En droit international, il est interdit de faire la guerre, tout comme de prendre les civils pour cible. De prime abord, les exactions commises à Boutcha relèvent donc de la qualification de crime de guerre, voire même de crime contre l’humanité.
LE CONTEXTE
Le 4 avril 2022, le président de l’Ukraine Volodymyr Zelensky dénonçait les “crimes de guerre” qui auraient eu lieu à Boutcha. Les faits à l’origine de cette accusation ont été documentés par Human Rights Watch qui relève les “crimes de guerre manifestes dans les zones [ukrainiennes] contrôlées par la Russie”, dont des exécutions sommaires et des violences sexuelles. Les médias français font quant à eux état de plusieurs centaines de civils massacrés, dont les corps ont été retrouvés dans les rues ou dans des fosses communes. Tandis que la communauté internationale s’indigne des images peu à peu dévoilées des exactions commises à Boutcha, Les Surligneurs reviennent sur les fondements et implications de la notion de crime de guerre.
QU’EST-CE QU’UN CRIME DE GUERRE EN DROIT ?
L’article 6(b) du Statut du Tribunal de Nuremberg (1945), élaboré au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour juger de hauts responsables nazis, définit les crimes de guerres comme étant des “violations des lois et coutumes de la guerre”. En somme, il s’agit de violations de ce qu’on appelle le droit international humanitaire. La consécration de l’existence de certains crimes internationaux à la suite des atrocités de l’Holocauste a ainsi permis l’engagement d’une responsabilité internationale des individus mêmes, alors qu’à l’origine seuls les États pouvaient se voir imputer (c’est-à-dire reprocher) une violation du droit international. Cette responsabilité de l’individu peut donc être recherchée pour crimes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes d’agression (articles 6, 7 et 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale).
Le crime de guerre a alors la particularité de permettre d’engager la responsabilité d’un individu pour une violation du droit international humanitaire. Ce droit tend à encadrer la manière dont les États se font la guerre (on parle, dans le langage du droit humanitaire, de “conflit armé”) afin de limiter les souffrances causées. Notamment, certaines méthodes de guerre sont interdites, et les personnes qui ne participent pas (civils, personnels humanitaires) ou plus (prisonniers, blessés) aux combats sont protégées.
Ce sont les exactions commises contre la population civile – laquelle, par définition, ne prend pas part aux combats – qui sont à l’origine des accusations de crimes de guerre émises à l’encontre de la Russie. À ce titre, selon le CICR, le droit international humanitaire proscrit les “actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur au sein de la population civile”. La quatrième Convention de Genève (1949) porte quant à elle spécifiquement sur la protection des personnes civiles en temps de guerre, et d’autres règles protégeant les non-combattants se trouvent dans les deux Protocoles additionnels aux Conventions de Genève (1977). Enfin, l’article 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale énonce, parmi les faits constitutifs de crimes de guerre, “[l]e fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile”.
QUELLE DIFFÉRENCE ENTRE UN CRIME DE GUERRE, UN CRIME CONTRE L’HUMANITÉ ET UN CRIME DE GÉNOCIDE ?
Selon le président ukrainien, les crimes de guerre commis à Boutcha relèvent du crime de génocide. Or, bien qu’étroitement liés, les concepts de crime de guerre, de crime de génocide et de crime contre l’humanité se distinguent en droit international.
Le génocide est un concept très étroit. Il relève d’actes “commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux”(article 6 du Statut de Rome et article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide). Néologisme crée par l’avocat polonais Raphaël Lemkin, le génocide concerne des exactions visant à annihiler un groupe particulier d’individus, que ce soit en temps de guerre ou en temps de paix. Le génocide est difficile à prouver, car en plus de l’élément matériel qui le compose (c’est-à-dire des actes qui permettent son accomplissement, comme le meurtre ou l’entravement des naissances), il existe un élément psychologique : il faut démontrer l’intention spéciale de détruire le groupe en cause. Les génocides internationalement reconnus à ce jour sont le génocide des Arméniens commis par l’Empire ottoman (1915-1916), le génocide des Juifs commis par les nazis (1941 à 1945) et le génocide des Tutsis au Rwanda (1994).
Le crime contre l’humanité suppose quant à lui des actes commis “dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque” (article 7 du Statut de Rome). Il réintègre dans les conflits armés la question du respect des droits de l’Homme en interdisant par exemple les violences sexuelles, l’esclavage, les déplacements forcés, la torture ou les persécutions.
QU’EN EST-IL DES EXACTIONS CONSTATÉES À BOUTCHA ?
Pour que ces actes soient qualifiés de génocide, il faudra prouver que les exécutions sommaires alléguées ont eu lieu en raison de la nationalité des victimes et en vue de détruire tout ou partie du peuple ukrainien. Si démontrer cette intention n’est pas impossible, cela s’avérera certainement difficile.
En revanche, les attaques contre les civils pourraient relever de la qualification de crime contre l’humanité. Pour cela, les preuves que la communauté internationale est en train de recueillir en Ukraine devraient démontrer le caractère général, systématique et intentionnel de ces attaques.
En définitive, la qualification de crime de guerre paraît la plus susceptible d’être retenue en raison d’une définition juridique plus large, plusieurs crimes de guerre pouvant par ailleurs constituer un crime contre l’humanité.
Enfin, l’invasion de l’Ukraine par la Russie étant qualifiable d’agression, le président russe Vladimir Poutine pourrait voir sa responsabilité pénale internationale personnelle engagée pour crime d’agression.
LA RUSSIE POURRA-T-ELLE ÊTRE RECONNUE COUPABLE DE CRIMES DE GUERRE ?
La Russie ne pourra pas être reconnue coupable de crimes de guerre, car seuls les individus peuvent se voir imputer des crimes. Les États, quant à eux, peuvent aussi être déclarés responsables pour avoir violé des règles internationales humanitaires, mais leur responsabilité est purement civile (d’ailleurs, la Russie a été poursuivie par l’Ukraine devant la Cour internationale de Justice).
En somme, sur le plan pénal, toute personne ayant commis, ordonné, sollicité, encouragé ou facilité un crime international pourra théoriquement voir sa responsabilité pénale internationale être engagée (article 25 §3 du Statut de Rome).
DEVANT QUELLES JURIDICTIONS SONT JUGÉS CES CRIMES ?
Diverses juridictions pourraient avoir compétence pour connaître de la responsabilité d’un individu pour crimes de guerre : des juridictions nationales dotées d’une compétence dite “universelle” (c’est-à-dire s’étendant à des crimes commis au-delà des frontières de l’État, comme c’est le cas en France ou en Belgique) ; une juridiction pénale internationale permanente (à savoir, la Cour pénale internationale) ; ou encore, une juridiction pénale internationale spéciale (créée spécifiquement pour juger de violations flagrantes du droit international humanitaire, comme ce fut le cas du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie).
L’OBSTACLE DE LA PREUVE
De nombreux obstacles existent toutefois en pratique, au niveau de la preuve. Tout d’abord, il faut que les faits soient établis, ce qui va être facilité par l’enquête ouverte par la Cour pénale internationale dès le 2 mars 2022, l’Ukraine ayant reconnu la compétence de la Cour sur son sol dès 2014. Toutefois, même s’il était établi que des crimes de guerre ont eu lieu, encore faudra-t-il déterminer qui les a commis, qui les a ordonnés, et qui les a laissés se produire. Autrement dit, il faut pouvoir identifier l’auteur du crime et/ou remonter la chaîne de commandement. Cela signifie que les faits objectifs sont à distinguer de la désignation d’un responsable qui sera peut-être, à l’issue du procès, reconnu coupable de ces crimes qui offensent l’humanité.
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