À l’approche des élections européennes prévues pour le 9 juin 2024, les partis politiques clarifient leurs ambitions en cas de succès électoral. Jordan Bardella, pour le Rassemblement National, a annoncé que son parti proposerait de réviser les traités européens si celui-ci remportait les élections. Ce discours de révision des traités n’est pas sans rappeler les promesses antérieures de leaders politiques comme Emmanuel Macron qui voulait moderniser l’Union européenne en créant un budget commun pour les pays utilisant l’euro et en augmentant la collaboration entre les pays sur les questions de défense et de sécurité ou encore celles de François Hollande qui souhaitait améliorer la gestion de l’économie européenne en renforçant les règles financières et fiscales. Cependant, d’un point de vue juridique, il convient de souligner que “réécrire les traités” n’est pas aussi simple que cela puisse paraître, même en cas de victoire électorale.
Pour commencer, il convient d’expliquer que les traités européens, adoptés à l’unanimité par les États membres, constituent le fondement juridique de l’UE. En effet, ils établissent les règles principales, déterminent le fonctionnement de l’UE et fixent ses objectifs. La révision de ces traités, essentielle pour l’avancement et l’adaptation de l’UE aux nouveaux défis, est rendue possible par deux procédures spécifiées dans l’article 48 du TUE : une procédure ordinaire pour des changements majeurs et une procédure simplifiée pour des modifications plus spécifiques.
Le parcours dynamique de la procédure Ordinaire
La procédure ordinaire, véritable moteur du changement au sein de l’UE, est enclenchée par une proposition de révision qui pourrait être initiée par n’importe quel État membre de l’Union européenne, le Parlement européen (art. 14 TUE) ou la Commission européenne (art. 17 TUE). Une fois lancée, cette proposition serait examinée par le Conseil européen, lequel en informerait les parlements nationaux de chaque État membre. Cela marquerait le début d’un dialogue élargi, marquant l’importance de chaque voix au sein de l’UE.
Ensuite, le Conseil européen (art. 15 TUE), rassemblant les chefs d’État ou de gouvernement, engagerait en son cœur une phase de consultation où la proposition de révision serait discutée avec le Parlement européen, la Commission européenne et la Banque centrale européenne en cas de questions monétaires. C’est à ce stade que le Conseil européen, requérant une majorité qualifiée, pourrait décider d’organiser une grande réunion, appelée “convention”, où différents représentants, incluant des députés nationaux, des eurodéputés et des fonctionnaires de la Commission, se réuniraient pour débattre et façonner en détails les changements proposés. Il est important de noter que cette phase, n’est que théorique et ne pourrait peut-être jamais être mise en œuvre. Néanmoins, cela illustre une possible voie future pour les révisions des traités.
Lors de la convention, les idées fusent et les participants tenteraient de se mettre d’accord sur les modifications, qui seraient ensuite transmises à une Conférence intergouvernementale (CIG) chargée de sculpter les derniers détails et de finaliser l’accord sur les changements à apporter aux traités. Il est important de noter qu’en théorie, le Conseil européen pourrait choisir d’omettre l’étape de la convention si les modifications envisagées sont minimes. En pratique, compte tenu de l’ampleur des modifications souvent proposées, il serait difficile d’envisager de contourner l’organisation d’une convention.
La dernière étape est à la fois cruciale et solennelle car une fois tout le monde d’accord et le consensus atteint au sein de la Conférence intergouvernementale, les modifications proposées devraient être ratifiées par tous les États membres pour entrer en vigueur. La ratification est le processus par lequel les États confirment formellement leur accord avec un traité ou une proposition législative. Il est essentiel de noter que la ratification se fait conformément aux règles constitutionnelles en vigueur dans chaque État membre. Cela implique que chaque pays doit suivre ses propres procédures légales et constitutionnelles pour approuver officiellement les modifications. Ces procédures peuvent inclure des votes par les parlements nationaux, des référendums populaires, ou d’autres méthodes requises par les lois nationales, garantissant ainsi que les modifications soient légitimement acceptées et intégrées au niveau national.
Soulignons que l’entrée en vigueur des traités est aussi un processus qui peut s’avérer long et complexe, ce qui ne facilitera pas la tâche de Bardella.
Quid de la procédure simplifiée ?
Quant à la procédure simplifiée, elle est envisagée pour des changements plus spécifiques permettant de peaufiner les règles sans bouleverser les grands équilibres de pouvoir. Ici, le Conseil européen prendrait les choses en mains en examinant directement les propositions sans organiser de grande réunion (convention) ni de Conférence intergouvernementale. Après consultation rapide du Parlement européen et de la Commission, tous les pays membres devraient unanimement approuver les changements pour qu’ils puissent prendre effet et rendre l’application des traités aussi fluide qu’efficace.
Il est crucial de reconnaitre le caractère exceptionnel de cette procédure qui n’a été utilisée qu’une seule fois pour la modification de l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La légalité de cette procédure a ensuite été affirmée par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt Pringle.
Bien que totalement légale, cette procédure qui semble initialement être conçue pour des modifications spécifiques et ciblées requiert en réalité une analyse approfondie, rigoureuse et complète. En pratique, cela signifie que de nombreuses propositions qui débutent sous l’empire de la procédure simplifiée peuvent, en raison de leur complexité et de l’impact potentiel sur les structures de l’UE, nécessiter le passage à la procédure ordinaire qui est plus détaillée.
En somme, les mécanismes de révision des traités européens sont des outils indispensables pour l’évolution et l’adaptation de l’Union européenne face aux défis contemporains, tout en préservant l’équilibre entre l’intégration et la souveraineté des États membres. Il apparaît clair que “réécrire les traités” n’est pas chose simple au vu du parcours semé d’embûches et de la nécessité d’une coopération absolue des autres États membres devant mener à une décision prise à l’unanimité. De ce fait, une victoire, encore incertaine, aux élections ne permet pas aux plus audacieux de contourner ces diverses procédures et leurs étapes successives, en déclarant pouvoir s’engager unilatéralement à modifier les traités européens.
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