Fouilles à nu et génuflexions
Pour bien comprendre les enjeux de ce débat, il convient de rappeler en quoi consiste une fouille à nu. Basée sur l’article 28, § 3 de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police, la fouille à corps est une mesure de sécurité qui permet d’inviter, et a fortiori de contraindre, le détenu à se déshabiller afin d’inspecter, de manière externe, les cavités et ouvertures de son corps. L’objectif est de vérifier, pour reprendre les termes de la loi, “que la personne n’a pas caché d’objet dangereux ou pouvant favoriser son évasion”. Par souci de discrétion et de dignité, une telle mesure doit avoir lieu dans un espace fermé et par des membres du personnel de même sexe que le détenu.
Dans le cadre du procès des attentats de Bruxelles, cette pratique, dispensée par la police fédérale, est accompagnée de génuflexions. Celles-ci semblent être opérées quotidiennement sur les accusés, lors de leur transfert au bâtiment Justicia à Evere où se tient le procès des attentats, en raison du contexte terroriste. Les accusés et leurs avocats ont introduit une demande en référé devant le tribunal de première instance de Bruxelles afin d’interdire à l’État belge d’imposer à chaque accusé une fouille avec mise à nu intégrale, remise de leurs vêtements pour inspection et impliquant plusieurs génuflexions, sans motivation adéquate.
Se basant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le tribunal civil francophone de Bruxelles a considéré, dans une ordonnance du 29 décembre 2022, que pareilles fouilles constituent, par nature, des mesures humiliantes et embarrassantes pour les personnes qui doivent les subir. Le tribunal précise que ces fouilles ne sont pas toujours illégitimes et peuvent même s’avérer nécessaires pour assurer la sécurité, défendre l’ordre ou prévenir les infractions pénales. Elles constituent néanmoins un traitement inhumain et dégradant, prohibé par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, “lorsqu’elles présentent un caractère prolongé, quotidien, général et systématique, qu’elles ne paraissent pas justifiées par un impératif de sécurité convainquant, dès lors qu’elles s’ajoutent à de nombreuses autres mesures de sécurité et qu’elles ne reposent pas sur une appréciation concrète des circonstances et de la menace que représente chacun de ceux qui doivent les subir individuellement, et que leurs modalités concrètes sont laissées à l’appréciation des fonctionnaires de police qui les pratiquent, si bien que les variations qu’elles présentent peuvent donner un sentiment d’arbitraire à ceux qui les subissent ”.
L’État belge a fait appel de cette ordonnance. Dans la foulée, le ministre de la Justice a adopté, le 2 janvier 2023, une nouvelle directive relative au transfèrement par la police fédérale des justiciables, dans laquelle il rappelle que la procédure de fouille est adaptée afin d’éviter le déshabillage complet du détenu.
Entretemps, une délégation du Conseil Central de Surveillance Pénitentiaire (CCSP) s’est rendue à la mi-janvier à la prison de Haren en vue d’assister à une fouille à nu imposée aux détenus. Le constat est sans appel : nonobstant l’ordonnance du tribunal, il est toujours demandé aux détenus de faire des génuflexions afin de démontrer qu’ils ne cachent rien dans les replis de leur anatomie et qu’ils restent intégralement nus durant la fouille sans possibilité de soustraire leurs parties intimes à la vue des policiers. Suite à ces constatations, le Conseil a émis plusieurs recommandations. Parmi elles, l’exigence qu’une fouille au corps soit décidée sur la base d’indices individualisés, l’identification des policiers qui procèdent à ces fouilles et un déshabillage dit par étapes (permettant d’avoir une partie du corps couverte pendant que l’autre est fouillée). Le but étant de prévenir tout geste humiliant ou à caractère vexatoire, d’autant que ces fouilles se déroulent quotidiennement multipliant le risque d’incidents.
Dans un arrêt du 13 mars 2023, la Cour d’appel de Bruxelles a confirmé l’ordonnance du tribunal de première instance. Les fouilles à nu avec génuflexions auxquelles sont soumis les accusés avant leur transfert de la prison vers le bâtiment Justicia, où se déroule le procès, doivent immédiatement cesser. La Cour va même plus loin et affirme que les fouilles corporelles litigieuses avec génuflexions, pratiquées par les officiers de police sont illégales dès lors qu’elles “ne trouvent appui ni dans l’article 28, § 3 de la loi sur la fonction de police du 5 août 1992, ni dans les travaux préparatoires relatifs à cette disposition”, ne répondant ainsi pas aux exigences de l’article 8, § 2 de la Convention EDH qui précise que toute ingérence d’une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée doit être prévue dans un texte légal.
En effet, selon la Cour d’appel, si la disposition légale invoquée par l’État belge prévoit certes la possibilité de soumettre les individus à des fouilles à nu, elle n’autorise pas que la personne puisse être contrainte par les officiers de police à effectuer des génuflexions pour permettre l’examen visuel de ses cavités et orifices. En somme, la Cour d’appel de Bruxelles considère que les fouilles à nu des justiciables avec génuflexions s’opèrent sans base légale et qu’elles sont dès lors illégales et contraires à l’article 8, § 2 de la Convention EDH. Le but étant ici de d’assurer aux intéressés le degré minimal de protection dans une société démocratique.
Le port de lunettes occultantes durant les transferts
Outre les fouilles, les accusés se plaignent également des conditions de transfert de la prison vers la Cour d’assises durant lesquels ils font l’objet de privations visuelles.
Le gouvernement belge les justifie par des motifs d’ordre et de sécurité : loin de viser à humilier ou à rabaisser les détenus, ces mesures seraient nécessaires afin d’empêcher les détenus de connaître et de repérer les détails du parcours ainsi que les moyens de sécurité déployés et les méthodes utilisées par les policiers, afin de parer à toute tentative d’évasion et réduire les risques d’agression envers les fonctionnaires de police chargés de leur surveillance. Sur ce point, le tribunal donne raison à l’État belge : même si la mesure doit rester exceptionnelle, “elle peut être justifiée par la gravité extrême des faits commis, qui justifie qu’un niveau 3 de menace ait été retenu par l’OCAM et paraît raisonnablement proportionnée aux objectifs légitimement poursuivis, étant, par exemple, moins invasive que l’encapuchonnement, tandis qu’une simple opacification des fenêtres des véhicules de transport ne permettrait pas d’atteindre tous ces objectifs ”.
Toutefois, sous l’angle du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), pareilles mesures doivent être considérées comme litigieuses. Il ressort en effet des visites faites par le CPT en 2013 et 2017, que la pratique consistant à obstruer la vue/ouïe doit être abolie, car la privation sensorielle intense et continue peut entraîner des pressions psychologiques fortes et “à terme, s’apparenter à un traitement inhumain et dégradant”.
Dans son arrêt du 13 mars 2023, la Cour d’appel de Bruxelles décide quant à elle, eu égard aux explications de l’État belge, que le port de lunettes occultantes imposées aux accusés n’est justifié “que pendant leurs transferts vers le bâtiment Justicia et au retour vers la prison de Haren”. L‘imposition de cette mesure à d’autres moments par l’État belge est considérée, par la Cour, comme manifestement déraisonnable, compte tenu des autres moyens déployés, à savoir la présence de nombreux policiers aux différents points de transfert, les masques qui couvrent le visage de chaque policier et les menottes et gilets pare-balles que portent les accusés.
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