Comment la non-discrimination au travail est-elle encadrée en Belgique ?
Le 5 juillet 2006, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté conjointement la directive 2006/54/CE relative à l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière d’emploi et de travail. Cette directive a été transposée dans notre ordre juridique par la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes, dite “loi genre”.
Discrimination directe et discrimination indirecte, quelle différence ?
En vertu de l’article 5, 5° et 6° de la loi genre, il est question de discrimination directe lorsque deux personnes se trouvent, se sont trouvées ou auraient pu se trouver dans des situations comparables et que l’une d’entre elles est traitée moins favorablement que l’autre sur base d’un critère protégé, et ce sans que cette différence de traitement ne soit justifiée conformément à la loi.
Les critères protégés établis par la loi sont : le sexe, la grossesse, la procréation médicalement assistée, l’accouchement, l’allaitement, la maternité, les responsabilités familiales, l’identité de genre, l’expression de genre, les caractéristiques sexuelles et la transition médicale ou sociale.
Ainsi, le rejet d’une candidature à une offre d’emploi en raison du sexe du candidat est constitutif d’une discrimination directe.
Par ailleurs, comme le dispose l’article 5, 7° et 8° de la loi genre, il est question de discrimination indirecte lorsque des personnes protégées risqueraient d’être particulièrement désavantagées par rapport à d’autres en raison d’une disposition, d’un critère ou d’une pratique neutre en apparence, et ce sans que ce traitement ne soit justifié conformément à la loi.
Ainsi, le fait pour une entreprise de ne pas accepter de travailleurs à temps partiel sans justification objective et raisonnable peut être constitutif d’une discrimination indirecte à l’égard des femmes étant donné que ce sont, en règle générale, majoritairement ces dernières qui occupent des postes à temps partiel.
Comment la Cour du travail est-elle arrivée à la conclusion que l’inadéquation des mesures de prévention et de protection contre le harcèlement sexuel constituait une discrimination indirecte ?
Tout d’abord, pour argumenter sa demande de reconnaissance d’une discrimination indirecte, l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes se base, notamment, sur l’arrêt du 19 octobre 2017 de la Cour de Justice de l’Union européenne (arrêt Ramos).
L’affaire Ramos concerne une infirmière à qui on a refusé l’octroi d’une attestation indiquant que le fait d’exercer certaines tâches liées à son poste présentait un risque pour l’allaitement de son enfant. La Cour de Justice de l’Union européenne a considéré que les risques liés à son poste n’ayant pas été évalués correctement, cette travailleuse et son enfant ont été privés de la protection dont ils devaient pouvoir bénéficier. Elle a considéré qu’il s’agissait d’un traitement moins favorable d’une femme lié à la grossesse et que cette différence de traitement était constitutive d’une discrimination fondée sur le sexe.
Cette décision européenne a servi de base au raisonnement de la Cour du travail de Bruxelles, en partant du principe que si un employeur n’évalue pas les risques liés au travail ou s’il ne prend pas de mesures pour contrer ou diminuer ces risques et que cela porte préjudice à certains ou certaines de ses employé(e)s caractérisé(e)s par un critère protégé, on peut considérer qu’il y a une discrimination indirecte.
La Cour du travail de Bruxelles poursuit sa réflexion sur les données du rapport de recherche sur le harcèlement sexuel dans l’Union européenne de mars 2018 qui établit que le harcèlement sexuel au travail est statistiquement davantage dirigé contre les femmes que contre les hommes. Elle en vient donc à considérer que de manière générale, les femmes sont davantage exposées au harcèlement sexuel que les hommes.
Elle en déduit que l’inadéquation des mesures de prévention et de protection contre le harcèlement sexuel aura plus de conséquences sur les travailleuses que sur les travailleurs. Dans la continuité du raisonnement de l’affaire Ramos, ce traitement moins favorable constitue une discrimination fondée sur le sexe.
Ensuite, la Cour constate, en l’espèce, qu’à la suite de la dénonciation des faits, l’entreprise concernée a mené un semblant d’enquête qui manquait de rigueur, d’objectivité et d’honnêteté et qui n’a permis ni d’infirmer ni de confirmer les faits dénoncés. Cette dernière a également porté plainte contre la plaignante pour l’intimider et s’est opposée durant trois mois à ce que la conseillère en prévention effectue une enquête interne ; laquelle a finalement contredit les conclusions de l’entreprise en établissant l’existence de dangers de harcèlement sexuel dans le contexte spécifique de travail au sein de l’entreprise, ainsi que l’absence de code de conduite définissant les comportements adéquats ou non adéquats, l’absence de mesures de prévention de harcèlement sexuel, l’absence de procédure de signalement d’un comportement déplacé, l’absence de procédure pour le traitement des plaintes et l’absence de toute analyse de risques.
En conclusion, la Cour du travail de Bruxelles constate l’existence d’une discrimination indirecte au sein de l’entreprise, sous la forme d’inadéquation des mesures de prévention et de protection contre le harcèlement sexuel.
Pour Michel Pasteel, le directeur de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, “ce jugement est historique et constitue donc un précédent important. Les entreprises qui n’ont pas de politique en matière de comportements sexuels transgressifs, qui ne communiquent pas de manière transparente à ce propos ou qui ne la mettent pas en œuvre correctement enfreignent le droit relatif à la discrimination. L’employeur ne crée alors pas un contexte dans lequel les femmes peuvent compter sur un environnement de travail sûr, ce qui les empêche d’accéder au travail de la même manière que les hommes, ce qui est considéré comme une discrimination de genre du point de vue juridique”.
Cette décision marque donc une nouvelle avancée dans la lutte contre la discrimination entre les hommes et les femmes au travail. Elle permet également de rappeler aux employeurs que les mesures contre le harcèlement sexuel ne sont pas négligeables et que les femmes doivent pouvoir se sentir autant en confiance que leur collègue de sexe opposé sur leur lieu de travail.
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