Nouveau rebondissement dans l’affaire du “Qatargate“, dans laquelle plusieurs députés et anciens députés européens sont accusés de corruption au profit du Qatar. Pier Antonio Panzeri, chez qui quelques 600 000 € en liquide auraient été retrouvés, a décidé de coopérer avec la police belge en signant un accord de repenti.
Le 10 décembre, Roberta Metsola, la présidente du Parlement européen, avait tweeté qu’elle ne pouvait pas commenter les enquêtes en cours, tout en affirmant au nom du Parlement coopérer pleinement avec toutes les autorités policières et judiciaires compétentes.
Ce tweet fait suite à la mise en cause de plusieurs personnalités politiques européennes, dont celle qui était encore récemment l’une des vice-présidentes du Parlement européen, Eva Kaili, députée membre du groupe des Socialistes et Démocrates (S&D), soupçonnée de trafic d’influence au profit du Qatar.
Cette affaire a amené un juge d’instruction belge à effectuer des perquisitions aux domiciles des personnes concernées, mais également au sein des locaux du Parlement européen à Bruxelles. Cela i peut intriguer, quand on pense à l’immunité dont disposent les députés et à l’inviolabilité des institutions européennes qui repose sur l’article premier d’un protocole de l’Union européenne, plus précisément le n°7. Eva Kaili est, depuis vendredi 9 décembre, détenue en prison en Belgique. La justice belge a ordonné jeudi 22 décembre son maintien en détention provisoire pour un mois supplémentaire. En réalité, l’immunité ne pouvait pas complètement jouer ici.
QUELS SONT LES DEVOIRS DES DÉPUTÉS EUROPÉENS ?
A priori, les députés ne sont pas exempts de toute obligation déontologique, outre le respect de la loi. Il existe un Code de conduite des députés au Parlement européen en matière d’intérêts financiers et de conflits d’intérêts. Dès son premier article, le code rappelle que les députés européens doivent faire preuve de désintéressement, d’intégrité et doivent assurer le respect de la réputation du Parlement. Ils doivent par ailleurs agir uniquement dans l’intérêt général et ne doivent pas obtenir d’avantage financier direct ou indirect ou quelconque gratification. Car comme le prévoit l’article 14 du Traité sur l’Union européenne, le Parlement représente les citoyens de l’Union européenne, et eux seulement.
Or ce Code de conduite n’a pas de force contraignante. En septembre 2021, les députés européens avaient demandé la création d’un organe chargé de surveiller l’éthique des parlementaires et des commissaires, mais la proposition était restée lettre morte.
POURQUOI L’IMMUNITÉ PARLEMENTAIRE NE S’APPLIQUE-T-ELLE PAS DANS CETTE AFFAIRE ?
En vertu du protocole n° 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne, l’immunité parlementaire garantit au député de pouvoir exercer librement son mandat sans s’exposer à des poursuites de nature arbitraire ou politique. Il s’agit d’une garantie de l’indépendance et de l’intégrité du Parlement dans son ensemble.
Comme le rappelle Philippe Frumer, chargé de cours à l’Université Libre de Bruxelles, l’immunité parlementaire se dédouble en deux catégories. Concernant la première, en vertu de l’article 8 de ce même protocole, les députés du Parlement européen disposent d’une irresponsabilité parlementaire, ainsi ils ne peuvent pas être arrêtés ou poursuivis en raison des opinions ou votes qu’ils émettent en leur capacité de député au Parlement européen. Cette immunité est absolue, c’est-à-dire que le Parlement européen ne peut lever cette immunité.
Mais pour la seconde catégorie, qui est en cause dans cette affaire, il en va autrement. Il s’agit de l’inviolabilité parlementaire, elle “vise à préserver l’indépendance des parlementaires européens en empêchant qu’ils ne subissent des pressions, sous la forme de menaces d’arrestation ou de poursuites judiciaires, que ce soit pour des faits commis avant leur entrée en fonction ou pendant l’exercice de leurs fonctions”, comme l’explique Philippe Frumer pour le site Justice en ligne. Cependant à la différence de la première, cette seconde catégorie n’est pas absolue.
Ce qui explique que dans cette affaire l’immunité ne pouvait pas protéger la députée et ce qui a permis sa détention, c’est que l’immunité ne peut être invoquée dans le cas de flagrance comme le précise l’article 9 du Protocole, or il en est question ici. En cause, des sacs de billets contenant plusieurs centaines de milliers d’euros trouvés en possession du père de la députée à la sortie d’un hôtel, puis chez la députée elle-même lors d’une perquisition.
Ainsi, en plus de lever l’immunité qui empêchait les députés d’être détenus ou poursuivis, la flagrance a permis de délivrer un mandat d’arrêt à l’encontre de plusieurs parlementaires dont la vice-présidente Kaili qui ne bénéficiait plus de l’immunité d’arrestation et de poursuite en dehors de son pays d’origine, la Grèce, précisément en raison du flagrant délit. La flagrance a également justifié les perquisitions aux domiciles des concernés, perquisitions qui ont permis de récolter d’autres preuves à leur encontre.
Et lorsqu’il n’y a pas de flagrance, le justice doit demander au Parlement européen la levée de l’immunité. C’est ce qui a été fait pour les députés S&D Marc Tarabella et Andrea Cozzolino.
QU’EN EST-IL DU DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE ?
Lors de son discours en séance plénière le 12 décembre à Strasbourg, Roberta Metsola a confirmé qu’avec l’aide des services du Parlement, ils ont pu vérifier que toutes les étapes de la procédure avaient été suivies et que toutes les informations avaient été préservées lors de la perquisition. Elle rappelle également la nécessaire coopération entre le Parlement européen et les autorités nationales.
À l’occasion de son discours, la présidente du Parlement a annoncé retirer à la vice-présidente toutes les tâches et responsabilités liées à son rôle. Mais Roberta Metsola n’en est pas restée là. En application de l’article 21 du règlement intérieur du Parlement européen, elle a annoncé l’ouverture d’une conférence extraordinaire du Conseil des présidents pour retirer à Eva Kaili son mandat de vice-présidente.
C’est chose faite désormais : le Conseil des présidents a décidé par une décision effective et immédiate du 12 décembre de destituer Eva Kaili de son rôle de vice-présidente du Parlement européen pour faute grave dans l’exercice de sa fonction.
Il y a quelques jours, c’était au tour de Maria Arena, députée S&D, de démissionner de son poste de présidente de la sous-commission des droits de l’homme, pour ne pas avoir déclaré un voyage au Qatar, et pour les liens étroits qu’elle entretenait avec l’association Fight Impunity, l’ONG fondée par Panzeri, ancien député européen et qui a été désigné par certains comme le cerveau du système de corruption.
Elle reste néanmoins députée. Seules une démission volontaire ou une décision de justice grecque, son État d’origine, la frappant d’inéligibilité, pourraient la priver de son mandat.
Contacté, le Parlement européen n’a pas répondu à notre demande de précisions.
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