L’atteinte d’un droit de préférence au droit de propriété n’est pas contestée mais, selon Nawal Ben Hamou, elle est justifiée. Elle souhaite, par cette mesure, favoriser l’accès à la propriété et rétablir l’égalité entre les locataires et les propriétaires, tout en protégeant les locataires de l’envolée des prix des logements à Bruxelles.
Comment ça marche ?
Le droit de préférence projeté s’inspire d’un mécanisme prévu en France depuis 1989. Lorsque le bailleur souhaite mettre en vente son bien loué, il devra en informer préalablement son locataire, en lui transmettant une offre de vente. Le locataire aura alors un délai de 30 jours afin de se positionner par rapport à l’offre. Si celle-ci lui convient, il devient le nouveau propriétaire du bien. Sinon, le propriétaire peut se tourner vers d’autres acquéreurs.
Mais même dans ce cas, le propriétaire reste tenu d’informer son locataire de sa volonté de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux que sa première offre ; et le locataire pourrait donc encore activer son droit de préférence parce que le prix a baissé.
L’atteinte au droit de propriété est-elle proportionnée ?
Le syndicat national des propriétaires, tout comme les fédérations des agents immobiliers, s’opposent fermement au projet. Ils prétendent que cela constitue une atteinte tout à fait disproportionnée au droit de propriété. Parmi les nombreuses préoccupations exprimées, il y a d’une part le risque de diminution de la valeur des biens loués (et de la hausse corrélative du prix des logements libres ou neufs). Et les propriétaires craignent, d’autre part, la complexité administrative inhérente à la mise en œuvre du droit de préférence.
Le droit de propriété, garanti par l’article 16 de la Constitution, l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne et l’article 1er du protocole 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme, n’est pas pour autant absolu et se heurte à de nombreuses limitations, au nom de l’intérêt général.
De telles limitations doivent cependant, selon la Cour européenne des droits de l’homme (§73 de l’arrêt référencé), “être mises en œuvre d’une manière non discriminatoire et satisfaire à l’exigence de la proportionnalité”. Pour ce faire, il faut s’assurer, tout d’abord, que la mesure a un but légitime. Du point de vue du gouvernement bruxellois, son intention de favoriser l’accès à la propriété au moyen d’un droit de préférence constitue une mesure appropriée pour atteindre un but légitime.
Plus délicate et discutée ici, est la question de savoir si la mesure est “nécessaire dans une société démocratique”, et s’il n’y a pas d’autres manières d’atteindre le même but, en limitant moins le droit de propriété. Des conditions ont ainsi été ajoutées afin de réduire l’impact sur le droit de propriété. En effet, par exemple, seuls les locataires disposant de baux de longue durée pourront prétendre à ce droit. Les baux d’une durée égale ou inférieure à trois ans ne sont donc pas concernés. Par ailleurs, si un propriétaire souhaite vendre son bien à un membre de sa famille, le droit de préférence du locataire ne s’applique pas. Ou encore pas de droit de préférence en cas de vente d’un immeuble composé de multiples appartements. Toutes ces conditions permettent de limiter l’atteinte aux intérêts des propriétaires, et servent à justifier la proportionnalité de cette atteinte. Suffisamment? Question à laquelle seule la Cour constitutionnelle peut réellement répondre…
Droit de préemption ou droit de préférence ?
Dernière explication juridique : les commentaires de ce projet dans les médias recourent à deux expressions comparables, mais pourtant juridiquement distinctes : le “droit de préférence” et le “droit de préemption”. Le droit de préférence du locataire est une première en Belgique (rien de comparable n’existe en Flandre ni en Wallonie), mais il s’inspire d’autres mesures comparables en droit belge, qui organisent un droit de préemption. Il s’agit par exemple de la loi sur le bail à ferme. Lorsqu’un propriétaire d’un bien rural (un champ ou une prairie), qui est loué dans le cadre d’un bail à ferme, décide de le mettre en vente, il existe un droit de préemption octroyé au « fermier” (le locataire qui l’exploite, pour l’agriculture ou l’élevage, par exemple).
Quelle différence, alors? Le droit de préemption permet à un acheteur d’acquérir un bien en priorité sur toute autre personne, et ce le plus souvent lorsqu’un contrat de vente a déjà été conclu avec un tiers. Le titulaire du droit de préemption peut alors acquérir le bien aux conditions de ce contrat. En revanche, le droit de préférence oblige le propriétaire à négocier en premier lieu avec le titulaire du droit de préférence, mais ne le contraint pas à vendre si les négociations n’aboutissent pas. Ainsi, le droit de préférence semble un peu moins contraignant que le droit de préemption. Un argument supplémentaire pour convaincre que la mesure est proportionnée?
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