logique juridique, le retrait de la reconnaissance de l’EMB pour son manque supposé de représentativité devrait conduire le ministre à la même conclusion pour d’autres cultes. Or, tel n’est pas le cas. Il y a dans cet argument, à tout le moins, une distinction de traitement très mal justifiée à ce stade.

La deuxième justification invoquée par le ministre est la lutte contre le risque d’ingérences étrangères, en particulier marocaines et turques. Si l’objectif parait légitime (mais doit être davantage étayé que par une simple déclaration dans la presse), l’attitude du ministre est pourtant moins suspicieuse à l’égard des cultes catholique romain ou anglican. Faut-il vraiment rappeler que la Conférence des Évêques est ultimement soumise au pape, chef d’un État étranger ? La même remarque vaut pour le culte anglican dont la dirigeante suprême n’est autre que la reine d’Angleterre (dans une monarchie à cheval sur le temporel et le spirituel) … À supposer que la comparaison entre l’EMB et les clergés de ces deux cultes chrétiens ne soit guère pertinente, encore faut-il que le retrait soit proportionné à l’objectif légitime poursuivi. Sans autre argument, il est difficile de considérer le retrait comme adéquat. En effet, l’ingérence supposée ne semble pas s’effectuer directement au sein de l’EMB, mais plutôt médiatement au travers des communautés marocaines et turques qui élisent leurs dirigeants religieux. Le retrait ne semble pas non plus nécessaire car un renouvellement complet de l’EMB (qui était alors en cours de route) aurait pu être effectué afin de remplacer les éventuels individus gênants. Enfin, le retrait va au-delà de l’objectif poursuivi car, sans alternative crédible, il prive l’ensemble de la communauté musulmane d’un interlocuteur auprès des pouvoirs publics fédéraux ainsi que des subsides y afférents, à la différence des fidèles des autres cultes reconnus.

À moins d’étayer d’avantage ses motivations dans l’acte administratif de retrait, le ministre serait bien inspiré de faire marche-arrière vis-à-vis de l’EMB et d’entamer, dans le respect du droit, un dialogue fécond au sujet d’une refonte de cet organe, en partenariat avec la communauté musulmane de Belgique.

Contacté par nos soins, Vincent Van Quickenborne n’a pas répondu à nos sollicitations.

 

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Alina Mosendz : « la désinformation est une arme de guerre »

Propos recueillis en anglais par Vincent Couronne, chercheur au centre de recherche VIP, Université Paris-Saclay // Traduction en français par Eva Taleb et Enzo Villet, le 8 mars 2022.

La journaliste de StopFake, média ukrainien spécialisé dans la lutte contre la désinformation, décrit pour Les Surligneurs une situation alarmante, que la propagande russe a soigneusement préparée, et alerte le reste de l’Europe sur les conséquences de la désinformation.

Pour des raisons de sécurité, Alina Monsendz nous prévient : elle ne peut donner aucune information quant à sa localisation et celle de ses collègues journalistes. On en est là, aujourd’hui, en Ukraine. C’est que le média pour lequel elle travaille depuis 8 ans est du poil à gratter pour Vladimir Poutine : StopFake est un média ukrainien spécialisé dans le fact-checking, la lutte contre la désinformation. Né au sein de l’Université nationale « Académie Mohyla de Kiev », l’idée dès 2014 était de contrer la propagande russe, qui tente depuis des années de préparer les Russes et les Ukrainiens – et peut-être les Européens – à la guerre. C’est ce que son expérience au sein de StopFake en Ukraine lui a enseigné : la désinformation est une arme de guerre.

Vincent Couronne : Quelle est la situation actuelle pour les médias en Ukraine? 

Alina Mosendz : Pour commencer, il y a 7 chaînes de télévision qui font actuellement ensemble un marathon officieux de l’information. Je connais des journalistes, surtout ceux avec des enfants en bas âge qui ont besoin d’un endroit sécurisé, mais ces journalistes qui sont restés, comme ceux à distance, travaillent ensemble à distance, pas séparément, afin de continuer à informer. Ainsi ils peuvent communiquer des informations vérifiées et être sur la même longueur d’onde, et ne pas se répéter entre eux. En Ukraine, il y a au moins quatre médias pro-russes, quelques sites internet importants, dont trois chaînes de télévision rattachés à Viktor Medvedtchouk, un proche de Vladimir Poutine. Ils ont été bannis de la diffusion avant cette grande guerre et pour le moment, ils ne font pas partie de cette unité des chaînes ukrainiennes.

Il y a encore des médias de qualité qui continuent d’informer sur ce qu’il se passe. De ce que je peux voir, les journalistes continuent de travailler et de travailler dur. StopFake notamment continue de travailler 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Mais de nombreux journalistes, hommes et femmes, ont dû prendre les armes et mettre leur vie de journaliste entre parenthèses. Notez bien que ce n’est une “presse armée”. Voilà la situation dans laquelle nous sommes.

Vincent Couronne : Diriez-vous que d’une certaine manière, en tant que média, cette situation, cette guerre, a changé votre relation avec votre audience ? Est-ce que les gens vous lisent plus, ou moins ? Est-ce plus difficile d’accéder à l’information?

Alina Mosendz : De ce que je sais, les Ukrainiens ont une bonne couverture internet et une bonne connexion, même si les Russes essaient de bombarder les tours de télévision dans le centre de Kiev et de Kharkiv [NDLR : depuis l’entretien, l’accès à internet semble plus compliquée, avec des diffultés relevées à Marioupol]. Chez Stopfake, beaucoup de nos lecteurs commencent à nous rapporter directement des informations pour lesquelles ils ont un doute, afin qu’elles puissent être vérifiées par nos équipes.

Je travaille depuis longtemps dans l’éducation aux médias et je peux affirmer que, plus que jamais, les gens essayent de s’informer correctement et de ne pas croire la propagande et les fausses informations. Surtout que désormais la propagande ne passe plus seulement par la télévision russe, mais aussi beaucoup à travers les réseaux sociaux comme Télégram ou Viber, mais aussi les réseaux russes Vkontakte et Odnoklassniki.

Je vais vous donner quelques exemples particulièrement parlant de désinformation russe.

Dès la semaine dernière, quand on a subi des attaques visant des civils, des appartements, des immeubles, des hôpitaux, des écoles, il n’y avait aucun doute que c’était la Russie. Les Russes ont tentés très vite de dire que les missiles et les tanks étaient ukrainiens, mais ce n’est pas vrai, car les pièces qui tombent sur le sol, la couleur des tanks et des camouflages sont très différentes entre la Russie et l’Ukraine, c’est important de le savoir (on peut voir les differences entre les armées et les véhicules ukrainiens et russes sur une vidéo de l’armée ukrainienne sur Facebook).

Par ailleurs, nous voyons qu’il y a de nombreux “saboteurs” [NDLR : notre interlocutrice utilise le terme “diversant”]. Les soldats russes volent les uniformes de certains soldats ukrainiens, voire parfois des véhicules, et provoquent les militaires ukrainiens. Ce sont clairement des groupes de saboteurs mais quand on est Ukrainien, il facile de faire la distinction, car nous comprenons le russe mais eux ne comprennent pas l’ukrainien. Donc si nous disons quelque chose en ukrainien ils ne seront pas capable de comprendre. On voit là comment la langue peut être une arme utile, afin de reconnaître les siens.

Aussi, par exemple, il y a ces faux comptes sur les réseaux sociaux qui prétendent que les Ukrainiens sont des pilleurs, que les militaires ou les civils s’adonnent au pillage d’appartements privés. Or c’est un crime de guerre. Mais en toute logique, dès lors que militaires et civils ukrainiens se battent ensemble, nul besoin piller. Il n’y a donc pas de justification rationnelle pour que les militaires commettent ces pillages car les civils les soutiennent et les aident. Il y a des vidéos de personnes qui pillent des commerces, et ces personnes sont des soldats russes qui cherchent de la nourriture. Pourquoi ? Parce que personne parmi les civils ne les soutiennent. C’est important, car s’ils ne parviennent pas être ravitaillés, ils ne peuvent pas pour autant compter sur les civils pour de l’approvisionnement.

Un autre type de fausse information fréquente du moment est la diffusion par les Russes de message sur tous les réseaux affirmant, dès une ville est attaquée, qu’elle a rapidement capitulé. Ce n’est pas vrai, car chacune des villes attaquées est riposte de toutes ses forces, notamment à Kharkiv, Odessa, Kherson ou Marioupol. Toutes ces villes, en particulier celles le long de la Mer Noire et qui peuvent être attaquées par la marine, ou celles qui se font attaquer par le nord-est comme Kiev, Soumy, Tchernihiv ou Kharkiv continuent de riposter, même si les pertes sont énormes.

Vincent Couronne : Pensez-vous que cette désinformation joue un rôle dans cette guerre? 

Alina Mosendz : Oui énormément. Il faut revenir en arrière pour comprendre pourquoi, car même lorsque l’on parle aux médias internationaux, ils nous disent que personne ne s’attendait à ça. Alors que si, nous le savions, nous ne savions juste pas quand exactement, car à Stopfake, depuis mars 2014 et la révolution Maïdan de la Dignité, nous identifions énormément de désinformation. Cette désinformation promeut des discours spécifiques. Par exemple, depuis 2014, les Russes diffusent le message selon lequel tous les Ukrainiens sont des nazis ou qu’ils sont tous d’extrême droite, ce qui est totalement faux.

Si vous regardez le parlement ukrainien, nous avons eu trois élections depuis 2014 et les partis d’extrême droite – qui ne sont pas nazis mais nationalistes – ont obtenu 5 % des votes en 2014 puis 2 % en 2019. À travers l’Europe vous avez tellement de partis d’extrême droite ou d’extrême gauche, d’ailleurs financés par la Russie, alors quand ils disent qu’il y a beaucoup de personnes d’extrême droite dans notre pays, c’est totalement faux. Et puis tout de même, notre président est juif !

Vincent Couronne : Pensez-vous que le but de cette désinformation est de cibler l’opinion publique ukrainienne, ou plutôt l’opinion publique russe? 

Alina Mosendz  : Les deux sont ciblés mais surtout les Russes, car ils consomment plus de fausses informations. Russia Today, qui aujourd’hui est bannie en Europe, a été rendue accessible en anglais ou en espagnol ou dans d’autres langues, pendant que des médias locaux ont été traduits en russe. Les Russes font aussi la promotion du discours montrant que “l’Ukraine est en pleine guerre civile” et qu’eux, les Russes, “n’ont rien à voir avec cela”, qu’ “ils n’ont occupé aucun territoire”. Beaucoup de ces récits se sont propagés ces dernières années, posant les bases de ce qu’il se passe aujourd’hui. Ils ont posé ces bases pendant que le régime de Poutine, fait qu’il appelle non pas d’une agression assumée, mais un processus de “dénazification” de l’Ukraine.

Vincent Couronne : Auriez-vous dit, avant même que le conflit n’éclate,  que la désinformation était un outil de guerre?

Alina Mosendz : Oui, absolument. La désinformation est une arme de guerre, y compris pendant la guerre elle-même. Je me permets cependant de corriger vos propos. Je n’appellerais jamais la situation actuelle un conflit, et cela pour une raison. Dans l’histoire,  depuis plus ou moins trois cents ans, l’Ukraine a toujours eu ce genre de guerres avec la Russie, que ce soit l’Empire russe ou l’Union soviétique, lorsque nous avons essayé de reprendre notre indépendance.

On sait que l’histoire est écrite par les vainqueurs, et les Russes ont passé sous silence tant de guerres, tant de résistances, et tant de groupes d’insurgés qui se battaient à la fois contre l’Union soviétique et l’Empire russe. Donc les récits selon lesquels nous sommes soi-disant des nations sœurs et que nous parlons la même langue sont tout simplement faux, même si les deux langues sont d’origine slave. Le discours selon lequel l’Ukraine a toujours fait partie de la Russie est faux. Au temps de l’URSS, les Russes ont forcé l’Ukraine à rejoindre l’Union soviétique. Comment ? Par la famine, l’Holodomor de 1932-1933, qui était un génocide, et par la guerre d’indépendance ukrainienne entre 1917 et 1921.

En même temps, comme nous avions été vaincus, ils – et je parle de la Russie soviétique – ils ont fait croire que tous les combattants l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) étaient des nazis. Non, nous nous sommes également battus contre les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale autant que contre les Soviétiques. Donc oui, la désinformation joue un rôle dans les nouvelles que vous recevez, en préparant le terrain au cours des huit dernières années, et en permettant à la Russie de fabrique sa propre histoire, la modifier d’une manière qui convient mieux aux agresseurs.

Vincent Couronne : Y a-t-il quelque chose que vous voulez dire aux autres médias ou aux fact-checkers, en Europe ou dans le monde?

Alina Mosendz  : D’abord, ce n’est pas une situation équilibrée. Si vous prenez les informations du ministère de la Défense russe, et si vous prenez le ministère de la Défense ukrainien, ce n’est pas un combat équilibré, la situation est très différente. Ce n’est pas un conflit entre États, c’est un pays qui envahit un autre pays, et c’est très important de le comprendre, parce que dans ce cas “le combat équilibré” est un faux équilibre. La vérité n’est pas quelque part entre les deux versions. Vous devez comprendre que nous sommes attaqués par un autre pays qui, il y a 8 ans, occupait  7 % de nos territoires (la Crimée et des parties des régions de Lougansk et Donetsk).

De même, les médias russes considèrent l’OTAN comme une menace, mais cela n’a rien à voir avec l’OTAN, parce que nous n’avons même pas le statut de candidat. Cette aspiration à rejoindre l’OTAN et même l’Union européenne est inscrite dans notre Constitution. Mais il y a bien d’autres pays membres de l’OTAN dans le voisinage de la Russie, comme la Turquie par exemple ou les pays baltes, et quand ces pays sont entrés dans l’OTAN, était-ce une menace aux yeux de la Russie ? Non. Donc concernant l’excuse de l’OTAN, s’il vous plaît, ne croyez pas le discours russe.

Vincent Couronne : Le reste de l’Europe souffre aussi de la propagation de la désinformation russe, en particulier lors des campagnes électorales. Y a-t-il un message que vous voulez nous transmettre à ce sujet? 

Alina Mosendz : Vérifiez la source de vos informations et à qui elle pourrait profiter. C’est vrai que dernièrement la Russie a essayé de s’ingérer dans les élections aux Etats-Unis et en Europe. Le Kremlin soutient certains partis qui eux-mêmes promeuvent dans leur pays des messages bénéfiques pour la Russie ou les proches de Poutine.

StopFake vérifie à présent toute information douteuse, 24  heures sur 24, 7 jours sur 7. Pour cela, vous devez surveiller de près ce qu’il se passe et rester en contact avec les locaux, l’armée, le ministère de la Défense. Vous devez aussi constamment vous intéresser aux informations officielles russes, et leur manière de nier leurs pertes humaines.

En tant qu’Ukrainiens, on doit se référer aux sources officielles et aux rapports du président Zelensky, du ministre de la Défense et de l’État major des forces armées. De toute évidence, ils ne rapportent pas toutes les informations, mais c’est très important de vérifier d’où l’on tire ses informations, de quelle source, et des intérêts que cette source pourrait avoir. Je rajouterai que diffuser certaines informations peut être dangereux en temps de guerre, comme la position de l’armée, des adresses précises, donc n’aidez pas l’ennemi à ajuster son tir.

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Volodymyr Zelensky appelle à une “intégration sans délai de l’Ukraine via une nouvelle procédure spéciale” dans l’Union européenne

Le Monde, 1er mars 2022

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et certains chefs de gouvernements européens ont accueilli favorablement cette demande d’adhésion. La procédure, qui prend habituellement plusieurs années, peut être raccourcie, mais une adhésion rapide et alors que l’Ukraine est en guerre est peu probable.

Eliot Reffait, master de droit européen, Université Paris-Panthéon-Assas // Maxime Peyronnet, master de relations internationales, Sciences Po Saint-Germain-en-Laye // Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay, le 2 mars 2022

Le lundi 28 février 2022, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a publié sur son compte Facebook une allocution vidéo, déclarant qu’il souhaitait une adhésion immédiate de l’Ukraine à l’Union européenne via une procédure spéciale. Dans l’état actuel du droit cependant, l’adhésion à l’Union européenne nécessite de suivre une procédure lourde mêlant critères juridiques et volonté politique.

La politique d’élargissement de l’Union européenne est régie par le traité sur l’Union européenne. La première étape est le dépôt de candidature par le pays souhaitant adhérer à l’Union. Pour être candidat, il faut être un État européen, donc situé géographiquement en Europe, respectant les valeurs du traité, notamment la démocratie, le respect des droits humains et l’État de droit. L’Ukraine n’est à cet égard pas exemplaire, étant catégorisée en 2021 comme un “régime hybride” selon l’indice de démocratie du magazine britannique The Economist, avec une note de 5,57 sur 10. Cependant, le gouvernement ukrainien s’était engagé en 2016 dans une réforme profonde de son système judiciaire, hérité de l’ère soviétique, et dans la lutte contre la corruption.

D’ABORD PASSER PAR LE STATUT DE CANDIDAT OFFICIEL…

Le 28 février 2022, suite à la publication de son message vidéo sur Facebook, Volodymyr Zelensky a ainsi signé une demande officielle d’adhésion à l’Union européenne, adressée au Conseil européen.

Selon le traité sur l’Union européenne, l’Ukraine peut se voir reconnaître le statut officiel d’État candidat, après un vote positif du Parlement européen à la majorité de ses membres et une approbation à l’unanimité du Conseil européen. Le statut de candidat, cependant, n’engage juridiquement pas à une adhésion rapide (la Turquie est officiellement candidate depuis 1999).

L’étape suivante est l’ouverture de négociations d’adhésion proprement dites. Il faut d’abord que le Conseil européen valide le respect par l’État candidat des critères de Copenhague définis en 1993 : institutions démocratiques stables, économie de marché viable, ou encore capacité à assumer ses engagements européens et à assimiler de nouveaux membres.

Pour cela, l’État candidat doit accepter d’adopter l’ensemble de la législation européenne et de la jurisprudence de la Cour de justice l’Union. Ce sont pas moins de 35 chapitres qu’il faut analyser et respecter : respect des droits fondamentaux, des règles du marché intérieur, etc. L’Ukraine ne part pas de rien. En 2013, elle était sur le point de signer un accord d’association avec l’Union européenne, accord pour lequel le pays avait dû intégrer dans son droit une grande partie des règles européennes. Sous la pression de la Russie, l’Ukraine avait alors renoncé à signer cet accord, déclenchant alors le soulèvement “Euromaïdan” qui aboutit à la fuite du président prorusse Viktor Ianoukovitch. En 2014, le nouveau président signa finalement cet accord.

À l’issue de la phase d’intégration du droit de l’Union dans le droit ukrainien, un traité d’adhésion est signé entre les dirigeants des États membres et de l’État candidat, qui devient alors État adhérent. Ce traité doit ensuite être ratifié par les parlements de l’État adhérent et de l’ensemble des 27 États membres. Un seul État peut donc bloquer une adhésion. La procédure est souvent longue.

… IL FAUDRAIT REVOIR RAPIDEMENT LA PROCÉDURE D’ADHÉSION

Les “critères de Copenhague” étant issus d’une déclaration du Conseil européen, ils n’ont pas de valeur juridique contraignante. Il suffirait donc au Conseil européen de revenir sur ces critères par une nouvelle déclaration pour les assouplir, afin de faciliter l’adhésion, décidée à l’unanimité. Suivant cette déclaration, l’appréciation par la Commission du respect de ces critères serait plus rapide et favorable à l’État candidat.

UNE DES CONSÉQUENCES D’UNE ADHÉSION ACCÉLÉRÉE

Cependant, il faut souligner que l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, alors même qu’elle subit une invasion militaire, impliquerait l’activation de la “clause d’assistance mutuelle” présente dans le traité sur l’Union européenne, qui prévoit qu’“en cas d’agression armée sur le territoire d’un État membre, les autres États membres doivent lui porter assistance par tous les moyens en leur pouvoir”. Cela pourrait donc entraîner tous les pays de l’Union européenne dans la guerre contre la Russie, à moins que ne soit décidée une procédure d’“opt out” , c’est-à-dire que l’Ukraine ne bénéficierait pas de cette clause.

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Georges-Louis Bouchez propose d’organiser une consultation populaire “pour déterminer notre mixte énergétique »

Bel RTL, “7h50”, Lundi 21 février 2022, 1’30

L’organisation d’une consultation populaire pour une matière fédérale, comme celle de l'énergie nucléaire, est inconstitutionnelle. La Constitution autorise uniquement l’organisation d’une consultation populaire dans les matières régionales. Si Georges-Louis Bouchez veut mettre sa proposition en œuvre, il faut soit réviser la Constitution, soit régionaliser toute la politique énergétique.

Matthieu Nève de Mévergnies, étudiant en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles // Pierre-Olivier de Broux, professeur de droit public, Université Saint-Louis - Bruxelles, le 24 février 2022

A l’occasion des débats tendus sur la sortie du nucléaire en Belgique, Georges-Louis Bouchez, président du Mouvement Réformateur (MR), propose d’organiser une consultation populaire “pour déterminer notre mixte énergétique”. Le journaliste qui l’interviewe s’étonne: “une consultation populaire, on n’a jamais fait ça au niveau fédéral (…), est-ce vraiment sérieux?” Georges-Louis Bouchez ne tient en effet pas compte de la Constitution, qui n’autorise la consultation populaire que pour les matières régionales.

La Constitution interdit les consultations populaires au niveau fédéral

L’article 33 de la Constitution prévoit que “tous les pouvoirs émanent de la Nation. Ils sont exercés de la manière établie par la Constitution”. Ceci implique que la Constitution régit de manière exhaustive les institutions amenées à participer à l’exercice du pouvoir. Or, organiser une consultation populaire, c’est exercer une forme de pouvoir. Dans un avis rendu en 1985 déjà (p. 17 du document), le Conseil d’Etat a en effet précisé que, même si le résultat d’une consultation populaire n’est pas juridiquement contraignant (à l’inverse du référendum, qui est juridiquement contraignant), il a un impact tellement important sur les décideurs politiques que ces derniers ne pourront passer outre l’avis de la population. Le Conseil d’Etat estime donc que la consultation populaire au niveau fédéral est inconstitutionnelle.

Cet obstacle juridique a encore été renforcé lors de la révision de la Constitution en 2014. Le nouvel article 39bis de la Constitution autorise désormais l’organisation de consultations populaires, mais exclusivement pour les matières régionales, et donc à l’exclusion des matières fédérales, comme l’ont expressément souligné les travaux parlementaires de cette révision constitutionnelle. Une consultation populaire fédérale est donc aujourd’hui formellement interdite par la Constitution.

Pour prendre au sérieux la proposition de Georges-Louis Bouchez, une première piste serait donc, d’abord, de modifier la Constitution (ce qui impose soit d’attendre les élections de 2024, soit d’organiser de nouvelles élections…).

En revanche, la Constitution autorise les consultations populaires au niveau régional

Comme indiqué ci-dessus, l’article 39bis de la Constitution permet néanmoins l’organisation de consultations populaires au niveau des régions. Une seconde piste serait donc de confier la proposition de Georges-Louis Bouchez aux régions flamande, bruxelloise et wallonne. Mais il faut pour cela, précise la Constitution, que la question relative au “mixte énergétique” relève exclusivement des compétences régionales. Les travaux préparatoires de l’article 39bis précisent encore que “le résultat de la consultation populaire doit être exécutable au niveau régional. Il est dès lors exclu de tenir une consultation populaire sur un thème à propos duquel la région ne peut pas donner suite elle-même”, par exemple parce qu’elle aurait besoin du concours de l’État fédéral.

Or, la loi spéciale de réformes institutionnelles prévoit qu’en matière énergétique, la compétence de l’énergie nucléaire est une compétence qui appartient exclusivement à l’État fédéral. Les travaux parlementaires (p. 12 du document) soulignent bien que l’énergie nucléaire forme “un bloc de compétence homogène pour lequel seule l’autorité nationale est compétente”. La loi spéciale attribue également d’autres pans de la politique énergétique à l’État fédéral, comme celui de la production d’énergie. Dans l’état actuel du droit, le “mixte énergétique” ne relève donc pas exclusivement des compétences régionales. L’organisation, par les régions, d’une consultation populaire relative au mixte énergétique est donc également contraire à la Constitution.

Le président de la N-VA, Bart De Wever, le sait bien, lui qui a proposé, sur les plateaux de la VRT, de régionaliser la compétence de l’énergie nucléaire. En réalité, pour permettre une consultation populaire régionale sur le sujet, il faudrait même régionaliser l’ensemble de la politique énergétique (et pas seulement celle sur l’énergie nucléaire). Et donc trouver une majorité des deux tiers au Parlement, ainsi qu’une majorité dans les deux groupes linguistiques flamand et francophone.

Si l’intention n’est pas de modifier la Constitution, ni de régionaliser la politique énergétique, alors non, une consultation populaire sur le maintien du nucléaire, ce n’est juridiquement pas sérieux.

Contacté par nos soins, Georges-Louis Bouchez reconnaît que la consultation populaire, « qui sous-entend légalement un vote formel » selon lui, est effectivement impossible constitutionnellement en Belgique. Mais ce qu’il propose est une « consultation du public, ce qui n’est en rien interdit. C’est d’ailleurs ce que le gouvernement fédéral va mettre en œuvre dans le cadre de la préparation de la prochaine réforme de l’Etat (consultation organisée par les ministres des Réformes institutionnelles David Clarinval et Annelies Verlinden par le biais d’une plateforme en ligne). Il est possible de faire exactement la même chose au sujet de l’enjeu nucléaire« . Tout dépend-il alors de la méthode utilisée et de la formulation des questions? Non, en droit, si la consultation exerce un impact déterminant sur le sens de la décision politique, elle est inconstitutionnelle. Et tel sera inévitablement le cas au sujet de l’enjeu nucléaire.

Mis à jour le 25 février 2022

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