En quoi consiste ce projet des Présidents des partis Ecolo, MR et PS ?
L’objectif de ce projet est de réduire le nombre de ministres, pour gagner en efficacité, en lisibilité et de faire des économies de fonctionnement.
Concrètement, la FWB garderait quatre compétences : l’enseignement, la culture, l’audiovisuel et la recherche (La question du sport semble encore épineuse, mais le projet transfèrerait l’aide à la jeunesse, la santé, les maisons de justice, la petite enfance, l’égalité des chances, la fonction publique ainsi que la formation, aux régions wallonne et bruxelloise).
Dans les faits, transférer des compétences de la Fédération Wallonie-Bruxelles aux Régions n’est pas une idée neuve ni révolutionnaire. L’article 137 de la Constitution le permet, et, par un décret spécial la Communauté française a déjà transféré l’exercice de certaines de ses compétences aux Régions. Ce qui est innovant, c’est d’en transférer autant, et de ne laisser que peu de compétences à la FWB.
Pourquoi ne pas se calquer sur l’architecture institutionnelle flamande ?
Du côté flamand, la Communauté flamande a absorbé la Région flamande, ce qui est autorisé en vertu de l’article 137 de la Constitution et a été mis en œuvre par les articles 1er, 19, 50 ainsi que par l’article 76 de la loi spéciale de réformes institutionnelles.
En effet, bien que les néerlandophones constituent une majorité indiscutable en Belgique, leur présence à Bruxelles demeure minoritaire. Cette situation explique pourquoi le mouvement flamand n’a rencontré aucune opposition significative à l’absorption de la Région flamande par la Communauté flamande, qui sert de lien entre les néerlandophones de Flandre et ceux de Bruxelles.
Une démarche similaire semble très peu probable du côté wallon, pour les raisons suivantes :
D’abord, pour des raisons démographiques et politiques : au sud du pays, on ne peut sous-estimer le poids des francophones bruxellois. En effet, nous comptons 19 bruxellois sur 94 députés au Parlement de la Communauté française, c’est à dire 24%. Tandis qu’au nord du pays, la proportion de néerlandophones bruxellois dans la Communauté flamande est faible (6 sur 124 députés au Parlement flamand, c’est-à-dire 2,4%). En cas d’un transfert complet des compétences, les élus bruxellois francophones auraient un poids beaucoup plus important sur la Région wallonne, compte tenu de leur présence considérable au sein du parlement wallon. Cette situation semble difficilement acceptable pour les néerlandophones.
Ensuite, pour des raisons fiscales : la Communauté française se trouve dans une impasse en ce qui concerne l’exercice de son pouvoir fiscal (qui lui est conféré par l’article 170, § 2 de la Constitution), contrairement à la liaison institutionnelle au nord du pays qui a fusionné les budgets de la Région flamande et de la Communauté flamande. Ni la Communauté flamande, ni la Communauté française ne peuvent effectivement prélever des impôts car cela impliquerait de faire payer non seulement les wallons de la région de langue française, mais aussi les francophones de Bruxelles (mais il n’y a pas de sous-nationalité).
La révision constitutionnelle de 1993 a ouvert un mécanisme de transfert, à l’inverse de la fusion, créant ainsi un fédéralisme asymétrique. En effet, la Communauté française a délégué plusieurs de ses compétences à la Région wallonne, tandis que Bruxelles a acquis certaines compétences via la COCOF (article 138, al. 2 de la Constitution).
Ce projet est-il faisable ?
A Bruxelles, impossible de confier de telles compétences sans l’accord des partis flamands
Les trois chefs de partis en parlent comme un sujet déjà acquis, et insistent sur l’accord presque historique entre leurs trois partis, mais semblent peu parler de la Flandre, qui a également son mot à dire dans leur projet.
En effet, pour transférer des compétences à la Région de Bruxelles, il faut modifier les textes fédéraux : la Constitution ou la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980. Cette modification impliquerait une nouvelle réforme de l’Etat, et pour cela, il faut l’accord du nord du pays.
Or, comme Céline Romainville l’exprime, il semble peu probable que les partis flamands acceptent de transférer leurs compétences à la Région de Bruxelles-Capitale car cela renforcerait le pouvoir de Bruxelles et “affaiblirait” le pouvoir de la Flandre. En effet, les néerlandophones étant minoritaires à Bruxelles, cette réforme ne leur serait pas favorable. En outre, cela priverait la Flandre de compétences dont elle dispose actuellement, ce qui ne s’est encore jamais fait. Cependant, les partis flamands se disent prêts à négocier.
La COCOF n’est pas faite pour des matières aussi importantes
Une manière de contourner la réforme est de trouver un arrangement entre francophones. Une solution envisagée par les trois partis serait de transférer les matières vers la COCOF, grâce à l’article 138 de la Constitution.
De plus, comme le souligne Céline Romainville, la COCOF n’est pas un organe créé pour gérer des compétences aussi importantes et, n’ayant pas de pouvoir fiscal, elle aurait des difficultés à tenir une situation financière à flot avec ces nouvelles compétences.
Ce projet voit le jour trop tard, trop précipitamment
Il est impossible de parvenir à l’adoption d’un décret au cours de cette législature, c’est pourquoi les présidents des partis Ecolo, MR et PS envisagent plutôt l’adoption d’une “résolution”. La résolution n’a pas de caractère constitutionnel. Il s’agit plutôt d’un engagement politique et informel entre les partis qui y adhèrent. Dans une résolution, il est possible d’exprimer des aspirations, même si celles-ci ne relèvent pas nécessairement des compétences d’une assemblée. Ainsi, les partis peuvent définir leur vision d’une réforme de l’État au travers de cette démarche (à l’instar de la Flandre au début des années 2000). Cependant, il convient de souligner que cela demeure un engagement politique et n’a pas de portée contraignante.
L’engagement des présidents de parti à adopter une “résolution” est audacieux, car ils sont incertains des résultats des élections à venir. Cette initiative semble destinée à mettre en lumière les enjeux politiques à l’approche du scrutin.
En conclusion, la faisabilité du transfert des compétences demeure incertaine et dépend notamment de l’approbation des partis flamands, qui joue un rôle crucial dans le processus. Dans l’attente de leur positionnement, et face aux enjeux actuels, le dénouement de cette question restera suspendu jusqu’à la prochaine législature, (du moins ?).
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