Quels sont les faits ?
Pour retracer les origines de cette controverse, un documentaire diffusé sur la VRT en 2018 a mis en lumière l’existence de Schild & Vrienden, groupe nationaliste flamand, massivement présent sur Facebook. Ce qui a véritablement retenu l’attention, ce sont les messages échangés au sein du groupe, que l’on peut aisément qualifier de racistes, haineux et violents.
Dries Van Langenhove, leader de ce groupe, a été inculpé en juin 2019 par le juge d’instruction de Gand avec 6 autres membres du groupe pour incitation à la haine et diffusion de messages racistes. Bien que le juge d’instruction lui ait imposé certaines conditions (telle que la visite guidée à la caserne Dossin, mémorial sur l’holocauste), une question cruciale demeure, celle de son immunité parlementaire.
Immunité parlementaire, un obstacle aux poursuites judiciaires ?
L’immunité parlementaire se compose de l’irresponsabilité parlementaire (article 58 de la Constitution) et de l’inviolabilité parlementaire (article 59 de la Constitution).
L’irresponsabilité parlementaire se réfère à l’immunité dont bénéficient les parlementaires pour les opinions ou les votes exprimés dans l’exercice de leurs fonctions. Cela signifie qu’ils ne peuvent être tenus responsables légalement ou poursuivis pour leurs votes ou opinions.
En revanche, l’inviolabilité parlementaire englobe une protection plus large, incluant l’immunité relative contre les poursuites pénales pour des actions non liées aux fonctions parlementaires, offrant ainsi une sphère d’immunité plus étendue.
Ces deux principes visent à préserver l’indépendance des parlementaires, mais ils se différencient par leur portée et les situations auxquelles ils s’appliquent.
L’irresponsabilité parlementaire confère une protection juridictionnelle aux membres du Parlement, les préservant de poursuites liées à leurs activités parlementaires. Le principe est consacré à l’article 58 de la Constitution qui dispose : « Aucun membre de l’une ou de l’autre Chambre ne peut être poursuivi ou recherché à l’occasion des opinions et votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions « . En d’autres termes, elle leur accorde la liberté d’expression sans craindre de conséquences pénales. Ce principe est une garantie fondamentale, mais son champ d’application soulève plusieurs questions.
L’irresponsabilité parlementaire en Belgique : depuis quand et pourquoi ?
L’irresponsabilité parlementaire existe afin de garantir l’indépendance du pouvoir législatif en protégeant les parlementaires contre d’éventuelles pressions ou représailles judiciaires qui pourraient entraver le libre exercice de leurs fonctions.
Elle a été instaurée dans le contexte de la mise en place des institutions de l’État belge lors de son indépendance en 1831. À cette époque, la Belgique venait de se séparer des Pays-Bas et élaborait sa propre Constitution.
L’introduction de l’irresponsabilité parlementaire était motivée par la volonté de garantir l’indépendance et la liberté de débat au sein du Parlement. Les rédacteurs de la Constitution cherchaient à protéger les parlementaires, favorisant ainsi un climat propice à des discussions franches et ouvertes.
Ainsi, l’instauration de cette immunité visait à renforcer la démocratie naissante en Belgique en assurant la libre expression des idées au sein de l’institution parlementaire.
Jusqu’où les parlementaires peuvent-ils invoquer le principe d’irresponsabilité parlementaire ?
La question centrale demeure : jusqu’à quel point les parlementaires peuvent-ils invoquer le principe de l’irresponsabilité parlementaire ? Le cadre de l’exercice des fonctions comprend le travail parlementaire et les réunions officielles des mandataires pendant lesquelles ont, par exemple, lieu des discussions et négociations de propositions de lois, où les représentants politiques débattent des orientations à prendre et cherchent des consensus pour prendre des décisions importantes. Se pose ainsi la question de la protection de l’article 58 de la Constitution pour des propos tenus à l’extérieur du Parlement et en dehors des fonctions parlementaires.
Quelle différence avec l’inviolabilité parlementaire consacrée à l’article 59 de la Constitution ?
L’inviolabilité parlementaire implique que, durant la période de session, les membres du Parlement ne peuvent être traduits directement devant une cour ou un tribunal sans l’autorisation de l’assemblée à laquelle ils appartiennent, sauf en cas de flagrant délit. Aussi, l’article 59 de la Constitution couvre tout ce qui n’est pas couvert par l’article 58.
L’inviolabilité parlementaire trouve son fondement dans la nécessité d’assurer l’indépendance du pouvoir législatif à l’égard du pouvoir judiciaire et exécutif. Son origine est intimement liée à la protection contre les poursuites arbitraires, établissant ainsi une barrière essentielle entre les fonctions parlementaires et d’éventuelles interférences externes. Cet équilibre vise à garantir que les parlementaires puissent exercer leurs fonctions sans craindre des actions judiciaires motivées par des considérations politiques, préservant ainsi l’intégrité du processus démocratique.
Dans le cas de Dries Van Langenhove, des ambiguïtés surgissent. Tout d’abord, son mandat n’avait pas encore débuté au moment des faits. En effet, il a accédé au statut de parlementaire en 2019, alors que les évènements en question ont eu lieu en 2018, ce qui signifie qu’il ne jouissait pas de l’irresponsabilité parlementaire. Cependant, le parquet n’a pas entamé les poursuites rapidement et Mr Van Langenhove a été élu entre-temps, bénéficiant ainsi de la couverture accordée par l’article 59 de la Constitution. Compte tenu des circonstances, le Parlement a pris la décision le 1er décembre 2022, à la majorité des votes, de lever l’immunité parlementaire de Dries Van Langenhove afin de permettre au parquet de mener à bien les poursuites, soulignant ainsi la primauté de la justice et la responsabilité au sein de l’institution parlementaire.
Conclusion
La controverse entourant Dries Van Langenhove inculpé pour racisme, négationnisme et violation de la loi sur les armes souligne les défis liés à l’immunité parlementaire en Belgique. La chronologie des évènements et la nature des propos litigieux soulèvent des questions sur les limites de cette immunité, en particulier en ce qui concerne les actes commis antérieurement à son mandat. Cette situation illustre l’équilibre délicat qu’il convient d’opérer entre l’immunité parlementaire, garantie démocratique essentielle, et la responsabilité individuelle dans le contexte des activités extraparlementaires.
Une erreur dans cet article ? Faites-le nous savoir : contact@lessurligneurs.eu