Le projet « EVRAS », de quoi s’agit-il ?
La naissance du projet « EVRAS »
Le 24 juillet 1997, le Parlement de la Communauté française, également connue sous le nom de Fédération Wallonie-Bruxelles, a adopté le décret « Missions » . Ce décret a pour objectif de définir les missions prioritaires de l’Enseignement francophone, tant au niveau fondamental (maternel et primaire) qu’au niveau des secondaires. Il vise à établir non seulement les missions de l’enseignement francophone, mais aussi ses programmes et les compétences essentielles que les élèves doivent acquérir pour s’insérer socialement dans la société future et poursuivre leurs études.
L’article 6 de ce décret « Missions » dispose que la Communauté française et tout pouvoir organisateur, pour l’enseignement subventionné, doivent notamment remplir simultanément les missions prioritaires suivantes :
- Promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chaque élève.
- Amener tous les élèves à s’approprier des connaissances et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre tout au long de leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle.
L’article 8 de ce même décret, modifié en 2012, énonce que pour remplir ces missions prioritaires, la Communauté française et les pouvoirs organisateurs doivent veiller notamment à ce que chaque établissement éduque au respect de la personnalité et des convictions de chacun, au devoir de proscrire la violence tant morale que physique ainsi qu’à la vie relationnelle, affective et sexuelle.
C’est donc le 12 juillet 2012, que l’Éducation à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle (EVRAS) a été intégrée dans le décret « Missions », devenant ainsi l’une des missions prioritaires de l’enseignement francophone. Cependant, bien que l’EVRAS était devenue une mission, son enseignement n’était pas obligatoire, et seulement environ 20% des écoles la proposaient.
Face à ce constat, en juin 2013, un protocole d’accord relatif à la généralisation de l’EVRAS a été signé entre les trois gouvernements francophones (la Région Wallonne, la Commission Communautaire Française (COCOF) et la Fédération Wallonie-Bruxelles). Ce protocole a défini l’EVRAS et les objectifs poursuivis, ainsi que les thématiques à aborder lors des animations liées à l’Éducation à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle. Cependant, il a fallu attendre l’approbation d’un décret pour que la mise en œuvre de l’EVRAS soit effective.
Finalement, c’est le jeudi 7 septembre 2023 que le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a promulgué le décret approuvant l’accord de coopération entre les différentes entités fédérées. L’EVRAS deviendra enfin obligatoire dans toutes les écoles primaires et secondaires francophones dès cette rentrée des classes 2023-2024. Les élèves de 6ème primaire devront suivre 2 heures d’animations obligatoires, tout comme ceux de 4ème secondaire. Devenant partie intégrante du programme scolaire, ces animations seront dorénavant obligatoires pour tous les élèves, sans exception.
Mais en quoi consiste le projet « EVRAS »?
Selon l’initiateur de ce projet, à savoir la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’Éducation à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle (EVRAS) est un processus éducatif abordé dans les écoles francophones, qui se concentre sur des thèmes tels que la sexualité, les relations et les émotions.
L’accord de coopération qui le définit précise que l’EVRAS vise à renforcer les compétences des jeunes pour prendre des décisions éclairées, favorisant le bien-être dans leur vie relationnelle, affective et sexuelle, ainsi que le respect de soi et des autres. Il s’agit d’accompagner les jeunes vers l’âge adulte en tenant compte de multiples dimensions, y compris les aspects relationnels, affectifs, sociaux, culturels, philosophiques et éthiques de la sexualité.
Comme explicité dans ce même accord, l’EVRAS comprend plusieurs aspects : elle commence par une éducation affective, encourageant la compréhension des émotions et la capacité à les exprimer. Ensuite, elle enseigne le domaine relationnel, couvrant des thèmes comme la communication, le respect de soi et des autres, la prévention de la violence, et la déconstruction des stéréotypes sexistes et homophobes. Elle aborde également la vie affective et sexuelle dans un contexte de diversité culturelle. Enfin, l’EVRAS inclut l’apprentissage de la sexualité, en encourageant la connaissance et le respect de son propre corps, la prévention des risques sexuels, et une réflexion sur les aspects sociaux et culturels de la sexualité, y compris la pornographie.
Les animations EVRAS sont dispensées par des personnes compétentes et formées, et sont adaptées en fonction de l’âge des enfants. Les sujets abordés au cours de ces animations sont choisis en réponse aux questions et aux besoins des enfants.
Mais aujourd’hui, tout le monde n’approuve pas ce changement considérable qu’est l’arrivée de l’EVRAS dans le parcours scolaire des enfants. Comme de nombreuses personnes, certaines institutions islamiques de Belgique s’opposent à ces animations affirmant qu’elles violent la Constitution et en particulier son article 24 relatif à la neutralité de l’enseignement.
Les institutions islamiques peuvent-elles s’y opposer en introduisant un recours en annulation devant la Cour Constitutionnelle ?
Oui, la réponse à cette question est positive. Depuis 1988, toutes les personnes physiques ou morales démontrant un intérêt, ont la possibilité de déposer un recours en annulation directement devant la Cour Constitutionnelle. Néanmoins, l’intérêt pour agir doit être réel, actuel et légitime, et la requête doit être présentée dans un délai de 6 mois à partir de la publication de la norme législative contestée. Un critère supplémentaire est requis pour les personnes morales qui souhaitent introduire un recours en annulation : la norme attaquée doit affecter directement leur objet social.
Il est important de noter que la Cour Constitutionnelle a pour mission de contrôler des normes de nature législative. Par conséquent, elle est compétente pour examiner toutes les normes législatives – lois, décrets et ordonnances – ainsi que les normes liées à l’assentiment d’accords de coopération. Enfin, les normes de contrôle de la Cour s’étendent à l’ensemble du titre II de la Constitution, comprenant ainsi l’article 24 relatif à a neutralité de l’enseignement. La Cour Constitutionnelle contrôle aujourd’hui le respect de l’ensemble du titre II de la Constitution (droits fondamentaux des citoyens), ainsi que des articles 170, 172 et 191 de la Constitution.
Comme mentionné précédemment, le recours intenté contre l’EVRAS repose sur l’allégation de violation de l’article 24 de la Constitution, qui concerne la neutralité de l’enseignement. Les parties plaignantes avanceront probablement que l’EVRAS porte atteinte aux convictions religieuses et philosophiques des enfants en leur imposant une idéologie particulière.
Cependant, il est peu probable que la Cour Constitutionnelle donne raison aux institutions islamiques. En effet, selon une vieille jurisprudence qu’est l’arrêt « Kjeldsen Busk Madsen & Pedersen » de 1976 de la Cour Européenne des Droits de l’Homme : ”l’éducation sexuelle ne constitue point une tentative d’endoctrinement visant à préconiser un comportement sexuel déterminé. Elle ne s’attache pas à exalter le sexe, ni à inciter les élèves à se livrer précocement à des pratiques dangereuses pour leur équilibre ». Tant l’État danois que la Cour Européenne des Droits de l’Homme affirment que l’éducation sexuelle vise à informer les élèves et s’inscrit dans une politique d’intérêt public. En conclusion, la Cour rappelle que si les parents ne sont pas d’accord avec l’enseignement dispensé, ils ont la possibilité d’inscrire leurs enfants dans des écoles privées ou de choisir l’enseignement à domicile. Mais notons que cet arrêt remonte dans le temps et concerne spécifiquement l’État danois ainsi que son système éducatif. La période écoulée depuis lors et les différences entre le système éducatif danois et celui de la Belgique pourraient alors être des éléments propices à la discussion.
Par conséquent, comme tout individu ou toute association, les institutions islamiques ont le droit de soumettre une demande d’annulation concernant le décret d’approbation de l’accord de coopération établissant l’EVRAS. À présent, il ne reste plus qu’à attendre le recours et la décision des juges pour déterminer si leur demande est justifiée ou non : affaire à suivre !
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