La Cour constitutionnelle est activiste : théoriquement peu probable et pratiquement faux.
D’un point de vue théorique, la Cour constitutionnelle, en raison de sa composition et de son mode décision, peut difficilement être qualifiée d’activiste.
Celle-ci compte douze juges. Six juges sont d’anciens et anciennes parlementaires, 6 juges sont des juristes de profession. Six juges sont francophones, six autres sont néerlandophones. Un tiers des juges au minimum doit être de l’autre sexe (ex : minimum quatre juges hommes sur les douze juges). Ces juges ont été élus à vie par le parlement à une majorité des deux tiers. Cette majorité renforcée permet de dépasser les clivages linguistiques et partisans. Cette composition a pour objectif d’assurer un équilibre idéologique au sein de la composition de la Cour et de garantir sa légitimité de celle-ci.
Le mode de décision de la Cour rend aussi tout activisme impossible. Celle-ci statue à sept minimum et par consensus. En d’autres termes, les juges qui sont de langues différentes et d’idéologie différentes, doivent se mettre d’accord avant de rendre un arrêt.
En somme, la composition de la Cour constitutionnelle reflète le paysage idéologique de notre pays et le mode de décision assure qu’aucune idéologie ne surpasse une autre.
En pratique enfin, la Cour n’annule que très rarement des lois. Il s’agit de l’exception et lorsqu’elle annule c’est souvent pour permettre à la Belgique de respecter le droit international. De plus, celle-ci module expressément la portée de son contrôle en fonction de la nature du droit en cause afin de laisser une plus grande marge d’appréciation à l’État. La Cour se montre plus réticente à sanctionner une loi sur base de la violation du droit à l’aide sociale que sur base du non-respect du principe d’égalité et non-discrimination.
« Certains juges semblent avoir très peu de foi en ceux qui sont directement élus par le peuple, et décident à leur place… » : faux.
Avant toutes choses, la Cour constitutionnelle vérifie que les lois respectent la Constitution, et notamment les droits fondamentaux. La Cour constitutionnelle est la seule à assurer ce contrôle. Ce pouvoir découle directement de la Constitution
En général, la Cour constitutionnelle se limite à annuler la loi, mais ne l’écrit pas elle-même. La séparation des pouvoirs est donc respectée. Une fois qu’un arrêt d’annulation est rendu, les élu·e·s peuvent adopter une nouvelle loi sur le même sujet. Ils doivent seulement respecter ce qu’a dit la Cour dans son arrêt. D’ailleurs, la Cour constitutionnelle émet souvent dans ces arrêts d’annulation des pistes que le législateur pourrait suivre afin de réparer ses erreurs. Ce contrôle découle du concept d’État de droit. Celui-ci exige que tout le monde (les élu.es, les citoyen.nes, les juges, …) respecte les règles de droit. Il s’agit d’une garantie contre l’arbitraire et l’abus de pouvoir des parlementaires.
L’État de droit est une condition indispensable de la démocratie. Sa fragilité a été révélée par les régimes dont les lois, adoptées par les élus du peuple, ont mis en place des systèmes autoritaires et/ou racistes. C’est pour prévenir ces dérives que la grande majorité des démocraties, ont décidé de se munir d’une Cour constitutionnelle. Celle-ci veille à ce qu’un groupe d’élu·e·s n’adoptent pas une loi qui serait contraire aux droits les plus fondamentaux, par exemple d’une minorité linguistique.
« Dans l’État de droit, la démocratie doit primer« : à nuancer.
Cette phrase avance, à tort, que le « Volksberoep » serait une avancée démocratique. Pour l’instant, la seule manière de renverser, indirectement, un arrêt de la Cour constitutionnelle est de modifier la Constitution. Or, une telle modification passe par une procédure lourde et stricte. Celle-ci demande notamment la tenue d’élections afin que les citoyen·ne·s puissent donner leur avis sur cette modification. Grâce à ces élections, les citoyen·ne·s peuvent, par exemple, voter pour un ou une élu·e en fonction de sa promesse de campagne concernant la modification de la Constitution en question. Les citoyen·ne·s ont donc la possibilité de se prononcer en faveur ou en défaveur d’une telle modification de la Constitution avec l’effet que cela entraine sur la lecture qu’en fait la Cour constitutionnelle.
La N-VA propose que les élu·e·s puissent, par le biais d’une loi, renverser un arrêt d’annulation de la Cour constitutionnelle. Or, dans ce cas, les citoyen·ne·s ne peuvent pas se prononcer sur l’opportunité du « Volksberoep » par le biais des élections. Le mécanisme est donc moins démocratique que celui existant aujourd’hui.
De plus, l’État de droit nécessite le respect du principe de la séparation des pouvoirs. Or, le système proposé créé un déséquilibre dans la séparation des pouvoirs. Le Roi, le parlement et les juges sont indépendants. Par exemple, la Cour constitutionnelle se limite à défaire les lois, sans toutefois les écrire. Avec le mécanisme du « Volksberoep », les parlementaires peuvent juger à la place de la Cour et lui imposer leur version finale. L’équilibre est donc rompu.
Enfin, comme le souligne Patricia Popelier, professeure à l’Universiteit Antwerpen1, la Démocratie et l’État de droit ne doivent pas spécialement primer l’un sur l’autre. La première légitimise les élu·e·s, le second empêche leurs excès de pouvoir.
Le « Volksberoep » tel que présenté aujourd’hui par la N-VA n’est pas comparable au mécanisme de la notwithstanding clause / clause dérogatoire en vigueur au Canada.
Le mécanisme canadien permet aux législateurs canadiens de maintenir une loi qui a été jugée contraire aux droits fondamentaux. Ce système est fort critiqué et souvent utilisé sur des questions communautaires. En toute hypothèse, une telle loi ne peut durer que cinq ans, soit la durée d’une législature. Ainsi, les citoyen·ne·s peuvent sanctionner ou redonner leur confiance aux parlementaires qui ont utilisé la clause dérogatoire. On retrouve ici la garantie démocratique de la participation directe des citoyen·ne·s, tout comme pour la modification de la Constitution belge. Une garantie qui n’est pas prévue par la N-VA.
Par quelque côté qu’on l’aborde, la proposition de la N-VA est donc inconstitutionnelle. Et s’il fallait admettre alors une modification de la Constitution, une telle modification porterait en réalité atteinte tant à la démocratie qu’à l’État de droit.
(mise à jour du 23 mars 2023) Contactée par nos soins, la N-VA reconnaît la nécessité de modifications structurelles des textes constitutionnels pour mettre en oeuvre ses propositions, en soulignant que « c’est précisément la tâche de chaque parti politique de faire des propositions qu’il estime bénéfiques pour la société, quel que soit le processus à suivre ». Elle ajoute que ses propositions « sont actuellement soumises à la démocratie interne du parti et sont le fruit d’un travail d’étude solide et d’exercices de réflexion créative ». Cette réponse s’abstient cependant de réagir à la violation potentielle de l’Etat de droit que nous dénonçons.
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