Début décembre 2023, la nouvelle a fait la une de nombreux journaux : plusieurs communes ont reçu des courriers de l’Office des étrangers leur demandant de retirer la nationalité belge octroyée à des enfants nés en Belgique, de parents palestiniens.
L’Office des étrangers estime, selon les dires de la secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, Nicole de Moor (CD&V), qu’il y aurait trop de familles palestiniennes venant en Belgique afin d’y obtenir la nationalité belge. En effet, la Palestine n’étant pas reconnue comme un État souverain par la Belgique, les enfants naissant sur le territoire obtiennent la nationalité afin qu’ils ne soient pas reconnus apatrides. À cette fin, les femmes de ces familles viendraient accoucher sur le territoire belge afin que leur enfant obtienne la nationalité pour ensuite faire une demande de regroupement familial.
Afin de lutter contre ce phénomène, l’Office a décidé de mener une enquête concernant une potentielle autre nationalité de ces enfants. Dans plusieurs cas, après recherche, il a conclu que les parents, ayant la nationalité palestinienne, pouvaient également l’obtenir pour leurs enfants par une démarche administrative. L’Office a alors pris la décision d’envoyer un courrier aux communes concernées, indiquant que l’enfant pouvait bénéficier d’une autre nationalité et n’encourait donc plus de risque d’apatridie, et que, de ce fait, la nationalité belge devait être retirée.
Il est important de rappeler que l’Office des étrangers assure la gestion des flux migratoires en prenant toute décision concernant l’accès au territoire, le séjour, l’établissement ou encore l’éloignement. La nationalité n’apparaît pas, tant au niveau de l’attribution qu’au niveau du retrait dans ses compétences.
Très vite, une question s’est posée : l’Office des étrangers est-il compétent en matière de nationalité ?
Pour rappel, la Palestine n’est pas officiellement reconnue par la Belgique comme étant un État souverain. De ce fait, la nationalité belge de ces enfants palestiniens est accordée dans le but d’éviter qu’ils ne se retrouvent apatrides.
La Belgique ayant signé la Convention de New York relative au statut des apatrides de 1961, s’est engagée à lutter contre ce phénomène et à mettre en place des mesures afin de le limiter. Dans ce but, l’article 10 du Code de la nationalité belge définit les critères pour l’attribution de la nationalité belge aux enfants. Selon le paragraphe 1er, un enfant né en Belgique sans autre nationalité avant l’âge de dix-huit ans ou avant son émancipation est belge. Toutefois, s’il peut obtenir une autre nationalité, ses représentants légaux doivent entreprendre des démarches administratives. En cas de doute sur sa nationalité, le procureur du Roi est consulté. Le paragraphe 3 stipule qu’un enfant ayant acquis la nationalité belge la conserve jusqu’à ce qu’il soit établi qu’il possède une autre nationalité avant ses 18 ans ou son émancipation.
Quelle autorité détient la compétence de retrait de nationalité dans le cas présent ?
En ce qui concerne la nationalité attribuée selon l’article 10 du Code de la nationalité belge, seul l’officier d’état civil du lieu de naissance est compétent pour se prononcer sur le retrait de celle-ci, depuis les modifications apportées à ce code en date du 31 décembre 2022.
Ce dernier peut, en cas de doute, demander l’avis de deux autorités : le ministre de la Justice et le procureur du Roi. Afin de clarifier l’autorité compétente en fonction des situations, le législateur a créé, par la loi du 6 décembre 2022, une autorité centrale en matière de nationalité au sein du Service Public Fédéral Justice. Cette dernière a une compétence générale et légale d’avis, sauf lorsque le Code de la nationalité ou la loi accordent expressément la compétence au procureur du Roi (qu’elle soit obligatoire ou facultative).
L’Office des étrangers n’a dès lors aucune compétence, de principe ou d’avis, concernant la nationalité.
Revenons à l’article 10 du Code de la nationalité précité. Il en ressort qu’en “cas de doute sur l’absence de nationalité de l’enfant, l’officier de l’état civil demande l’avis du procureur du Roi”. Le Code ayant expressément prévu la compétence d’avis (non contraignant) du procureur du Roi, aucune autre autorité n’est compétente.
L’Office des étrangers est-il donc compétent ?
Il en ressort une fois de plus que l’Office des étrangers n’est pas compétent pour donner des avis, encore moins des instructions aux autorités communales concernant l’exécution de l’article 10 du Code de la nationalité, et de ce fait dépasse le cadre de ses attributions. De plus, l’Office envoyait ces courriers aux communes dans lesquelles résidaient ces enfants, alors que seul l’officier d’état civil du lieu de naissance est compétent concernant l’article 10 précité. Cette pratique n’est donc pas légale.
Par ailleurs, la mission palestinienne auprès de l’Union européenne a précisé qu’un enfant, né en Belgique de parents ayant la nationalité palestinienne, n’obtient pas la nationalité de ses parents. Ce dernier ne peut obtenir la nationalité qu’en se rendant dans les territoires palestiniens pour l’inscription au registre de l’état civil.
Enfin, le Centre fédéral de la migration (M.Y.R.I.A) rappelle dans un communiqué de presse du 21 décembre 2023 que dans l’examen de tels dossiers, une obligation pèse sur l’autorité compétente de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant . Bien que l’Office précise avoir commencé l’envoi de ces courriers depuis le mois d’août, il convient de relever, compte tenu de la situation actuelle en Palestine, que la prise en compte de l’intérêt de l’enfant est encore plus primordiale.
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