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Le premier ministre britannique, Rishi Sunak, a déclaré que “si vous arrivez de manière irrégulière, vous ne pouvez pas demander l’asile”.

Le Monde, 7 mars 2023

Lors d’une conférence de presse se déroulant le 7 mars 2023, le gouvernement britannique a présenté un projet de loi contre l’immigration illégale qui prévoit d’empêcher des migrants de demander l’asile au Royaume-Uni. À cette occasion, le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, a pris la parole.

Ilias Amechrouk, étudiant en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain, professeure à l’Université Saint-Louis –Bruxelles, le 30 avril 2023.
Le projet de la loi sur l’immigration illégale a été présenté à la Chambre des communes du Royaume-Uni le 7 mars dernier. Le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, a déclaré, lors d’une conférence de presse tenue à cette occasion, que les personnes qui arrivent de manière irrégulière sur le territoire, ne pourraient plus demander l’asile, ni bénéficier de protections “contre l’esclavage moderne. Vous ne pouvez pas faire de demandes fallacieuses liées aux droits humains et vous ne pouvez pas rester”.

Rishi Sunak a précisé que la future loi permettrait de placer toutes les personnes arrivant illégalement au Royaume-Uni en détention (le gouvernement prévoit la construction de nouveaux centres), puis de les renvoyer dans leur pays s’il est sûr ou, le cas échéant, dans un pays tiers considéré comme sûr, tel le Rwanda.

La future loi obligera le ministre de l’Intérieur à prendre des mesures pour expulser toute personne entrée illégalement au Royaume-Uni, sans autorisation d’entrée ou de séjour et qui ne vient pas directement d’un endroit où elle craint d’être persécutée. La dernière condition implique que le migrant n’ait pas traversé un “État sûr”, listée dans la loi, avant d’arriver sur le sol britannique. C’est, par exemple, le cas des migrants qui traversent la Manche pour arriver au Royaume-Uni, étant donné qu’ils passent par la France, un État listé comme sûr dans la loi.

Un projet qui a suscité des réactions …

Depuis 2018, le Royaume-Uni fait face à un afflux de réfugiés. Le nombre de personnes, qui arrivent par bateaux traversant la Manche, a augmenté ces dernières années jusqu’à atteindre plus de 45 000 migrants en 2022. L’immigration illégale est devenue un enjeu essentiel de la société britannique que le Premier ministre entend combattre.

Le projet de loi a néanmoins été vivement critiqué par plusieurs associations internationales. Yasmine Ahmed, directrice britannique de Human Rights Watch, a ainsi déclaré qu’ “interdire aux gens de demander l’asile est illégal, inapplicable et profondément inhumain”. Steve Valdez-Symonds, directeur des droits des réfugiés et des migrants auprès d’Amnesty International au Royaume-Uni, estime quant à lui qu’il “Il n’y a rien de juste, d’humain, voire de praticable dans ce plan, et il est franchement effrayant de voir des ministres tenter de supprimer les protections liées aux droits humains pour un groupe de personnes qu’ils ont choisi comme bouc émissaire de leurs propres échecs. Enfin, le Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations unies a également fait part de son inquiétude: “cette législation, si elle est adoptée, reviendrait à bannir l’asile, c’est-à-dire qu’elle supprimerait le droit de demander l’asile au Royaume-Uni pour les personnes qui arrivent de manière irrégulière, quelles que soient la légtimité et la pertinence de leur demande, et sans tenir compte de leur situation personnelle”.

Mais qu’en est-il juridiquement ?

Les propos tenus par Rishi Sunak semblent incompatibles avec la Convention relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951 , un accord international adopté par l’Organisation des Nations unies qui définit les droits des réfugiés dans le monde entier. La Convention définit un réfugié comme étant une personne qui fuit son pays parce qu’elle craint “avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques”.

En refusant de prendre en considération les personnes entrées illégalement sur son territoire, le Royaume-Uni refuse de considérer un réfugié tel qu’il est défini par la Convention et manque ainsi à ses obligations internationales.

Par ailleurs, la Convention sur les réfugiés établit un principe fondamental, celui du “non-refoulement” en stipulant que les réfugiés ne peuvent pas être renvoyés dans un pays où leur vie ou leur liberté est menacée. Cependant, le gouvernement affirme que son plan d’envoi des réfugiés vers des pays, comme le Rwanda, respecte le droit international, en arguant que ce pays est considéré comme un pays sûr.

Enfin, le fait de renvoyer tous les migrants vers leurs pays d’origine ou vers un pays comme le Rwanda pourrait être considéré comme une expulsion collective, une pratique strictement interdite par l’article 4 du Protocole n°4 à la Convention européenne des droits de l’Homme de 1963 qui impose un examen individuel et différencié de chaque demande d’asile.

La problématique soulevée ici n’est pas neuve. Pour rappel, le 13 avril 2022, le gouvernement britannique a conclu, avec le Rwanda, un protocole d’accord de partenariat en matière d’asile prévoyant que les demandeurs d’asile dont les demandes ne seraient pas examinées par le Royaume-Uni pourraient être transférés au Rwanda. Aucun réfugié n’a pour l’instant été expulsé vers le Rwanda en raison des procédures judiciaires en cours.

Ce fut également le cas du Danemark qui adopta en 2021 une loi permettant de conclure un accord pour qu’un pays tiers, hors de l’Union européenne, accueille les demandeurs d’asile et examine leur dossier. Cette externalisation du traitement des demandes d’asile pose donc d’épineuses questions au plan juridique.

 

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La STIB a mené une enquête sur le port de signes convictionnels 

La Libre, 21 février 2023

La STIB – la société publique bruxelloise de transports en commun – a réalisé l’été dernier une enquête auprès de son personnel portant sur le port de signes convictionnels au travail. Or, selon la Cour européenne des droits de l’Homme, un sondage qui n’a pas d’autre finalité que de conforter les préjugés inégalitaires d’une partie de la population à l’égard d’une minorité est problématique.

Rania Sabaouni et Edouard Van Dievoet, étudiants en droit à l’Université Saint-Louis— Bruxelles, sous la supervision de Sébastien Van Drooghenbroeck, professeur de droit constitutionnel à l’Université Saint-Louis — Bruxelles, le 30 avril 2023.

Suite à une décision rendue par le tribunal du travail de Bruxelles en mai 2021, condamnant l’entreprise bruxelloise de transports publics pour discrimination en raison des convictions religieuses et du genre, la STIB est chargée par le tribunal et par le Gouvernement bruxellois de repenser sa politique de neutralité, afin d’adapter son règlement de travail. Selon la STIB, c’est dans ce cadre que s’est inscrit – parmi d’autres éléments (entretiens individuels, groupes de discussion, journées thématiques) – un questionnaire en ligne sur la “perception des enjeux de la neutralité au sein de la STIB”. 

Certaines questions posées dans ce questionnaire, telle “Je me sentirais à l’aise si mon/ma collègue portait un ou des signes/vêtements à caractère philosophique, politique ou religieux au travail” ou “De manière générale, je préférerais que les signes/vêtements à caractère religieux ne soient pas portés au travail par les collaborateurs et collaboratrices de la Stib” sont particulièrement problématiques. Bien que la réalisation de ce type de sondage apparaisse comme une démarche objective, représentative et utile pour alimenter le débat autour du port de signes convictionnels, elle peut en effet revêtir un caractère discriminatoire.  

Ainsi, dans une affaire très similaire jugée par la Cour européenne des droits de l’homme, le ministère de la Défense du Royaume-Uni a institué un groupe d’évaluation sur la politique relative à l’homosexualité (GEPH), qui avait notamment distribué un questionnaire aux militaires. En analysant les réponses fournies à ce questionnaire, la Cour a estimé que “ces attitudes, même si elles reflètent sincèrement les sentiments de ceux qui les ont exprimées, vont d’expressions stéréotypées traduisant de l’hostilité envers les homosexuels à un vague malaise engendré par la présence de collègues homosexuels. Dans la mesure où ces attitudes négatives correspondent aux préjugés d’une majorité hétérosexuelle envers une minorité homosexuelle, la Cour ne saurait les considérer comme étant en soi une justification suffisante aux ingérences dans l’exercice des droits susmentionnés des requérants, pas plus qu’elle ne le ferait pour des attitudes négatives analogues envers les personnes de race, origine ou couleur différentes” (§ 97). La Cour affirme ainsi de manière assez explicite qu’on ne peut faire dépendre l’exercice des droits fondamentaux d’une minorité de la population (qu’il s’agisse d’une minorité religieuse, sexuelle,…) de l’avis ou du malaise de la majorité de cette population.  

Ces considérations valent également pour la préoccupation de la majorité du personnel relative au prosélytisme au travail (selon le questionnaire de la STIB, 76,5 % de ses membres demandent à en être protégés). Le prosélytisme est l’attitude qui consiste à tenter de convertir d’autres personnes à sa foi. Elle est inhérente à la liberté de religion (et d’expression), protégée par l’article 9 de la CEDH, qui implique la liberté de manifester sa religion. La Cour européenne des droits de l’homme (§46 de cet arrêt) reconnait toutefois que l’article 9 ne protège pas le “prosélytisme de mauvais aloi, tel qu’une activité offrant des avantages matériels ou sociaux ou l’exercice d’une pression abusive en vue d’obtenir des adhésions à une Église”. En outre, le prosélytisme peut se heurter à un droit dit absolu (qui ne peut être limité), celui de la liberté de conscience, également protégé par l’article 9 de la CEDH. La liberté de religion peut donc être limitée en faveur de la liberté de conscience, pour autant que cette mesure soit nécessaire à la protection des droits et libertés d’autrui. En revanche, une telle limitation ne saurait être justifiée par des préjugés ou un malaise de la majorité à son égard. 

C’est pour ces raisons que l’enquête menée par la STIB devra être utilisée avec la plus grande prudence, et qu’elle ne pourrait pas fonder des mesures ayant pour objet de limiter des libertés fondamentales. Son futur règlement de travail ne pourra pas s’appuyer sur une vision stéréotypée majoritaire chez son personnel, qui violerait la liberté de religion d’une minorité de ses membres. Le risque est grand, sinon, de traiter cette minorité de manière discriminatoire.

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Procès des attentats terroristes de Bruxelles : État des lieux sur le traitement des accusés 

Le Soir, 13 mars 2023

À l’occasion du procès des attentats de Bruxelles, la Cour d’assises de Bruxelles est devenue le lieu d’un second débat judiciaire relatif aux conditions de transfert et de détention des accusés. En effet, des mesures de sécurité de taille ont été mobilisées dans le cadre de ce procès qualifié d’historique : port d’un masque occultant lors des transferts et fouilles à nu avec génuflexions. Soutenus par leurs avocats, les accusés ont introduit une action en référé contre le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne, pour se plaindre de traitements inhumains et dégradants et demander leur cessation immédiate.

Un état des lieux s’impose.

Amal Talhi, étudiante en droit, Université Saint-Louis - Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain, professeure à l'Université Saint-Louis - Bruxelles, le 19 avril 2023

Fouilles à nu et génuflexions 

Pour bien comprendre les enjeux de ce débat, il convient de rappeler en quoi consiste une fouille à nu. Basée sur l’article 28, § 3 de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police, la fouille à corps est une mesure de sécurité qui permet d’inviter, et a fortiori de contraindre, le détenu à se déshabiller afin d’inspecter, de manière externe, les cavités et ouvertures de son corps. L’objectif est de vérifier, pour reprendre les termes de la loi, que la personne n’a pas caché d’objet dangereux ou pouvant favoriser son évasion. Par souci de discrétion et de dignité, une telle mesure doit avoir lieu dans un espace fermé et par des membres du personnel de même sexe que le détenu.  

Dans le cadre du procès des attentats de Bruxelles, cette pratique, dispensée par la police fédérale, est accompagnée de génuflexions. Celles-ci semblent être opérées quotidiennement sur les accusés, lors de leur transfert au bâtiment Justicia à Evere où se tient le procès des attentats, en raison du contexte terroriste. Les accusés et leurs avocats ont introduit une demande en référé devant le tribunal de première instance de Bruxelles afin d’interdire à l’État belge d’imposer à chaque accusé une fouille avec mise à nu intégrale, remise de leurs vêtements pour inspection et impliquant plusieurs génuflexions, sans motivation adéquate. 

Se basant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le tribunal civil francophone de Bruxelles a considéré, dans une ordonnance du 29 décembre 2022, que pareilles fouilles constituent, par nature, des mesures humiliantes et embarrassantes pour les personnes qui doivent les subir. Le tribunal précise que ces fouilles ne sont pas toujours illégitimes et peuvent même s’avérer nécessaires pour assurer la sécurité, défendre l’ordre ou prévenir les infractions pénales. Elles constituent néanmoins un traitement inhumain et dégradant, prohibé par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, lorsqu’elles présentent un caractère prolongé, quotidien, général et systématique, qu’elles ne paraissent pas justifiées par un impératif de sécurité convainquant, dès lors qu’elles s’ajoutent à de nombreuses autres mesures de sécurité et qu’elles ne reposent pas sur une appréciation concrète des circonstances et de la menace que représente chacun de ceux qui doivent les subir individuellement, et que leurs modalités concrètes sont laissées à l’appréciation des fonctionnaires de police qui les pratiquent, si bien que les variations qu’elles présentent peuvent donner un sentiment d’arbitraire à ceux qui les subissent  

L’État belge a fait appel de cette ordonnance. Dans la foulée, le ministre de la Justice a adopté, le 2 janvier 2023, une nouvelle directive relative au transfèrement par la police fédérale des justiciables, dans laquelle il rappelle que la procédure de fouille est adaptée afin d’éviter le déshabillage complet du détenu.  

Entretemps, une délégation du Conseil Central de Surveillance Pénitentiaire (CCSP) s’est rendue à la mi-janvier à la prison de Haren en vue d’assister à une fouille à nu imposée aux détenus. Le constat est sans appel : nonobstant l’ordonnance du tribunal, il est toujours demandé aux détenus de faire des génuflexions afin de démontrer qu’ils ne cachent rien dans les replis de leur anatomie et qu’ils restent intégralement nus durant la fouille sans possibilité de soustraire leurs parties intimes à la vue des policiers. Suite à ces constatations, le Conseil a émis plusieurs recommandations. Parmi elles, l’exigence qu’une fouille au corps soit décidée sur la base d’indices individualisés, l’identification des policiers qui procèdent à ces fouilles et un déshabillage dit par étapes (permettant d’avoir une partie du corps couverte pendant que l’autre est fouillée).  Le but étant de prévenir tout geste humiliant ou à caractère vexatoire, d’autant que ces fouilles se déroulent quotidiennement multipliant le risque d’incidents.  

Dans un arrêt du 13 mars 2023, la Cour d’appel de Bruxelles a confirmé l’ordonnance du tribunal de première instance. Les fouilles à nu avec génuflexions auxquelles sont soumis les accusés avant leur transfert de la prison vers le bâtiment Justicia, où se déroule le procès, doivent immédiatement cesser. La Cour va même plus loin et affirme que les fouilles corporelles litigieuses avec génuflexions, pratiquées par les officiers de police sont illégales dès lors qu’elles ne trouvent appui ni dans l’article 28, § 3 de la loi sur la fonction de police du 5 août 1992, ni dans les travaux préparatoires relatifs à cette disposition, ne répondant ainsi pas aux exigences de l’article 8, § 2 de la Convention EDH qui précise que toute ingérence d’une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée doit être prévue dans un texte légal. 

En effet, selon la Cour d’appel, si la disposition légale invoquée par l’État belge prévoit certes la possibilité de soumettre les individus à des fouilles à nu, elle n’autorise pas que la personne puisse être contrainte par les officiers de police à effectuer des génuflexions pour permettre l’examen visuel de ses cavités et orifices. En somme, la Cour d’appel de Bruxelles considère que les fouilles à nu des justiciables avec génuflexions s’opèrent sans base légale et qu’elles sont dès lors illégales et contraires à l’article 8, § 2 de la Convention EDH. Le but étant ici de d’assurer aux intéressés le degré minimal de protection dans une société démocratique.  

Le port de lunettes occultantes durant les transferts 

Outre les fouilles, les accusés se plaignent également des conditions de transfert de la prison vers la Cour d’assises durant lesquels ils font l’objet de privations visuelles. 

Le gouvernement belge les justifie par des motifs d’ordre et de sécurité :  loin de viser à humilier ou à rabaisser les détenus, ces mesures seraient nécessaires afin d’empêcher les détenus de connaître et de repérer les détails du parcours ainsi que les moyens de sécurité déployés et les méthodes utilisées par les policiers, afin de parer à toute tentative d’évasion et réduire les risques d’agression envers les fonctionnaires de police chargés de leur surveillance. Sur ce point, le tribunal donne raison à l’État belge : même si la mesure doit rester exceptionnelle, elle peut être justifiée par la gravité extrême des faits commis, qui justifie qu’un niveau 3 de menace ait été retenu par l’OCAM et paraît raisonnablement proportionnée aux objectifs légitimement poursuivis, étant, par exemple, moins invasive que l’encapuchonnement, tandis qu’une simple opacification des fenêtres des véhicules de transport ne permettrait pas d’atteindre tous ces objectifs . 

Toutefois, sous l’angle du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), pareilles mesures doivent être considérées comme litigieuses. Il ressort en effet des visites faites par le CPT en 2013 et 2017, que la pratique consistant à obstruer la vue/ouïe doit être abolie, car la privation sensorielle intense et continue peut entraîner des pressions psychologiques fortes et à terme, s’apparenter à un traitement inhumain et dégradant 

Dans son arrêt du 13 mars 2023, la Cour d’appel de Bruxelles décide quant à elle, eu égard aux explications de l’État belge, que le port de lunettes occultantes imposées aux accusés n’est justifié que pendant leurs transferts vers le bâtiment Justicia et au retour vers la prison de Haren. L‘imposition de cette mesure à d’autres moments par l’État belge est considérée, par la Cour, comme manifestement déraisonnable, compte tenu des autres moyens déployés, à savoir la présence de nombreux policiers aux différents points de transfert, les masques qui couvrent le visage de chaque policier et les menottes et gilets pare-balles que portent les accusés.  

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Olivier Vandecasteele sauvé par la Cour constitutionnelle ?

Le Soir, 3 mars 2023

Dans notre surlignage du 15 novembre 2022, nous avons fait état de la suspension, le 8 décembre 2022, par la Cour constitutionnelle, de la loi du 30 juillet 2022 portant assentiment au traité belgo-iranien organisant le transfèrement des condamnés.

La Cour constitutionnelle vient de rejeter, dans son arrêt n°36/2023, le recours en annulation à l’encontre de cette loi.

Quelles sont les conséquences de cet arrêt ? Cela signifie-t-il qu’Olivier Vandecasteele pourra prochainement être libéré ?

Cathy Bodson, étudiante en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain, professeure à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, le 10 mars 2023

La plus haute instance juridique belge a rejeté, le 3 mars 2023, le recours en annulation à l’encontre du 30 juillet 2022 portant, notamment, assentiment  au Traité entre le Royaume de Belgique et la République islamique d’Iran sur le transfèrement de personnes condamnées. 

Quelles sont les motivations de la décision de la Cour constitutionnelle ?  

Les parties à l’origine du recours en annulation invoquaient une violation du droit à la vie, consacré par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que la loi attaquée permettrait “le transfèrement […] d’une personne qui a été condamnée pour avoir commis des infractions terroristes avec le soutien de l’Iran”, alors que “la Belgique sait ou devrait savoir que le transfèrement […] sera suivi de sa grâce et de sa libération dès son arrivée sur le territoire iranien”.

La Cour rappelle les limites de sa juridiction: elle ne peut se prononcer que sur la constitutionnalité d’une norme de droit. Or, le recours en annulation ne porte pas sur la loi elle-même, mais sur son application. La Cour se déclare dès lors incompétente pour se prononcer sur une éventuelle inconstitutionnalité de l’application d’une norme, s’agissant de la prérogative d’un juge.

Deux autres moyens ont été soulevés par les requérants qui ont également été rejetés par la Cour constitutionnelle.  

D’une part, l’autorité de la chose jugée des condamnations ne serait pas préservée. Les parties requérantes “font grief au traité du 11 mars 2022 de ne pas prévoir, d’une part, que les autorités compétentes de l’État d’exécution [à savoir l’Iran] sont tenues de respecter les constatations de faits auxquelles ont abouti les juridictions de l’État de condamnation [à savoir la Belgique] et, d’autre part, que la peine d’emprisonnement ne peut être convertie en une simple peine pécuniaire”. À ce sujet, la Cour constitutionnelle rappelle que les transfèrements interétatiques n’ont pas pour objectif de modifier la nature ou la durée de la condamnation ou de remettre en question la culpabilité du condamné. 

D’autre part, les victimes ne disposeraient pas d’un droit à un recours effectif quant à la décision de transfèrement. Bien que la Cour admette qu’il n’y ait aucun recours actuellement prévu, contrairement à ce qui est prévu pour les victimes en matière d’exécution des peines, elle précise qu’il s’agit d’une lacune dans la législation belge et non d’une inconstitutionnalité découlant du traité belgo-iranien. Évoquant l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme sur le droit à un recours effectif, la Cour invite le Gouvernement belge à veiller à ce que les victimes soient informées d’une décision de transfèrement.  

Et après ?  

Si le recours en annulation a été rejeté par la Cour constitutionnelle, elle assortit cependant sa décision d’une réserve imposant au Gouvernement belge de veiller à ce que les victimes soient informées de toute décision concernant un transfèrement. Celle-ci vise à permettre aux victimes de pouvoir exercer un recours effectif, en soumettant la décision au contrôle de légalité d’un juge. 

Le conditionnement, par la Cour, du transfèrement d’un condamné à l’information des victimes, laisse ainsi planer le doute sur un retour effectif d’Olivier Vandecasteele en Belgique. 

En effet, le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) a annoncé avoir l’intention d’user du “droit de contrôle octroyé aux victimes par la Cour pour empêcher la libération de ce terroriste”. Pour le CNRI, la libération d’Assadolah Assadi constituerait “une violation de la résolution 1373 du Conseil de sécurité des Nations unies contre le terrorisme et encourage[rait] le régime des mollahs à poursuivre et intensifier les prises d’otages et le terrorisme”.  

De son côté, le cabinet du Premier ministre a déclaré que “les mesures nécessaires vont maintenant être prises pour finaliser le traité, en tenant compte de l’arrêt de la Cour constitutionnelle”. Il se réjouit qu’un tel outil juridique existe, afin de “permettre le retour d’Olivier Vandecasteele”. Quant à l’Iran, il se dit prêt à procéder à l’échange de prisonniers avec le diplomate Assadolah Assadi.  

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La N-VA désire que “le parlement puisse, par exemple avec l’accord de deux tiers de ses membres, rejeter un arrêt de la Cour constitutionnelle”.

De Standaard, 28 février 2023  

Selon la N-VA, le contrôle des lois par la Cour constitutionnelle mettrait à mal la démocratie. Ces juges, non élus, limiteraient la marge de manœuvre des parlementaires en faisant preuve d’activisme. Ce serait spécialement le cas lorsqu’ils jugent sur des droits sociaux et économiques (allocations familiales, remboursement des soins, etc).

La N-VA propose alors la mise en place d’un "Volksberoep" ou "Recours du peuple". Si la Cour constitutionnelle devait annuler une loi, le parlement pourrait renverser l’arrêt de la Cour constitutionnelle avec l’accord d’au moins deux tiers de ses membres. Ce mécanisme rendrait le pouvoir à celles et ceux qui ont été élu·es par le peuple, comme ce serait déjà le cas au Canada ou existe la notwithstanding clause / clause dérogatoire. 

Les constats de la N-VA qui justifieraient ce "Volksberoep" doivent être nuancés ou même réfutés. Ce "Volksberoep" est, quant à lui, inconstitutionnel.

Pierre Bellemans, assistant en droit constitutionnel à l’Université Saint-Louis Bruxelles, le 20 mars 2023

La Cour constitutionnelle est activiste : théoriquement peu probable et pratiquement faux.

D’un point de vue théorique, la Cour constitutionnelle, en raison de sa composition et de son mode décision, peut difficilement être qualifiée d’activiste. 

Celle-ci compte douze juges. Six juges sont d’anciens et anciennes parlementaires, 6 juges sont des juristes de profession. Six juges sont francophones, six autres sont néerlandophones. Un tiers des juges au minimum doit être de l’autre sexe (ex : minimum quatre juges hommes sur les douze juges). Ces juges ont été élus à vie par le parlement à une majorité des deux tiers. Cette majorité renforcée permet de dépasser les clivages linguistiques et partisans. Cette composition a pour objectif d’assurer un équilibre idéologique au sein de la composition de la Cour et de garantir sa légitimité de celle-ci. 

Le mode de décision de la Cour rend aussi tout activisme impossible. Celle-ci statue à sept minimum et par consensus. En d’autres termes, les juges qui sont de langues différentes et d’idéologie différentes, doivent se mettre d’accord avant de rendre un arrêt. 

En somme, la composition de la Cour constitutionnelle reflète le paysage idéologique de notre pays et le mode de décision assure qu’aucune idéologie ne surpasse une autre. 

En pratique enfin, la Cour n’annule que très rarement des lois. Il s’agit de l’exception et lorsqu’elle annule c’est souvent pour permettre à la Belgique de respecter le droit international. De plus, celle-ci module expressément la portée de son contrôle en fonction de la nature du droit en cause afin de laisser une plus grande marge d’appréciation à l’État. La Cour se montre plus réticente à sanctionner une loi sur base de la violation du droit à l’aide sociale que sur base du non-respect du principe d’égalité et non-discrimination.  

“Certains juges semblent avoir très peu de foi en ceux qui sont directement élus par le peuple, et décident à leur place…” : faux.  

Avant toutes choses, la Cour constitutionnelle vérifie que les lois respectent la Constitution, et notamment les droits fondamentaux. La Cour constitutionnelle est la seule à assurer ce contrôle. Ce pouvoir découle directement de la Constitution  

En général, la Cour constitutionnelle se limite à annuler la loi, mais ne l’écrit pas elle-même. La séparation des pouvoirs est donc respectée. Une fois qu’un arrêt d’annulation est rendu, les élu·e·s peuvent adopter une nouvelle loi sur le même sujet. Ils doivent seulement respecter ce qu’a dit la Cour dans son arrêt. D’ailleurs, la Cour constitutionnelle émet souvent dans ces arrêts d’annulation des pistes que le législateur pourrait suivre afin de réparer ses erreurs. Ce contrôle découle du concept d’État de droit. Celui-ci exige que tout le monde (les élu.es, les citoyen.nes, les juges, …) respecte les règles de droit. Il s’agit d’une garantie contre l’arbitraire et l’abus de pouvoir des parlementaires. 

L’État de droit est une condition indispensable de la démocratie. Sa fragilité a été révélée par les régimes dont les lois, adoptées par les élus du peuple, ont mis en place des systèmes autoritaires et/ou racistes. C’est pour prévenir ces dérives que la grande majorité des démocraties, ont décidé de se munir d’une Cour constitutionnelle. Celle-ci veille à ce qu’un groupe d’élu·e·s n’adoptent pas une loi qui serait contraire aux droits les plus fondamentaux, par exemple d’une minorité linguistique. 

Dans l’État de droit, la démocratie doit primer“ : à nuancer.  

Cette phrase avance, à tort, que le “Volksberoep” serait une avancée démocratique. Pour l’instant, la seule manière de renverser, indirectement, un arrêt de la Cour constitutionnelle est de modifier la Constitution. Or, une telle modification passe par une procédure lourde et stricte. Celle-ci demande notamment la tenue d’élections afin que les citoyen·ne·s puissent donner leur avis sur cette modification. Grâce à ces élections, les citoyen·ne·s peuvent, par exemple, voter pour un ou une élu·e en fonction de sa promesse de campagne concernant la modification de la Constitution en question. Les citoyen·ne·s ont donc la possibilité de se prononcer en faveur ou en défaveur d’une telle modification de la Constitution avec l’effet que cela entraine sur la lecture qu’en fait la Cour constitutionnelle. 

La N-VA propose que les élu·e·s puissent, par le biais d’une loi, renverser un arrêt d’annulation de la Cour constitutionnelle. Or, dans ce cas, les citoyen·ne·s ne peuvent pas se prononcer sur l’opportunité du “Volksberoep” par le biais des élections. Le mécanisme est donc moins démocratique que celui existant aujourd’hui.  

De plus, l’État de droit nécessite le respect du principe de la séparation des pouvoirs. Or, le système proposé créé un déséquilibre dans la séparation des pouvoirs. Le Roi, le parlement et les juges sont indépendants. Par exemple, la Cour constitutionnelle se limite à défaire les lois, sans toutefois les écrire. Avec le mécanisme du “Volksberoep”, les parlementaires peuvent juger à la place de la Cour et lui imposer leur version finale. L’équilibre est donc rompu. 

Enfin, comme le souligne Patricia Popelier, professeure à l’Universiteit Antwerpen1, la Démocratie et l’État de droit ne doivent pas spécialement primer l’un sur l’autre. La première légitimise les élu·e·s, le second empêche leurs excès de pouvoir.  

Le “Volksberoep” tel que présenté aujourd’hui par la N-VA n’est pas comparable au mécanisme de la notwithstanding clause / clause dérogatoire en vigueur au Canada.  

Le mécanisme canadien permet aux législateurs canadiens de maintenir une loi qui a été jugée contraire aux droits fondamentaux. Ce système est fort critiqué et souvent utilisé sur des questions communautaires. En toute hypothèse, une telle loi ne peut durer que cinq ans, soit la durée d’une législature. Ainsi, les citoyen·ne·s peuvent sanctionner ou redonner leur confiance aux parlementaires qui ont utilisé la clause dérogatoire. On retrouve ici la garantie démocratique de la participation directe des citoyen·ne·s, tout comme pour la modification de la Constitution belge. Une garantie qui n’est pas prévue par la N-VA. 

Par quelque côté qu’on l’aborde, la proposition de la N-VA est donc inconstitutionnelle. Et s’il fallait admettre alors une modification de la Constitution, une telle modification porterait en réalité atteinte tant à la démocratie qu’à l’État de droit.

(mise à jour du 23 mars 2023) Contactée par nos soins, la N-VA reconnaît la nécessité de modifications structurelles des textes constitutionnels pour mettre en oeuvre ses propositions, en soulignant que “c’est précisément la tâche de chaque parti politique de faire des propositions qu’il estime bénéfiques pour la société, quel que soit le processus à suivre”. Elle ajoute que ses propositions “sont actuellement soumises à la démocratie interne du parti et sont le fruit d’un travail d’étude solide et d’exercices de réflexion créative”. Cette réponse s’abstient cependant de réagir à la violation potentielle de l’Etat de droit que nous dénonçons.

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La Belgique ne devrait appliquer que les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme par lesquels elle a été condamnée. Une proposition de Sander Loones (NV-A).

De Standaard, 28 février 2023

Depuis plusieurs années, la N-VA, parti nationaliste flamand, dénonce les “juges militants” de la Cour européenne des droits de l’homme, qui font du droit international un carcan qui empêche les Etats de prendre des dispositions qui leur semblent logiques. C’est la raison pour laquelle Sander Loones, député NV-A, propose que la Belgique ne soit contrainte d’appliquer que les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme par lesquels elle est condamnée. Un arrêt contre un autre État membre du Conseil de l’Europe ne devrait avoir aucun impact sur l'État belge, selon lui. Une telle affirmation est pourtant contraire aux traités européens.

Cathy Bodson, étudiante en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Pierre-Olivier de Broux, professeur à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, le 22 mars 2023

Pourquoi nous soumettons-nous aux jugements de Strasbourg relatifs à d’autres pays, dans lesquels nous ne sommes pas nous-mêmes impliqués ?” : ce sont les mots prononcés par Sander Loones, député N-VA, à propos des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).   

Comme explicité par nos homologues français au sujet des propos de Nicolas Dupont-Aignan, de Marine Le Pen et de Guillaume Peltier, un telle question pose problème au regard du droit européen.  

Quelle est la valeur de la jurisprudence de la CEDH en Belgique ?  

Un arrêt de la CEDH a force obligatoire et l’état concerné doit exécuter la décision de la cour, ce qui est spécifié par l’article 46 de la Convention européenne des droits de l’homme 

Dans l’affaire Irlande c. Royaume-Uni de 1978, la CEDH rappelle le rôle de ses arrêts : ils “servent non seulement à trancher les cas dont elle est saisie, mais plus largement à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention et à contribuer de la sorte au respect, par les États, des engagements qu’ils ont assumés en leur qualité de Parties contractantes”.  

Cela signifie donc que les juridictions nationales doivent “se plier à l’autorité de la chose jugée interprétée”, bien qu’une marge d’appréciation, “qui dépend des circonstances de l’affaire et des droits et libertés en cause”, soit laissée aux magistrats, en vertu du Protocole n°15 de la convention européenne des droits de l’homme.  

La proposition de la N-VA pourrait-elle être appliquée ?  

Si la proposition de Sander Loones était suivie par le monde politique belge, il y aurait deux manières de l’appliquer.   

La Belgique pourrait demander une modification de la Convention européenne des droits de l’homme et, plus précisément de son article 46. Cette modification devrait faire l’unanimité des membres du Conseil de l’Europe. Cependant, comme les Surligneurs France le soulignaient en 2022, “cela reviendrait à vider de son sens la Convention européenne des droits de l’homme puisque les États n’auraient plus à respecter son interprétation par la Cour”. Une telle révision semble dès lors peu probable.  

La deuxième possibilité pour la Belgique serait d’activer l’article 58 de la Convention européenne des droits de l’homme et ainsi se délier des obligations qui y sont prévues, en ce compris l’article 46, moyennant un délai de préavis de 6 mois. Toutefois, comme le mentionnent nos homologues français, “le Conseil de l’Europe a pris l’habitude de conditionner l’adhésion de ses membres à la ratification de la Convention européenne des droits de l’homme. Donc si un pays décide de sortir de la Convention, il paraîtrait logique qu’il soit aussi exclu du Conseil de l’Europe”.  

Sander Loones a-t-il vraiment envisagé toutes les conséquences d’une telle proposition ?

Contactée par nos soins, la N-VA n’a pas répondu à nos sollicitations.

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La requête en récusation du juge d’instruction Michel Claise 

Le Soir, 23 février 2023

Michel Claise, le juge d’instruction belge chargé de l’affaire du Qatargate, un dossier de corruption présumée au sein du Parlement européen, a dû se retirer provisoirement de l’affaire en raison d’une accusation de partialité formulée par Marc Tarabella, un eurodéputé inculpé dans le cadre de cette affaire. En effet, son avocat, Maxime Töller, accuse le juge Claise de présumer de la culpabilité de son client, en ayant utilisé le présent au lieu du conditionnel, dans la motivation du mandat d’arrêt décerné à l’encontre de son client. Mr Töller soutient ainsi : “Il s’agit de la façon dont le mandat d’arrêt est formulé. Il n’y a pas d’utilisation du mode conditionnel. Il n’est pas acceptable que dans le premier acte de procédure rédigé à l’encontre de M. Tarabella, on se base sur le principe qu’il est coupable, qu’il a accepté de l’argent. Nous contestons tout ce qui lui est reproché”.

Qu’est-ce qu’une requête en récusation ? Pourquoi en parle-t-on dans cette affaire ?

Charlotte Gallée, étudiante en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain, professeure à l’Université Saint-Louis –Bruxelles, le 19 avril 2023.

Michel Claise, le juge d’instruction belge chargé de l’affaire du Qatargate, un dossier de corruption présumée au sein du Parlement européen, a dû se retirer provisoirement du procès en raison d’une accusation de partialité formulée par Marc Tarabella, un eurodéputé inculpé dans le cadre de cette affaire. En effet, Maxime Töller, l’avocat de M. Tarabella accuse le juge Claise de présumer de la culpabilité de son client en ayant rédigé son mandat d’arrêt au présent au lieu du conditionnel. “Il semble considérer pour acquis les faits à charge sur lesquels il enquête”, dit Mr Töller. 

Mise en contexte : L’affaire du Qatargate 

Il s’agit d’un scandale de corruption au sein du Parlement européen. L’affaire a éclaté en décembre 2022, mais les faits remontent à 2021. Plusieurs eurodéputés sont accusés d’avoir accepté d’influencer les décisions en faveur du Maroc et du Qatar en échange de sommes d’argent. L’enquête est dirigée par le juge d’instruction Michel Claise, spécialiste de la criminalité financière, et l’Office central pour la répression de la corruption. La justice belge déclare qu’un pays du golf est soupçonné “d’influencer les décisions économiques et politiques du Parlement européen, en versant des sommes d’argent conséquentes ou en offrant des cadeaux importants à des tiers ayant une position politique et /ou stratégique significative au sein du Parlement européen”.  

C’est quoi une requête en récusation ? 

La requête en récusation peut prendre place dès qu’un magistrat, en l’occurrence ici le juge Claise, laisse planer un doute quant à son indépendance ou son impartialité. L’indépendance et l’impartialité sont deux éléments fondamentaux du procès équitable, consacré par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. L’indépendance implique que le juge doit être libre de statuer à l’abri de toute pression, même venant de son chef de corps. Il n’est dépendant de personne, ni des autres pouvoirs, ni de ses collègues. L’impartialité, quant à elle, impose aux juges de mettre de côté leurs croyances et préjugés et de rendre une décision juste et totalement neutre.   

À titre d’exemple, le juge d’instruction Joris Raskin a été récusé en 2018 au cours d’un dossier de fraude et de corruption dans le milieu du football belge (affaire dite du Football gate). Selon les avocats des inculpés, le juge Raskin manquait d’impartialité au cours de son enquête, étant donné qu’il appartenait à la commission des licences de l’Union belge de football. Suite à l’introduction d’une requête en récusation il s’est vu dessaisi de l’affaire. 

Les articles 828 à 847 du Code judiciaire règlent la matière de la récusation. L’article 836 du Code précise, qu’une fois la requête lancée, le juge concerné dispose de deux jours pour faire entendre son point de vue ou, au contraire, s’abstenir. Le juge Claise n’a pas manqué de faire entendre son désaccord sur cette requête. Il nie en effet toute accusation de partialité dans le cadre de cette affaire et ne voit aucune raison qui le pousserait à s’en écarter. 

Qu’en est-il aujourd’hui ? 

La Cour d’appel de Bruxelles a rendu son jugement le 14 mars 2023, Michel Claise n’est pas écarté de l’affaire du Qatargate. La requête en récusation a été rejetée par la Cour qui considère que le juge d’instruction n’a pas violé la présomption d’innocence de Marc Tarabella et n’a dès lors pas préjugé de sa culpabilité en rédigeant son mandat d’arrêt au présent.  

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Deux députées du MR portent plainte pour injure publique qualifiable de délit de presse, la cour d’assises peut-elle être saisie ? 

RTBF, 22 février 2022

À la suite d’un montage "injurieux et calomnieux" et des insultes à répétition sur les réseaux sociaux, les deux élues du Mouvement Réformateur (MR) Marie-Christine Marghem et Aurélie Czekalski ont porté plainte avec constitution de partie civile entre les mains d'un juge d’instruction.

La Cour de cassation a considéré, à plusieurs reprises, que les propos à caractère haineux et injurieux constituent un délit de presse et doivent dès lors être jugés par la cour d’assises. Cependant, à ce jour, la mise en place d'un procès d’assises reste difficile, particulièrement en ce qui concerne les délits de presse commis sur les réseaux sociaux.

Sefu Asha Amanda, étudiante en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Valentin Speleers, assistant à l’Université Saint-Louis - Bruxelles et à l’UCLouvain, Bruxelles, le 27 mars 2023.

Les injures publiques dont sont victimes les deux élues du Mouvement Réformateur peuvent être qualifiées de délit de presse. En effet, dans un arrêt du 7 octobre 2020, la juridiction suprême qu’est la Cour de cassation a considéré que les propos à caractère haineux et injurieux constituent un délit de presse. Seule la cour d’assises est compétente pour juger ce type de faits sur la base de l’article 150 de la Constitution.  

La Cour de cassation a, dans son arrêt du 6 mars 2012, définit le délit de presse comme “l’expression d’une opinion punissable dans un texte reproduit par voie d’imprimerie ou par un procédé similaire. La diffusion numérique constitue un procédé similaire”.  

En 1999, le Constituant a introduit une exception à l’article 150 de la Constitution, en ce qui concerne les délits de presse ayant pour fondement le racisme ou la xénophobie, ceux-ci relevant désormais de la compétence des tribunaux correctionnels. 

La révision de cet article a été faite sous l’impulsion la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, faite à New York le 7 mars 1966 et approuvée par la loi du 9 juillet 1975“. Le but de cette correctionnalisation a été de mettre fin sans délai à toute forme de discrimination raciale, mais aussi d’éviter la propagation d’idées racistes, xénophobes ou négationnistes.   

Un écho à la récente condamnation, par une cour d’assises, de l’auteur de propos injurieux sur les réseaux sociaux  

Cette actualité fait écho à l’affaire qui a conduit la cour d’assises de Liège à condamner, par arrêt du 13 octobre 2021, un homme reconnu coupable de délit de presse, pour avoir tenu sur les réseaux sociaux, des propos haineux à l’encontre des femmes.   

La lourdeur de la procédure d’assises a-t-elle conduit à une impunité de fait en matière de délit de presse ? 

Par l’exception introduite à l’article 150 de la Constitution, le Constituant a souhaité confier au jury populaire, la compétence exclusive de statuer sur les délits de presse. Pourtant, les poursuites pour délits de presse se comptent sur les doigts d’une main. En effet, la lourdeur de la procédure d’assises ainsi que la difficulté qu’il y a à la mettre en œuvre pousse fortement le parquet à ne pas se saisir de ce type de dossiers.  

Débat au sein du corps électoral : conservation ou suppression de la cour d’assises ? 

Ces dernières années, un débat a pris place au sein du corps législatif belge, sur la suppression éventuelle de la cour d’assises car elle n’est que très rarement mise en place pour connaître de délits de presse.  

Les arguments invoqués pour la suppression de la cour d’assises tiennent essentiellement au temps que doivent consacrer les acteurs mobilisés par les procès d’assises et aux coûts considérables qu’ils génèrent, notamment en termes de sécurité.  

Davantage de poursuites en matière de délit de presse ? 

Le but poursuivi par les deux députées libérales est, notamment, d’inciter la justice à poursuivre les internautes se cachant derrière des pseudonymes.  

En se constituant partie civile et en provoquant l’ouverture d’une instruction, les deux élues veulent éviter que leur plainte soit classée sans suite par le parquet. Si la condamnation par la cour d’assises de Liège des propos tenus sur les réseaux sociaux doit être saluée, la saisine de la cour d’assises pour des délits de presse reste exceptionnelle. Rien n’exclut cependant, dans cette affaire, que les juridictions d’instruction décident de ne pas poursuivre cette affaire devant la cour d’assises, en prononçant un non-lieu. 

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Roberta Metsola déclare que “Le Parlement européen appelle à la création d’un tribunal spécial chargé de traduire en justice tous les responsables de crimes de guerre, des crimes imprescriptibles sur lesquels nous ne pouvons fermer les yeux” 

La Libre, 20 février 2023

Après près d’un de guerre entre la Russie et l’Ukraine, la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a lancé un appel en faveur de la création d'un tribunal spécial chargé de juger les crimes de guerre commis par la Russie. Quel rôle joue la Cour pénale internationale ? Et le Parlement européen, que peut-il faire ?

Lucia Naredo, étudiante en droit à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, sous la supervision de Vincent Couronne, le 24 mars 2023

La Cour pénale internationale n’est-elle pas compétente? 

La Cour pénale internationale a été instituée dans le but de lutter contre ces mêmes crimes. 

En effet, dans le Statut de Rome, régissant la CPI, nous retrouvons en son article 5, les quatre catégories de crimes relevant de sa compétence : le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression.  

La compétence de la Cour pénale internationale (CPI) pour enquêter sur les crimes de guerre en Ukraine suscite des interrogations, en raison de l’absence de la Russie et de l’Ukraine en tant que parties au Statut de Rome. Toutefois, conformément à l’article 12, §§ 2 et 3 du Statut de Rome, la CPI peut exercer sa compétence lorsqu’un État l’a acceptée moyennant une déclaration. L’Ukraine a ainsi fait deux déclarations, dont la seconde était pour une durée illimitée, permettant à la CPI de puiser sa compétence dans celle-ci. C’est ainsi que la CPI a émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine ce vendredi 17 mars 2023 quand bien même la Russie n’a pas ratifié le Statut créant la CPI ni l’a reconnu.   

Que peut faire l’Europe? 

L’appel de Roberta Metsola, présidente du Parlement européen, à la création d’un tribunal spécial pour juger les crimes de guerre commis par la Russie a déclenché des hésitations quant aux actions concrètes que peut entreprendre l’Union européenne. 

 Concrètement, bien que la CPI soit compétente en la matière, le Parlement européen peut, quant à lui, contribuer à l’idée de ne pas laisser ces faits sans punition. C’est dans ce but que le Parlement peut adopter une résolution. Celle-ci permettrait d’interpeller le Conseil de l’Union européenne et l’inviter à prendre une position commune. Le Parlement européen a déjà adopté deux résolutions depuis le début de l’année :  le 19 janvier 2023 et le 16 février 2023 

Selon l’article 26 du Traité sur l’Union européenne, il appartient, en effet, au Conseil de l’UE d’élaborer la politique étrangère et de sécurité commune et de prendre les décisions nécessaires pour la mettre en œuvre. Cet article invite donc le Conseil à adopter des positions ou actions communes, qui, selon l’article 29 du TUE se définit comme étant « une position de l’Union sur une question particulière de nature géographique ou thématique ». Comme par exemple, la position commune du 29 juin 1998 concernant l’interdiction des vols effectués par des transporteurs yougoslaves entre la République fédérale de Yougoslavie et la Communauté européenne ou la position commune relative à la Sierra Leone. L’adoption d’une position commune par le Conseil sur la création d’un tribunal spécial pourrait ainsi être adoptée par tous les États membres au sein des organisations internationales telles que l’ONU.   

Il est inévitable de défendre cette position commune au sein du Conseil de sécurité des Nations unies car c’est le seul à pouvoir créer ce tribunal spécial. En effet, ledit Conseil a pour vocation d’apporter une solution à un problème concernant le maintien de la paix et de la sécurité internationale. Il l’a déjà fait à deux occasions, une première fois pour la ex-Yougoslavie (TIPY) et une seconde fois pour le Rwanda (TIPR). Pour ce faire, le Conseil de sécurité doit adopter une résolution, appellation donnée aux décisions du Conseil de sécurité. Ces résolutions trouvent leur fondement dans le Chapitre VII de la Charte des Nations unies. Conformément à l’article 27 de la Charte des Nations unies, elles doivent être prises par au moins 9 membres sur les 15 sans qu’il n’y ait de vote négatif de la part d’un des 5 membres permanents.  

En conclusion, lorsque Roberta Metsola appelle à la création d’un tribunal spécial chargé de traduire en justice tous les responsables de crimes de guerre, elle appelle en réalité à l’adoption d’une position commune par le Conseil de l’Union européenne. L’adoption de celle-ci permettrait que les pays membres adoptent ladite position et la défende au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, seul organe capable de créer un tribunal spécial.  

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Pierre-Yves Dermagne souhaiterait : “un système présidentiel belge”, dans lequel “on pourrait envisager une alternance des rôles linguistiques”.

RTL info, 5 février 2023

Lors d’une interview sur le plateau de RTL-TVI, Pierre-Yves Dermagne, le Vice-premier ministre PS, a fait part de son envie d’abolir la monarchie en Belgique. Il souhaiterait instaurer "un système présidentiel, dans lequel on pourrait envisager une alternance des rôles linguistiques". Or, pour changer à ce point le système, c'est une modification radicale de la Constitution qui s’imposerait.

Sherel Mata, étudiante en droit, Université Saint-Louis, sous la supervision de Pierre-Olivier de Broux, professeur en droit public, Université Saint-Louis, le 19 mars 2023.

L’interview du vice-Premier ministre PS, Pierre-Yves Dermagne, a été largement répercutée par la presse (dans LaLibre, Le Soir ou la RTBF, notamment), sans pour autant susciter beaucoup de réactions politiques. Son principal argument, aussi politique que juridique, n’est pas vraiment critiquable : il rappelle son attachement à l’égalité entre les hommes, à laquelle un système de monarchie héréditaire porte par nature atteinte – mais seulement en ce qui concerne la famille royale. Le ministre Dermagne évite cependant toute mention de l’obstacle principal au changement qu’il défend : la révision fondamentale de la Constitution. 

Au niveau de la procédure, tout d’abord. Afin d’insérer le régime présidentiel en Belgique, le processus de réforme constitutionnelle devra être appliquée pour espérer voir une modification du système politique belge. Ce processus commence par une déclaration de révision. Cette déclaration est une liste d’articles de la Constitution dits “ouverts à révision” qui doit être adoptée par le Parlement fédéral (la Chambre des représentant et le Sénat) et par le pouvoir exécutif fédéral (le Roi et son gouvernement). Elle entraîne automatiquement des élections, pour renouveler le Parlement fédéral, et lui permettre de modifier les articles “ouverts à révision”. Si le Parlement décide alors de les modifier, les nouveaux articles devront être adoptés à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés dans chacune des deux chambres.  

Au niveau du fond, ensuite. La modification du régime politique belge aurait un impact sur la vie politique ainsi que sur les prises de décisions qui appartiennent actuellement au Roi. Une révision très large de la Constitution devrait être effectuée afin d’introduire le rôle présidentiel dans la Constitution et d’abroger ou de modifier tous les articles relatifs à la famille royale et aux pouvoirs royaux. Dans certains cas, les solutions sont assez simples à adopter, lorsqu’il suffit de remplacer le terme “roi” par celui de “président”.  Tel pourrait être le cas, par exemple, de l’art 110 de la Constitution qui confère le droit de grâce au Roi, droit qui pourrait assez logiquement être confié à un Président.  

En revanche, d’autres règles constitutionnelles seront bien plus compliqués à modifier car le système monarchique diffère fondamentalement du système présidentiel. Par exemple, l’article 85 dispose que le pouvoir royal est héréditaire. Il devra être remplacé par l’organisation d’élections présidentielles, dans un contexte belge très spécifique, et alors que de telles élections sont organisées de manière très différentes dans les multiples systèmes républicains dans le monde. Le Vice-premier ministre PS propose d’ailleurs une alternance linguistique dans le chef du futur Président. Mais comment l’organiser concrètement, dans une Belgique fracturée entre ses deux grandes communautés linguistiques? Les négociateurs d’une future constitution républicaine belge pourrait par exemple s’inspirer du modèle Suisse, dont le Conseil fédéral représente équitablement les différentes régions et communautés linguistiques. Ce conseil élit le président de la Confédération helvétique en son sein, pour un an. Un tel mandat annuel, en Belgique, pourrait ainsi permettre que le rôle présidentiel soit accordé aux trois communautés à tour de rôle. La fondation d’une république belge devrait également prévenir les blocages récurrents du système politique libanais, qui attribue les trois plus hautes fonctions du pays à ses trois communautés confessionnelles. L’alternance linguistique d’un président belge impliquerait en effet de se pencher également sur le rôle et l’appartenance linguistique du Premier ministre. 

Les ambitions de Pierre-Yves Dermagne nécessitent donc une révision majeure de la Constitution, ainsi qu’une très large majorité autour des solutions à apporter à des questions parmi les plus sensibles du système politique belge. Si, certes, le Vice-premier ministre a précisé qu’il n’envisageait pas de sitôt une telle réforme, celle-ci est en réalité très improbable. 

Contacté par nos soins, Pierre-Yves Dermagne n’a pas répondu à nos sollicitations.

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Philippe Defeyt considère les nouvelles mesures du gouvernement concernant le tarif social en matière d’énergie comme “discriminatoires”

La Libre, 7 février 2023

Ce 6 février 2022, le gouvernement De Croo a décidé de restreindre l'accès au tarif social élargi mis en place en réponse à la crise sanitaire puis énergétique. Selon Philippe Defeyt, économiste à l'Institut pour un développement durable, cette mesure est “scandaleusement discriminatoire”. “Un salarié ou un indépendant, qui a les mêmes revenus qu'un chômeur ou un pensionné, sera exclu du tarif social car il n'a pas le bon statut”, a-t-il déclaré.

Lucia Naredo étudiante en droit à l’Université Saint-Louis – Bruxelles et Pierre-Olivier de Broux, professeur à l’Université Saint-Louis-Bruxelles, le 23 février 2023

L’élargissement du tarif social en matière d’énergie décidé en 2021 s’est principalement appuyé sur le critère des revenus. La nouvelle mesure annoncée par le gouvernement entend revenir aux critères antérieurs, basés sur le statut des personnes (la loi vise essentiellement les personnes en situation de handicap et les bénéficiaires d’un revenu garanti aux personnes âgées ou d’un revenu d’intégration). Selon l’économiste, ce changement de critère va se traduire par une exclusion du tarif social de plus de 400 000 familles. Ainsi, par exemple, un indépendant ayant le même revenu qu’une personne en situation de handicap n’aura plus droit au tarif social, dès lors qu’il ne bénéficie plus d’un des statuts prévus par la loi. Philippe Defeyt dénonce cette décision et la qualifie de discriminatoire.  

Toutefois, ce n’est pas parce qu’une mesure peut paraitre injuste ou dénuée de sens qu’elle est discriminatoire. Le principe d’égalité, que nous retrouvons aux articles 10 et 11 de la Constitution interdit la discrimination active ou passive, c’est-à-dire de traiter différemment des personnes se trouvant dans une situation identique ou de traiter de façon identique des personnes se trouvant dans une situation différente. 

Pour être face à une situation discriminatoire il faut que la différence de traitement concerne deux catégories de personnes placées dans une situation comparable, comme le souligne très régulièrement notre Cour constitutionnelle. Afin d’affirmer que des personnes se trouvent dans une situation comparable, il ne suffit pas qu’ils présentent une caractéristique commune. La Cour de justice de l’Union européenne l’a également précisé dans de nombreux arrêts : « l’examen de ce caractère comparable doit être effectué non pas de manière globale et abstraite, mais de manière spécifique et concrète au regard de la prestation concernée ». Le seul fait de percevoir le même revenu ne suffit donc pas à établir qu’ils se trouvent dans une situation comparable. Les personnes qui pourront bénéficier du tarif social ont un statut particulier, obtenu par ailleurs, sur la base d’autres critères prévus par les différentes réglementations applicables. La situation de toutes les personnes percevant le même revenu n’est donc pas en soi comparable. 

En toute hypothèse, une différence de traitement est autorisée lorsqu’elle se fonde sur un critère objectif de distinction. Dans le cas présent, ce critère est le statut spécifique exigé par la loi. Pour être considéré comme objectif, il doit reposer sur des constatations de fait. Tel est indéniablement le cas des statuts octroyés par les CPAS, la direction générale des personnes handicapées ou le Service public fédéral des pensions. Aucun indépendant ni salarié ne peut y prétendre s’il ne répond pas aux critères spécifiques prévus, notamment d’âge ou d’invalidité, par exemple. Il s’agit de critères qui ne laissent aucune place à l’interprétation ou à la discussion. Dans ce contexte, le critère de distinction est donc objectif. 

Même si la mesure annoncée par le gouvernement soulève des questions importantes à propos de l’égalité des droits et de la lutte contre la précarité énergétique, elle ne peut donc pas pour autant être qualifiée de discriminatoire. 

Contacté par nos soins, Philippe Defeyt a défendu de manière circonstanciée les discriminations qu’il dénonce, en soulignant notamment l’importance des “pièges à l’emploi” pour les chômeurs, les salariés et les indépendants qui auraient des revenus inférieurs au revenu d’intégration sociale ou au revenu garanti aux personnes âgées. Il insiste sur le fait que “ces discriminations existaient avant février 2021; on les a juste rétablies”. Il conclut : “Il y a du pain sur la planche pour réformer le tarif social en profondeur (quand ?) et intégrer toutes les aides en matière énergétique”. Si la conclusion de Philippe Defeyt n’est pas critiquable en soi, la démonstration d’une discrimination n’est cependant pas établie par sa réponse, puisqu’il se limite à exposer les différences de revenus entre des catégories de personne qui ne sont pas manifestement comparables. 

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Selon Federica Mogherini, l’Union européenne “établit des normes au niveau mondial” 

La Libre, 7 février 2023

Federica Mogherini, ancienne haute représentante des affaires étrangères de l’Union européenne confie lors d’une interview au quotidien La Libre que l’Union européenne “établit des normes au niveau mondial”. Or, en droit, l’Union européenne est seulement compétente pour établir des normes au sein de l’espace de l’Union européenne, quand bien même la législation européenne peut avoir une influence mondiale.

Rania Sabaouni, étudiante en droit à l’Université Saint-Louis Bruxelles, supervisé par Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay, le 22 février 2023

À quelques heures des Grandes Conférences catholiques, Federica Mogherini, ancienne Haute représentante des Affaires étrangères de l’Union européenne, s’est entretenue avec les journalistes de La Libre pour discuter du parcours effectué par l’Union européenne et ses projets futurs. Les journalistes présents ont posé une variété de questions sur différents sujets d’intérêt, et notamment sur ce qui manquait à l’Union européenne pour avoir un plus grand impact sur la scène internationale.  

Mogherini a répondu : “L’Union ne manque de rien. Nous sommes puissants en termes normatifs, puisque nous établissons des normes au niveau mondial“. Sa réponse laisse entendre l’existence d’une suprématie européenne.  

Cependant, en droit, l’Union européenne ne peut nullement établir des normes au niveau mondial. Selon le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,la portée des normes de l’Union européenne s’applique aux États membres, aux institutions et aux citoyens de l’Union européenne. En droit, le principe est que tout ordre juridique est limité par l’espace géographique qu’il gouverne. En d’autres mots, les normes édictées par un État ou une organisation s’appliquent aux institutions et aux particuliers se trouvant sur son territoire. Un exemple clair de cette règle peut être les normes prises en Belgique. Les normes prises par le parlement fédéral s’appliquent à l’entièreté du pays, là où les normes prises par le parlement fédéré de la région wallonne ont vocation à s’appliquer seulement sur le territoire de la région wallonne. 

Les normes de l’Union européenne exercent cependant une influence significative à l’échelle mondiale dans de nombreux domaines, notamment le commerce, l’environnement, la protection des consommateurs et la politique étrangère. Cette capacité d’influence est appelée « effet Bruxelles », un phénomène théorisé par Anu Bradford, de l’université Columbia aux États-Unis et largement.  

L’effet “Bruxelles” fait référence à la tendance des entreprises et des États dans le monde à se conformer aux normes et réglementations de l’UE afin de pouvoir opérer sur le marché européen. L’Union européenne, étant l’un des plus grands marchés au monde et pesant 20 % du PIB mondial, les entreprises et les États effectuent face à cela un calcul d’opportunité et en concluent qu’il est plus pratique et bénéfique de s’accorder aux normes de l’Union, qui sont souvent les plus élevées et contraignantes. Certaines entreprises ou États dans le monde prennent en considération les normes et les réglementations de l’UE dans leurs activités commerciales pour éviter d’être exclues d’un marché de presque 500 millions de consommateurs au pouvoir d’achat parmi les plus élevés au monde.  

A titre d’exemple, Coca-Cola a dû mettre en place des politiques notamment en matière d’étiquetage afin de se conformer aux exigences de l’UE qui comprennent des informations sur les allergènes, la quantité de sucre et la valeur notionnelle. De plus, elle a dû s’accorder aux normes alimentaires conformément au règlement (CE) n° 178/2002 sur la sécurité alimentaire ou encore même en matière de publicité qui comprend l’obligation d’inclure des avertissements de santé.   

En somme, l’affirmation de Federica Mogherini selon laquelle l’Union européenne “établit des normes mondiales” est juridiquement fausse. Néanmoins, l’Union européenne, dans les faits, possède une influence notable dans de nombreux domaines. 

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Ballons chinois abattus par les autorités américaines : une question d’altitude

En l’espace de dix jours, un ballon et plusieurs "ovnis" chinois survolant le territoire américain ont été abattus par les autorités. Une internaute affirme qu’en prenant la décision d’abattre le premier ballon le 4 février, les États-Unis auraient créé un précédent puisque le droit international ne différencie pas le ballon du satellite. C’est faux : les deux "objets" évoluent dans des espaces différents qui ne sont pas soumis aux mêmes régimes juridiques.

Raphaël Costa, doctorant en droit international à l’Institut du Droit de l’Espace et des Télécommunications (IDEST), Université Paris-Saclay, avec la participation de Juliette Bezat, journaliste, le 16 février 2023

Le 4 février, une internaute affirmait sur Twitter : “Juridiquement, en droit international, en quoi le ballon [chinois] diffère-t-il du satellite ? Les États-Unis ont créé un précédent. Non seulement la Chine, mais aussi la Russie [peuvent] avoir maintenant l’occasion et le droit d’abattre des satellites américains survolant leurs territoires. Or, les traités internationaux ne distinguent pas le droit applicable à ces deux engins selon leur nature mais selon l’altitude à laquelle ils évoluent. Les américains ne créent donc pas de “précédent” et cette action est légale. Explications.

BALLONS ET SATELLITE : UNE QUESTION D’ALTITUDE

Tout d’abord, les deux objets n’évoluent pas dans les mêmes espaces : un satellite, même en orbite basse, évolue dans l’espace dit extra-atmosphérique, généralement entre 2000 et 3000 km d’altitude, alors qu’un ballon “météorologique” (mais aussi la plupart des aéronefs, etc.) évolue généralement à une altitude de 6 à 12 km.

Selon le Traité de l’espace de 1967 (signé et ratifié par plus de 110 États, parmi lesquels toutes les puissances spatiales), l’espace extra-atmosphérique est libre d’utilisation par tous les États (art.1), y compris pour les utilisations militaires, à condition que celles-ci ne soient pas agressives et qu’aucune arme de destruction massive ne soit placée en orbite (art.4). Ainsi, il est tout à fait possible de survoler un État et de l’observer depuis l’espace extra-atmosphérique qui commence à environ 100 km d’altitude (l’espace extra-atmosphérique est donc plus près de Paris que Limoges !). Enfin, il est interdit d’abattre un satellite étranger et espion s’il respecte les conditions évoquées.

Dans le cas qui nous intéresse, les ballons évoluaient à une altitude située entre 6 et 20 km, et par conséquent, dans l’espace aérien des États-Unis et du Canada. Ils ne relèvent donc pas du droit spatial mais du droit aérien.

TOUT APPAREIL QUI TRAVERSE L’ESPACE AÉRIEN D’UN ETAT SANS SON ACCORD EN VIOLE LA SOUVERAINETÉ

Les États sont souverains sur leurs territoires terrestre, maritime mais aussi aérien (art. 1 de la Convention de Chicago de 1944). Leur espace aérien est constitué par la couche de 100 km de hauteur surplombant leur territoire terrestre et maritime. Par conséquent, tout appareil (aéronef, ballon météo, etc.) qui traverse l’espace aérien d’un État sans son accord viole sa souveraineté. Dès lors, aucun précédent n’est créé par les Américains puisque ce qui distingue le ballon d’un satellite, juridiquement, est l’altitude à laquelle il évolue. Ici, l’altitude est capitale car elle permet d’identifier le régime juridique applicable.

COMMENT LA LIMITE ENTRE LES ESPACES AÉRIEN ET EXTRA-ATMOSPHÉRIQUE EST-ELLE DÉFINIE DANS LES TRAITÉS INTERNATIONAUX ? 

Les traités internationaux ne définissent pas strictement la limite entre les deux espaces. Néanmoins, lorsque deux régimes juridiques sont opposés, les règles d’interprétation des traités renvoient au langage et aux définitions usuels des termes. Dès lors, on estime que l’espace commence à partir de 100 km d’altitude. L’absence de définition claire peut être problématique lorsque des activités se déroulent dans un périmètre proche des 100 kilomètres : il est alors plus difficile de déterminer le régime juridique applicable. C’est le cas pour des vols suborbitaux de tourisme spatial, par exemple.

Mais tel n’est pas le cas des ballons chinois qui, localisés bien en dessous des 100 kilomètres d’altitude, se trouvaient clairement dans l’espace aérien américain. Par ailleurs, la majorité des avions de ligne volant entre 5 et 12 kilomètres d’altitude, le Pentagone a pu invoquer un risque pour l’aviation civile et abattre certains ballons, peu importe leur fonction.

Reste que  la souveraineté des États doit nécessairement être limitée en altitude. L’écrivain Arthur C. Clarke, scénariste du film réalisé par Stanley Kubrick, 2001 : L’Odyssée de l’espace, faisait écho aux débats qui avaient agité les diplomaties en pleine guerre froide dans les années 50, dans un essai datant de 1968, que si les États pouvaient revendiquer des droits sans limites d’altitude au-dessus de leurs territoires, vu que ceux-ci sont situés sur une planète en rotation sur elle-même et autour du Soleil, en seulement 24 heures, n’importe quel État pourrait s’estimer légitime à revendiquer et s’approprier n’importe quelle zone de la galaxie…

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“Toutes les réformes majeures ont été introduites de manière extralégale puis légalisées”, assène Bart De Wever 

RTBF, 29 janvier 2023

À un an des élections, les partis politiques du sud comme du nord du pays commencent à présenter leurs propositions électorales. La dernière idée choc de Bart de Wever, président de la N-VA et bourgmestre d’Anvers, est de modifier la répartition des compétences entre les différentes entité belge de manière “extralégale”, en allant jusqu’à affirmer que cela a déjà été réalisé de nombreuses fois dans le passé. L’homme politique, bien qu’il soit aussi historien, détourne tout de même sans états d’âme la réalité juridique et politique des réformes passées qu’il vise.

Amadou Barry, étudiant en droit à l’Université Saint-Louis – Bruxelles et Pierre-Olivier de Broux, professeur de droit public à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, le 29 mars 2023 (mis à jour le 20 avril 2023)

Le président de la N-VA, Bart De Wever, souhaite parvenir à une Belgique confédérale après les élections de 2024, même si cela nécessite une “réforme extralégale”. Il est possible que “extralégal” ne soit pas synonyme d'”illégal“, mais il faut rappeler à Bart De Wever qu’il y a une limite à respecter dans un État de droit, à savoir la Constitution. 

Pour créer une Belgique confédérale, il faudrait modifier structurellement la Constitution et donner toujours plus d’autonomie aux entités fédérées. Un tel projet implique nécessairement une réforme constitutionnelle qui respecte les procédures énoncées à l’article 195 de la Constitution. Des obstacles difficiles à surmonter, comme nous l’avons déjà surligné, et Bart De Wever le sait bien. D’où l’invocation de procédés “extralégaux”, prétendûment inspiré de l’histoire constitutionnelle belge. 

Le législateur peut se montrer créatif… 

La Constitution étant difficile à modifier, cela a souvent poussé le législateur à faire preuve d’originalité et d’inventivité pour faire face à des situations de crise. Deux exemples historiques de cette créativité ont été cités par Bart De Wever pour soutenir sa proposition. 

Le premier exemple concerne la solution trouvée par les partis politiques belges en 1919, juste après la fin de la Première Guerre mondiale, pour instaurer le suffrage universel masculin. À cette époque, le système de vote inscrit dans la Constitution était le suffrage universel tempéré par le vote plural, ce qui signifiait que tous les hommes avaient le droit de vote, mais certains hommes avaient plus d’une voix. Pourtant, les nouvelles élections organisées par la loi du 9 mai 1919 ont eu lieu sans vote plural: tous les hommes ne pouvaient plus donner qu’un seul vote. Et ce, alors que la Constitution n’avait pas été modifiée. 

Le deuxième exemple concerne la création de conseils culturels autonomes dans les années 1970. À cette époque, les francophones et les néerlandophones se sont accordés pour confier plus d’autonomie aux deux communautés linguistiques pour les matières culturelles et pour l’enseignement. A cette fin, les députés de la Chambre des représentants et ceux du Sénat ont été divisés en groupes linguistiques. Chacun de ces groupes formait un conseil culturel compétent dans les matières culturelles et d’enseignement. Selon Bart De Wever, ce transfert de compétences n’était pas inscrit dans la constitution, mais seulement dans une loi spéciale. Et ce transfert n’imposait nullement le partage des portefeuilles ministériels qui ont suivi, en scindant la politique de l’enseignement au sein du gouvernement (un ministre francophone devenant responsable pour l’enseignement francophone et un ministre flamand pour l’enseignement flamand). 

… tout en respectant la Constitution.

Cependant, Bart De Wever est dans l’erreur en prétendant que ces exemples ont été mis en place de manière “extra-légale”. 

Dans le premier exemple, même si les élections se sont déroulées selon des modalités différentes de celles prévues dans la Constitution, cela s’explique par la situation exceptionnelle du pays à la fin de la Première Guerre mondiale, guerre qui a causé la perte des informations et documents nécessaires au vote plural. Ainsi, comme le soulignent les députés au Parlement en 1919, “le Parlement, constatant l’impossibilité d’appliquer le suffrage plural aux élections qui s’imposent à bref délai, se verra forcé de prendre une mesure exceptionnelle, limitée, bien entendu, à ce seul et unique cas de nécessité”. Si cette loi ne respecte pas la lettre de la Constitution, une large majorité d’acteurs et de commentateurs ont estimé qu’elle en respectait l’esprit.  

Dans le deuxième exemple, contrairement à ce que prétend Bart De Wever, il n’y a pas eu de transfert “extra-légal” de compétences aux conseils culturels. Ces conseils ont été explicitement créés et dotés de compétences par la révision de la Constitution en 1970 (voy. l’article 59bis dans le texte de l’époque), laquelle renvoyait ensuite tout aussi explicitement à la loi pour mettre en œuvre cette réforme, lois qui ont été respectivement adoptées le 3 juillet 1971 (par une majorité ordinaire) et le 21 juillet 1971 (par une majorité spéciale), sans que le moindre élément “extra-légal” n’apparaisse à ces occasions. Et si la scission linguistique des portefeuilles ministériels de l’enseignement n’était pas prévu par la Constitution, rien ne l’empêchait non plus : cela ne peut pas davantage être considéré comme “extra-légal”. 

Les exemples avancés par le président de la N-VA ne viennent donc pas au secours de la volonté affichée par Bart De Wever d’agir de manière “extra-légale”. Comme le souligne le commentateur politique flamand Ivan De Vadder, cette proposition ne serait en réalité que le symptôme de l’isolement de plus en plus visible du président de la N-VA. Contrairement aux exemples historiques qu’il a invoqués, caractérisés par un consensus très fort des partis politiques à la manœuvre, le bourgmestre d’Anvers est bien seul pour tenter de faire croire à la possibilité de nouvelles réformes sans révision de la Constitution.  

Contacté par nos soins, Bart De Wever n’a pas répondu à nos sollicitations. 

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TRIBUNAL SPÉCIAL CHARGÉ DE POURSUIVRE LE CRIME D’AGRESSION CONTRE L’UKRAINE : POURQUOI LES TRIBUNAUX INTERNATIONAUX DÉJÀ EXISTANTS NE PEUVENT ÊTRE SAISIS

À tous ceux qui réclament la création d’un tribunal chargé de juger les agissements de la Russie en Ukraine, il est tentant de répondre qu’il existe déjà une cour internationale compétente pour les crimes d’agression, il s’agit de la Cour pénale internationale (CPI), créée en 1998. Selon le Statut de Rome (qui est en quelque sorte le règlement de cette cour), la compétence de la CPI (en d’autres termes son champ d’action) se limite aux crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale. Il s’agit des crimes suivants : le crime de génocide ; les crimes contre l’humanité ; les crimes de guerre ; le crime d’agression. Et pourtant, la CPI ne peut pas juger le cas de l’agression de l’Ukraine par les dirigeants russes.

Autrice : Halyna Dmytrychenko-Kuleba, master de droit de l’Union européenne, Université de Lille / Relecteur : Raphaël Maurel, maître de conférences en droit public, chercheur au CREDIMI et au CEDIN, secrétaire général adjoint du Réseau francophone de droit international / Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay / Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Emma Cacciamani / Création : le 26 janvier 2023 Dernière modification : le 27 janvier 2023

LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE (CPI) JUGE BIEN LES CRIMES D’AGRESSION MAIS ILS N’ÉTAIENT PAS DÉFINIS AVANT 2018

La Cour pénale internationale ne juge les crimes d’agression que depuis le 17 juillet 2018 à la suite des amendements dits de Kampala en 2010 qui ont modifié le Statut de Rome en y ajoutant la définition du crime d’agression et en déterminant les conditions dans lesquelles la CPI peut juger ces crimes.

Le crime d’agression est défini comme la planification, la préparation, le lancement ou l’exécution, par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un État, d’un acte d’agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies”. Ainsi, constitue un acte d’agression “l’emploi par un État de la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations-Unies”.

Cette définition est assortie d’une liste exhaustive. Ainsi, sont des agressions, qu’il y ait ou déclaration de guerre ou non, les actes suivants:

  • L’invasion ou l’attaque par les forces armées d’un État du territoire d’un autre État ou l’occupation militaire, même temporaire, résultant d’une telle invasion ou d’une telle attaque, ou l’annexion par la force de la totalité ou d’une partie du territoire d’un autre État ;
  • Le bombardement par les forces armées d’un État du territoire d’un autre État, ou l’utilisation d’une arme quelconque par un État contre le territoire d’un autre État ;
  • Le blocus des ports ou des côtes d’un État par les forces armées d’un autre État ;
  • L’attaque par les forces armées d’un État des forces terrestres, maritimes ou aériennes, ou des flottes aériennes et maritimes d’un autre État ;
  • L’emploi des forces armées d’un État qui se trouvent dans le territoire d’un autre État avec l’agrément de celui-ci en contravention avec les conditions fixées dans l’accord pertinent, ou la prolongation de la présence de ces forces sur ce territoire après l’échéance de l’accord pertinent. 
  • Le fait pour un État de permettre que son territoire, qu’il a mis à la disposition d’un autre État, serve à la commission par cet autre État d’un acte d’agression contre un État tiers ;
  • L’envoi par un État ou au nom d’un État de bandes, groupes, troupes irrégulières ou mercenaires armés qui exécutent contre un autre État des actes assimilables à ceux de forces armées d’une gravité égale à celle des actes énumérés ci-dessus, ou qui apportent un concours substantiel à de tels actes”.

LES PEINES ENCOURUES

Lorsqu’elle constate de tels actes, la CPI peut engager la responsabilité pénale individuelle du dirigeant du pays agresseur (et pas la responsabilité du pays-même) : cela signifie que Vladimir Poutine et d’autres dirigeants qui exercent un contrôle effectif sur l’appareil politique ou militaire de la Russie pourraient être traduits personnellement devant la CPI.  Ainsi, les Tribunaux militaires internationaux de Nuremberg, de Tokyo, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie sont quelques exemples ayant permis de juger les  hauts responsables des États pour les crimes les plus graves de droit international.

Au début, la plus sévère des condamnations pour les crimes d’agressions fut la peine de mort. Le Tribunal militaire international Nuremberg a condamné 12 personnes à mort, parmi lesquels les hauts dignitaires du régime nazi, notamment Ribbentrop (ministre des affaires étrangères) et Goering (dirigeant de premier plan du parti nazi et du gouvernement du Troisième Reich). De nos jours, la CPI peut infliger une peine d’emprisonnement n’excédant pas 30 ans. Toutefois, si l’extrême gravité du crime le justifie, la Cour peut prononcer une peine d’emprisonnement à perpétuité.

MAIS EN L’ÉTAT DU DROIT, LA CPI NE PEUT  PAS JUGER LES DIRIGEANTS RUSSES

D’abord, ni l’Ukraine ni la Russie ne reconnaissent la compétence de la CPI pour les crimes d’agression.

Ensuite, le Conseil de sécurité des Nations-Unies, qui peut saisir la CPI, serait systématiquement bloqué par le veto russe. En effet, le Procureur de la CPI, chargé des poursuites, ne peut mener une enquête sur un crime d’agression que si le Conseil de sécurité a d’abord constaté l’existence d’un acte d’agression, après en avoir été informé par le Secrétaire général des Nations-Unies.

Le Procureur peut contourner l’obstacle en demandant à la CPI de l’autoriser à ouvrir une enquête, mais encore faut-il que le Conseil de sécurité ne s’y oppose pas.

QUELLES ALTERNATIVES À LA CPI  ?

Le fait d’agression commis par la Russie contre l’Ukraine a été vite reconnu par l’Assemblée générale des Nations-Unies, comme une violation de la Charte des Nations-Unies. Mais cela ne permet pas de lancer les poursuites sans passer par le Conseil de sécurité, sauf à interpréter le Statut de Rome de manière très extensive comme le proposent certains universitaires : il faudrait que certains articles du Statut de Rome soient interprétés de façon à permettre à l’Assemblée générale des Nations-Unies de saisir directement la CPI sans passer par le Conseil de sécurité.

La CPI n’étant pas compétente en l’état, il ne reste que la création d’un nouveau tribunal international. L’Ukraine avec ces partenaires internationaux sont en  négociation en vue de la création de ce futur tribunal. Deux options ont été avancées par la Commission européenne pour juger les crimes d’agression. Il s’agirait, première solution, de créer un tribunal international spécial indépendant, fondé sur un traité multilatéral, autrement dit un Tribunal  ad hoc, c’est-à-dire limité aux crimes d’agression commis par les dirigeants russes contre l’Ukraine.

Une autre possibilité serait de créer ce Tribunal avec l’Organisation des Nations Unies par l’adoption d’une résolution d’Assemblée Générale qui autoriserait le Secrétaire général des Nations-Unies à travailler avec les autorités ukrainiennes sur l’élaboration d’un accord international. En 2003, ce mécanisme a permis un Accord entre l’Organisation des Nations Unies et le Gouvernement royal du Cambodge, qui fut à la base de la création  les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens.

Autre solution enfin, la création d’un tribunal spécialisé intégré dans un système judiciaire national, mais comportant des juges internationaux : une juridiction hybride en somme, à la fois nationale et internationale. Par exemple, le Tribunal spécial pour le Kosovo fut  institué en 2015 par la loi kosovare, mais il se situe à La Haye et est composé de professionnels issus de la communauté internationale. Ce Tribunal  n’a aucun lien avec l’Organisation des Nations Unies.

Le 19 janvier 2023, à travers une Résolution du Parlement européen sur la création d’un tribunal pour le crime d’agression contre l’Ukraine, les députés européens ont affirmé la nécessité de créer un tribunal international spécial chargé de poursuivre le crime d’agression contre l’Ukraine. Ils ont invité les institutions de l’Union et les États membres à travailler en étroite coopération avec l’Ukraine afin de rechercher et de renforcer le soutien politique au sein de l’Assemblée générale des Nations-Unies et d’autres enceintes internationales, y compris le Conseil de l’Europe, l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération et le G7.

LES DIFFICULTÉS PRATIQUES

S’il existe de moins en moins de doutes sur la création prochaine de ce tribunal, cela prendra du temps, et surtout il faudra surmonter des difficultés pratiques. D’abord, ce qu’on appelle “l’immunité de juridiction” permet aux États et à leurs dirigeants d’échapper à toutes poursuites judiciaires devant les tribunaux nationaux étrangers. Mais cette immunité n’est pas absolue, au sens où les dirigeants n’échappent pas aux poursuites devant les tribunaux internationaux pour les crimes internationaux. C’est le cas devant la CPI. Cela signifie que la création du tribunal puisse être décidée par la communauté internationale pour contourner l’obstacle de l’immunité des responsables russes.

Il faut aussi collecter l’ensemble des preuves des crimes, ce que fait l’Ukraine, aidée de la communauté internationale.

Enfin, qui ira arrêter Vladimir Poutine ? Selon la procédure établie dans le monde, ce n’est pas le Tribunal international qui procède à l’arrestation des personnes à juger. Il se borne à délivrer un mandat d’arrêt, et ce sont les organes policiers (sauf si une force internationale est créée dans ce but) des États concernés qui auront la charge de l’arrestation…

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Ben Weyts, Ministre de l’enseignement flamand souhaite priver certaines familles de leurs allocations familiales si elles ne mettent rien en place pour que leurs enfants améliorent leurs niveaux de néerlandais en dehors de l’école.

VRT News, 17 janvier 2023

Le Ministre flamand de l’enseignement, Ben Weyts souhaite que les parents dont les enfants ne connaissent pas correctement le néerlandais, soient privés de leurs allocations familiales. Cette proposition est contraire à la Constitution, car les allocations familiales sont garanties pour toute personne vivant en Belgique et ayant à sa charge des enfants. En outre, cette mesure serait discriminatoire à l'égard des enfants concernés.

Théo Schwers, étudiant en master de droit public et international, Université libre de Bruxelles // sous la supervision de Marie-Sophie de Clippele, professeure de droit et membre du Centre d’Etudes du Droit de l’Environnement (CEDRE), Université Saint-Louis , le 11 février 2023

Le Ministre de l’enseignement, Ben Weyts (N-VA) souhaite sanctionner les parents des enfants dont le niveau de néerlandais en 3e maternelle est insuffisant en les privant de leur droit aux allocations familiales. Selon le Ministre, l’école ne peut pas assumer seule l’apprentissage de la langue. En ne pratiquant pas le néerlandais en dehors de l’école avec leurs enfants, les parents seraient responsables de sa méconnaissance. Malgré les fortes réactions négatives parmi les partis politiques de sa majorité ou de l’opposition, le Ministre-Président, Jan Jambon, a renchéri quelques jours plus tard en soutenant la proposition de son ministre. 

La proposition du Ministre Weyts est toutefois problématique à l’égard de plusieurs droits protégés dans la Constitution belge. Une telle privation de droits aux allocations familiales serait discriminatoire et contraire aux droits de l’enfant. Plus frontalement, elle violerait le droit aux prestations familiales. 

Selon la Constitution, toute personne a droit aux allocations familiales (article 23, 6° de la Constitution). Toute personne vivant en Belgique qui a des enfants à sa charge a droit de bénéficier de prestations familiales, qu’elle soit de nationalité belge ou non. Les autorités publiques, comme la Communauté flamande, ont l’obligation de concrétiser ce droit, entre autres par des décrets ou par des règlements. Mais ce droit ne peut pas être invoqué directement devant un juge par le citoyen. 

Si la Flandre veut changer les droits aux allocations familiales, ces changements ne peuvent constituer un recul pour les bénéficiaires de ces droits. En d’autres mots, si la Flandre va limiter l’accès aux allocations familiales à l’égard de certaines personnes qui ne stimuleraient pas assez leur enfant de parler le néerlandais, elle violerait le droit constitutionnel aux allocations familiales car ce serait clairement un recul dans la protection de ce droit pour les familles concernées. Plus précisément, la Flandre violerait le principe de standstill, selon lequel on ne peut pas réduire significativement le degré de protection offert par tel ou tel droit, ici les allocations familiales, sauf sous certaines conditions, non remplies à notre estime dans ce cas-ci. 

La réduction des allocations familiales serait par ailleurs discriminatoire. Elle réaliserait une distinction de traitement entre des familles sans justification objective et raisonnable (articles 10, 11 et 191 de la Constitution). Comment d’ailleurs distinguer les familles ayant droit ou non aux allocations familiales ? Quel serait un niveau de néerlandais suffisant ou non pour justifier une réduction (totale ? partielle (combien) ?) des allocations familiales et comment le contrôler ?  

Enfin, la proposition du Ministre Weyts est contraire aux droits de l’enfant (article 22bis de la Constitution) et est à ce titre également anticonstitutionnelle. Priver les parents de leurs allocations familiales, c’est agir contre l’intérêt de l’enfant en les discriminant et en fragilisant économiquement les familles. 

Une autorité publique ne doit donc pas oublier ses devoirs constitutionnels. Les droits sociaux et économiques sont des droits garantis tant par l’État fédéral que par les entités fédérées. Le Ministre flamand de l’enseignement ne peut donc pas les ignorer. 

Contacté par nos soins, le cabinet du ministre s’est contenté de souligner que “Le néerlandais est crucial. Les enfants souffrant d’une déficience linguistique n’ont de facto pas d’égalité des chances” et que “Les parents jouent également un rôle crucial. On ne peut pas tout mettre sur le dos des écoles. Les parents ont une responsabilité.” (traduction libre du néerlandais). 

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Dans l’enquête pour corruption visant des députés européens pourquoi l’immunité n’a pas protégé certains élus ?

Le Parlement européen est secoué par un des scandales les plus retentissants de son histoire. En cause, des sacs de billets retrouvés chez une députée et un ancien député, dont la provenance serait attribuée au Qatar

Autrice : Angèle Dupont, master de droit de l’Union européenne, Université de Lille / Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay / Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Clotilde Jégousse, le 17 janvier 2023 - dernière modification le 19 janvier 2023

Nouveau rebondissement dans l’affaire du “Qatargate“, dans laquelle plusieurs députés et anciens députés européens sont accusés de corruption au profit du Qatar. Pier Antonio Panzeri, chez qui quelques 600 000 € en liquide auraient été retrouvés, a décidé de coopérer avec la police belge en signant un accord de repenti.

Le 10 décembre, Roberta Metsola, la présidente du Parlement européen, avait tweeté qu’elle ne pouvait pas commenter les enquêtes en cours, tout en affirmant au nom du Parlement coopérer pleinement avec toutes les autorités policières et judiciaires compétentes.

Ce tweet fait suite à la mise en cause de plusieurs personnalités politiques européennes, dont celle qui était encore récemment l’une des vice-présidentes du Parlement européen, Eva Kaili, députée membre du groupe des Socialistes et Démocrates (S&D), soupçonnée de trafic d’influence au profit du Qatar.

Cette affaire a amené un juge d’instruction belge à effectuer des perquisitions aux domiciles des personnes concernées, mais également au sein des locaux du Parlement européen à Bruxelles. Cela  i peut intriguer, quand on pense à l’immunité dont disposent les députés et à l’inviolabilité des institutions européennes qui repose sur l’article premier d’un protocole de l’Union européenne, plus précisément le n°7. Eva Kaili est, depuis vendredi 9 décembre, détenue en prison en Belgique. La justice belge a ordonné jeudi 22 décembre son maintien en détention provisoire pour un mois supplémentaire. En réalité, l’immunité ne pouvait pas complètement jouer ici.

QUELS SONT LES DEVOIRS DES DÉPUTÉS EUROPÉENS ? 

A priori, les députés ne sont pas exempts de toute obligation déontologique, outre le respect de la loi. Il existe un Code de conduite des députés au Parlement européen en matière d’intérêts financiers et de conflits d’intérêts. Dès son premier article, le code rappelle que les députés européens doivent faire preuve de désintéressement, d’intégrité et doivent assurer le respect de la réputation du Parlement. Ils doivent par ailleurs agir uniquement dans l’intérêt général et ne doivent pas obtenir d’avantage financier direct ou indirect ou quelconque gratification. Car comme le prévoit l’article 14 du Traité sur l’Union européenne, le Parlement représente les citoyens de l’Union européenne, et eux seulement.

Or ce Code de conduite n’a pas de force contraignante. En septembre 2021, les députés européens avaient demandé la création d’un organe chargé de surveiller l’éthique des parlementaires et des commissaires, mais la proposition était restée lettre morte.

POURQUOI L’IMMUNITÉ PARLEMENTAIRE NE S’APPLIQUE-T-ELLE PAS DANS CETTE AFFAIRE ?

En vertu du protocole n° 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne, l’immunité parlementaire garantit au député de pouvoir exercer librement son mandat sans s’exposer à des poursuites de nature arbitraire ou politique. Il s’agit d’une garantie de l’indépendance et de l’intégrité du Parlement dans son ensemble.

Comme le rappelle Philippe Frumer, chargé de cours à l’Université Libre de Bruxelles, l’immunité parlementaire se dédouble en deux catégories. Concernant la première, en vertu de l’article 8 de ce même protocole, les députés du Parlement européen disposent d’une irresponsabilité parlementaire, ainsi ils ne peuvent pas être arrêtés ou poursuivis en raison des opinions ou votes qu’ils émettent en leur capacité de député au Parlement européen. Cette immunité est absolue, c’est-à-dire que le Parlement européen ne peut lever cette immunité.

Mais pour la seconde catégorie, qui est en cause dans cette affaire, il en va autrement. Il s’agit de l’inviolabilité parlementaire, elle vise à préserver l’indépendance des parlementaires européens en empêchant qu’ils ne subissent des pressions, sous la forme de menaces d’arrestation ou de poursuites judiciaires, que ce soit pour des faits commis avant leur entrée en fonction ou pendant l’exercice de leurs fonctions”, comme l’explique Philippe Frumer pour le site Justice en ligne. Cependant à la différence de la première, cette seconde catégorie n’est pas absolue.

Ce qui explique que dans cette affaire l’immunité ne pouvait pas protéger la députée et ce qui a permis sa détention, c’est que l’immunité ne peut être invoquée dans le cas de flagrance comme le précise l’article 9 du Protocole, or il en est question ici. En cause, des sacs de billets contenant plusieurs centaines de milliers d’euros trouvés en possession du père de la députée à la sortie d’un hôtel, puis chez la députée elle-même lors d’une perquisition.

Ainsi, en plus de lever l’immunité qui empêchait les députés d’être détenus ou poursuivis, la flagrance a permis de délivrer un mandat d’arrêt à l’encontre de plusieurs parlementaires dont la vice-présidente Kaili qui ne bénéficiait plus de l’immunité d’arrestation et de poursuite en dehors de son pays d’origine, la Grèce, précisément en raison du flagrant délit. La flagrance a également justifié les perquisitions aux domiciles des concernés, perquisitions qui ont permis de récolter d’autres preuves à leur encontre.

Et lorsqu’il n’y a pas de flagrance, le justice doit demander au Parlement européen la levée de l’immunité. C’est ce qui a été fait pour les députés S&D Marc Tarabella et Andrea Cozzolino.

QU’EN EST-IL DU DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE ? 

Lors de son discours en séance plénière le 12 décembre à Strasbourg, Roberta Metsola a confirmé qu’avec l’aide des services du Parlement, ils ont pu vérifier que toutes les étapes de la procédure avaient été suivies et que toutes les informations avaient été préservées lors de la perquisition. Elle rappelle également la nécessaire coopération entre le Parlement européen et les autorités nationales.

À l’occasion de son discours, la présidente du Parlement a annoncé retirer à la vice-présidente toutes les tâches et responsabilités liées à son rôle. Mais Roberta Metsola n’en est pas restée là. En application de l’article 21 du règlement intérieur du Parlement européen, elle a annoncé l’ouverture d’une conférence extraordinaire du Conseil des présidents pour retirer à Eva Kaili son mandat de vice-présidente.

C’est chose faite désormais : le Conseil des présidents a décidé par une décision effective et immédiate du 12 décembre de destituer Eva Kaili de son rôle de vice-présidente du Parlement européen pour faute grave dans l’exercice de sa fonction.

Il y a quelques jours, c’était au tour de Maria Arena, députée S&D, de démissionner de son poste de présidente de la sous-commission des droits de l’homme, pour ne pas avoir déclaré un voyage au Qatar, et pour les liens étroits qu’elle entretenait avec l’association Fight Impunity, l’ONG fondée par Panzeri, ancien député européen et qui a été désigné par certains comme le cerveau du système de corruption.

Elle reste néanmoins députée. Seules une démission volontaire ou une décision de justice grecque, son État d’origine, la frappant d’inéligibilité, pourraient la priver de son mandat.

Contacté, le Parlement européen n’a pas répondu à notre demande de précisions.

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Au Brésil, la démocratie sur un fil de discussion

Les enseignements de l’assaut du Capitole des États-Unis et les règles fixées par les plateformes de réseaux sociaux n’auront pas suffi. Dimanche 8 janvier, des centaines de militants pro-Bolsonaro ont envahi le Congrès, la Cour suprême et le palais présidentiel brésiliens, pour tenter de renverser le président nouvellement investi. Une action coordonnée et financée grâce aux réseaux sociaux.

“La patience est terminée, les lignes de front du mouvement sans organisateur sont déjà en train de se former. Si vous êtes à Brasília, organisez-vous”, pouvait-on lire dans l’un des 17 000 groupes publics brésiliens qui discutent de politique nationale sur WhatsApp, surveillés par l’entreprise d’analyse de données Palver, selon l’agence Lupa.

Autrice : Clotilde Jegousse, rédactrice / Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay / Secrétariat de rédaction : Yeni Daimallah et Emma Cacciamani / Le 16 janvier 2023

LES RÉSEAUX SOCIAUX TREMPLINS DU PROJET D’INSURRECTION

Les groupes de l’application de messagerie ont joué un rôle central dans l’organisation de l’invasion des institutions brésiliennes par les militants pro-Bolsonaro, dimanche dernier. Dès mardi 3 janvier, soit cinq jours avant le passage à l’acte, “les camionneurs, les agriculteurs, les propriétaires d’armes à feu”, entre autres partisans de l’ex-Président, y étaient appelés à “déterrer tous les rats qui ont pris le pouvoir”, dans des messages consultés par le site de fact-checking Aos FatosDimanche, ils diffusaient des instructions sur la façon de se rendre sur les lieux. L’administrateur d’un groupe aux 224 000 membres prévenait “En voiture, vous n’entrez pas [dans l’Esplanade des ministères]” et informait de l’absence de la police, selon Lupa.

De nombreuses autres plateformes ont été, elles aussi, de formidables vecteurs du projet de renversement de la démocratie brésilienne. Sur les réseaux sociaux TikTok, Kwai, Facebook, Instagram et Telegram, des messages appelant à une “action de masse” pour arrêter le pays et prendre d’assaut le Congrès ont totalisé des dizaines de milliers de partages et des centaines de milliers de vues, informe Aos Fatos. La plupart des messages sont devenus viraux à partir du 4 janvierL’un d’eux lançait un “appel constitutionnel aux militaires, aux anticommunistes et aux anti-dictatures” pour une “révolution militaire”, qui atteignait plus de 100 000 vues dimanche. Publiée le vendredi, la publication la plus populaire totalisait 820 000 vues et 48 000 partages dimanche après-midi, toujours selon le média de fact-checking brésilien.

Si les réseaux sociaux ont permis la diffusion d’informations nécessaires à l’organisation du mouvement, ils en ont également été une source de financement. Des propriétaires de chaînes Youtube à grande affluence, comme “Bishop Santana” (579 000 abonnés) ont lancé des appels aux dons, selon Aos FatosD’autres ont profité de la monétisation de leur compte pour générer de l’argent en diffusant les événements en direct, comme l’influenceur pro-Bolsonaro Alex Moretti, à la tête d’un compte qui enregistre près de 112 millions de vues, et dont la vidéo a atteint 18 000 spectateurs simultanés, avant d’être supprimée, selon Aos FatosDimanche, le procureur général du Brésil a demandé à la Cour suprême d’ordonner aux plateformes de “démonétiser les profils faisant l’apologie d’actes terroristes”

UN AIR DE DÉJÀ-VU

Les circonstances des événements de dimanche dernier à Brasilia ne sont pas sans rappeler celles de l’assaut du Capitole par les partisans de Donald Trump, le 6 janvier 2021.

D’abord, parce qu’à l’image de son homologue américain, Jair Bolsonaro a mené une campagne de désinformation massive dans les médias sociaux et les applications de messagerie. De quoi renforcer la défiance de ses soutiens vis-à-vis des institutions démocratiques. Avant même la tenue du scrutin présidentiel les 2 et 30 octobre 2022, celui qui était encore Président instillait le doute quant à la fiabilité des urnes électroniques, jetant le discrédit sur le futur résultat de l’élection présidentielle.

Et la magie opère. C’est derrière le slogan “Nous voulons le code source !” –  l’ensemble des instructions composant le programme informatique de comptabilisation des votes – que se sont rassemblés les soutiens de l’ex-Président, selon TV5 Monde. Ivan Paganotti, docteur en Sciences de la communication et professeur à l’Université méthodiste de Sao Paulo, explique à l’AFP que “La désinformation a joué un rôle important pour mobiliser ceux qui avaient besoin d’une justification qui pourrait donner un semblant de légalité à cette invasion”.

Deux ans auparavant, le même discours était tenu par Donald Trump. Sur son compte Twitter, il martelait “Arrêtez le décompte” au fur et à mesure que les résultats de l’élection tombaient. Au lendemain de celle-ci, certaines mesures de modération des contenus avaient été levées, laissant proliférer, des mois durant, des informations erronées sur l’élection, des groupes et des hashtags “Arrêtez le vol” et “Fraude électorale”. “Pour donner la priorité à la croissance au détriment de la sécurité”, dénonçait Frances Haugen, ancienne employée de Facebook, à la SEC (Securities and Exchange Commission), selon The Guardian.

Ensuite, parce que dans les deux cas, les plateformes de réseaux sociaux se sont trouvées submergées par les évènements. La plupart d’entre elles ont des directives contre des contenus qui contreviennent à leurs règles, et en interdisent la diffusion. Par exemple, Youtube interdit “les contenus destinés à louer, promouvoir ou aider des organisations extrémistes violentes ou criminelles”, et Facebook “tout contenu prônant la violence en raison du vote, de l’inscription des électeurs ou de l’administration ou du résultat d’une élection”, selon Aos Fatos. Pourtant, le 6 janvier, lorsque quelque 10 000 partisans de Donald Trump marchent vers le Capitole, ces mêmes plateformes peinent à gérer le flot de signalements – 4 000 par heure sur la plateforme Instagram, selon un rapport interne évoqué par Libération – et à empêcher la diffusion des événements en direct.

Les publications relatives à l’invasion au Brésil ont, elles, été retirées au compte-gouttes. Une vidéo de l’assaut filmée par l’influenceur brésilien Adriano Casto, qui a totalisé 223 000 vues selon Aos Fatos, a été reprise par plusieurs chaînes Youtube dont le contenu n’a pas été supprimé à l’heure actuelle.

QUELLE RESPONSABILITÉ POUR LES PLATEFORMES ? 

Suite à l’insurrection du Capitole, une commission d’enquête parlementaire avait été créée pour faire la lumière sur les événements. Son président, Bennie Thompson, jugeant que certaines plateformes n’avaient pas “répondu de manière adéquate aux demandes d’informations” de la commission, avait pris la décision de les y contraindre, selon RFI.

Quatre plateformes, Alphabet (maison mère de Youtube), Meta (celle de Facebook), Reddit et Twitter avaient été assignées à comparaître, notamment pour évaluer l’impact de la diffusion de fausses informations par Donald Trump via leurs canaux.

Dans l’Union européenne, ces mêmes plateformes ont désormais l’obligation de lutter contre “tout effet négatif réel ou prévisible sur le discours civique, les processus électoraux et la sécurité publique”. À défaut, elles s’exposent à des amendes pouvant atteindre, selon la Loi européenne sur les services numériques (Digital Services Act, DSA), plusieurs milliards d’euros.

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Elon Musk, Twitter et la réaction européenne

“En Europe, l’oiseau volera selon nos règles européennes”.

Auteur : Pierre-Louis Fessol, master de droit des médias électroniques, Aix-Marseille Université / Relecteur : Philippe Mouron, maître de conférences en droit privé, Aix-Marseille Université, Institut de recherches et d’études en droit de l’information et de la culture (IREDIC) / Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Loïc Héreng / Création : 19 décembre 2022

Ce tweet de Thierry Breton, commissaire européen du marché intérieur, reflète l’influence que l’Union européenne aimerait exercer dans la construction du Twitter version Elon Musk. Il constitue l’une des nombreuses réactions de personnalités européennes face à la politique de modération menée par le nouveau dirigeant. Depuis le rachat effectif de Twitter par Elon Musk, ce réseau social est au cœur de l’actualité et des polémiques. En cause, une vague de liberté totale “made in Elon Musk” venant secouer la réglementation européenne et notamment la liberté d’expression et la liberté de la presse.

Sous influence libertarienne, Elon Musk souhaite, selon ses termes, transformer Twitter en “une place publique numérique commune où un large éventail de croyances peut être débattu de manière saine, sans recourir à la violence“. Cette vision heurte celle de l’Union européenne, comme le rappelait Emmanuel Macron pendant l’émission américaine Good Morning America  : “La liberté d’expression et la démocratie reposent sur le respect et l’ordre public. Vous pouvez manifester, vous pouvez vous exprimer librement, vous pouvez écrire ce que vous voulez, mais il y a des responsabilités et des limites“. Ainsi, le cœur du débat est centré sur la gestion de Twitter par son dirigeant qui représente une source d’inquiétude pour le vieux continent.

UNE POLITIQUE DE MODÉRATION DÉSORMAIS AUTOMATISÉE

Après avoir rompu entre 4 400 et 5 500 contrats de prestataires, qui entre autres s’occupaient de la modération du réseau social, il reste aujourd’hui moins de 2 000 modérateurs à travers le monde. Elon Musk privilégie une modération automatisée pour déréférencer les contenus haineux sur le site. Ces contenus seraient ainsi autorisés, à la réserve près qu’ils ne seraient plus accessibles sur le fil d’actualité des individus, uniquement sur leur profil et donc démonétisés.

L’ère Musk marque aussi la fin de la politique de modération vis-à-vis de la crise du Covid-19 et la lutte contre la désinformation relative aux vaccins. Rappelons qu’auparavant il était interdit sur Twitter d’utiliser les services pour partager des informations fausses ou trompeuses sur le Covid-19 susceptibles d’entraîner un préjudice.

De plus, près de 12 000 comptes antérieurement bannis ont été rétablis, 50 000 autres comptes bannis pourraient suivre. Parmi ceux-ci, on peut citer des comptes de suprémacistes blancs, de néo-nazis, ou bien le compte de  Donald Trump. Tous ces comptes rétablis ont pu profiter de l’accès à l’abonnement de “Twitter Blue” permettant une visibilité accrue.

UNE MODÉRATION AUTOMATISÉE QUI MONTRE DÉJÀ DES FAIBLESSES

Ce cocktail de modération a rapidement montré ses limites. Selon le New-York Times, les contenus haineux sont déjà massivement diffusés sur la plateforme. L’étude menée par le Center for Countering Digital Hate démontre cette tendance à la hausse : lors de la première semaine sous la direction d’Elon Musk, on a ainsi enregistré 26 228 Tweets et re-tweets mentionnant le mot N*gger (traduisible par “négros”), soit une multiplication par 3 en 2022 ; une augmentation de 60 % des messages antisémites ; 4000 tweets homophobes par jour, soit une progression de 58%. Les contenus terroristes sont également en expansion. Selon le Global Network on extremism and technology, lors des premiers jours de Twitter sous le règne Elon Musk, 450 nouveaux comptes de l’État islamique ont été détectés, soit une augmentation de 69 %.

Cette expansion des contenus terroristes sur la plateforme ainsi que la diminution de la modération pourraient mettre à mal la conformité de Twitter vis-à-vis du devoir de lutte contre ces contenus. En effet, le règlement dit “TCO” (“terrorist content online”), applicable depuis le 7 juin 2022, impose aux plateformes en ligne le retrait dans l’heure des contenus terroristes ou leur blocage dans l’Union européenne. Le non-respect de cette obligation peut entraîner une amende allant jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise.

Elon Musk a réfuté ces chiffres : selon lui, “les visionnages de discours haineux (nombre de fois où le tweet a été vu) continuent de diminuer, malgré une augmentation significative du nombre d’utilisateurs ! La négativité devrait obtenir et obtiendra moins de portée que la positivité“. Il ajoute : “Les discours haineux représentent moins de 0,1 % de ce qui est vu sur Twitter“.

L’UNION EUROPÉENNE SÉVIT

Thierry Breton, chargé de mettre en œuvre le Digital Services Act, a eu un échange en visioconférence avec Elon Musk, pour lui rappeler les grands principes de ce règlement.

Premier principe, Twitter doit concourir à la lutte contre les contenus illicites en introduisant un outil facilitant leur signalement. Il devra aussi coopérer avec des “signaleurs de confiance, dont le rôle est d’apporter une expertise dans le signalement des contenus. Deuxième principe, la transparence de la politique de modération, avec l’obligation de créer un système interne de traitement des réclamations permettant aux utilisateurs de contester une sanction de la plateforme. Le fonctionnement des algorithmes et leur utilisation pour cibler des contenus publicitaires doivent être connus des utilisateurs et de la Commission Européenne. Pour finir, le troisième principe est la participation active à l’atténuation des risques de désinformation et à la prévention des crises : codes de conduite, promotion des informations vérifiées, suppression des comptes véhiculant de la désinformation, etc.

Le résultat de cet échange entre Thierry Breton et Elon Musk a permis d’espérer qu’Elon Musk se conformerait au DSA. Un test de résistance se déroulera au siège de Twitter en début 2023, afin d’évaluer sa mise à conformité.

EMMANUEL MACRON RAPPELLE ELON MUSK À SES OBLIGATIONS

Lors de sa visite aux USA, le président de la République et le dirigeant de Twitter ont pu se rencontrer en Louisiane. Elon Musk a ainsi confirmé la participation de Twitter à l’appel de Christchurch, qui est un mouvement composé d’États, d’entreprises et d’ONG luttant contre la diffusion des contenus terroristes et extrémistes sur internet. En participant à cet appel, Twitter s’engage au retrait immédiat des contenus terroristes, et à vérifier que les algorithmes ne suggèrent pas aux utilisateurs des contenus extrémistes. Elon Musk a également promis la mise en place d’outils plus efficaces de vérification de l’âge des utilisateurs, de détection des prédateurs sexuels et de lutte contre le cyberharcèlement.

L’AFFAIRE ELON JET : DE LA LIBERTÉ EXACERBÉE À LA CENSURE

La dernière décision d’Elon Musk soulève une grande inquiétude pour le futur de l’oiseau bleu en Europe : Elon Musk a suspendu plusieurs comptes de journalistes américains appartenant à CNN, New York Times ou le Washington Post qui avaient tweeté sur la décision de suspendre le compte qui relayait les trajets du jet d’Elon Musk. Le compte “Elon Jet” utilisait des données publiques pour indiquer de façon automatique l’emplacement du Jet d’Elon Musk. Elon Musk disant craindre pour sa sécurité ainsi que celle de sa famille, a justifié ces suspensions par le “doxing (divulgation  d’informations personnelles sur un individu sur internet sans son accord).

Au départ suspendu pour sept jours, Elon Musk s’est une nouvelle fois tourné vers les abonnées de son compte Twitter pour choisir la durée de la suspension. Finalement, la twittosphère a parlé, et les comptes qui avaient publié la localisation vont voir leur suspension levée. Ainsi, le rétablissement des comptes devrait avoir lieu rapidement.

Reste que la décision d’Elon Musk a engendré une colère au sein de l’Union européenne mais aussi à l’international. Le franchissement de la ligne rouge est proche. Le blocage de journalistes constitue une entrave à la liberté de la presse ainsi qu’au pluralisme des médias.

Le porte-parole du secrétaire général de l’ONU a qualifié ces suspensions de “dangereux précédent”. De plus, l’Union européenne est unanime : il y a “un problème avec Twitter” selon le ministre allemand des Affaires étrangères, qui estime aussi que “la liberté de la presse ne doit pas être activée et désactivée à convenance”.

De plus, la vice-présidente de la Commission européenne a qualifié cette décision “d’inquiétante” et invité Elon Musk à ne pas franchir ”la ligne rouge” sous peine de sanction. Outre le Digital Services Act qui protège les droits fondamentaux sur les plateformes en ligne, la vice-présidente évoque le Media Freedom Act, un texte européen en cours d’élaboration, et qui, au vu du contexte, devient plus que légitime.

Ce projet de règlement prévoit entre autres la protection de l’indépendance éditoriale, la protection du pluralisme des médias, l’interdiction de l’utilisation de logiciels espions contre les médias. Enfin, la protection des contenus médiatiques en ligne impose aux très grandes plateformes de justifier les décisions de retrait d’article de presse dès lors qu’il n’y a pas de désinformation.

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UN TWEET DEVENU VIRAL : “L’ITALIE VIENT DE DÉCIDER DE NE PAS RESPECTER CETTE FOLIE EUROPÉENNE D’INTERDIRE LES VOITURES THERMIQUES EN 2035. LA BRÈCHE EST OUVERTE, D’AUTRES VONT SUIVRE.”

Compte Twitter "On m’appelle 404", 16 décembre 2022

Le projet de règlement en question interdit la vente de véhicules neufs émettant du CO2, dès en 2035. Cela ne concerne pas ceux déjà en usage, comme veut le croire l’auteur de ce tweet. En tout état de cause, un État membre de l’Union européenne ne peut pas décider de ne pas appliquer un règlement européen. Et d’ailleurs, le gouvernement italien n’a rien dit de tel.

Autrice : Clotilde Jegousse, rédactrice / Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay / Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay / Secrétariat de rédaction : Héreng Loïc et Emma Cacciamani / Création : le 9 janvier 2023 Dernière modification : le 18 janvier 2023

Il faut d’abord rétablir les faits : le 27 octobre dernier, le Conseil de l’Union européenne – qui réunit les représentants des États – et le Parlement européen – directement élu par les citoyens européens – n’ont pas décidé d’interdire les véhicules thermiques en Europe en 2035, mais la vente de véhicules neufs émetteurs de CO2. Ensuite, l’Italie, qui ne s’est pas formellement prononcée, n’aura pas d’autre choix que de respecter le nouveau règlement européen.

QUE PRÉVOIT EXACTEMENT LE PROJET DE RÈGLEMENT QUE L’ITALIE ENTENDRAIT NE PAS RESPECTER SELON LE TWEET ?

Ce texte, qui n’est pour le moment qu’un accord entre le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne, doit encore être formellement adopté. Il prévoit l’interdiction de la vente des véhicules essence et diesel neufs dans l’Union européenne dès 2035, au profit des véhicules non émetteurs de CO2. Les voitures à moteur thermique déjà en circulation ne seront donc pas interdites, et pourront toujours être sorties du garage après cette date. Des modèles neufs pourront même être produits, mais seulement pour être exportés hors de l’Union. Seule exception : les constructeurs automobiles de luxe. Ceux qui produisent moins de 1 000 véhicules par an ne seront pas touchés, et ceux qui en produisent moins de 10 000 auront, eux, jusqu’en 2036 pour réaliser leur transition électrique.

Les objectifs fixés par le texte pourront néanmoins être adaptés. La France, par l’intermédiaire de son ministre des Transports, Clément Beaune, a défendu une “clause de revoyure” en 2026. Celle-ci permettra de prendre en compte les avancées technologiques réalisées d’ici là, et d’inclure, pourquoi pas, les e-carburants.

L’ITALIE NE PEUT PAS DÉCIDER DE NE PAS RESPECTER CETTE FOLIE EUROPÉENNE”

Sur la toile, c’est l’argument phare de certains internautes opposés à ce projet de règlement : L’Italie a pris une décision de bon sens en refusant l’interdiction européenne”.

En réalité, il n’en est rien, au moins en droit. Si la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, a jugé au mois de décembre que l’échéance n’était pas raisonnable”, l’Italie n’a pas déclaré qu’elle refuserait de respecter le règlement. Elle n’en a d’ailleurs pas le droit.

Il existe – Les Surligneurs le martèlent régulièrement – un principe de primauté du droit de l’Union. La Cour de justice de l’Union européenne l’a consacré en 1964 : les règles de l’Union européenne priment sur les droits nationaux, qui se doivent d’être conformes à celles-ci. Si elle adoptait une loi contraire au règlement, l’Italie s’exposerait donc à de fortes pénalités financières infligées par l’Union.

C’est d’autant plus vrai que les règlements européens sont d’applicabilité directe. Ils n’ont pas besoin d’être transposés dans le droit national pour s’appliquer. Les constructeurs automobiles italiens devront donc s’y conformer dès que celui-ci entrera en vigueur après avoir été publié au journal officiel de l’Union européenne. Et cela, sans que l’Italie n’ait son mot à dire. Le texte législatif, une fois adopté par les députés européens et une majorité d’États membres, s’appliquera sur tout le territoire de l’Union.

LE DERNIER MOT REVIENDRA AU JUGE ITALIEN

L’applicabilité directe permet également aux individus de se prévaloir d’un règlement européen directement devant le juge de leur propre État. Si l’Italie votait une loi nationale autorisant la vente de voitures neuves émettant du CO2 malgré ce règlement européen, le juge italien ne pourrait pas l’appliquer, et tout producteur tentant de vendre des véhicules émetteurs après 2035 serait en infraction.

Dans ce cas précis, si certains constructeurs italiens font la sourde oreille, on imagine aisément que leurs concurrents saisiront les tribunaux nationaux, et que les fauteurs seront condamnés. Donc même si l’État italien voulait empêcher l’application de cette interdiction, il ne le pourrait pas réellement.

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Selon l’eurodéputée belge Saskia Bricmont: “il n’y a pas de définition commune (européenne) du terrorisme”

Le soir, 23 novembre 2023

Le Parlement européen a été victime d’une cyber attaque après avoir voté en séance plénière un texte qualifiant la Russie d’État soutenant le terrorisme et ayant “recours aux moyens du terrorisme”.

A l’occasion de ce vote, la députée écologiste, Saskia Bricmont, s'est abstenue de voter la résolution car, selon elle, il n’existe pas de définition européenne commune du terrorisme. Mais cette affirmation n'est pas correcte.

Wesmael Tessa et Sefu Asha Amanda, étudiantes en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain professeure de droit pénal, Université Saint-Louis – Bruxelles, le 28 février 2023.

Dans le cadre d’un vote du Parlement européen sur une résolution visant à condamner la Russie “d’État soutenant le terrorisme” et “ayant recours aux moyens du terrorisme”, l’eurodéputée écologiste, Saskia Bricmont, s’est abstenue de voter au motif qu’il n’existerait pas de définition européenne du terrorisme. Elle a en effet déclaré : “J’ai des réticences sur le plan légal, en tant que colégislateur européen nous risquons d’ouvrir une brèche. Il n’y a pas de définition commune (européenne) du terrorisme. Et les crimes d’agression et crimes de guerre imputés à la Russie dans son invasion de l’Ukraine sont en eux-mêmes déjà définis dans le droit international”.  

Ses propos ne sont pas corrects dans la mesure où il existe une définition européenne du terrorisme.  

En effet, la Décision-cadre 2002/475/JAI du Conseil (13 juin 2002) relative à la lutte contre le terrorisme, adoptée dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, donne une définition (par essence) européenne du terrorisme.  

Elle précise ainsi, à l’article premier, que doivent être considérées comme des infractions terroristes, certains actes intentionnels visés par la décision-cadre (telles les atteintes contre la vie d’une personne pouvant entraîner la mort) qui, “par leur nature ou leur contexte, peuvent porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale”, lorsque l’auteur les commet dans le but soit de gravement intimider une population, de contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ou, encore, de gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou une organisation internationale. 

Il est important de noter que cette décision-cadre a été remplacée par la Directive (UE) 2017/541 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2017 relative à la lutte contre le terrorisme. Néanmoins, la définition du terrorisme n’y a pas été modifiée de manière substantielle.  

En conclusion, il existe bien une définition commune du terrorisme dans le droit de l’Union Européenne et ses propos sont juridiquement erronés.   

Contacté par nos soins, une collaboratrice de l’eurodéputée indique que Saskia Bricmont considère qu’aucun de ces deux instruments européens ne définissent le terrorisme, en tant que tel, se contentant de lister les infractions terroristes et les infractions liées à un groupe terroriste.  

Elle reconnait que la différence entre la notion de terrorisme et la liste d’infractions définissant le terrorisme est mince, mais que cette différence reste “essentielle dans un contexte où le terme terrorisme est utilisée dans différents contextes politique et national”. Cette absence de définition montre, selon elle, “les différences de perception entre États membres”. 

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George-Louis Bouchez: “il aurait dû être privé de liberté dans le cadre d’une garde à vue de 24h qui peut être prolongée jusque 72h en cas de terrorisme”.

RTL Info, 17 novembre 2022

L’assassinat d’un jeune policier par une personne fichée comme étant radicalisée, le jeudi 10 novembre 2022, a suscité de vives réactions tant de la part de la société civile que du monde judiciaire et politique. Parmi ces réactions, nous avons relevé celle de Georges-Louis Bouchez, président du MR, qui affirme : “Si cette personne n’est pas privée de liberté dans le cadre d’une garde à vue de 24h, qui peut aller jusqu’à 72h en cas de terrorisme, je ne sais pas qui, dans ce pays, peut faire l’objet d’une garde à vue".

Amadou Barry, étudiant en droit à l’Université Saint-Louis-Bruxelles, sous la supervision de Christine Guillain, professeure en droit pénal à l’Université Saint-Louis-Bruxelles, le 23 février 2023

Georges-Louis Bouchez, juriste de formation, semble confondre différents concepts de droit pénal. 

La garde à vue: un concept inexistant en Belgique  

La garde à vue est un concept français qui n’existe pas en droit belge où on parle plus volontiers d’arrestation judiciaire dont la durée ne peut dépasser 48h ,depuis la révision de la Constitution en 2017 (contre 24h auparavant). Certes, il a été question, après les attentats, d’allonger la durée de l’arrestation judicaire jusqu’à 72h en cas d’infraction terroriste, comme c’est le cas dans d’autres pays, mais la proposition n’a finalement pas été retenue. Un suspect ne peut dès lors être privé de liberté, sans intervention d’un juge, que pour une durée maximale de 48h, quel que soit le type d’infraction. L’arrestation judiciaire n’est autorisée que lorsque la personne est suspectée d’avoir commis une infraction pénale (délit ou crime) et doit obligatoirement faire l’objet d’un procès-verbal. Les modalités de l’arrestation judiciaire diffèrent selon qu’on est arrêté ou non en état de flagrance. 

George-Louis Bouchez n’est pas le seul membre du MR à opérer quelques amalgames en la matière. Denis Ducarme a lui aussi réagi, en affirmant : “le gars est fiché depuis 2015, cela aurait dû suffire au magistrat pour le garder en détention 24 ou 48h sur base de la législation antiterroriste”. Ce faisant, Denis Ducarme confond deux types de privation de liberté : les arrestations judiciaires, d’une part, et les détentions préventives, d’autre part. 

Deux notions proches mais assez différentes  

En se référant à la législation antiterroriste, Denis Ducarme semble davantage évoquer la détention préventive que l’arrestation judiciaire. La détention préventive est une mesure privative de liberté qui nécessite la délivrance d’un mandat d’arrêt par un juge d’instruction et la réunion de plusieurs conditions énoncées à l’article 16 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive. Le mandat d’arrêt ne peut ainsi être décerné qu’en cas d’absolue nécessité pour la sécurité et ne peut poursuivre comme objectif d’exercer une répression immédiate ou toute autre forme de contrainte sur l’individu, qui serait ressentie comme une peine avant la peine alors qu’il est présumé innocent. Ensuite, le fait présumé commis par l’inculpé doit être puni par la loi au minimum d’un an d’emprisonnement (peine correctionnelle). Néanmoins, si le maximum de la peine ne dépasse pas quinze ans de réclusion (peine criminelle), le juge doit aussi rencontrer d’autres critères pour pouvoir délivrer un mandat d’arrêt. Il doit ainsi exister de sérieuses raisons de craindre que l’inculpé, s’il était laissé en liberté́, commette de nouveaux faits (risque de récidive), se soustraie à l’action de la justice, tente de faire disparaitre des preuves ou entre en collusion avec des tiers. C’est ici que la législation antiterroriste a introduit un tempérament en 2016. En cas d’indices de culpabilité de la commission d’une infraction terroriste punissable de plus de cinq ans d’emprisonnement, le juge d’instruction ne doit pas rencontrer ces critères. Enfin, le juge d’instruction doit décider si le mandat d’arrêt doit être exécuté dans une prison, ou sous la forme d’une détention sous surveillance électronique.  

Le fichage d’un individu n’est ni un crime, ni un délit et est dès lors insuffisant pour justifier une arrestation judiciaire ou une détention préventive. Ces deux formes de privation de liberté ne peuvent être ni automatique, ni systématique et doivent répondre à certaines conditions qui doivent faire l’objet d’une appréciation individuelle de la part d’un magistrat, en ce compris pour les infractions terroristes.

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Le “Plan IKEA” du Vlaams Belang pour défendre une autre politique migratoire

VRT News, le 15 novembre 2022

Le Vlaams Belang, parti politique d’extrême droite, a utilisé l’identité de la marque IKEA pour illustrer sa propagande pour un durcissement de la politique migratoire, en reprenant le logo, les couleurs et le style de la chaîne d’ameublement. Or, en droit, tirer un avantage de la renommée d’une marque est illégal.

Rania Sabaouni et Lucia Naredo, étudiantes en droit à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, sous la supervision de Luc Desaunettes-Barbero, professeur en droits intellectuels à l’Université Saint-Louis-Bruxelles, le 16 décembre 2022

En réaction à la crise d’asile migratoire que traverse la Belgique, le parti d’extrême droite Vlaams Belang propose un « IKEA plan ».  Dans ce contexte, IKEA est l’acronyme d’ « Immigratie Kan Echt Anders » qui en français peut se traduire par « L’immigration peut vraiment [être organisée] autrement ». Suite à cela, la célèbre marque suédoise, tenant à sa neutralité politique, a engagé des poursuites pour l’usage illégal de sa marque. 

En droit, il faut d’abord vérifier qu’IKEA est titulaire d’un titre de propriété “intellectuelle”, c’est-à-dire que l’entreprise a bien enregistré sa marque, et donc que cette marque est protégée par la réglementation européenne. En l’occurrence, et sans surprise, IKEA est titulaire d’une marque enregistrée (voir le registre européen sous le numéro 0926155). Par conséquent, elle peut faire valoir le préjudice qu’elle subit. 

Selon ces règles européennes en effet, l’usage du logo de IKEA par le Vlaams Belang est problématique. Aucun tiers ne peut tirer un avantage ou un profit, fût-il électoral, de la renommée d’une marque enregistrée, ni porter atteinte à cette renommée. 

Or, précisément ici, le Vlaams Belang profite de la réputation d’IKEA, entreprise qui exploite 422 magasins éparpillés dans 50 pays du monde, et que tout le monde connaît bien en Belgique. Le Vlaams Belang reprend sur son affiche les couleurs, la calligraphie, la mascotte ainsi que l’acronyme du magasin. On reconnait clairement la référence à IKEA, qui est donc un usage interdit par le droit européen. Cette utilisation est préjudiciable à la renommée de la marque, car elle lui associe des valeurs politiques, alors que IKEA est une entreprise apolitique et qui souhaite le rester. Enfin, l’usage est fait “sans juste motif”. Assurément, l’usage par le Vlaams Belang n’entre pas dans une des exceptions prévues dans la réglementation européenne (noms de personnes, mots trop communs, etc.). Il ne s’agit pas davantage des rares situations où le juge européen a admis l’usage d’une marque similaire. Soit lorsque les logos, slogans ou couleurs utilisés ne sont pas si ressemblants, et donc ne créent pas de risque de confusion – dans le cas du Vlaams Belang, c’est vraiment tout l’inverse. Soit lorsque l’usage de la marque constitue l’extension de services déjà offerts sous cette marque ou sous une marque similaire – impossible également à invoquer pour le Vlaams Belang. 

Il est donc certain qu’en politisant IKEA, le Vlaams Belang viole les règles européennes.  

IKEA exige donc que le Vlaams Belang cesse d’utiliser son logo, car elle tient particulièrement à sa neutralité politique. Le parti politique n’en était pas à son coup d’essai dans ce domaine. En invoquant déjà à l’époque sa liberté d’expression, il avait produit une vidéo, en pleine pandémie, dans laquelle les acteurs portaient le même uniforme que les facteurs de bpost. Le Tribunal de l’entreprise a immédiatement condamné le Vlaams Belang et ordonné la suppression de la vidéo litigeuse, en jugeant que cela ne portait pas atteinte à sa liberté d’expression. IKEA a donc toutes les raisons de faire valoir ses droits face à ces pratiques illégales du parti d’extrême droite.

Contacté par nos soins, le Vlaams Belang n’a pas répondu à nos sollicitations.

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Nicole de Moor est “en contact avec la France” afin d’expulser l’Imam Hassan Iquioussen du territoire belge 

RTBF, 16 novembre 2022

Nicole de Moor (CD&V), secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, a déclaré, sur Twitter et sur son site internet, discuter avec la France de l’expulsion de l’Imam Hassan Iquioussen, malgré la décision judiciaire belge de ne pas exécuter le mandat d’arrêt européen émis par les autorités de l’Hexagone.

Cathy Bodson, étudiante en droit à l’Université Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain, professeure de droit pénal, Université Saint-Louis – Bruxelles, le 9 décembre 2022.

Un arrêté d’expulsion émis par la France 

Hassan Iquioussen, de nationalité marocaine, a été sommé, à plusieurs reprises, de quitter la France. A la fin de l’année 2021, après avoir demandé le renouvellement de son titre de séjour, il reçoit un premier avis d’expulsion. Le 29 juillet 2022, le ministre français de l’intérieur, Gérald Darmanin, lui notifie un arrêté d’expulsion du territoire français, en raison de discours prosélytes jugés “contraires aux valeurs de la République”. Mais cet arrêté est suspendu par le tribunal administratif de Paris qui considère que contraindre l’Imam à quitter la France porterait “une atteinte grave et manifestement disproportionnée à son droit à mener une vie privée et familiale”. Gérald Darmanin introduit un recours au Conseil d’Etat français, qui décide, le 30 août 2022, d’aller à l’encontre de la décision du tribunal parisien et de donner “son feu vert à l’expulsion de l’Imam Iquioussen”.  

Lorsque la police se rend, le 31 août 2022, au domicile de l’Imam, ce dernier est introuvable et on le soupçonne d’avoir pris la fuite en Belgique. Selon certains, en quittant la France de lui-même, Hassan Iquioussen aurait respecté la décision de justice, en exécutant l’arrêté d’expulsion. Le jour même, un juge d’instruction de Valenciennes délivre néanmoins un mandat d’arrêt européen pour soustraction à l’exécution d’une mesure d’expulsion du territoire. 

L’imam Iquioussen est arrêté le 30 septembre 2022 en Belgique et placé en détention préventive à la prison de Tournai, sur la base du mandat d’arrêt délivré par la France. 

La Belgique refuse d’exécuter le mandat d’arrêt européen 

Après examen par le tribunal de première instance de Tournai et par la Cour d’appel de Mons, les deux juridictions rendent le même verdict : le mandat d’arrêt n’est pas exécutable dans ce cas de figure car les “faits à la base du mandat d’arrêt européen décerné le 31 août 2022 ne sont pas constitutifs d’une infraction en droit belge”, souligne le substitut du procureur François Demoulin 

En d’autres mots, le mandat d’arrêt ne respecte pas la condition de la double incrimination, à savoir que les faits à la base du mandat d’arrêt doivent être punis tant dans le pays d’émission du mandat que dans celui de son exécution. En effet, la “soustraction à l’exécution d’une mesure d’éloignement” qui a justifié la délivrance du mandat d’arrêt européen constitue une infraction aux yeux de la loi française, mais pas selon la loi belge.  

Une ordre de quitter le territoire en lieu et place du mandat d’arrêt européen ?  

Le 15 novembre 2022, la Secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, Nicole de Moor, notifie à Hassan Iquioussen une décision qui comprend trois volets : un ordre de quitter le territoire sans délai, la reconduite à la frontière et le maintien en centre fermé en vue d’éloignement, au motif que “l’intéressé n’a pas la volonté de respecter les décisions administratives prises à son égard et qu’il risque donc de se soustraire aux autorités compétentes”. Il est placé au centre fermé de Vottem.  

En droit belge, il est prévu que “le ministre ou son délégué doit donner à l’étranger, qui n’est ni autorisé ni admis à séjourner plus de trois mois ou à s’établir dans le Royaume, un ordre de quitter le territoire”. La même loi définit précisément ce “retour”, imposant à la personne de retourner, soit dans son pays d’origine, soit “dans un autre pays tiers dans lequel le ressortissant concerné décide de retourner volontairement et sur le territoire duquel il est autorisé ou admis au séjour”. En cas d’expulsion, l’Imam pourrait donc retourner dans son pays d’origine, le Maroc, ou dans un autre pays, dans lequel il souhaite séjourner et où il peut prétendre à un droit de séjour, ce qui n’est à l’évidence pas le cas de la France, puisqu’il doit en être expulsé. 

En réaction à l’ordre de quitter le territoire, ses avocats ont introduit un recours en extrême urgence au Conseil du Contentieux des Etrangers belge. D’une part, ils exposent que la décision administrative “ne contient aucun motif de droit autorisant une remise à la France”. D’autre part, ils redoutent qu’une remise à la frontière française entraîne immédiatement des poursuites judiciaires et une condamnation, ce qui  serait contraire à la directive 2008/115 de l’Union européenne. En effet, selon eux, “le droit de l’Union interdit clairement qu’un Etat membre puisse infliger une peine d’emprisonnement pour le seul motif qu’un étranger demeure en séjour irrégulier sur le territoire ou refuse d’exécuter volontairement une décision d’éloignement”.  

Dans son arrêt rendu ce 5 décembre 2022, le juge administratif belge refuse de suspendre la décision prise par Nicole De Moor. Il confirme néanmoins que la décision administrative a pour objet la remise de Hassan Iquioussen à la frontière française et considère déjà que, sur ce point, la décision est problématique, car elle ne fait pas mention d’un traité entre, notamment, la Belgique et la France, à savoir “l’Arrangement du 16 avril 1964 concernant la prise en charge de personnes aux frontières communes entre le territoire de ces Etats”. Or, selon les termes de ce traité, la France ne peut être considérée que comme un pays de résidence ou de transit, en vue d’un renvoi vers le Maroc. La remise de Hassan Iquioussen aux autorités françaises ne pourrait dès lors poursuivre comme objectif de le faire juger en France, au risque de contourner, par la voie administrative, la décision des autorités judiciaires belges.  

Contacté par nos soins, le cabinet de la Secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, Nicole de Moor, a répondu que “ce n’est pas parce que la justice ne peut pas extrader l’homme que nous ne pouvons rien faire en matière de migration”. Selon eux, l’Imam Iquioussen est en séjour illégal sur le territoire belge et ne semble pas vouloir partir de manière volontaire. La collaboration avec la France a pour but de le faire expulser du territoire belge étant donné qu’il représente un danger pour la société. 

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Selon Alexander De Croo, “l’impact sur le réchauffement climatique, on l’a surtout en dehors de nos frontières” 

RTBF, Matin Première, 7 novembre 2022, 10’ 13’’

Lors d’une interview à la RTBF au lendemain de l’ouverture de la “COP27”, le Premier ministre, Alexander De Croo, a déclaré que “l’impact sur le réchauffement climatique, on l’a surtout en dehors de nos frontières”. Or, ces propos sont contraires à l’engagement pris par la Belgique lors de sa ratification de l’Accord de Paris.

Mata Sherel, Sefu Asha Amanda, étudiantes en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Marie-Sophie de Clippele, professeure de droit et membre du Centre d’Etudes du Droit de l’Environnement (CEDRE), Université Saint-Louis – Bruxelles, le 16 novembre 2022

Comme chaque année, la Conférence des Parties, plus communément appelé “COP”, réunit tous les Etats ayant ratifié l’accord de Rio en 1992. Cette conférence vise à mettre en place, selon les termes de l’Accord de Paris signé en 2015 “une riposte efficace et progressive à la menace pressante des changements climatiques”. Cette année, c’est la ville de Charm el-Cheikh, en Egypte, qui accueille le 27e sommet de la Conférence des Parties. A quelques jours du départ de la délégation belge, Alexander De Croo explique que, selon lui, les défis climatiques auxquels font face les Belges ne doivent pas être amenés sur la scène internationale, mais doivent faire l’objet d’une concertation sociale au niveau national. Il précise que les efforts individuels des Belges comptent, mais que cela n’a pas de réel impact sur une population mondiale de 7 milliards d’habitants. 

En insistant lourdement sur les efforts qui devraient être faits par les autres pays, et en particulier les plus grands Etats de la planète, le discours du Premier ministre contredit frontalement le texte de l’Accord de Paris, texte que la Belgique a pourtant ratifié en 2016. 

En effet, les articles 2 et 4 de l’Accord précisent que chaque Etat signataire, si petit soit-il, doit travailler à réduire son impact sur le réchauffement climatique. L’article 3, oblige chaque État partie à engager et communiquer des « efforts ambitieux ». L’article 4 alinéa 3 souligne à cet égard que les Etats devront contribuer à atteindre l’objectif de température à long terme (maximum 2° au-dessus de la température moyenne préindustrielle de la planète et de préférence 1,5°) au niveau national par “une progression par rapport à la contribution déterminée au niveau national antérieure” qui “correspondra à son niveau d’ambition le plus élevé possible”. Si chaque État doit faire son maximum selon l’Accord de Paris, il ne faut pas minimiser cette contribution, au contraire.  

Ce même article 4 alinéa 3 précise par ailleurs qu’il faut tenir comptes des capacités de chaque pays ainsi que des responsabilités communes mais différenciées pour réaliser cette ambition. Les pays développés, comme la Belgique, ont une responsabilité historique, et du coup plus importante, par rapport aux pays en développement. Ils se doivent de leur “montrer la voie”, tout en respectant leurs propres responsabilités climatiques. 

La Belgique a donc un impact non négligeable dans la responsabilité commune face au réchauffement climatique. Notre pays est obligé d’y contribuer, comme l’a d’ailleurs exigé un collectif de citoyens dans l’affaire Klimaatzaak, qui a conduit à une première condamnation de toutes les autorités belges compétentes. Ces autorités, “dans la poursuite de leur politique climatique”, ont été jugées imprudentes, et donc fautives. 

Contacté par nos soins, Alexander De Croo n’a pas répondu à nos sollicitations.

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La ministre flamande de la Justice, Zuhal Demir, retient une subvention pour la KU Leuven, vu le “silence assourdissant du rectorat” dans une affaire de viol. 

De Morgen, 24 octobre 2022

La ministre flamande de la justice, Zuhal Demir (N-VA), a suspendu 1,4 million d'euros de subventions prévues pour la KU Leuven. Cette suspension a pour but de faire comprendre son mécontentement sur la manière dont l'université a traité une affaire de viol d’une étudiante par un professeur. Cette annonce a nourri un sérieux débat sur un éventuel abus de ses compétences.

Olivia Keteleer, étudiante en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles // Pierre-Olivier de Broux, professeur de droit, Université Saint-Louis – Bruxelles, le 24 novembre 2022.

Un manque de transparence de la KULeuven ? 

En juillet 2016, lors d’une conférence à Barcelone, une étudiante a été violée par un professeur de la KULeuven. L’étudiante, ne voulant pas faire de scandale, est passée par un intermédiaire pour avertir une personne de confiance au sein de la faculté concernée. Aucune plainte officielle n’a été déposée. Ce n’est qu’en 2018 que les parents, après avoir rencontré le recteur de la KULeuven, sont invités à déposer plainte auprès de la police. Entre la plainte formelle et la suspension officielle du professeur, il a pu poursuivre ses activités pendant six mois. Selon l’avocat de l’université, l’absence de mesures de protection durant cette période était une requête venant du parquet, qui exigeait de ne rien faire qui puisse alarmer le suspect. Toute réaction de l’université “aurait immédiatement fait comprendre que quelque chose se passait et aurait potentiellement conduit à la perte de preuves”. 

Malgré cet ordre de la justice, désormais rendu public, beaucoup se posent des questions sur la manière dont la KULeuven a géré cette affaire. Notamment, la ministre flamande de la Justice, Zuhal Demir (N-VA), également compétente pour l’environnement, l’énergie et le tourisme. Elle tient à punir “le silence assourdissant du rectorat actuel“, en suspendant une procédure de subvention grâce à laquelle l’université devait toucher 1,4 million d’euros pour célébrer son six-centième anniversaire. La ministre Demir affirme devoir se “montrer dure envers une institution qui ne condamne pas immédiatement le viol”. Elle veut ainsi rappeler la responsabilité sociale de la plus grande université du pays. La ministre affirme néanmoins que la suspension est temporaire, le temps que le recteur apporte suffisamment de clarté et de transparence dans le dossier. 

Mais un abus temporaire de la ministre 

Si les intentions de la ministre Demir sont ainsi parfaitement transparentes, elles posent néanmoins question sur le plan juridique. Même si la mesure annoncée par la ministre est temporaire ou provisoire, il est en effet très difficile de la justifier, comme l’ont déjà souligné plusieurs commentaires dans la presse. 

En effet, comme le souligne une professeure de droit administratif à l’Université d’Anvers, Zuhal Demir “utilise un pouvoir que lui confère la loi dans un but autre que celui pour lequel il a été accordé“. La ministre dispose en effet du pouvoir d’accorder des subventions en matière de tourisme, comme ici pour soutenir le futur anniversaire de l’université. Mais, en principe, elle ne peut refuser ou suspendre de telles subventions “que pour des raisons liées à la valeur d’un projet du point de vue touristique”. Or, ici, la ministre Demir justifie sa décision par des motifs et une indignation qui sont tout à fait étrangers à l’intérêt “touristique” de la subvention. L’affaire de viol et le subside ne sont pas liés par le seul fait qu’ils concernent la même université. 

Le juge administratif qualifie une telle situation de “détournement de pouvoir”. Comme indiqué dans une décision récente (p. 23), il s’agit de la situation où l’autorité agit “de façon tout à fait régulière en apparence”, mais pour atteindre “un but autre que celui de l’intérêt général en vue duquel ces pouvoirs lui ont été conférés“. Dans l’affaire de la KULeuven, si la ministre Demir peut évidemment suspendre ou bloquer un subside “touristique”, elle le fait ici dans un tout autre objectif que ceux liés à ces compétences touristiques. Il s’agit donc d’un “détournement de pouvoir”. 

Si les intentions de la ministre Demir ne sont évidemment pas critiquables, elle devait donc trouver d’autres moyens de faire connaitre son indignation. L’abus “temporaire” de la ministre ne devrait cependant pas vraiment avoir de conséquences, puisque l’enquête d’un commissaire du gouvernement a confirmé dans les jours qui ont suivi le traitement suffisamment correct de l’affaire par l’université. On peut donc supposer que le subside suspendu sera finalement accordé. 

Contactée par nos soins, Zuhal Demir n’a pas répondu à nos sollicitations. 

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Selon Nicole de Moor, les étrangers peuvent, de nos jours, “choisir le pays où ils veulent demander l’asile”.

Het Laatste Nieuws, le 22 octobre 2022

Dans une interview donnée sur VTM : la secrétaire d’état, Nicole de Moor, compétente en matière d’asile et de migration au sein du gouvernement De Croo, a affirmé que les migrants pouvaient choisir le pays dans lequel ils vont demander l’asile. Or le règlement Dublin III, qui est applicable en Belgique, vise justement à éviter ce phénomène.

Tessa Wesmael, étudiante en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles, sous la supervision de Pierre-Olivier de Broux, professeur de droit public à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, le 8 mars 2023.

Dans une interview donnée à la presse flamande (et répétée sur la chaîne de télévision VTM le lendemain), la secrétaire d’État a défendu sa politique en matière d’accueil des réfugiés notamment en regrettant que la Belgique doive accueillir tant de personnes migrantes, en comparaison avec un grand nombre d’autres pays européens. Elle dénonce alors le fait que “ aujourd’hui, les gens peuvent simplement choisir le pays où ils veulent demander l’asile. […] Ils passent d’un pays à l’autre et ce n’est pas acceptable” (traduction libre). Cet argument contredit cependant de manière assez flagrante le droit européen. 

Le règlement Dublin III est en effet un règlement du Parlement européen et du Conseil européen mis en place pour régir la manière dont les demandes d’asile sont traitées dans l’Union européenne (UE). 

Il s’applique dans les 26 pays de l’UE, ainsi qu’en Suisse, en Islande, en Norvège et au Liechtenstein, mais plus au Royaume-Uni depuis le 1er janvier 2021. Ce champ d’application géographique s’appelle plus communément “l’espace Dublin”. 

Ce règlement permet de déterminer quel État membre de l’UE sera responsable de chaque demande d’asile et d’énoncer les critères sur lesquels se baser pour prendre cette décision. Comme le souligne l’administration suisse, le règlement va également donner “à chaque requérant l’assurance que sa demande est bien examinée et qu’elle ne fait pas l’objet d’un examen dans deux États en même temps”. Cela permet d’éviter le phénomène de “l’Asylum shopping”, qui se produit lorsque les demandeurs d’asile se voient refuser leur demande dans un pays et décident alors de changer de pays pour réitérer leur demande. 

Malgré ses avantages, le règlement Dublin III pourrait bénéficier de quelques aménagements et d’une modernisation pour mieux faire face à la réalité actuelle. 

Dans la majorité des cas en effet, c’est le pays où le demandeur d’asile est arrivé en premier qui est responsable de sa demande, et cela pose des problèmes pratiques. Un très grand nombre de personnes migrantes arrivent en bateau dans le sud de l’Europe, et certains pays se retrouvent à gérer des demandes d’asile en quantités nettement supérieures à d’autres pays. Les pays qui sont accessibles en bateau par la Méditerranée sont particulièrement concernés par cet afflux : la Grèce, par exemple, appelle à la “solidarité européenne” pour faire face au surcroît de demandes d’asile. C’est ce que souligne Alexis Deswaef, avocat et vice-président de la Fédération internationale pour les droits humains au micro de la RTBF : “C’est une norme totalement dépassée. À l’époque où le règlement a été établi, les candidats à l’asile arrivaient essentiellement en avion. Depuis, avec la sévérité accrue des contrôles dans les aéroports, cela a changé : ils entreprennent la route principalement par terre ou par la mer. Dès lors, le critère du pays d’arrivée pénalise les pays comme l’Italie, la Grèce et l’Espagne. Lors de la crise migratoire entre 2015 et 2016, l’Italie avait tiré la sonnette d’alarme, mais c’est resté lettre morte.” 

En conclusion, le règlement Dublin III ne permet donc pas de faire de “l’Asylum shopping”. Des exceptions existent évidemment (par exemple pour les mineurs ou les membres d’une même famille), mais nous sommes loin de ce que soutient Nicole de Moor. Elle ne peut pas faire de ces exceptions une généralité. Ses propos sont donc juridiquement erronés. 

Contactée par nos soins, Nicole De Moor a précisé qu’elle critiquait en réalité la mauvaise application du règlement de Dublin. S’il y a indéniablement des améliorations possibles à la mise en œuvre de ce règlement européen, les propos tenus dans les interviews surlignés n’évoquent en rien cette précision, et sont donc erronés. 

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L’Exécutif des Musulmans de Belgique a dénoncé une action “grossièrement inconstitutionnelle”

Le Monde, 8 octobre 2022

L’Exécutif des musulmans de Belgique conteste la décision du ministre belge de la justice, chargé des cultes, Vincent Van Quickenborne, de priver de sa reconnaissance officielle et de sa subvention l’organe représentatif du culte musulman, notamment en qualifiant cette décision de “grossièrement inconstitutionnelle”. Indéniablement, les questions posées par la décision du gouvernement restent nombreuses.

Ilias Amechrouk, étudiant en droit, Université Saint-Louis - Bruxelles // sous la supervision de Jogchum Vrielink et Pierre-Olivier de Broux, professeurs de droit public, Université Saint-Louis - Bruxelles, le 9 décembre 2022.

La décision prise par le ministre de la Justice le 29 septembre 2022 est la conclusion d’échanges qui datent déjà de l’automne 2020, et de déclarations épinglées sur notre site en mars 2022. Le ministre de la Justice a maintenant formellement décidé de priver de reconnaissance l’organe représentatif du culte musulman, en rendant publics l’ensemble des motifs de sa décision et en suscitant des réactions outrées de la part des membres de l’Exécutif musulman de Belgique (EMB). 

Le retrait de la reconnaissance d’un organe représentatif d’un culte doit être sérieusement justifié 

Comme déjà expliqué, la reconnaissance de l’organe représentatif d’un culte n’est pas en soi un droit fondamental, mais les restrictions qui lui sont apportées doivent néanmoins être suffisamment justifiées en droit. Elles constituent en effet une atteinte à la liberté de la religion, qui est un droit garanti notamment par la Constitution et par la Convention européenne des droits de l’homme.  

Les justifications invoquées par la décision gouvernementale sont multiples. Premièrement, l’EMB prendrait “des mesures concrètes insuffisantes pour organiser effectivement des élections” pour son renouvellement, alors que les mandats de ses membres sont expirés depuis le 1er avril 2020. Deuxièmement, les élections annoncées par l’EMB ne garantiraient pas la représentativité et la légitimité requises. Dans un communiqué de presse préalable, le ministre de la Justice expliquait en effet que “à l’automne 2020, par exemple, la Sûreté de l’État a constaté qu’il était question d’ingérence étrangère. […] Malgré un conseil d’administration composé de 17 membres élus censés représenter les différents courants de la communauté musulmane, la gestion était de facto entre les mains de quelques individus […]. De ce fait, la communauté musulmane de notre pays ne dispose toujours pas de la représentation à laquelle elle a droit, ce qui entrave l’intégration des musulmans dans notre pays”. Troisième motif de la décision : il “existe de sérieux manquements et de graves dysfonctionnements dans le fonctionnement de l’Exécutif actuel”, ce qui serait confirmé par l’opposition de certains membres de l’EMB lui-même.  Les reproches concrets adressés à l’EMB ne sont cependant pas rendus publics. Le communiqué de presse du ministre les synthétise sous l’exigence d’un organe “inclusif, pluraliste, représentatif et transparent”. 

Conséquences de cette décision : des mesures de continuité pour assurer la reconnaissance des communautés religieuses locales par les entités fédérées, la désignation de conseillers en islam et d’enseignants en islam; mais surtout le gel de toute nouvelle subvention pour l’EMB. 

Le gouvernement ne convainc pas 

Au regard de cette motivation plus détaillée, il n’est donc pas si simple d’affirmer que le retrait de reconnaissance serait “grossièrement inconstitutionnel”. N’empêche : tant factuellement que juridiquement, les justifications du gouvernement soulèvent évidemment de nombreuses questions. Les faits sont-ils établis (malgré les préparatifs électoraux menés par l’EMB) ? Et si oui, ces motifs sont-ils suffisamment sérieux et graves pour justifier le retrait de reconnaissance ? 

En réalité, les restrictions ainsi portées à la liberté de religion sont surtout interpellantes par rapport aux exigences manifestement moins grandes du gouvernement à l’égard des autres cultes reconnus, comme nous l’avions déjà exposé. La mesure dans laquelle les représentants d’autres cultes peuvent être considérés comme “inclusifs”, “pluralistes” et “représentatifs” ne semble pas beaucoup mieux assurée. 

Ces restrictions ne sont par ailleurs pas expressément prévues par la loi, contrairement au prescrit de la Convention européenne des droits de l’homme. La loi ne règle en effet que la création d’un organe représentatif, qui est soumise à l’autorisation du roi : elle ne prévoit pas ce “retrait” de la reconnaissance.  

Le gouvernement doit également démontrer que les restrictions adoptées sont nécessaires par rapport à l’objectif qu’il poursuit. Il aurait donc dû se souvenir d’une situation similaire antérieure, qui l’avait conduit à suspendre le subside de l’EMB, sans lui retirer sa reconnaissance. La nécessité n’est donc pas facile à démontrer en l’espèce. A tout le moins une mesure moins attentatoire à la liberté de religion, et poursuivant le même objectif, semble donc possible. 

Une demande de suspension a déjà été introduite en justice contre la décision de retrait de reconnaissance. Cependant, le Conseil d’État a jugé irrecevable la demande, l’EMB n’étant pas lui-même directement parti au litige, alors qu’il est le seul concerné par la décision, selon le juge administratif. C’est néanmoins indéniablement au juge qu’il appartient désormais de trancher le litige, au vu des épineuses questions soulevées par la décision et au vu de l’atteinte à la liberté du culte musulman qu’elle provoque. 

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Le traité belgo-iranien est-il “taillé sur mesure” pour opérer le transfèrement d’Assadollah Assadi vers l’Iran, en échange du retour de l’otage belge Olivier Vandecasteele ?  

Le traité belgo-iranien organisant le transfèrement est-il "taillé sur mesure" pour échanger Assadollah Assadi, diplomate iranien reconnu coupable de terrorisme par la justice belge, et Olivier Vandecasteele, travailleur humanitaire belge retenu en otage en Iran ?

Cathy Bodson, étudiante en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain, professeure à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, le 15 novembre 2022.

À la Chambre des représentants, certains députés ont critiqué le projet de loi visant à ratifier le traité belgo-iranien de transfèrement des condamnés. Il semblerait que ce traité soittaillé sur mesure” pour échanger Assadollah Assadi, diplomate iranien reconnu coupable de terrorisme par la justice belge, et Olivier Vandecasteele, travailleur humanitaire belge retenu en Iran. Or, la procédure de transfèrement ne vise pas à échanger des personnes condamnées, mais à favoriser la réinsertion sociale de celles-ci dans leur pays d’origine. 

Le 20 juillet 2022, la Belgique adoptait la loi portant assentiment au traité belgo-iranien organisant le transfèrement de personnes condamnées entre les deux pays. Quelques semaines plus tard, c’est le parlement iranien qui approuvait ce même texte, avant une ratification par le Président de la République, Ebrahim Raïssi, le 13 novembre dernier. Le traité permet qu’un détenu iranien, incarcéré dans une prison belge, puisse retourner en Iran pour exécuter sa peine et vice-versa. 

En Belgique, les débats à la Chambre des représentants ont soulevé l’objectif sous-tendu par la procédure de transfèrement : alors que la mesure vise à favoriser la réinsertion de la personne transférée, n’y a-t-il pas un risque d’instrumentalisation aux fins d’échanger des détenus entre les deux pays ? 

Mais le transfèrement interétatique, c’est quoi ? 

C’est une procédure, encadrée par une convention du Conseil de l’Europe de 1983, permettant à une personne condamnée dans un État A (appelé “État de condamnation”) à être transférée vers un État B (dit “État d’exécution”) pour y exécuter sa peine. Elle doit faire l’objet d’un accord entre les États concernés, notamment par le biais d’un traité bilatéral, comme cela est prévu par la loi belge du 23 mai 1990 

En outre, le transfèrement n’est pas un droit, mais une faculté accordée suite soit à la demande du détenu, soit à la requête d’un des deux États concernés souhaitant le transfèrement, procédure qui nécessite en principe le consentement de la personne condamnée.   

Et quel est son objectif ?  

Tout comme la convention de 1983, la décision-cadre du Conseil de l’Europe de 2008 précise que le transfèrement permet à un État “de reconnaître le jugement et d’exécuter la condamnation ” d’un autre État, “en vue de faciliter la réinsertion sociale de la personne condamnée”.  

L’objectif est donc bien de permettre à la personne condamnée d’exécuter sa peine dans son pays d’origine (ou de résidence), dans le but de favoriser sa réinsertion sociale. Dès lors, comme le précisent Suliane Neveu (UCLouvain) et Biagio Zammitto (SPF Justice), “la réhabilitation du condamné devrait être la seule préoccupation des autorités lorsqu’elles prennent une décision quant au transfert interétatique”. 

Le contexte particulier du traité belgo-iranien 

Le projet de loi portant assentiment au traité belgo-iranien a été déposé au Parlement dans un contexte particulier. D’un côté, Assadollah Assadi, de nationalité iranienne, a été jugé coupable de terrorisme par le tribunal d’Anvers et est incarcéré en Belgique depuis 2021. De l’autre côté, Oliver Vandecasteele, de nationalité belge, est retenu en Iran depuis plus de huit mois. Les raisons de son arrestation restent inconnues et aucune charge ne semble peser contre lui.  

Selon l’avocat Georges-Henri Beauthier, ce traité serait “un tour de passe-passe pour faire libérer Assadi” (Le Monde, International, 22 juillet 2022, p. 7), une sorte de monnaie échange pour obtenir la libération d’Olivier Vandecasteele, ce que le ministre de la Justice, Vincent van Quickenborne, confirme en soulignant la pression que semble subir la Belgique par l’Iran, qui détériorerait “la sécurité de nos intérêts (…) de manière systématique”. Ajoutons que Vandecasteele n’a pas été condamné par la justice iranienne, de sorte qu’il n’est pas éligible au transfèrement (article 3 du traité), mais pourrait simplement être libéré, ce qui sous-tend l’aspect politique des échanges interétatiques.

Ce “tour de passe-passe” a été notamment dénoncé par le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), un collectif de belgo-iraniens opposés au régime en place en Iran, qui a obtenu, devant la justice belge, l’interdiction de transférer Assadollah Assadi vers l’Iran. Le tribunal de première instance de Bruxelles vient de lever cette interdiction. Si le jugement est frappé d’appel, celui-ci n’est pas suspensif. 

D’autres, comme le député Georges Dallemagne (Les Engagés) ou la NVA, craignent, en cas de transfèrement vers l’Iran, qu’Assadollah Assadi ne purge pas le reste de sa peine. Le droit leur donne raison puisque l’article 13 du traité belgo-iranien précise que “chaque Partie peut accorder la grâce, l’amnistie ou la commutation de la condamnation conformément à sa Constitution ou à ses autres dispositions légales”. Le même libellé est repris à la Convention du Conseil de l’Europe, en son article 12. 

En conclusion  

Le transfèrement interétatique de personnes condamnées peut constituer une arme redoutable lorsque des intérêts nationaux sont en jeu. Certains politiciens n’ont pas hésité à qualifier l’attitude de l’Iran de “chantage odieux” en faisant pression sur le gouvernement belge pour obtenir le transfèrement d’Assadollah Assadi en échange de la libération d’Olivier Vandecasteele. Ce contexte politique particulier aurait justifié l’urgence d’adopter la loi du 20 juillet 2022 portant assentiment au traité belgo-iranien. Cette loi fait actuellement l’objet d’un recours en annulation et en suspension devant la Cour constitutionnelle. 

Reste à voir si les garanties offertes par le droit belge et européen seront suffisantes pour respecter l’Etat de droit.

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L’instabilité gouvernementale au Royaume-Uni est-elle inédite ?

Lizz Truss aura quitté Downing Street après 49 jours au pouvoir seulement, sous le regard atterré des commentateurs politiques du monde entier. Mais l’instabilité allègrement qualifiée d’”inédite” par nombre de ces mêmes commentateurs est-elle vraiment si rare ?

Aurélien Antoine, professeur de droit public à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne, Directeur de l’Observatoire du Brexit, auteur de “Le Brexit. Une histoire anglaise“, Dalloz, 2020 et de “Droit constitutionnel britannique”, LGDJ, 3e éd., à paraître

Avec trois Premiers ministres en quatre mois, le Royaume-Uni connaît une instabilité qui a souvent été présentée comme inédite dans l’histoire. The Economist a même saisi l’occasion pour caricaturer les attributs de l’allégorie de la nation britannique, Britannia, dans sa Une du 20 octobre : au trident se substitue une fourchette sur laquelle sont enroulés des spaghettis et le bouclier est remplacé par une pizza. Cette évocation d’un Royaume-Uni en Britaly n’a pas plu à l’ambassadeur de l’Italie à Londres, mais elle est révélatrice de la crainte d’une partie des observateurs de la vie institutionnelle d’outre-Manche que l’instabilité gouvernementale devienne endémique.

DU BIPARTISME À UN PAYSAGE PARTISAN FRACTURÉ

Plusieurs évolutions constatées ces dernières années laissent effectivement penser qu’il pourrait être plus fréquent de voir les gouvernements se succéder à des intervalles brefs. Il y a d’abord une raison exogène au parti conservateur. Le paysage partisan s’est fracturé au point que, depuis 2010, seul Boris Johnson est parvenu à se reposer sur une majorité tory classique. De 2010 à 2015, les conservateurs ont dû conclure un accord de coalition avec les libéraux-démocrates. De 2015 à 2016, si David Cameron a bénéficié d’une majorité sans devoir s’appuyer sur un parti tiers, c’est parce que la formation anti-Union européenne, le UKIP, avait accepté de retirer des candidats à la suite de la promesse du Premier ministre d’organiser un référendum sur l’adhésion du Royaume-Uni à l’UE. De 2017 à 2019, Theresa May n’a pas gagné son pari de la dissolution et a dû composer avec le parti unioniste nord-irlandais, le DUP. Cette petite formation contribua grandement à la chute de la Première ministre. Il appartient aux chercheurs en science politique d’expliquer les motifs précis de cette fracturation, mais l’un d’entre eux est incontestablement le recul des partis conservateur et travailliste en Écosse où les nationalistes du Scottish National Party n’ont cessé d’asseoir leur emprise sur la nation septentrionale de la Grande-Bretagne. Depuis 2015, le SNP détient une très large majorité des sièges écossais à la Chambre des Communes (48 sur 59 en 2019, après un record en 2015 avec 56 élus). Solidement installé comme troisième force politique à Westminster, ce parti n’a vocation à s’allier ou apporter son soutien à aucun gouvernement, que ce soit à droite ou à gauche.

UN PARTI TORY DEVENU ATTRAPE-TOUT

L’autre motif est intrinsèquement lié au parti tory. Bien qu’il ait rarement été une formation politique dotée d’une ligne doctrinale unique, la capacité de plusieurs de ses leaders à réaliser une espèce de synthèse ou à mettre au pas les oppositions internes a souvent permis de préserver l’unité, même de façade. Lorsqu’elle a volé en éclat, les électeurs ont sanctionné les tories. En 2019, après les dissensions majeures qui ont nourri une crise politique intense directement liée au Brexit, Boris Johnson semblait enfin avoir trouvé le moyen de les surmonter. Après avoir conclu un accord de retrait du Royaume-Uni de l’UE avec les négociateurs européens qui a rassuré les Brexiters, il a multiplié les promesses à destination des classes populaires du nord de l’Angleterre (avec le projet de levelling up qui vise à réduire les inégalités territoriales par un investissement public accru dans les régions plus défavorisées). Le Premier ministre parvint ainsi à satisfaire aussi bien l’aile droite que modérée du parti. Son large succès aux élections de 2019 lui permit de récolter les fruits de cette ligne programmatique. Plusieurs journalistes n’ont pas hésité à affirmer, à l’époque, qu’il pourrait se maintenir au 10 Downing Street une décennie tant cette synthèse, malgré sa superficialité, était de prime abord séduisante pour réunir le parti et attirer un nombre important d’électeurs.

Malheureusement pour les conservateurs, le comportement de Boris Johnson a eu raison d’une période de stabilité annoncée avec un peu trop de précipitation. En effet, entre la radicalité des thuriféraires de Margaret Thatcher (qui ont marqué les esprits en 2012 par la publication d’un opuscule néo-conservateur, Britannia Unchained), l’orientation interventionniste défendue par les élus du « mur rouge » anciennement travailliste du nord de l’Angleterre, et l’europhilie de quelques membres du Parlement, il semblait improbable que l’unité soit durable. Le traumatisme de l’année 2019 a laissé des traces et si le Brexit n’est plus au cœur des débats outre-Manche, il est devenu, à l’instar de l’adhésion aux Communautés européennes en 1972, une cause de discorde refoulée, mais bien présente.

DES TURPITUDES DE PREMIERS MINISTRES QUI N’ARRANGENT RIEN

Cependant, ce qui a conduit Boris Johnson, puis Liz Truss à la démission n’a pas vraiment de rapport avec le Brexit. Dans les deux cas, c’est leur manque de respect à l’égard de quelques principes essentiels du droit constitutionnel britannique qui a précipité leur chute. Boris Johnson a dû se retirer parce qu’il avait enfreint à plusieurs reprises les règles que son propre gouvernement avait édictées pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Son attitude fait toujours l’objet d’une enquête parlementaire aux Communes et prouve à quel point ces atteintes répétées au droit (qui ne se limitent d’ailleurs pas aux mesures de confinement, mais concernent également les accords conclus avec l’UE) sapent le principe de rule of law – que l’on peut traduire par prééminence du droit – qui est central dans le fonctionnement de la démocratie parlementaire britannique.

Quant à Liz Truss, outre le fait que son programme contradictoire et dogmatique n’était pas tenable dans le contexte économique actuel, la rupture brutale avec certains des engagements du parti en 2019 qu’elle a soutenue a directement violé un usage d’éthique politique qui veut que le gouvernement soit lié par les promesses que le parti dont il est issu a faites aux électeurs dans le manifesto. Le succès de Rishi Sunak doit être compris comme un retour à une ligne plus en phase avec le programme de 2019. Toutefois, s’il devait à son tour trop s’en écarter, un problème de légitimité se poserait de nouveau.

Les changements rapides de Premiers ministres ont déjà émaillé l’histoire institutionnelle britannique. Après 1945, l’instabilité reste cependant relative. Entre début avril 1955 et janvier 1957, trois Premiers ministres se succèdent : Churchill, Eden et MacMillan. Plus marquants fut les cabinets de Baldwin (tory) et MacDonald (Labour) qui actaient, entre mai 1923 et novembre 1924, l’avènement du bipartisme entre conservateurs et travaillistes au détriment des libéraux. Au XIXe siècle, les ministères brefs ne sont pas rares et concernent les plus grandes personnalités de l’époque. Wellington en 1834 (22 jours, mais il ne comptait pas être Premier ministre et accepta de l’être dans l’attente du retour de Robert Peel alors en vacances familiales en Italie), Peel en 1835 (120 jours), ou Disraeli en 1868 (279 jours) en feront l’expérience. Dans tous les cas, les cabinets sont fragilisés par l’absence d’une majorité stable aux Communes ou en raison de la mauvaise gestion d’un dossier (comme la guerre de Suez par Anthony Eden). L’accalmie est souvent passée par l’appel aux urnes, tout comme en 1924 ou encore en 2019. En 2022, la situation de crise politique a ceci de préoccupant que les conservateurs en sont en partie responsables, qu’ils refusent de revenir devant les électeurs sous prétexte de la gravité du contexte économique, et que les prochaines élections devraient se tenir en principe en janvier 2025.

VERS DE NOUVELLES ÉVOLUTIONS CONSTITUTIONNELLES ?

L’instabilité actuelle a, par certains aspects, quelque chose d’inédit, mais une question plus fondamentale se pose. Serait-elle annonciatrice d’un changement profond de la vie politique britannique qui aurait un fort impact sur les institutions ? Le recul du bipartisme, le progrès de la décentralisation, l’émergence d’une forme de fédéralisme avec l’Écosse, et la suspicion des citoyens à l’égard des institutions londoniennes sont susceptibles de provoquer des évolutions plus radicales afin que ces nouvelles réalités soient prises en compte : l’autonomie accrue des nations celtes (voire leur sortie du Royaume-Uni) ou la transformation d’institutions comme la Chambre des Lords, sont fréquemment évoquées dans les débats politiques depuis plusieurs décennies. La formalisation des règles constitutionnelles est également une constante de discussions entre constitutionnalistes en vue de clarifier les rapports entre les pouvoirs et de les moderniser. Ce n’est certainement pas une solution miracle aux problèmes actuels du Royaume-Uni, mais la récurrence du thème de la réforme constitutionnelle prouve que le régime parlementaire britannique, malgré sa résilience, est mis à rude épreuve par la pratique du pouvoir des conservateurs.

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Selon Josep Borrell, “toute attaque nucléaire de la Russie contre l’Ukraine entraînera une réponse militaire des Occidentaux” 

La Libre, 17 octobre 2022

Suite aux menaces répétées de recours aux armes nucléaires, le Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a affirmé que toute attaque nucléaire russe entraînerait une “réponse militaire des Occidentaux”. Or, l’Union européenne, pas plus que son Haut représentant, n’ont de compétences en matière de conflits armés.

Lucia Naredo, étudiante en droit, Université Saint-Louis - Bruxelles // Timothée Ceurremans, assistant de droit européen, Université Saint-Louis – Bruxelles, le 7 novembre 2022

La représentation extérieure de l’Union européenne (Union) est un vrai casse-tête juridique. Alors que le Traité sur l’Union européenne (le “TUE“) prévoit que le président du Conseil européen (actuellement Charles Michel) assure « la représentation extérieure de l’Union pour les matières relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (la “PESC”), sans préjudice des attributions du Haut représentant des affaires étrangères et de la politique de sécurité », le même texte prévoit que le Haut représentant représente l’UE pour la PESC et conduit le dialogue politique avec les pays tiers. Ainsi, le TUE laisse une place prédominante aux dynamiques de pouvoir entre dirigeants européens et, en particulier, celles émergeant entre le Président du Conseil européen et le Haut représentant.   

Dans cette mesure, lorsque Josep Borrell affirme que « toute attaque nucléaire contre l’Ukraine entraînera une réponse, pas une réponse nucléaire, mais une réponse militaire si puissante que l’armée russe sera anéantie », il ne dépasse pas nécessairement le cadre de ses compétences, dans la mesure où son message n’implique aucune décision juridiquement contraignante et consiste plutôt en un dialogue politique avec les pays tiers 

En revanche, le Haut représentant de l’Union européenne ne dispose d’aucune base légale pour adopter une décision engageant les forces armées européennes contre l’armée russe en Ukraine. En effet, l’Union européenne – par la voie de son Conseil des Affaires étrangères qui doit statuer à l’unanimité – ne peut intervenir en dehors de son territoire qu’aux fins d’assurer des opérations de maintien de la paix, à prévenir les conflits ou à renforcer la sécurité internationale. Force est de constater qu’une intervention de la nature dont parle Borrell dépasserait le cadre des missions déjà entreprises sur la base de ces dispositions, qui visent principalement la prévention des conflits et le maintien de la paix par le biais d’assistance et de formation militaire. Le recours à la force militaire – antithèse de l’ambition pacificatrice animant l’intégration européenne – n’est même pas envisagé par les Traités.  L’UE ne pourrait donc pas intervenir en Ukraine comme Josep Borrell l’entend, ce dernier n’ayant ni la base juridique, ni les moyens ou l’opérabilité nécessaire.  

En proférant des menaces envers la Russie, Josep Borrell ne fait cependant pas uniquement référence à l’Union, mais également aux Occidentaux, en incluant l’OTAN et les États-Unis qui disposent de davantage de moyens pour « anéantir l’armée russe ». Sur ce point, le TUE rappelle que l’OTAN est le fondement de la défense collective des États-Membres et de sa mise en œuvre, créant par-là une complémentarité implicite avec le Traité de l’Atlantique-Nord. Complémentarité rappelée, au demeurant, très explicitement dans la récente « Boussole stratégique » de l’UE  qui concerne la stratégie de l’UE en matière de défense. C’est donc l’OTAN seule qui peut décider d’intervenir en Russie. 

Contacté par nos soins, Josep Borrell n’a pas répondu à nos sollicitations. 

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