LA GRANDE PROBLÉMATIQUE DE LA SURPOPULATION CARCÉRALE
Ce présent article a comme seule et unique ambition de révéler la complexité et d’explorer les enjeux juridiques qui se cachent derrière une proposition politique présentée comme étant simple et presque évidente. Dès lors, il est essentiel de replacer celle-ci dans le contexte qui est le sien.
Le constat est clair : selon les statistiques annuelles du Conseil de l’Europe publiées en 2023, la Belgique est le 4e pays européen avec la surpopulation carcérale la plus importante. Une réalité loin d’être neuve puisque notre pays a été condamné à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme, notamment en 2014, dans l’arrêt Vasilescu c. Belgique. La Cour avait alors constaté le caractère structurel des « problèmes découlant de la surpopulation carcérale en Belgique, ainsi que les problèmes d’hygiène et de vétusté des établissements pénitentiaires« .
Toutefois, depuis cette affaire rien ne semble avoir réellement changé. En septembre dernier, le Conseil de l’Europe rappelait à l’État belge sa condamnation en 2014, en l’invitant à prendre des mesures permettant de remédier de façon durable à la surpopulation. Au niveau national, le constat est le même puisque les tribunaux belges condamnent régulièrement notre plat pays face à sa gestion de la surpopulation carcérale. Ce qui pose le plus question, c’est l’inflation quasi constante des chiffres. En effet, en septembre 2021, la population carcérale remplissait presque déjà l’ensemble des places disponibles et a pourtant augmenté de presque 20% en l’espace de deux ans et demi. Concrètement, le 1er mars 2024, 12 316 personnes étaient détenues dans nos prisons pour 10 743 places disponibles soit une surpopulation de 14,6%.
Autre élément contextuel, ce que dit Georges-Louis Bouchez est vrai : nos prisons comptent plus de 43% d’étrangers selon les statistiques avancés par le SPF Justice et le Conseil de l’Europe, en 2022.
Tout serait donc simple au MR : coupez court à cette surpopulation en renvoyant les détenus non-Belges, dans leur pays. Dans ce cas de figure, la surpopulation carcérale de 15% disparaitrait puisque les prisons renverraient 43% de leurs détenus dans leur pays d’origine. L’idée semble belle et ses conséquences magiques, mais un retour à la réalité s’impose.
Les chiffres carcéraux qui seront mobilisés ci-après, correspondent à la moyenne journalière tout au long de l’année 2022 et ont été repris par le SPF Justice et le Conseil de l’Europe. Les chiffres de l’année 2024, n’ont pas été mobilisés ici puisque le SPF Justice table sur un taux de 41% d’étranger là où l’Office des étrangers décompte la proportion à 51.5%. Puisque les méthodes de calcul n’ont pas été publiées et au vu de la discordance, il a été jugé plus pertinent d’utiliser des chiffres non contestés et approuvés par des instances belge et européenne, coupant in fine la poire en deux et se rapprochant des propos de Monsieur Bouchez que nous surlignons.
PREMIER OBSTACLE : LE DROIT EUROPÉEN
Le premier obstacle qui se présente face à cette proposition découle de l’arrêt Soering c. Royaume-Uni qui marqua, à la fin des années 80, un tournant dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. L’affaire concerne un ressortissant allemand, Jens Soering, accusé de meurtre aux États-Unis et recherché par les autorités américaines. Craignant la peine de mort au pays de l’Oncle Sam, Soering a demandé l’asile au Royaume-Uni qui l’a rejetée et a, dès lors, décidé de l’extrader vers les États-Unis.
À la suite de cette décision, Soering a saisi la Cour européenne des droits de l’homme, affirmant qu’une extradition vers un pays où il risquait d’être soumis à la peine de mort constituait un traitement inhumain et dégradant, en violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Après examen du cas, la Cour conclut que l’extradition de Soering vers les États-Unis violerait en effet l’article 3, car il existait un risque, réel, en cas d’extradition, qu’il soit soumis à la peine de mort, considérée comme un traitement inhumain.
C’est au détour de cet arrêt que la Cour européenne des droits de l’homme a établi, pour la toute première fois, que l’extradition d’un individu vers un pays où il existe un risque réel de violation des droits fondamentaux peut constituer une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. La conséquence est alors claire pour les États : ceux-ci peuvent être tenus responsables s’ils extradent des individus vers des pays où ils risquent d’être soumis à des traitements contraires à la Convention et, in fine, aux droits de l’homme.
La proposition politique du MR et de son président visant à renvoyer des détenus non-Belges dans leur pays d’origine, peut dès lors s’avérer contraire à la jurisprudence européenne. En effet, celle-ci soulève certains défis juridiques et constitue ainsi un premier frein dans la mise en œuvre d’une telle proposition puisque de nombreux détenus sont originaires de pays ne respectant pas toujours les droits de l’homme, notamment dans leurs prisons et centres de détention.
Exemplifions ! En 2022, plus de 12% de nos détenus étaient originaires du Maroc et d’Algérie. Ces deux pays – les plus représentés au sein de nos prisons, en écartant la Belgique – sont souvent pointés du doigt en matière de non-respect des droits de l’homme en prison. De façon très concrète, du côté marocain, ce n’est autre qu’Abdellatif Reffouh, président de l’Observatoire marocain des prisons, qui avouait encore récemment que « la torture existe dans les prisons et centres de détention au Maroc« . Du côté algérien, ce sont des ONG algériennes et de nombreux avocats qui se mobilisent depuis plusieurs années contre la torture et les violences subies en détention. Selon eux, « les conditions d’arrestation, d’incarcération et de détention des détenus rapportées par les avocats confirment des cas de maltraitance, de violence et de torture dans différentes structures de police et services de sécurité, ainsi que dans les prisons ».
De plus, le Maroc et l’Algérie ne sont que la face visible de l’iceberg et de nombreux autres pays peuvent également être pointés du doigt. En ce sens et de façon non exhaustive, nous pouvons citer la Tunisie, la Turquie, l’Irak, l’Afghanistan, la Serbie, la Russie, la Libye et l’Iran. Ces dix pays, et ce ne sont que des exemples marquants d’une liste encore bien plus longue, représentent ensemble plus de 2000 détenus en 2022, soit 42% de la totalité des détenus non-Belges et quasiment 20% de l’ensemble de la population carcérale en Belgique.
Afin que la Belgique ne soit pas tenue indirectement responsable de violations des droits de l’homme et de ne pas essuyer les foudres de Strasbourg, les juridictions belges pourraient bloquer et annuler de nombreuses extraditions de ressortissants des pays susmentionnés dès lors que ces détenus risquent d’être soumis à de telles conditions dans leur pays d’origine.
La jurisprudence européenne via l’arrêt Soering ainsi que la Convention européenne des droits de l’homme via son 3ième article pourraient donc freiner voire rendre caduc le transfert de presque la moitié des détenus non-Belges, rendant l’application de la proposition de Monsieur Bouchez bien moins efficace qu’annoncée.
SECOND OBSTACLE : LA CONVENTION D’EXTRADITION
Cet accord entre deux pays est l’élément-clé permettant l’extradition de détenus. Sans celui-ci, il est tout bonnement impossible de placer un détenu dans un avion afin de le renvoyer dans son pays d’origine, sans que ce dernier n’y consente. Soyons clairs, il n’est pas possible d’imposer à un pays le retour de ses ressortissants détenus dans nos prisons. De ce fait, la proposition du président du MR se heurte à deux problèmes de taille : le nombre de nationalités différentes que comportent nos prisons et la difficulté de signer de tels accords.
Dans un premier temps, notons qu’aucune étude ou rapport ne nous donne le nombre exact de nationalités représentées en prison et ainsi la quantité de conventions d’extradition que la Belgique aurait à conclure. Les rapports de 2022, font état de 40 nationalités distinctes, mais surtout de 631 détenus dont la nationalité n’est pas précisée. Afin d’avoir tout de même une idée et bien que ces chiffres soient relativement anciens, le ministre de la Justice indiquait, qu’entre 2008 et 2010, des ressortissants de plus de 130 pays ont été ou sont détenus dans nos établissements pénitentiaires. Ce nombre est extrêmement élevé certes, mais il convient de le nuancer.
En effet, la Convention européenne du 21 mars 1983 sur le transfèrement interétatique de personnes condamnées permet, en théorie, à la Belgique d’extrader ses détenus étrangers auprès de 69 pays, auquel s’ajoutent 18 conventions d’extradition bilatérales signées par la Belgique avec des pays ne faisant pas partie de la Convention européenne de 1983. Le quota des 130 nationalités n’est, certes, pas rempli, mais c’est une base intéressante de travail qui sera toutefois, à son tour, nuancée dans le troisième obstacle présenté dans cet article.
Dans un second temps, Georges-Louis Bouchez le reconnait lui-même, signer de nouveaux accords d’extradition n’est pas chose aisée : les pays d’origines refusent souvent de reprendre leurs propres citoyens détenus au sein des prisons belges et les négociations en vue d’arriver à un accord sont souvent longues, complexes, voire, parfois, impossibles.
Face à ce constat, le président du MR souhaiterait donc “conditionner la coopération au développement et la délivrance de visas à la conclusion de ces accords”. Bien que nous ne nous positionnions pas sur le bien-fondé et la pertinence de cette mesure, il convient de constater qu’au vu des développements précédents, il semble irrationnel de voir fleurir subitement plusieurs dizaines de conventions d’extradition alors que la Belgique cherche depuis plusieurs décennies à en signer davantage, sans résultat probant. En outre, dans ce cas-ci, la base de discussion ressemblera plus à un rapport de force, qu’à de la coopération. L’efficacité d’une telle mesure reste donc à démontrer.
TROISIÈME OBSTACLE : L’EFFECTIVITÉ DES CONVENTIONS D’EXTRADITION
Nous l’évoquions plus haut, le nombre de conventions d’extradition d’ores et déjà signées par la Belgique, est à nuancer. En effet, le constat est simple : bien que des conventions aient été signées entre pays européens, avec le Maroc et même l’Algérie, deux pays que nous évoquions ci-dessus, nombreux sont leurs ressortissants qui se trouvent toujours dans nos prisons. L’effectivité de ces accords est donc à questionner.
Dès lors, et dans l’hypothèse où la proposition du MR de conditionner la conclusion d’accords au développement et à la délivrance de visas, permettrait bel et bien à la Belgique d’obtenir les quelques 130 conventions d’extradition escomptées, rien ne serait pour autant garanti.
Prenons l’exemple de la convention d’extradition belgo-marocaine. Les détenus de nationalité marocaine sont les plus nombreux parmi les détenus étrangers de nos prisons, et pourtant de 2007 à 2020, soit durant 13 années pendant lesquelles cette convention était active, seuls 18 détenus marocains ont été extradés vers le Maroc. Cela peut s’expliquer par certaines conditions reprises dans la convention qui ne permettent pas l’extradition à grande échelle, mais seulement pour quelques détenus au profil bien spécifique, outre l’exigence des pays contractants qui requièrent parfois de nombreuses démarches, allongeant les processus et les rendant parfois caducs.
CONCLUSION : PROPOSITION POLITIQUE OU SOLUTION MIRACLE
La proposition du MR est à nuancer puisqu’elle est présentée comme LA mesure permettant de résoudre la problématique de la surpopulation carcérale.
Elle semble évidente, simple à mettre en place et diablement efficace, pourtant tout n’est pas aussi parfait qu’il n’y parait. C’est d’ailleurs plutôt logique : la Belgique fait face à une surpopulation carcérale depuis plusieurs années et s’efforce de trouver de nouveaux accords tout en mobilisant ceux déjà existants, mais la problématique n’a pas été endiguée pour autant.
La réalité juridique est donc là : face à une proposition politique faisant grand bruit, il y a de nombreux obstacles qui la rendent moins efficace voire difficile à mettre en place.
La conclusion ira en ce sens : cet article n’a pas eu pour but de calmer les ardeurs de Georges-Louis Bouchez et du MR, mais de replacer cette proposition dans le contexte juridique qui est le sien, et ce, dans l’unique but de démontrer que derrière toute proposition évidente et simple en apparence, se cachent certaines difficultés juridiques et politiques.
Contacté par nos soins, Georges-Louis Bouchez n’a pas répondu à nos sollicitations.
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