Qu’est-ce que l’abattage rituel ?
L’abattage rituel est une pratique religieuse importante pour les musulmans et les juifs. Il existe des règles strictes à respecter pour que l’abattage soit considéré comme halal ou casher. Il y a des similitudes entre les deux religions tels que : l’abattage doit être effectué par un individu qualifié et pratiquant la religion, l’animal doit être en bonne santé et ne pas souffrir de blessures. L’animal doit également être égorgé à l’aide d’un couteau aiguisé, d’un seul mouvement afin de minimiser la souffrance de celui-ci et enfin, il faut laisser l’animal se vider de son sang avant d’être dépecé. Il y a également des invocations religieuses qui doivent être prononcées lors de l’abattage.
Sans ces « conditions », la viande ne peut pas être considérée comme étant halal ou casher. Que signifie l’étourdissement à la lumière de ces règles religieuses ? Il y a de nombreuses autorités et croyants musulmans qui acceptent l’étourdissement réversible avant l’abattage, tel que l’étourdissement électrique ou par percussion. Il est cependant rare de trouver des croyants ou autorités juives qui approuvent cette pratique. Cette disparité découle de l’interprétation juive selon laquelle les animaux doivent être « sans blessure » au moment de l’abattage, ce qui rend les pratiques d’étourdissement préalablement à l’abattage strictement interdites. Toutefois, certaines autorités musulmanes en Belgique rejettent également chaque étourdissement, y compris les requérants devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).
Précédents juridiques
En 2019, des organisations représentatives des communautés musulmanes de Belgique ainsi que des autorités religieuses nationales et provinciales de la communauté musulmane turque et marocaine de Belgique, des ressortissants belges de confession musulmane et des ressortissants belges de confession juive qui résident en Belgique, ont déposé une demande d’annulation du décret flamand et du décret wallon devant la Cour constitutionnelle. Les décrets en question ont été adoptés, en 2017 et en 2018, par les régions flamande et wallonne. Ces derniers mettent fin à l’autorisation de l’abattage rituel d’animaux sans étourdissement, introduisant ainsi une obligation d’étourdissement réversible. La région de Bruxelles-Capitale n’est pas concernée et reste pour l’heure la seule en Belgique autorisant cette pratique.
La Cour Constitutionnelle a posé des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur l’interdiction de l’abattage rituel sans étourdissement en Flandre. En 2020, la CJUE a déclaré que les États membres étaient libres d’imposer des règles supplémentaires pour protéger les animaux lors de l’abattage rituel, à condition de respecter la liberté religieuse. À la suite de cela, la Cour constitutionnelle belge a rejeté les recours contre les décrets contestés, estimant qu’ils n’enfreignaient pas la liberté religieuse ni le principe d’égalité et de non-discrimination.
Les requérants, des ressortissants belges, musulmans et juifs, ainsi que des associations représentatives d’autorités nationales et provinciales des communautés musulmanes, ont dès lors décidé de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme. Ils continuent de protester contre les décrets adoptés, en 2017 et en 2018, par les régions flamande et wallonne.
Les ressortissants invoquaient, plus particulièrement, que l’interdiction de l’abattage rituel sans étourdissement allait à l’encontre de leur rituel religieux et violait par conséquent l’article 9 consacrant la liberté religieuse de la Convention européenne des droits de l’Homme. Le gouvernement belge a soutenu que l’interdiction était justifiée par l’objectif de protection du bien-être animal. Il a également fait valoir que l’interdiction était proportionnée à cet objectif, compte tenu des alternatives disponibles, telles que l’étourdissement réversible.
Les ressortissants invoquaient également que ces décrets violaient le principe d’égalité et de non-discrimination, en ce qu’ils traitaient de manière similaire les croyants juifs et musulmans soumis à des préceptes alimentaires religieux et les personnes qui ne sont pas soumises à ces mêmes préceptes. Le point sur la violation du principe d’égalité et de non-discrimination soulevé par les requérants peut être développé comme suit :
- Traitement similaire sans justification raisonnable : Les requérants soutiennent que les croyants juifs et islamiques sont traités de façon similaire à ceux qui ne suivent pas de préceptes religieux spécifiques en matière alimentaire, sans justification raisonnable. Ils considèrent cela comme une discrimination injustifiée.
- Traitement similaire entre les croyants juifs et islamiques : ils affirment que le décret ne fait pas de distinction entre les pratiques rituelles juives et islamiques, malgré leurs différences religieuses, ce qui ne tient pas compte de leurs particularités.
- Traitement différencié entre les pratiques religieuses et d’autres méthodes d’abattage : ils font valoir qu’il y a une disparité de traitement entre les personnes qui abattent des animaux pour des pratiques religieuses et celles qui les tuent pour d’autres raisons, comme la chasse, sans justification raisonnable, constituant ainsi une discrimination.
Analyse de l’affaire
L’arrêt de la CEDH est une décision importante qui aura des implications pour les pratiques religieuses en Belgique et dans d’autres pays européens. L’arrêt reconnaît l’importance de la liberté de religion, mais souligne que les États peuvent prendre des mesures pour protéger le bien-être animal, même si ces mesures affectent des pratiques religieuses.
La Cour a jugé qu’en « adoptant les décrets litigieux qui ont eu pour effet d’interdire l’abattage des animaux sans étourdissement préalable dans les régions flamande et wallonne, tout en prévoyant un étourdissement réversible pour l’abattage rituel, les autorités nationales n’ont pas outrepassé la marge d’appréciation dont elles disposaient ». Elle ajoute que la mesure est justifiée et proportionnée par rapport au bien-être animal.
La Cour a également jugé que l’interdiction de l’abattage rituel sans étourdissement n’était pas discriminatoire à l’égard des musulmans et des juifs car l’interdiction était justifiée par l’objectif de protection du bien-être animal et a donc conclu à la non-violation de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme consacrant l’interdiction de discrimination.
Contrôle de la Cour européenne des droits de l’Homme
Le contrôle de la Cour suit un raisonnement né d’une jurisprudence constante. Pour qu’une ingérence à la liberté de religion soit compatible avec la Convention européenne des droits de l’Homme, elle doit être prévue par la loi, son but doit être légitime et l’ingérence doit être nécessaire et proportionnée dans une société démocratique.
Prévue par la loi
Premièrement, l’ingérence est belle et bien prévue par la loi, plus précisément, à travers l’article 15 du décret flamand pour la Région flamande et l’article 15, § 1 du décret wallon pour la Région wallonne. Par conséquent, cette loi est accessible et prévisible.
But légitime
Ensuite, l’article 9 de la Convention énumère les différents buts légitimes d’ingérence. Dans ce cas, il s’agit de déterminer si la protection du bien-être animal peut être considérée comme l’un de ces buts légitimes.
Bien que la Convention ne mentionne pas explicitement la protection du bien-être animal comme but légitime, la CEDH a reconnu que la protection des animaux est une question d’intérêt général protégée par la Convention. La Cour admet que la prévention de la souffrance animale peut justifier une restriction à la liberté de religion au nom de la protection de la morale. La Cour estime que la notion de « morale publique » ne se limite pas à la protection de la dignité humaine, mais englobe également le bien-être animal. Elle souligne que la Convention doit être interprétée à la lumière des conditions de vie actuelles et des valeurs contemporaines, et que la protection du bien-être animal est devenue une préoccupation croissante dans les sociétés démocratiques. Ainsi, la Cour reconnaît que la protection du bien-être animal peut être un objectif légitime au sens de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Nécessité dans une société démocratique
La nécessité dans une société démocratique exige que toute restriction des droits fondamentaux, y compris la liberté religieuse, soit justifiée par des motifs impérieux et proportionnée aux objectifs légitimes poursuivis par les autorités.
Concernant l’ingérence dans la liberté de religion, l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme garantit le droit à la liberté de religion, mais reconnaît que cet exercice peut être soumis à certaines limitations pour des motifs légitimes tels que la protection des droits et libertés d’autrui, la sécurité publique, l’ordre public, la santé publique ou la morale publique. Cependant, toute ingérence dans cet exercice doit être nécessaire dans une société démocratique, c’est-à-dire qu’elle doit répondre à un besoin social impérieux et être proportionnée au but légitime poursuivi.
Marge d’appréciation des autorités nationales
Les autorités nationales disposent d’une marge d’appréciation pour évaluer les besoins et contextes locaux, en particulier dans les questions de politique générale et les rapports entre l’État et les religions. Cela signifie que les tribunaux internationaux, tels que la CEDH, accordent généralement une certaine déférence aux décisions des autorités nationales, sauf en cas de violation flagrante des droits garantis par la Convention.
Dans le cas d’espèce, la protection du bien-être animal est présentée comme un objectif légitime relevant de la « morale publique », qui peut justifier une restriction à la liberté de religion. Les législateurs ont cherché à trouver un équilibre entre la protection du bien-être animal et la liberté de pratiquer sa religion, en introduisant des mesures alternatives telles que l’étourdissement réversible pour l’abattage rituel.
Discrimination
En ce qui concerne la violation du principe d’égalité et de non-discrimination, la Cour analyse les trois arguments des requérants :
La situation des pratiquants juifs et musulmans souhaitant consommer de la viande issue de l’abattage rituel diffère de celle des chasseurs et pêcheurs qui tuent des animaux. La Cour considère que le contexte de mise à mort est significativement différent.
Les requérants avaient également soutenu que le décret ne prend pas en compte les différences religieuses entre les pratiques rituelles juives et islamiques, ce qui néglige leurs particularités distinctes. La Cour européenne des droits de l’Homme, tout comme la Cour constitutionnelle belge, estime que la différence entre les préceptes alimentaires des communautés juive et musulmane ne justifie pas une considération distincte des croyants de ces religions par rapport à la mesure contestée en termes de liberté religieuse.
Contrairement aux allégations des requérants concernant la discrimination injustifiée où ceux-ci allèguent que les croyants juifs et islamiques sont traités de manière similaire à ceux qui n’ont pas de préceptes religieux spécifiques en matière alimentaire, sans justification raisonnable, la Cour constate, avec le gouvernement belge, que les pratiquants juifs et musulmans ne sont pas traités de la même manière que ceux qui ne suivent pas de préceptes alimentaires religieux. En effet, les décrets contestés prévoient une méthode alternative d’étourdissement lorsque la mise à mort se fait selon des rituels religieux spécifiques, garantissant que l’animal ne soit pas tué par ce processus.
Conclusion
Après avoir examiné attentivement les mesures adoptées par les autorités nationales belges, au regard des différents arguments invoqués par les requérants, la Cour européenne des droits de l’Homme conclut que ces mesures ne dépassent pas la marge d’appréciation accordée aux États membres. En conséquence, il n’y a pas violation de l’article 9 ni de l’article 14 de la Convention dans ce cas spécifique.
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