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Vincent Van Quickenborne voudrait permettre aux juridictions pénales de prononcer une peine complémentaire de mise à la disposition du tribunal de l’application des peines « à vie »

Le Soir, 31 janvier 2022

Suite au meurtre de Dean Verbeckmoes, un enfant âgé de seulement quatre ans, par le suspect Dave De Kock, Vincent Van Quickenborne, ministre de la Justice, propose d’allonger la durée de la mise à la disposition du tribunal de l’application des peines, même à vie dans certains cas. Cet allongement est problématique car il ferait perdre à la peine complémentaire son caractère exceptionnel et proportionnel et pourrait violer des droits fondamentaux, notamment garantis par la Convention européenne des droits de l’homme.

Charlotte de Cartier, étudiante en droit, Université Saint-Louis - Bruxelles // sous la supervision d’Olivia Nederlandt, professeure à l’ULB et professeure invitée à l’USL-B, le 16 février 2022. 

Suite au meurtre de Dean Verbeckmoes, un enfant âgé de seulement quatre ans, et au constat que le principal suspect, Dave De Kock, avait déjà été condamné et avait purgé sa peine pour meurtre d’un enfant de deux ans, Vincent Van Quickenborne, ministre de la Justice, annonce sa volonté de prolonger la durée de la peine de mise à la disposition du tribunal de l’application des peines, actuellement limitée à quinze ans, voire de l’imposer à vie dans certains cas. Cette proposition semble discutable au vu du principe de proportionnalité des peines et de l’objectif de réinsertion assigné à la peine privative de liberté.

La mise à la disposition du tribunal de l’application des peines, une peine complémentaire depuis 2012

La mise à la disposition du tribunal de l’application des peines (TAP) est une peine complémentaire, tantôt facultative, tantôt obligatoire, qui est prononcée par le juge du fond dans les cas prévus par la loi (entre autres pour sanctionner certains types de récidive, certaines infractions graves, les auteurs d’infractions sexuelles, …). Concrètement, lorsqu’une personne condamnée aura terminé de purger la peine principale, le tribunal de l’application des peines décide, après analyse du risque de récidive, s’il convient de la priver de liberté ou de la libérer sous surveillance. Si la libération sous surveillance est octroyée, la personne condamnée devra respecter une série de conditions. Le contrôle du respect de ces conditions est assuré à la fois par les assistants de justice et le ministère public. À la fin de la période de mise à la disposition du TAP, la personne est définitivement libérée ; néanmoins, deux ans après l’octroi d’une libération sous surveillance, et puis tous les deux ans, elle peut solliciter la levée de la mise à la disposition du TAP.

Cette peine complémentaire n’a été introduite dans le Code pénal qu’en 2012.  Il existait déjà « la mise à la disposition du gouvernement » mais le régime d’application était différent. Or, Dave De Kock, responsable de la mort du jeune Dean, a été condamné avant 2012 pour le meurtre de Miguel, un enfant alors âgé de deux ans. Dave De Kock a donc purgé sa peine principale – 10 ans d’emprisonnement – sans peine complémentaire puisqu’elle n’était pas encore prévue à l’époque. Dave De Kock ne s’est jamais vu octroyer de libération conditionnelle, faute de pouvoir trouver une place dans un centre psychiatrique comme l’exigeait le tribunal de l’application des peines.  

Vu le drame récent et la récidive de David De Kock, le ministre de la Justice a annoncé sa volonté de prévoir, dans le cadre de la réforme du Code pénal, l’extension de la durée maximum de la peine complémentaire de mise à la disposition du TAP, aujourd’hui fixée à 15 ans maximum, vers une durée potentiellement à vie dans certains cas. Cette proposition est toutefois problématique pour plusieurs raisons.

L’allongement de la peine complémentaire pourrait heurter le principe de proportionnalité des peines

Consacré à l’article 49.3 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne et dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation, le principe de proportionnalité en droit pénal impose que chaque peine prononcée par les juges soit proportionnée par rapport à la gravité des faits commis et par rapport à la personnalité et au parcours de vie du justiciable. Comme le souligne le professeur Franklin Kuty, il doit aussi exister un rapport de proportionnalité entre la peine et les buts qu’elle poursuit : la peine doit tendre non seulement à exprimer la réprobation de la société à l’égard de l’infraction commise, mais à permettre, à terme, la réinsertion du condamné.

La loi sur la mise à disposition du tribunal de l’application des peines impose que la durée de cette peine complémentaire ne puisse être inférieure à 5 ans ou supérieure à 15 ans. La peine complémentaire de mise à la disposition du tribunal de l’application des peines aboutit à un allongement réel de la peine subie par le condamné. On peut d’ailleurs interroger le caractère « complémentaire » d’une peine de mise à la disposition du tribunal de l’application des peines lorsque celle-ci excède largement la durée de la peine principale. Si on écope d’une peine de 5 ans de prison, mais avec une peine complémentaire de 15 ans, cette peine de 15 ans est-elle encore réellement “complémentaire”? N’est-elle pas excessive ? 

Cette proposition du Ministre étonne d’autant plus que la commission de réforme du droit pénal a fait le choix de supprimer la peine de mise à la disposition du tribunal de l’application des peines dans son avant-projet de Code pénal. Pour la commission de réforme, cette peine complémentaire est inconciliable avec le principe de proportionnalité des peines.

Une peine à vie sans possibilité de réinsertion pourrait constituer un traitement inhumain ou dégradant 

La Cour européenne des droits de l’homme a déjà condamné des États pour avoir imposé une peine inhumaine ou dégradante, en violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, lorsque cette peine excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. La peine doit être proportionnée à la gravité de l’infraction, et l’exécution de la peine doit être proportionnée aux objectifs poursuivis par celle-ci. Les lois pénitentiaires assignent comme objectif principal à l’exécution de la peine privative de liberté la préparation de la réinsertion sociale des condamnés. Un condamné qui serait maintenu en prison, sans espoir raisonnable de libération en raison de l’absence ou de la grande insuffisance de moyens déployés pour l’aider à préparer à sa réinsertion en détention, pourrait se trouver dans une situation constituant un traitement inhumain ou dégradant, en violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

En conclusion, un allongement de la peine de mise à la disposition du tribunal de l’application des peines semble entrer en contradiction avec le principe de proportionnalité des peines et pourrait, en l’absence de moyens réels déployés en prison pour favoriser la réinsertion, constituer un traitement inhumain ou dégradant.

Contacté par nos soins, Vincent Van Quickenborne a indiqué qu’il tiendra compte de ces arguments « dans les analyses ultérieures que nous ferons dans le cadre de la réforme du Code pénal et du dispositif relatif à la mise à disposition du tribunal de l’application des peines ».

Mis à jour le 23 février 2022

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Selon Bart Steukers, administrateur délégué d’Agoria, ne pas se faire vacciner ou tester “c’est déjà une base juridique pour un licenciement”

Het Laatste Nieuws, 28 octobre 2021

Bart Steukers, administrateur délégué d’Agoria, a plaidé pour la possibilité d'utiliser le Covid Safe Ticket dans les entreprises. Mais c’est à tort qu’il s’est appuyé, pour ce faire, sur l’existence d’un droit de licencier les travailleurs non vaccinés ou non testés. Non seulement l’employeur n’a pas accès au statut vaccinal de son personnel. Mais, en outre, le licenciement fondé sur un refus du vaccin ou du test risque d’être considéré comme discriminatoire.

Georgina Skenderi, étudiante en droit, Université Saint-Louis - Bruxelles // Pierre-Olivier de Broux, professeur de droit public, Université Saint-Louis - Bruxelles, le 16 décembre 2021

A l’occasion des débats portant sur l’imposition d’un passe sanitaire (le Covid Safe Ticket, ou CST), Bart Steukers, administrateur délégué d’Agoria, souhaite permettre aux entreprises qui le jugent utile ou nécessaire de rendre le CST obligatoire pour leurs employés. A l’appui de sa demande, il a notamment affirmé que “celui qui refuse de se faire vacciner ou tester forme une menace pour ses collègues. Ce fait seul, c’est déjà une base juridique pour un licenciement” (traduction libre). Soutenir que l’employé présente une menace pour ses collègues reste à démontrer, mais que cette menace permette actuellement de licencier un travailleur est juridiquement faux. 

Il faut distinguer le droit de rupture de l’employeur et son pouvoir de rupture

Le licenciement d’un travailleur, c’est la rupture de son contrat de travail par la volonté unilatérale de l’employeur. Cette rupture peut se concrétiser de deux manières. La première, c’est le droit de rupture, c’est-à-dire un licenciement conforme aux dispositions légales : soit avec indemnités ou délai de préavis ; soit sans indemnités, pour un motif grave. La seconde façon de licencier est l’exercice d’un pouvoir de rupture : une partie, par exemple l’employeur, rompt le contrat sans respecter les conditions ou les modalités prévues par la loi, voire pour des motifs illicites (discrimination, racisme…). Quelle que soit la manière choisie, il s’agit d’une rupture effective, et l’emploi est perdu pour le travailleur. Mais, le plus souvent, l’usage du pouvoir de rupture coûte cher à l’employeur : il implique à tout le moins le paiement d’indemnités supplémentaires pour l’employé licencié. Quand Bart Steukers prétend qu’il existe une base juridique pour un licenciement, c’est donc nécessairement un droit de rupture qu’il évoque.

Le droit de licencier des personnes refusant de se faire vacciner ou tester n’existe pas

Pour avoir le droit de licencier un travailleur qui refuserait de se faire vacciner ou tester, l’employeur devrait d’abord connaître l’existence de ce refus. Or, à l’heure actuelle, aucune règle ne permet d’imposer le Covid Safe Ticket (CST) aux employés sur leur lieu de travail, ni de faire connaître à l’employeur le statut vaccinal de ses employés. Il s’agit d’une donnée personnelle dont l’accès et le traitement est protégé, notamment par le R.G.P.D. L’usage du CST est même explicitement interdit “à des fins autres que celles stipulées dans le présent accord de coopération”, et donc notamment sur les lieux de travail (art. 17, §7). L’entreprise peut obtenir une indication en données agrégées et anonymes du pourcentage de son personnel vacciné, mais l’accès aux données individualisées est illégal. Pour cette seule raison déjà, l’affirmation d’Agoria ne tient pas.

Ensuite, considérer le refus de se faire vacciner ou tester comme un motif grave ou un motif raisonnable, permettant à l’employeur d’exercer son droit de rupture, serait juridiquement compliqué. Un tel licenciement conduirait en effet à traiter différemment les personnes vaccinées ou testées et les autres. Or, une telle distinction serait fondée sur un critère dit “protégé” par la loi tendant à lutter contre certaines formes de discrimination : le critère de l’état de santé. La distinction doit alors être justifiée par un but légitime, et les moyens de réaliser ce but doivent être “appropriés et nécessaires”. Agoria n’explique pas son objectif, même si on devine qu’il s’agit à la fois de protéger la santé des travailleurs et le fonctionnement des entreprises. Si un tel but pourrait sans doute être considéré comme légitime, il est bien plus délicat d’affirmer que le licenciement des personnes non testées ou non vaccinées serait d’ores et déjà approprié et nécessaire, notamment au vu des multiples autres mesures moins attentatoires aux droits des travailleurs prises depuis le début de la crise sanitaire.

Seule la loi peut créer un tel motif de licenciement

Ces obstacles juridiques sont en réalité bien connus. Ils sont au cœur des débats relatifs aux sanctions à imposer au personnel soignant qui refuserait la future vaccination obligatoire. C’est bien par une loi que le gouvernement tente actuellement de donner accès au statut vaccinal pour les employeurs du secteur des soins de santé. Et toujours dans la loi qu’il inscrira le but légitime poursuivi, et la proportionnalité de la mesure de licenciement pour garantir cet objectif. 

Impossible donc de justifier aujourd’hui un droit pour l’employeur de licencier un travailleur non vacciné ou non testé. Il faudrait plusieurs interventions du législateur : pour permettre à l’employeur de connaître le statut vaccinal de ses employés, d’abord ; et pour justifier la différence de traitement que cela créerait entre les vaccinés et les non vaccinés, ensuite. En réalité, faire bouger le législateur est bien l’objectif poursuivi par l’intervention d’Agoria dans la presse, mais en faisant croire à tort qu’un licenciement était déjà possible.

Contactée par nos soins, Agoria nous confirme être tout à fait d’accord avec cette analyse : “aujourd’hui il n’y a pas de base juridique autorisant un employeur à rendre le CST obligatoire sur le lieu de travail”.

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Trois bourgmestres bruxellois se plaignent de sans-papiers délinquants qui ne pourraient être ni expulsés ni détenus

BX1, 29 novembre 2021

Un étranger présent sur le territoire, qu’il soit en séjour légal ou illégal, est soumis aux dispositions du Code pénal et peut donc, s’il a commis une infraction, être poursuivi, détenu préventivement et condamné pénalement. En revanche, l’expulsion ne peut être prononcée comme peine. Et le fait que certains étrangers ne soient pas expulsables en raison de la situation dans leur pays ne les protège pas contre les poursuites pénales.

Loïc Dupont, étudiant en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Agathe de Brouwer, avocate et assistante, Université Saint-Louis – Bruxelles, le 15 décembre 2021

Dans une lettre adressée à différents ministres, les bourgmestres Cécile Jodogne (Schaerbeek), Emir Kir (Saint-Josse) et Ridouane Chahid (Evere), s’inquiètent du manque de sécurité et des infractions commises par un certain nombre de personnes sans papiers, demandeuses d’asile ou transmigrantes, autour de la Gare du Nord. Selon eux, “les actions de la police locale n’ont aucun résultat, puisque la plus grande partie (les Érythréens et les Soudanais) ne sauraient être expulsés. Les personnes concernées ne peuvent dès lors pas davantage être détenues et les personnes arrêtées sont ensuite relâchées”. Or, qu’une infraction soit commise par des Belges ou par des étrangers, elle est punie de la même manière par la loi. Quant à la question de l’expulsion, elle ne peut pas être considérée comme une peine.

Comme tout Belge, l’étranger sans papier qui commet une infraction peut être condamné

La question du traitement des étrangers ayant commis une infraction est traitée par le Code pénal. Peu importe que l’infraction soit commise par des Belges ou par des étrangers sur le territoire national, celle-ci est punie selon les modalités prévues par la loi. C’est ce qu’on appelle le principe de territorialité. Par exemple, en ce qui concerne le trafic de drogue, ce dont il est en partie question autour de la Gare du Nord, les coupables pourront être punis d’un emprisonnement de trois mois à cinq ans, peu importe leur nationalité. Ce principe de territorialité est appliqué par la majorité des pays européens. 

Il existe néanmoins quelques exceptions à ce principe. C’est notamment le cas des immunités personnelles qui s’attachent à certains diplomates. Ceux-ci ne peuvent alors pas être jugés par les tribunaux belges. Mais il n’y a pas d’immunité pour les personnes qui séjournent illégalement sur le territoire. Celles-ci sont soumises aux lois pénales en vigueur sur le territoire belge et peuvent être poursuivies et arrêtées le cas échéant. 

Dans leur lettre, par ailleurs, les bourgmestres ne font pas de différence entre l’arrestation administrative et l’arrestation judiciaire, alors que ces deux arrestations ont des causes et des conséquences totalement différentes. Si un étranger cause des troubles à l’ordre public, il pourra être arrêté administrativement, mais devra être libéré assez rapidement. La durée d’une arrestation administrative est de douze heures maximum. Faute d’alternative, la plupart d’entre eux retourneront probablement Gare du Nord. En revanche, si ces étrangers en séjour illégal sont suspectés d’infractions suffisamment graves, ils peuvent être arrêtés judiciairement et éventuellement placés sous mandat d’arrêt, ce qui prolongera leur privation de liberté. Ils peuvent ensuite être jugés et, le cas échéant, condamnés à des peines d’amendes, de travail ou de prison.

L’expulsion n’est pas une peine en Belgique

Quant à l’expulsion, elle ne constitue pas une sanction pénale, et elle ne constitue pas, en soi, une mesure privative de liberté. Afin de pénétrer sur le territoire belge, il est nécessaire de pouvoir présenter les documents adéquats. Il est également nécessaire d’obtenir une autorisation valable pour pouvoir y séjourner plus de nonante jours. Les étrangers qui ne respectent pas ces exigences peuvent recevoir un ordre de quitter le territoire délivré par l’Office des étrangers. Et c’est seulement si cette mesure ne peut pas être exécutée directement que l’étranger peut être détenu en vue d’un futur éloignement, “en particulier lorsqu’il existe un risque de fuite ou lorsque l’étranger évite ou empêche la préparation du retour ou la procédure d’éloignement”. Ainsi, si des étrangers en séjour irrégulier sont arrêtés administrativement, ils peuvent être envoyés dans un centre fermé en vue de leur expulsion.

Si les étrangers expulsables ont par ailleurs commis une infraction, ils peuvent être détenus, poursuivis et condamnés. Mais ils ne peuvent pas être condamnés à l’expulsion, qui n’est pas une sanction prévue par la loi, contrairement à ce qui prévaut en France par exemple. Dans certains cas, une personne condamnée à une peine privative de liberté en Belgique peut être renvoyée dans son pays pour y purger sa peine. Cette mesure, assez rare, est soumise à des conventions strictes. Dans d’autres cas, une personne condamnée peut être libérée pour pouvoir être expulsée. Selon la Cour de Cassation, toutefois, cette  libération et l’expulsion qui s’ensuit ne constituent pas un “mode d’exécution de la peine privative de liberté”. Si la personne expulsée revient en Belgique, elle devra purger le reste de sa peine.

Non-expulsable ne signifie pas non-condamnable

En ce qui concerne les étrangers venant du Soudan ou d’Erythrée enfin, d’où seraient originaires la plupart des personnes visées par la lettre des bourgmestres, leur cas est particulier. Vu la situation actuelle dans leur pays, leur expulsion risquerait de mettre en danger leur intégrité physique ou morale. S’ils prouvent que leurs droits fondamentaux ne peuvent être respectés dans leurs pays d’origine, alors la Belgique ne peut pas les expulser, comme cela a été confirmé plusieurs fois par la Cour européenne des droits de l’homme. Ils restent néanmoins susceptibles de poursuites et condamnations pénales en Belgique. S’ils sont condamnés, ils ne pourront donc pas être renvoyés dans leur pays d’origine pour y purger leur peine, et ils ne pourront pas davantage être libérés en vue d’une expulsion. Mais, contrairement à ce que laissent entendre les bourgmestres, cela n’empêche évidemment pas qu’ils soient détenus préventivement ou qu’ils purgent leur peine en Belgique, comme tout autre auteur d’une infraction sur le territoire belge.  L’exaspération des bourgmestres est sans doute moins une question de droit qu’une question de moyens. Afin de poursuivre, détenir et condamner les auteurs présumés d’infractions dans le quartier Nord, il faut disposer d’effectifs policiers et judiciaires en suffisance. Pour les Belges comme pour les étrangers, avec ou sans papiers, ce n’est apparemment actuellement pas le cas.

Contactés par nos soins, les trois bourgmestres concernés n’ont pas répondu à nos sollicitations.

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Mélissa Hanus, députée socialiste, entend introduire un recours pour priver le Vlaams Belang de financement public.

Le Soir, 19 novembre 2021

Mélissa Hanus compte convaincre six autres députés de la Commission de contrôle des dépenses publiques de la Chambre d’introduire un recours au Conseil d’Etat pour priver le Vlaams Belang de dotations publiques. Si elle y parvient, les sept députés devront prouver en quoi le Vlaams Belang a montré une hostilité manifeste aux droits fondamentaux. En 2011, une tentative similaire avait échoué, principalement pour des raisons de timing des preuves.

Jeanne le Hardÿ de Beaulieu, étudiante en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Marie-Sophie de Clippele, chargée de recherche FNRS, professeure invitée, Université Saint-Louis – Bruxelles, le 6 décembre 2021 (mis à jour le 7 décembre 2021)

Mélissa Hanus, députée socialiste (PS), a annoncé son projet d’introduire un recours au Conseil d’État en vue de priver le Vlaams Belang, parti politique flamand d’extrême droite, de dotation. Selon les chiffres bruts analysés par des chercheurs de la KULeuven, les dotations publiques du Vlaams Belang s’élevaient à 7,9 millions en 2020. Les partis politiques ont aussi d’autres sources de revenus, notamment les cotisations des membres et les contributions des mandataires, mais ces revenus ne représentent qu’un faible pourcentage de leur financement. Dans le cas du Vlaams Belang, selon les mêmes chercheurs, ce pourcentage est d’à peine 7 %, les contributions publiques représentant les 93 % restant. Si le projet de Mélissa Hanus venait à aboutir, les conséquences seraient donc considérables pour le parti politique flamand.

Comment l’Etat finance les partis politiques

La réglementation concernant le financement des partis politiques se trouve dans une loi adoptée en 1989. Cette loi prévoit que chaque parti qui est représenté à la Chambre des représentants par au moins un parlementaire a droit à une dotation à condition que son programme ou ses statuts comprennent un engagement “à faire respecter par ses différentes composantes et par ses mandataires élus, au moins les droits et les libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et par les protocoles additionnels à cette Convention en vigueur en Belgique. La dotation, dont le montant est également fixé conformément à la loi de 1989, doit être reçue par une institution constituée sous forme d’une ASBL désignée par le parti politique. En ce qui concerne le Vlaams Belang, il s’agit principalement de l’ASBL Vrijheidsfonds. 

Comment l’Etat peut priver un parti de financement

La loi de 1989 prévoit une procédure qui permet de suspendre ou de diminuer les dotations d’un parti politique. Elle prévoit qu’un parti qui « par son propre fait, ou par celui de ses composantes, de ses listes, de ses candidats, ou de ses mandataires élus montre de manière manifeste et à travers plusieurs indices concordants son hostilité envers les droits et libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » peut être privé de contributions publiques, à la requête de membres de la Commission de contrôle des dépenses électorales de la Chambre. C’est la section d’administration du Conseil d’État qui est compétente pour décider de supprimer pour une période comprise entre trois mois et un an, ou de diminuer, les subsides d’un parti politique. Cependant, Mélissa Hanus ne pourra pas introduire sa demande seule. Il faut au moins sept députés de la Commission de contrôle des dépenses électorales de la Chambre pour introduire un tel recours. Deux des membres de cette Commission, appartenant également au Parti Socialiste, lui ont déjà manifesté leur soutien.

Si elle obtient les quatre soutiens qui lui manquent encore, les sept députés devront ensuite prouver que le Vlaams Belang montre une hostilité manifeste envers les droits et libertés garantis par la Convention européenne des droits de l’homme et les protocoles additionnels. La Cour constitutionnelle a déjà eu l’occasion de se prononcer quant au sens du mot “hostilité” tel que repris dans la loi de 1989. Elle adopte une interprétation stricte en expliquant que le terme « hostilité » se comprend “comme une incitation à violer une norme juridique en vigueur (notamment, une incitation à commettre des violences et à s’opposer aux règles susdites)”. Elle ajoute qu’« il appartient en outre aux hautes juridictions dont dépend la mesure en cause de vérifier que l’objet de cette hostilité est bien un principe essentiel au caractère démocratique du régime ». Le Conseil d’État a, quant à lui, expliqué « qu’inciter signifie encourager, pousser à ce qui implique de donner une forte impulsion ou un stimulus psychologique qui contribue aux effets dommageables actuels, directs ou qui à tout le moins les rend très probable ». Il précise ensuite qu’être hostile implique l’existence de sentiments forts et de pensées de rejet et de haine. Les simples opinions qui n’incitent pas manifestement à des violations ne suffisent donc pas pour rendre la loi de 1989 applicable. 

Pour appuyer le recours des députés de la Commission de contrôle, Mélissa Hanus explique avoir réuni 130 preuves, qu’elle ne dévoile toutefois pas, et qui lui permettront de prouver l’incitation manifeste à s’opposer. Toutefois, le recours doit être introduit dans les soixante jours après que les requérants auront eu connaissance de l’élément de preuve le plus récent qu’ils apportent. À défaut, la demande sera rejetée pour avoir été introduite trop tardivement. 

Les pièges de la procédure

En 2006, un ensemble de personnalités politiques belges avaient déjà introduit un recours devant le Conseil d’État en vue de faire supprimer la dotation allouée au Vlaams Belang. Ce recours avait été rejeté parce que la plupart des faits invoqués étaient connus depuis plus de 60 jours par les requérants. Et le seul fait survenu au cours des soixante jours précédant la requête ne prouvait pas suffisamment que le Vlaams Belang était manifestement hostile aux droits et libertés fondamentales. La demande a donc été déclarée irrecevable, car introduite trop tardivement par rapport à la prise de connaissance des faits. 

Les députés de la Commission de contrôle devront donc être particulièrement prudents, tant au niveau du timing de l’introduction de leur demande, qu’au niveau des preuves de l’hostilité du Vlaams Belang, s’ils espèrent remporter le recours. A la lecture de l’arrêt du Conseil d’Etat, rendu en 2011, 5 ans après l’introduction du recours, après deux élections et bien d’autres péripéties juridiques (notamment un passage par la Cour constitutionnelle), cela promet en tout cas d’être compliqué.

Contactée par nos soins, Mélissa Hanus n’a pas réagi à nos sollicitations.

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Trois bourgmestres de la périphérie bruxelloise veulent imposer la présence d’un membre du personnel néerlandophone dans l’Horeca

VRT, 25 octobre 2021

Les bourgmestres de trois communes situées en périphérie bruxelloise veulent imposer la présence permanente d’un membre du personnel parlant le néerlandais à leurs établissements Horeca. Une telle exigence est manifestement contraire à la liberté d’emploi des langues garantie par la Constitution, tout comme à la libre circulation des travailleurs consacrée dans l’Union européenne.

Linda Draoui, étudiante en droit, Université Saint-Louis - Bruxelles // Pierre-Olivier de Broux, professeur de droit public, Université Saint-Louis - Bruxelles, le 18 novembre 2021

Les bourgmestres de trois communes situées en périphérie bruxelloise veulent imposer une nouvelle règle à leurs établissements Horeca. Ils estiment qu’au moins un membre du personnel doit être en mesure de parler le néerlandais en cas d’urgence : “supposons que quelqu’un tombe malade au restaurant. Un membre du personnel devrait pouvoir demander s’il y a un médecin dans la pièce, non ? Ou si un incendie se déclare, quelqu’un ne devrait-il pas être en mesure de donner des instructions pour l’évacuation ? explique le bourgmestre de Beersel, Hugo Vandaele (CD&V). Selon lui, tout comme pour ses collègues Mark Snoeck (Sp.a), bourgmestre de Hal, et Luc Deconinck (N-VA), bourgmestre de Leeuw-Saint-Pierre, il est donc logique d’imposer à ces établissements la présence permanente d’un membre du personnel parlant le néerlandais. Les trois bourgmestres s’asseyent ainsi tant sur la Constitution que sur le droit européen.

L’emploi des langues en Belgique est libre

La Belgique compte trois langues officielles (le français, le néerlandais et l’allemand). L’article 30 de la Constitution n’en garantit pas moins la liberté d’emploi des langues. Les seules exceptions sont réservées aux législateurs qui peuvent régler l’emploi des langues dans quelques domaines particuliers, notamment dans les relations sociales, au sein des entreprises et des associations. Le principe est donc la liberté, et la réglementation doit être l’exception. L’emploi de l’une ou l’autre langue au sein d’un établissement Horeca reste donc entièrement libre.

Les bourgmestres tentent d’emblée de se couvrir : ils prétendent ne pas régler “l’emploi des langues” : on pourra toujours parler la langue de son choix au restaurant, que ce soit avec ses amis ou avec le serveur. Mais en imposant des compétences linguistiques aux membres du personnel de l’horeca, les bourgmestres concernés s’ingèrent incontestablement dans les règles d’emploi des langues. Les lois sur l’emploi des langues en matière administrative prévoient en effet des obligations de compétence linguistique (voy. par exemple leurs articles 38 et 43)  – mais pour les agents de l’Etat ou des communes. Pas pour du personnel issu du secteur privé, dont fait partie l’Horeca.

Or, les communes ne sont tout simplement pas compétentes pour régler l’emploi des langues dans le secteur privé. En effet, de deux choses l’une. Soit les mesures envisagées s’inscrivent dans le cadre des relations sociales entre l’employeur et l’employé, et dans ce cas l’article 129 de la Constitution réserve la compétence de régler l’emploi des langues au seul décret flamand, et pas aux règlements communaux. Soit il ne s’agit pas de relations sociales, et dans ce cas l’article 30 de la Constitution empêche toute réglementation. C’est la liberté qui doit prévaloir.

Régler l’emploi des langues dans l’Horeca est aussi contraire au droit européen

La réglementation proposée par les bourgmestres n’est pas seulement contraire au droit belge. Elle viole aussi le droit européen, en particulier la liberté de circulation des travailleurs en Europe.

La Cour de justice de l’Union européenne a en effet jugé en 2013 que le décret flamand régissant l’emploi des langues en matière de relations sociales entre employeurs et travailleurs était incompatible avec la liberté de circulation. Selon la Cour, le droit européen s’oppose en effet “à toute mesure qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice, par les ressortissants de l’Union, des libertés fondamentales garanties par le traité”, sauf si la mesure est justifiée par un objectif d’intérêt général, et si elle est adéquate et nécessaire pour garantir cet objectif.

Le nouveau règlement voulu par les trois bourgmestres risque à l’évidence de gêner ou rendre moins attrayant le travail en Belgique, pour les ressortissants européens. A supposer même que l’objectif poursuivi puisse être considéré comme légitime (mais l’objectif de sécurité invoqué peut-il vraiment être limité aux seuls locuteurs néerlandophones?), il paraît néanmoins difficile de considérer la mesure comme adéquate ou nécessaire. Rien ne démontre que les multiples exigences légales en matière de sécurité seraient actuellement insuffisantes pour assurer la sécurité des clients de l’Horeca. Les bourgmestres ne justifient pas davantage que la seule connaissance du néerlandais serait un aspect déterminant de l’appel efficace à un médecin ou aux services d’urgence : la loi sur le service d’appel d’urgence 112, par exemple, prévoit au contraire que “tout appel doit pouvoir être traité au moins dans les trois langues nationales et en anglais”. Ce service de secours multilingue, d’ailleurs harmonisé au niveau européen, rend d’autant plus superflue la mesure envisagée. Le nouveau règlement communal envisagé porte donc aussi atteinte de manière disproportionnée au droit européen.

Contacté par nos soins, les trois bourgmestres n’ont pas répondu à nos sollicitations.

 

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Selon Luc Hennart : “D’un point de vue pénal, il n’y a rien de particulier dans les violences faites aux femmes”.

DH Radio, “Il faut qu’on parle”, 18 octobre 2021, 2’.

Selon Luc Hennart, président honoraire du tribunal de première instance de Bruxelles : “D'un point de vue pénal, il n'y a rien de particulier dans les violences faites aux femmes. (...) Selon moi, il ne faut pas singulariser toutes les violences mais les combattre toutes de la même manière”. Or, cette affirmation contredit la Convention d’Istanbul, qui prône une approche particulière et systémique du problème afin de lutter efficacement contre les violences de genre.

Clémence Merveille, assistante à l’Université Saint-Louis - Bruxelles et avocate en droit public, le 10 novembre 2021.

À Bruxelles, une nouvelle vague de protestations s’est levée suite à une affaire de viols présumés dans deux bars ixellois. Le mouvement a rapidement été très relayé sur les réseaux sociaux et deux manifestations ont eu lieu afin d’interpeller les autorités. Les faits dénoncés suivent un mode opératoire classique, qui prend cours dans de nombreux autres bars et boîtes de nuit ; celui de placer de la drogue dans le verre des femmes, afin de plonger celles-ci dans un état de “soumission chimique” et de commettre sur elles des viols et agressions sexuelles.  

Luc Hennart, président honoraire du tribunal de première instance de Bruxelles, s’est exprimé au sujet de ces violences sexistes et sexuelles et, plus précisément, sur l’inscription du féminicide dans le Code pénal. Il soutient que “D’un point de vue pénal, il n’y a rien de particulier dans les violences faites aux femmes. (…) Selon moi, il ne faut pas singulariser toutes les violences mais les combattre toutes de la même manière. Or, cette idée est manifestement contraire à l’esprit de la Convention d’Istanbul, que la Belgique a ratifiée en 2016.

La singularité des violences faites aux femmes est reconnue par le droit international

Cette opinion exprimée est le contraire de ce qui est prescrit par la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite “Convention d’Istanbul”, dont la Belgique est État-partie. 

Son article premier indique qu’elle a pour but de “concevoir un cadre global, des politiques et des mesures de protection et d’assistance pour toutes les victimes de violence à l’égard des femmes et de violence domestique (…) de soutenir et d’assister les organisations et services répressifs pour coopérer de manière effective afin d’adopter une approche intégrée visant à éliminer la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.”

La Convention a donc principalement pour objectif d’adopter une approche intégrée et d’obliger les États signataires à prendre des mesures concrètes, législatives ou autres, afin de lutter efficacement contre la violence à l’égard des femmes. 

Par approche intégrée, il y a lieu d’entendre la mise en place d’une perspective d’égalité de genre à tous les stades et à tous les niveaux des mesures prises, au moyen de politiques publiques, programmes ou projets. Pendant très longtemps, l’essentiel des politiques étaient basées sur les besoins du groupe dominant et étaient elles-mêmes décidées par ce même groupe dominant, à savoir les hommes. La Convention d’Istanbul prône donc désormais une approche intégrée de l’égalité, qui permet, notamment en associant des femmes aux processus décisionnels et en tenant compte des besoins et de leurs situations spécifiques, une lutte plus efficace contre les violences de genre.  

Son préambule précise d’ailleurs d’emblée que “la violence à l’égard des femmes est une manifestation des rapports de force historiquement inégaux entre les femmes et les hommes ayant conduit à la domination et à la discrimination des femmes par les hommes, privant ainsi les femmes de leur pleine émancipation. (…) que la nature structurelle de la violence à l’égard des femmes est fondée sur le genre, et que la violence à l’égard des femmes est un des mécanismes sociaux cruciaux par lesquels les femmes sont maintenues dans une position de subordination par rapport aux hommes”. 

La violence faite aux femmes ne peut donc pas être traitée juridiquement comme n’importe quelle autre violence

La problématique des violences faites aux femmes ne peut être réglée comme toutes les autres, précisément en raison de son aspect systémique et omniprésent dans la société et des rapports de force qui sont en jeu, amenant ainsi les États-membres du Conseil de l’Europe à élaborer cette Convention. 

La Belgique s’est donc engagée à ne pas traiter les violences faites aux femmes de la même manière que les autres violences, mais bien via une approche singulière. Elle doit donc mettre en place des politiques publiques et prévoir des récoltes de données spécifiques. Il lui incombe également, selon la Convention d’Istanbul, de former et sensibiliser les personnes qui prennent en charge les victimes, comme la police, le milieu médical ou la magistrature, mais aussi le grand public. Il doit, de même, être apportés aux victimes, une protection et un soutien adaptés à leur situation, tenant compte de la discrimination qu’elles vivent d’emblée en tant que femmes et des difficultés supplémentaires qui en découlent. Enfin, doivent en conséquence être adaptés, le droit matériel, le processus d’enquêtes ainsi que les poursuites. 

L’Etat belge est tenu d’adopter une approche différenciée

En octobre 2020, le rapport d’évaluation fait par le groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) quant à l’application de la Convention en Belgique recensait bon nombre de mesures complémentaires qui devraient être prises par la Belgique, comme par exemple : 

Assurer que les programmes (…) intègrent une approche uniforme fondée sur le genre et la déconstruction des stéréotypes” ou encore: “Doter les services répressifs et judiciaires des ressources, connaissances et moyens nécessaires pour répondre rapidement et de manière adéquate à toutes les formes de violence visées par la convention.”

De manière générale, le rapport met en exergue le manque de véritable reconnaissance du lien systémique entre les violences faites aux femmes et l’organisation de la société, dans la mise en place des mesures et politiques pour appliquer les préceptes de la Convention. Les autorités belges sont exhortées à prendre des mesures pour assurer que la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul intègre une réelle perspective de genre. 

L’Etat belge est donc encore loin de respecter l’ensemble des obligations auxquelles il s’était engagé juridiquement en ratifiant la Convention d’Istanbul. Concernant l’inclusion du féminicide dans le Code pénal, bien que cela ne soit pas prescrit explicitement par la Convention, cette démarche s’inscrirait certainement dans l’esprit de celle-ci (à condition que cette avancée législative soit accompagnée d’une politique globale, pour lutter efficacement contre toutes les formes de violence de genre). 

In fine, et comme l’illustre cette déclaration du président honoraire du tribunal de première instance de Bruxelles, la Convention et ses implications restent encore trop mal connues des praticien.ne.s du droit et des magistrat.e.s. 

Malgré nos recherches, il n’a pas été possible de contacter Luc Hennart pour lui permettre de réagir. Toute erreur ou tout commentaire peut néanmoins nous être envoyé : contact-be@lessurligneurs.eu

 

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Selon Kattrin Jadin “l’interdiction d’un genre à une manifestation est contraire aux droits fondamentaux de notre État”

Le Vif, 29 septembre 2021

Il est tout à fait possible d’organiser un événement non-mixte. La loi autorise ce genre de différences de traitement à condition qu’elles soient suffisamment justifiées. Dire qu’un tel évènement est toujours contraire aux droits fondamentaux doit donc être nuancé. Dans le cas de la marche dénoncée par Kattrin Jadin, le problème est surtout que ses organisateurs n'ont pas suffisamment expliqué l’objectif poursuivi.

Ysaure Fally, étudiante en droit, Université Saint-Louis - Bruxelles // sous la supervision de Jogchum Vrielink, professeur de droit et discrimination des genres, Université Saint-Louis - Bruxelles, le 2 décembre 2021

Suite à sa participation à la marche réservée aux femmes, organisée dans le cadre des Rencontres écologiques d’été, la secrétaire d’État à l’égalité des genres, à l’égalité des chances et de la diversité, Sarah Schlitz a subi de nombreuses critiques, notamment de la part de Kattrin Jadin, députée MR. A l’occasion du débat mené au Parlement sur ce sujet, Kattrin Jadin a affirmé que « l’interdiction d’un genre à une manifestation n’est pas le bon chemin et est même contraire aux droits fondamentaux de notre État« . Juridiquement, ces propos doivent être nuancés.

Une distinction entre les femmes et les hommes est en principe interdite dans toute activité accessible au public

La marche pour les femmes a été organisée par Etopia, le centre d’étude du parti politique Ecolo, c’est-à-dire le parti de la Secrétaire d’État Sarah Schlitz. Le but de cette marche était de pouvoir échanger librement sur ce que les femmes et les groupes les plus vulnérables ont vécu durant les confinements dus à la pandémie. Ici, la question n’est donc pas de savoir si Sarah Schlitz a eu raison d’assister à cette marche, mais bien de savoir si l’organisation d’une telle marche est contraire aux droits fondamentaux, comme l’a dénoncé Kattrin Jadin. 

Initiée par une association politique, cette marche n’émane donc pas d’une autorité publique, ni d’un fournisseur de bien ou de service, mais elle était ouverte au public. Cela implique que des différences de traitement entre les femmes et les hommes peuvent être acceptées mais uniquement sous certaines conditions. Les articles 10, al. 3, et 11 bis de notre Constitution garantissent en effet l’égalité entre les hommes et les femmes, et l’égal exercice de leurs droits et libertés. Ce principe d’égalité et de non-discrimination est aussi garanti par le droit européen, et par la loi, et notamment par la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes. Cette dernière loi s’applique à toutes les personnes, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, notamment en ce qui concerne l’accès, la participation et tout autre exercice d’une activité économique, sociale, culturelle ou politique “accessible au public”. Dans ce cadre, une distinction qui est directement fondée sur le sexe constitue une discrimination, à moins qu’elle ne soit “objectivement justifiée par un but légitime et que les moyens de réaliser ce but sont appropriés et nécessaires”.

Une marche réservées aux femmes ne discrimine pas pour autant les hommes

On parle donc de discrimination lorsqu’une personne ou un groupe de personnes est traité d’une façon moins favorable en raison d’une caractéristique, comme leur sexe, sans justification acceptable. En faisant de cette marche une marche exclusivement réservée aux femmes, il y a effectivement une différence de traitement envers les hommes. Mais une telle différence de traitement peut être justifiée, et n’est donc pas nécessairement contraire aux droits fondamentaux. 

En réalité, dans toutes sortes de situations, des différences de traitement entre hommes et femmes ou des initiatives non-mixtes sont admises. Ainsi, par exemple, les mouvements de jeunesse qui sont réservés à un genre, les women’s running ou tout autre événement, compétition ou rassemblement sportif réservés aux femmes ou aux hommes, des lieux d’accueil, de prévention, de soins ou de détention non mixtes, etc. La cour d’appel de Liège a jugé en 2014 que des clubs de fitness pouvaient être réservés aux femmes, sans que cette différence de traitement ne soit jugée discriminatoire. L’objectif de “permettre aux femmes qui n’osaient, ne voulaient, ou encore ne pouvaient s’inscrire dans un club de fitness mixte” a été considéré comme légitime par la cour.

Dans le cadre de la marche d’Etopia, les règles applicables sont celles des activités accessibles à un public extérieur. Il s’agit de règles à peine moins strictes que celles imposées aux pouvoirs publics, ou que celles imposées pour la fourniture de biens ou de services. Il faut donc toujours, pour que la différence de traitement soit acceptable, démontrer que le but est légitime et que la mesure est appropriée et nécessaire. C’est sans doute sur ce point que les organisateurs de la marche sont restés trop silencieux. Il est pourtant reconnu qu’un groupe de parole non mixte offre un sentiment d’entraide féminine et de sécurité pour discuter de certains sujets compliqués, par exemple sur le sujet des violences conjugales. Il va de soi que les femmes ne sont pas les seules à subir ces violences, mais celles qui y ont été sujettes auront plus de difficulté à s’exprimer en présence d’hommes. Un tel but pourrait donc être considéré comme légitime et la non mixité pourrait, à cette fin, être considérée comme appropriée et nécessaire. Cet objectif n’a cependant pas été explicitement invoqué ou expliqué par les organisateurs de la marche.

Les propos de Kattrin Jadin, qui généralisent le reproche à toute manifestation non mixte, sont donc excessifs, dès lors qu’il est tout à fait possible de prévoir certaines différences de traitement. Ce n’est qu’en l’absence d’un but légitime, ou en cas de mesure inappropriée ou inutile, que l’interdiction d’un genre à une manifestation serait contraire aux droits fondamentaux.

Contactée par nos soins, Kattrin Jadin n’a pas répondu à nos sollicitations.

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Fabian Maingain (DéFI) veut imposer le Covid Safe Ticket pour accéder aux lieux de culte à Bruxelles

La Libre, 20 septembre 2021

Imposer le Covid Safe Ticket pour accéder aux lieux de culte peut être disproportionné. Des mesures alternatives moins attentatoires au droit à la protection des données et à la liberté d’exercer sa religion de façon collective sont possibles. L’utilisation du Covid Safe Ticket doit rester exceptionnelle, c’est-à-dire limitée aux situations où d’autres mesures pour lutter contre la propagation du virus ne peuvent être mises en place.

Matthieu Nève de Mévergnies, étudiant en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Marie-Sophie de Clippele, chargée de recherche FNRS, professeure invitée, Université Saint-Louis - Bruxelles, le 5 novembre 2021

Fabian Maingain (DéFI) défend l’idée qu’il faudrait imposer le Covid Safe Ticket (CST) dans les lieux de culte à Bruxelles, à l’instar de l’Horeca et de l’évènementiel. À première vue, cette mesure paraît efficace et cohérente au vu des autres secteurs impactés, mais elle mène en réalité à un conflit avec d’autres droits fondamentaux, spécialement la liberté de religion et la protection de la vie privée. Il faut donc en vérifier la proportionnalité.

Les limitations à la liberté de religion doivent être proportionnées…

La liberté d’exercer sa religion de façon collective, consacrée par l’article 19 de la Constitution, est considérée en Belgique comme un droit fondamental, et les limites à cette liberté sont contrôlées par les juges. Ainsi, le Conseil d’État peut réaliser un examen approfondi des mesures qui portent atteinte à la liberté de religion, comme par exemple l’obligation de présenter un CST pour accéder aux lieux de culte. 

Au début de la pandémie, le Conseil d’État a validé les diverses mesures prises par les autorités pour lutter contre la propagation du virus, en ce compris celles qui portaient atteinte à la liberté de religion. Mais avec l’évolution de la pandémie, son contrôle est devenu plus strict. Ainsi, le 8 décembre 2020, le Conseil d’État a décidé que les mesures sanitaires limitaient à ce point la liberté de religion (pas d’assouplissements contrairement à d’autres secteurs, pas de possibilité de célébrer une fête religieuse avec les autres fidèles…) qu’elles en étaient devenues excessives par rapport à l’objectif de protection de la santé publique. Cette décision explique en outre que l’exercice collectif de la liberté de religion doit être interprété de la manière dont les fidèles d’une religion l’entendent, notamment pour des célébrations requérant le respect d’un certain rituel. Le Conseil d’État précise à cette occasion qu’il ne peut se substituer aux croyants et se prononcer sur l’interprétation ou l’importance des célébrations et rituels religieux. D’autres affaires à la même période rejettent cependant l’argument de la liberté de religion, jugeant d’autres restrictions (notamment la limitation à 15 personnes par célébration) nécessaires “pour préserver la santé publique dans le cadre de la pandémie de coronavirus”. En cette matière, tout est donc affaire de proportionnalité : il faut prendre toutes les mesures nécessaires, mais strictement et uniquement les mesures nécessaires.

L’adoption d’une nouvelle mesure limitant la liberté de religion, comme l’imposition d’un CST pour accéder aux lieux de culte, doit donc être proportionnée à l’objectif sanitaire poursuivi. Un des critères d’appréciation de la proportionnalité consiste à se demander si aucune autre mesure ne peut être prise pour atteindre l’objectif de protéger la santé publique, qui serait moins attentatoire à la liberté de religion. On pourrait soutenir que la poursuite des gestes barrières et le port du masque suffisent à garantir la protection de la santé publique dans les lieux de culte (article 20, 13° et 14° et article 22, §1er, alinéa 2 de l’arrêté royal du 28 octobre 2021). L’utilité du CST semble d’ailleurs surtout justifiée là où la distanciation et/ou le port du masque ne sont pas possible (comme dans les salles de sport ou les restaurants). L’imposition d’un CST dans les lieux de culte, où la distanciation et le port du masque sont possibles, n’est donc pas manifestement nécessaire, surtout eu égard à l’évolution moins préoccupante de la pandémie, même s’il est vrai qu’à Bruxelles la situation sanitaire reste plus grave que dans les deux autres régions (Flandre et Wallonie), justifiant peut-être des mesures plus attentatoires aux libertés publiques. 

…tout comme les limitations au droit à la protection des données personnelles

L’argument de la proportionnalité est par ailleurs repris par l’Autorité de Protection des Données (APD), soucieuse du droit au respect de la vie privée, lorsque celle-ci vérifie la compatibilité du Covid Safe Ticket avec les principes fondamentaux de la protection des données personnelles. L’APD insiste à son tour, dans un avis du 12 juillet 2021, sur le fait que l’utilisation du CST doit être proportionnée aux objectifs poursuivis. Cela signifie qu’aucune autre mesure moins attentatoire au regard du droit à la protection de la vie privée ne suffirait à atteindre le même objectif. Pour imposer le CST, il faut donc démontrer l’insuffisance de la distanciation sociale ou du port du masque,  qui sont des mesures actuellement en vigueur dans les lieux de culte bruxellois, on l’a déjà écrit.

Dans le même avis, et à propos de la proportionnalité de la mesure, l’APD insiste également “sur la nécessité d’être particulièrement attentif au risque réel de créer un « phénomène d’accoutumance« , ce qui pourrait nous amener à accepter, dans le futur, que l’accès à certains lieux (y compris des lieux de la vie quotidienne) soit soumis à la divulgation de la preuve que la personne concernée n’est pas porteuse de maladies infectieuses (autre que le Covid) ou qu’elle n’est pas atteinte d’autres pathologies. L’Autorité attire l’attention sur l’importance d’éviter que la solution mise en place pour autoriser l’accès à certains lieux ou à certains événements entraîne un glissement vers une société de surveillance.”

 

Contacté par nos soins, Fabian Maingain n’a pas répondu à nos sollicitations.

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Georges-Louis Bouchez: « si vous restez au chômage 30 ans, vous aurez une pension supérieure à un indépendant qui a travaillé 29 ans »

RTL info, 5 septembre 2021

Cette comparaison entre les droits respectifs des chômeurs et des indépendants repose sur une situation peu probable. Elle laisse en outre penser que la disparité entre les deux régimes porte sur le montant de la pension à laquelle les uns et les autres ont droit, alors que la différence essentielle se trouve ailleurs.

Signature : Quentin Detienne, professeur de droit social, Université de Liège, le 4 octobre 2021

A l’occasion d’un commentaire du projet de réforme des pensions de la ministre Lalieux (PS), le président du Mouvement réformateur (MR), Georges-Louis Bouchez, a déclaré : “aujourd’hui, si vous restez au chômage 30 ans, vous aurez une pension supérieure à celle d’un indépendant qui a travaillé 29 ans”. Cette sortie faisait suite à une proposition de l’OpenVLD d’ouvrir le droit à la pension minimum garantie des salariés aux personnes démontrant une carrière effective de minimum 20 années. Par ces propos, les deux partis libéraux du pays relançaient les débats relatifs au projet, inscrit dans l’accord de gouvernement, de porter cette pension à 1.500 euros nets pour une carrière complète. Ils voulaient faire savoir que s’ils sont d’accord pour augmenter la pension minimale, cela doit s’accompagner à leurs yeux d’un renforcement (drastique) des conditions d’accès pour les salariés. 

Indépendants et salariés : les périodes d’inactivité prises en compte différemment pour la retraite

Pour comprendre la portée de ces propositions et la comparaison dressée par Georges-Louis Bouchez entre un chômeur et un indépendant, il faut rappeler une différence importante entre le régime de sécurité sociale des salariés et celui des travailleurs qui sont leur propre patron. Dans les deux régimes, le bénéfice de la pension minimale est suspendu à une même condition de carrière de 30 ans minimum. Par contre, la manière de calculer cette carrière diffère. Les salariés peuvent faire valoir des « périodes assimilées » à du travail effectif, dont les périodes de chômage qui sont indemnisées sans limite de temps en Belgique. Les indépendants peuvent également faire valoir l’assimilation de certaines périodes, mais dans une moindre mesure. Sont ainsi assimilables les périodes d’incapacité de travail ou le congé de maternité, comme pour les salariés. Toutefois, les périodes d’octroi du droit passerelle (sorte d’équivalent de l’assurance chômage des salariés) sont non seulement limitées à 24 mois maximum sur l’ensemble de la carrière, mais en outre elles ne sont pas prises en compte pour le calcul de la carrière.

La comparaison opérée par Georges-Louis Bouchez est donc correcte. Un indépendant qui cesserait volontairement (et donc pas pour cause de maladie ou d’accident) son activité après 29 ans aurait une carrière trop courte d’une année pour bénéficier de la pension minimale. Un chômeur indemnisé depuis 30 ans, lui, remplit la condition de 30 années de carrière grâce à la prise en compte des périodes de chômage. Mais ce que ne dit pas le raisonnement, c’est qu’il suffirait à l’indépendant de cotiser une année encore pour bénéficier de cette prestation minimum. Il aurait alors droit à une pension, d’un montant égal, il est vrai, à celle du chômeur (sauf bien entendu à s’être ouvert un droit à la pension plus important grâce aux revenus plus élevés perçus pendant sa carrière). Ce montant est actuellement de 1.380 euros par mois environ pour un isolé, pour une carrière de 45 ans. Avec 30 ans de carrière, on atteint un montant proratisé de 2/3 du montant maximum, c’est-à-dire 920 euros. 

Le problème est-il dans le montant de la pension ou dans les différences de prise en compte des périodes d’inactivité ?

En définitive, le président du MR avait donc raison, mais sa comparaison repose sur une situation (qu’on espère) peu probable étant donné qu’un indépendant travaillant depuis 29 ans, à condition d’être un tant soit peu informé, choisirait certainement de cotiser une année supplémentaire pour s’ouvrir le droit à la pension minimum. Cette comparaison pouvait par ailleurs laisser entendre que la différence essentielle entre salariés et indépendants se situe dans le montant de la pension minimum garantie à laquelle les uns et les autres ont droit, alors qu’elle se trouve en réalité dans la possibilité de faire valoir ou non certaines périodes de non-travail pour la condition de carrière, laquelle est (actuellement) identique dans les deux régimes. Bien compris, le rapprochement des droits du chômeur et de l’indépendant ouvre donc plutôt selon nous au débat suivant : veut-on barrer l’accès du chômeur de 30 ans à la (modeste) pension minimale commune aux deux régimes ou souhaite-t-on au contraire en faciliter l’octroi aux indépendants, par exemple en prenant en compte les périodes de bénéfice du droit passerelle (dont la durée maximale pourrait par ailleurs être allongée) pour le calcul de la pension ?

 

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“Pour le président du MR, la solution aux pénuries est le travail forcé”, assène Paul Magnette

RTBF, 4 septembre 2021

Si l’on est conscient des outrances dans l’expression politique, il n’est pas inutile de rappeler quelques évidences : travail forcé au sens juridique et obligation d’accepter un emploi convenable n’ont - heureusement - rien à voir..

Signature : Pierre-Olivier de Broux, professeur de droit public, Université Saint-Louis - Bruxelles, le 19 novembre 2021

A peine le président du MR, Georges-Louis Bouchez, avait-il réclamé – de façon inutile, comme les Surligneurs l’ont démontré ici – l’exclusion des chômeurs de longue durée qui refusent un métier en pénurie, que le président du PS, Paul Magnette, s’est empressé de réagir sur Twitter, avant d’être largement relayé par les médias. Selon lui, cette solution libérale serait du “travail forcé”. Si l’expression politique est souvent faite d’outrances dont les auteurs mêmes ont évidemment conscience, cette expression n’est pas anodine en droit, et ne peut pas être utilisée à n’importe quel propos.

Rappel à toutes fins utiles sur ce qu’est réellement le travail forcé et son interdiction

Le “travail forcé” est une expression presque centenaire, consacrée et définie par l’Organisation internationale du travail (OIT) dès 1930. Selon la Convention sur le travail forcé, en effet, “le terme travail forcé ou obligatoire désignera tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré ». La Convention internationale exige également que le travail forcé soit passible de sanctions pénales efficaces. L’OIT a rappelé l’urgence et l’actualité de ces principes dans un Protocole à la Convention de 1930, signé en 2014. Le préambule de ce Protocole précise que “l’interdiction du travail forcé ou obligatoire fait partie des droits fondamentaux, et que le travail forcé ou obligatoire constitue une violation des droits humains et une atteinte à la dignité de millions de femmes et d’hommes, de jeunes filles et de jeunes garçons, contribue à perpétuer la pauvreté et fait obstacle à la réalisation d’un travail décent pour tous”. Selon l’OIT, la notion vise aujourd’hui, en particulier, la traite des personnes à des fins de travail forcé ou obligatoire, qui peut impliquer l’exploitation sexuelle et/ou concerner spécialement les migrants.

C’est dans cet esprit que le Code pénal a été complété dès 2005, en vue de réprimer la traite des êtres humains, notamment “à des fins de travail ou de services, dans des conditions contraires à la dignité humaine”. Le travail forcé est donc une situation particulièrement grave, susceptible d’entraîner immédiatement des poursuites pénales contre ceux qui en sont responsables.

Cette interdiction fondamentale connaît néanmoins des exceptions, dont la plus connue est sans doute celle des “travaux forcés”, à savoir l’exécution d’un travail “exigé d’un individu comme conséquence d’une condamnation prononcée par une décision judiciaire”, pour reprendre les termes de la Convention de 1930. Ce type de peine, dans laquelle l’imaginaire collectif voit sans doute un prisonnier en tenue rayée casser des cailloux, a été réformée en 2002 par l’insertion des peines de travail, toujours dans le Code pénal.

Comparer l’obligation d’accepter un emploi convenable avec du travail forcé est juridiquement outrancier

On le devine donc, à la lecture des différents textes interdisant par principe le travail forcé, ou autorisant celui-ci à titre d’exception : les propos du président du PS sont particulièrement excessifs. L’obligation d’accepter un emploi convenable dans un métier en pénurie ne peut en aucune façon être assimilée à du travail forcé. Le risque que court la personne sans emploi en cas de refus de l’emploi proposé dans un secteur en pénurie, c’est l’exclusion des allocations de chômage. Or, ni une telle exclusion, ni l’acceptation de l’emploi convenable proposé ne devrait la placer dans des conditions contraires à la dignité humaine. Dans le premier cas, il reste encore d’autres mesures d’aide sociale protégeant la personne concernée, le temps qu’elle retrouve un emploi. Dans le second cas, l’emploi est tenu pour convenable, c’est-à-dire qu’il correspond aux aptitudes, à la formation, aux compétences ou aux talents du demandeur d’emploi (art. 23, al. 4, de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991), et rémunéré. On est loin des situations envisagées par la Convention de l’OIT ou par le Code pénal. Jamais aucun chômeur n’a d’ailleurs essayé d’invoquer l’interdiction du travail forcé pour contester son exclusion des allocations de chômage…

Contacté par nos soins, Paul Magnette indique : “C’est toute la différence entre le langage juridique et l’expression politique, qui est toujours faite de métaphores”. La métaphore était alors à tout le moins mal choisie.

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Georges-Louis Bouchez veut “exclure les chômeurs de longue durée qui refusent un métier en pénurie”

Le Soir, 4 septembre 2021

La réglementation du chômage sanctionne déjà un seul refus injustifié de se tourner vers un emploi ou une formation dans un métier en pénurie, par une suspension temporaire des allocations de chômage. La recherche d’un tel métier ou le suivi d’une formation y menant peuvent en outre depuis longtemps être imposés et contrôlés par les services régionaux de l’emploi.

Hélène Deroubaix, chercheuse-doctorante, Université libre de Bruxelles, Centre de droit public et social, le 22 septembre 2021

Georges-Louis Bouchez, président du Mouvement Réformateur (MR), estime que les personnes sans emploi depuis au moins deux ans devraient accepter toute offre de formation ou d’emploi dans un métier en pénurie. Deux refus consécutifs devraient, selon lui, être passibles de l’exclusion pure et simple du bénéfice des allocations de chômage. En réalité, la réglementation du chômage est déjà particulièrement contraignante pour les chômeurs : un seul refus non justifié de se tourner vers un métier en pénurie peut donner lieu à une suspension temporaire des allocations de chômage. De même, rechercher un métier en pénurie ou suivre une formation y menant peut depuis longtemps être imposé par les services régionaux de l’emploi.

il existe déjà une obligation d’accepter des emplois dans les métiers en pénurie

La réglementation du chômage impose diverses obligations aux demandeurs d’emploi pour conserver leur droit aux allocations. Accepter (une formation à) un métier en pénurie en fait d’ores et déjà partie.

Premièrement, les demandeurs d’emploi doivent s’abstenir d’entrer ou de se maintenir volontairement au chômage. Concrètement, cela se traduit notamment par le fait que la personne sans emploi ne peut refuser un emploi convenable ou une offre de formation convenable (art. 51, § 1er, al. 2, 3° et dernier al., de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage). Le refuserait-elle, elle peut alors être sanctionnée par une exclusion du bénéfice des allocations de chômage pour une durée de 4 à 52 semaines (art. 52bis du même arrêté royal). 

Deuxièmement, la réglementation du chômage exige des demandeurs d’emploi une disponibilité dite « passive » en vertu de laquelle ils doivent s’inscrire comme demandeur d’emploi et ne pas soumettre leur reprise du travail à des réserves incompatibles avec les critères de l’emploi convenable (art. 56, § 1er, du même arrêté royal). Le chômeur jugé indisponible, par exemple parce qu’il indique n’être pas prêt à se tourner vers tel ou tel type d’offre d’emploi ou de formation, est exclu des allocations de chômage (art. 56, § 1er, al. 2, et § 2, du même arrêté royal). 

Enfin, les chômeurs doivent rechercher un emploi convenable par eux-mêmes, ce qu’on qualifie généralement de “disponibilité active” (art. 58 du même arrêté royal). Ces efforts concrets de recherche d’un emploi convenable sont consignés dans un plan d’action individuel conclu entre le conseiller emploi du service régional de l’emploi (le Forem en Wallonie, la VDAB en Flandre, Actiris à Bruxelles et l’ADG en Communauté germanophone) et le chômeur. C’est dans le cadre de ce plan d’action individuel, visant à favoriser la reprise d’emploi du chômeur, qu’une obligation de suivi d’une formation peut être convenue. Visant à augmenter son employabilité, le suivi d’une formation menant à un métier en pénurie est parfaitement envisageable. La mise en œuvre du plan d’action individuel, que ce soit sous les volets de la recherche d’un emploi ou du suivi d’une formation, est contrôlée régulièrement par le service régional de l’emploi compétent (art. 58/2 à 58/12 du même arrêté royal). L’évaluation négative du demandeur d’emploi peut mener à sa suspension ou son exclusion, temporaire ou non, du bénéfice des allocations de chômage (art. 58/9 du même arrêté royal).

un métier en pénurie est-il un emploi “convenable” ne pouvant être refusé ? 

On le voit, une notion clé dans l’appréciation du comportement du chômeur est celle du caractère “convenable” de l’emploi qui lui serait proposé. C’est bien cet emploi convenable que le chômeur ne peut refuser, qu’il doit être disposé à accepter et qu’il doit même rechercher par lui-même, sous peine de s’exposer à des sanctions. Un métier en pénurie peut-il, voire doit-il, être considéré comme un emploi convenable pour le chômeur ? La réponse à cette question diffère. Dans un délai de 3 mois (pour les chômeurs de moins de 30 ans ou ayant un passé professionnel de moins de 5 ans) ou de 5 mois (pour tous les autres chômeurs) à compter du début du chômage, sorte de “délai protecteur”, un emploi est considéré comme convenable pour le demandeur d’emploi pour autant qu’il corresponde aux professions auxquelles l’ont préparé ses études ou son apprentissage ou aux professions précédemment exercées ou apparentées (art. 23, al. 1er, de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 portant les modalités d’application de la réglementation du chômage). Bien que des exceptions soient prévues par la réglementation à ce principe (art. 23, al. 3, du même arrêté ministériel), cela signifie que, de manière générale, ces chômeurs de courte durée ne peuvent pas être poussés d’autorité vers des métiers en pénurie, sauf à supposer naturellement qu’un tel métier cadre avec leur formation ou leur passé professionnel.

Après un certain délai, tout emploi “convenable” doit être accepté.

 Pour les autres chômeurs, soit tous ceux ayant dépassé ce délai protecteur de 3 ou 5 mois, somme toute assez limité, la situation est toute autre : un emploi est cette fois considéré comme convenable pour autant qu’il corresponde aux aptitudes, à la formation, aux compétences ou aux talents du demandeur d’emploi (art. 23, al. 4, de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991). Le périmètre ainsi tracé est résolument plus large et ne tient plus uniquement compte des professions vers lesquelles le bénéficiaire se destine a priori. En d’autres termes, qu’importent les préférences du chômeur, un métier en pénurie peut, dès cette période protectrice de 3 ou 5 mois expirée, faire partie du périmètre des emplois convenables. À lui donc d’accepter toute offre en ce sens et de rechercher un tel métier, moyennant le cas échéant le suivi d’une formation, sous peine d’être sanctionné par le service régional de l’emploi.

Soulignons sur ce dernier point que nous n’avons pas d’informations sur la manière dont les services régionaux de l’emploi appliquent concrètement le cadre réglementaire en la matière et la sévérité dont ils font ou non preuve, en pratique, lors de l’évaluation du comportement du chômeur. En tout état de cause, les normes applicables sont assez dures pour le chômeur.

En somme, bien qu’ils aient suscité moult réactions, les propos de Georges-Louis Bouchez ne sont guère éloignés de l’état du droit actuel voire, plus exactement, sous-estiment la place d’ores et déjà octroyée aux métiers en pénurie, et plus largement à la réorientation professionnelle, dans le cadre normatif.

Contacté, Georges-Louis Bouchez n’a pas répondu à nos sollicitations.

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Tom Van Grieken promet de “présenter la facture à tous ces enseignants de gauche”

La Libre, 1er septembre 2021

Collecter les données relatives à l’utilisation de la “langue de gauche” dans les classes, et intimider les enseignants “de gauche” en menaçant de leur présenter la facture après les prochaines élections : la propagande Vlaams Belang porte non seulement atteinte à la liberté d’enseignement et à la liberté d’expression, mais elle viole également le droit au respect de la vie privée des enseignants et la réglementation scolaire.

Pierre-Olivier de Broux, professeur de droit public, Université Saint-Louis – Bruxelles, le 9 septembre 2021

Le président du parti flamand d’extrême droite, Tom Van Grieken, s’est adressé aux jeunes sur le réseau TikTok à l’occasion de la rentrée scolaire, pour dénoncer « tous ces enseignants et professeurs de gauche qui essaient d’injecter leurs absurdités multiculturelles dans leurs cours à chaque occasion ». Il promet, dans sa vidéo, qu’il leur « présentera la facture » en 2024, date des prochaines élections. Dans la foulée de son message, les jeunes du parti ont mis un formulaire à disposition sur leur site internet pour dénoncer la « langue de gauche » dans leur classe. Une atteinte grave à la liberté d’enseignement, à la liberté d’expression et à la vie privée.

ÊTRE UN PROFESSEUR « DE GAUCHE », C’EST QUOI ?

Les propos de Tom Van Grieken, relayés par les médias pour les dénoncer, sont particulièrement imprécis, laissant planer le doute tant sur les enseignants qui pourraient être visés, que sur les mesures qui pourraient être prises.

Être un professeur de gauche, selon Tom Van Grieken, c’est notamment défendre la multiculturalité – quelle qu’elle soit –. Le président du Vlaams Belang conteste frontalement, ce faisant, un objectif d’apprentissage à la citoyenneté, notamment au travers d’une éducation à la pluralité des cultures, imposé aux écoles par la réglementation flamande (art. 139, §2, 7° du Code de l’enseignement secondaire) comme par la réglementation francophone (art. 1.7.6-3 du Code de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire). 

Être un professeur de gauche, selon les jeunes du Vlaams Belang, c’est aussi exprimer un fait ou une opinion défavorable au parti lui-même. C’est pour ce motif qu’ils sont venus manifester à la sortie d’une école, en janvier dernier à Ternat, pour dénoncer la « langue de gauche »

Au-delà de ces deux dimensions, c’est le flou le plus total sur ce que être « de gauche » pourrait signifier. Le philosophe et homme politique libéral flamand Dirk Verhofstadt le dénonce d’ailleurs dans une réaction cinglante : cette attitude est caractéristique de l’intimidation des enseignants qui a accompagné la prise de pouvoir par les nazis dans les années 1930, et la comparaison avec les lois nazies n’a, selon lui, plus rien d’exagéré.

LISTER LES PROFESSEURS « DE GAUCHE », C’EST ILLÉGAL

Collecter et enregistrer, même confidentiellement, des enseignants supposément « de gauche », est un traitement de données personnelles fondamentalement contraire au Règlement général pour la protection des données (RGPD), adopté par l’Europe en 2016, et à la loi du 30 juillet 2018 qui le met en œuvre en Belgique.

Une donnée personnelle est en effet toute information relative à une personne physique identifiée ou identifiable. À supposer même que la dénonciation ici concernée ne mentionne pas le nom du professeur, les informations recueillies devraient le plus souvent le rendre identifiable. Ce sont d’ailleurs les enseignants qui sont visés par la propagande du parti d’extrême droite, et non les écoles. 

Or, la collecte, l’enregistrement, la conservation ou l’utilisation de telles données ne sont autorisées que dans le cadre strict de l’article 6 du RGPD, dont la principale condition est le consentement de la personne concernée. Or, il n’y a ici, à l’évidence, aucun consentement prévu de la part des enseignants concernés. Les jeunes membres du Vlaams Belang prônent donc et organisent un fichage manifestement illégal. Cette collecte d’informations devrait en réalité être considérée comme une infraction pénale, au sens de l’article 222 de la loi du 30 juillet 2018, qui condamne le traitement de données personnelles sans base juridique.

PRENDRE DES MESURES FONDÉES SUR LES OPINIONS D’UN ENSEIGNANT EST CONTRAIRE AUX LIBERTÉS FONDAMENTALES

Annoncer enfin que les enseignants « de gauche » se verront présenter une facture pour ce seul motif, c’est également une atteinte grave tant à la liberté d’enseignement qu’à la liberté d’expression, toutes deux consacrées par la Constitution (art. 19 et 24) et par la Convention européenne des droits de l’homme (art. 10 et art. 2 du Premier Protocole additionnel).

Toute mesure défavorable qui serait fondée sur l’expression d’une opinion par un enseignant serait en effet par nature une limite à ces deux libertés fondamentales. Si des limitations sont évidemment possibles, elles doivent non seulement être prévues par la loi, mais surtout être « cessaires dans une société démocratique » (voy. l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Leyla Sahin, §100 et suivants). Certes, il est classiquement reconnu que, dans l’exercice de leurs fonctions, les agents publics ne jouissent pas de la même liberté d’expression que les autres. Mais, en Belgique, la liberté d’enseignement est un pilier de l’ordre constitutionnel et rien n’empêche un pouvoir organisateur de créer une école de tendance, par exemple « de gauche ». Cette liberté constitutionnelle implique également un enseignement au sein duquel le corps enseignant ne doit pas modifier le contenu de ses enseignements au gré des changements de majorité politique, mais aussi un programme qui doit rester constamment respectueux des convictions religieuses et philosophiques des élèves et de leurs parents, comme le souligne l’article 2 du Premier Protocole, et comme l’imposent les réglementations scolaires citées ci-dessus. Il ne faut pas s’y tromper : les intimidations exprimées par le président du Vlaams Belang constituent donc une atteinte injustifiable à ces deux libertés fondamentales.

Contacté par nos soins, le Vlaams Belang affirme ne pas vouloir lister les professeurs de gauche ni « abolir les compétences civiques, y compris les compétences relatives à la vie en commun« , mais « au  contraire (…) introduire un cours de citoyenneté« . Il ajoute que « tout ça est seulement basé sur la fausse représentation de notre discours dans les médias (surtout les médias francophones)« . C’est un problème de langue. Dont acte.

Mise à jour le 19 novembre 2021 : à la suite de la publication de ce billet, le formulaire internet des Jeunes Vlaams Belang est rapidement devenu inaccessible, et le lien initial renvoie désormais à la page d’accueil de leur site.

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Réfugiés afghans : « Ce n’est pas parce que les régions d’un pays sont dangereuses » qu’on a « automatiquement » droit à l’asile

Compte Twitter de Sammy Mahdi, 9 août 2021

Il y a des erreurs dans l’affirmation de Sammy Mahdi et la lettre des 6 pays adressés à la Commission européenne au sujet des expulsions d’Afghans. D’une part, les Afghans pourraient prétendre à une protection automatique au vu des derniers développements dans leur pays. D’autre part, l’Union européenne n’empêche pas leur expulsion au contraire de la Cour européenne des droits de l’homme, qui n’a pas de lien avec l’Union européenne.

Tania Racho, docteure en droit européen, enseignante à l’université Paris-Saclay et Sorbonne-Nouvelle, le 11 août 2021

« Ce n’est pas parce que les régions d’un pays sont dangereuses que chaque ressortissant de ce pays a automatiquement droit à une protection », a déclaré sur Twitter Sammy Mahdi, secrétaire d’État à l’Asile et la Migration en Belgique, au sujet des Afghans en situation irrégulière.

Cette intervention fait suite à la lettre adressée par six pays membres de l’Union européenne (Belgique, Danemark, Pays-Bas, Allemagne, Grèce et Autriche) à la Commission européenne lui demandant de ne pas suspendre les expulsions d’Afghans en situation irrégulière en raison de la reprise du conflit en Afghanistan.

Le Secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration Belge confond plusieurs aspects dans ce tweet qui est suivi de plusieurs autres en néerlandais dans ce qu’on appelle un fil (« thread ») sur Twitter.

Première erreur : il existe bien une protection automatique pour les personnes provenant de zones de conflit générant une violence aveugle d’une intensité exceptionnelle.

Il s’agit de la protection dite subsidiaire créée par la Convention de Genève par une directive de l’Union européenne, adoptée en 2011 par le Parlement européen et le Conseil réunissant les ministres des États membres. La question se pose parfois de déterminer si le niveau d’intensité exceptionnelle est atteint. Dans le cas de l’Afghanistan, la Cour nationale du droit d’asile reconnaissait jusqu’à fin 2020 que la plupart des provinces afghanes étaient caractérisées par cette violence aveugle d’intensité exceptionnelle.

Une décision de novembre 2020 est venue réévaluer cette intensité et constater que la violence avait diminué dans certaines provinces. Cette décision avait précédé celle des américains de se retirer du pays et pourrait à nouveau changer.

Sammy Mahdi a répondu à ce sujet, indiquant qu’il n’y a pas d’automatisme en raison de l’existence d’un examen individuel.

C’est tout à fait correct, simplement à l’issue de l’examen individuel, la simple provenance d’une zone de conflit générant une violence aveugle d’une intensité exceptionnelle suffit à octroyer la protection, quelle que soit l’histoire personnelle de la personne et à condition qu’il s’agisse d’un civil.

Deuxième erreur : lorsque la protection n’est pas accordée, c’est l’Union européenne qui a imposé des règles de retour mais chaque pays les organise comme il le souhaite

Dans une directive spécifique appelée “retour” adoptée en 2008 là aussi par les États membres et du Parlement européen, l’Union européenne impose des règles pour assurer le retour des étrangers en situation irrégulière dans leur pays d’origine.

En revanche, ce n’est pas l’Union qui organise par elle-même les retours de ces personnes, même si l’agence européenne Frontex les supervise parfois. Chaque pays gère l’organisation des retours des personnes en situation irrégulière.

Sammy Mahdi indique que l’objectif de la lettre est d’inciter l’Union européenne à coopérer avec l’État afghan au sujet des retours forcés des afghans. Il précise que seul l’UE peut prendre sa responsabilité à ce sujet.

Il est vrai qu’il existe un accord entre l’UE et l’Afghanistan et que celle-ci peut dialoguer avec le pays en question. Toutefois, cela n’aboutit en rien à une interdiction des retours ni à une incapacité de chaque État à agir à ce sujet.

Troisième erreur : c’est la Cour européenne des droits de l’homme qui impose de ne pas renvoyer, et non l’Union européenne

La confusion est fréquente : la Cour européenne des droits de l’homme n’a aucun lien avec l’Union européenne mais elle intervient sur les retours des personnes en situation irrégulière en indiquant aux pays qu’ils doivent vérifier que ces personnes ne subiront pas de tortures en cas de retour.

En cas de renvoi d’une personne dans son pays, qui subit ensuite des traitements inhumains et dégradants, la Cour retient la responsabilité du pays européen qui a renvoyé, même si la demande d’asile a été rejetée. Elle est ainsi intervenue début août 2021 contre l’Autriche au sujet du renvoi d’un afghan, afin d’en empêcher l’expulsion.

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Vladimir Poutine craint que des terroristes ne se cachent parmi les afghans réfugiés

Le Figaro, 23 août 2021

La crainte de terroristes parmi les exilés afghans est régulièrement mentionnée par les politiques invités à s’exprimer sur la question de l’accueil des afghans. S’il est difficile de “filtrer” à la sortie du pays, la procédure d’asile permet d’examiner individuellement un cas. L’étude du dossier doit permettre de ne pas attribuer le statut de réfugié à des personnes présentant un profil de combattant par exemple.

Tania Racho, docteure en droit européen, Université Paris II Panthéon-Assas, le 26 août 2021

À l’heure où de nombreux pays se positionnent sur la question de l’accueil d’afghans en raison du retour des talibans au pouvoir, le président Russe s’est interrogé : “Mais qui peut être (caché) parmi ces réfugiés, comment peut-on le savoir ?”. Vladimir Poutine semble craindre l’arrivée de “combattants déguisés en réfugiés”.

Les propos de Vladimir Poutine doivent être nuancés pour deux raisons. La première c’est que la personne qui a le statut de réfugié l’obtient après une instruction sur sa situation individuelle, qui doit permettre de comprendre tout le parcours antérieur du demandeur d’asile. La seconde raison de la nuance tient justement au vocabulaire utilisé : il est tout à fait possible que des combattants profitent de l’exil massif mais ils ne devraient pas devenir des réfugiés.

Revenons sur la première raison : la nécessité d’un examen individuel de chaque cas avant l’attribution d’une protection telle que l’asile. La Convention de Genève de 1951 indique que le réfugié est celui qui a subi des persécutions pour certains motifs (l’opinion politique, la race, la religion, etc.). Le demandeur d’asile doit ainsi démontrer lors de la procédure individuelle qu’il a subi ces persécutions.


…À LIRE : Réfugiés afghans : « Ce n’est pas parce que les régions d’un pays sont dangereuses » qu’on a « automatiquement » droit à l’asile [FAUX]


Une directive de l’Union européenne adoptée en 2013 par le Parlement européen et le Conseil réunissant les ministres des États membres vient préciser que la détermination de ces persécutions peut notamment se faire par un entretien personnel. C’est le cas en France : tout demandeur d’asile aura un entretien avec un officier de protection de l’Office de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). L’objectif : retracer la vie du demandeur d’asile avant son arrivée. S’il s’avère qu’il a participé à des combats et commis des crimes, il pourra être exclu de la protection et ne pourra être reconnu comme réfugié. Il est évidemment possible que le demandeur d’asile n’expose pas directement ses méfaits lors de l’entretien. Les officiers de protection doivent déterminer si le récit du demandeur est crédible dans son ensemble, en se fondant sur les éléments du récit mais aussi sur des données objectives. Par exemple, une personne indiquant qu’elle n’a jamais croisé de talibans alors qu’elle se revendique d’une zone dominée depuis toujours par les talibans perdra en crédibilité. néanmoins, aucun système n’est infaillible malheureusement.

Enfin, admettons dans la seconde raison que le président russe ait ciblé des terroristes cachés parmi les exilés, c’est-à-dire en état de fuite de leur pays, et non les réfugiés, déjà accueillis. Le risque existe bien entendu mais le résultat sera le même : l’étranger en situation irrégulière peut être expulsé, sauf s’il demande l’asile mais il ne pourra pas l’avoir s’il s’avère être un criminel par exemple.

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Grève de la faim des sans-papiers à Bruxelles : Joachim Coens réclame des hospitalisations forcées, et Egbert Lachaert l’intervention du bourgmestre

RTBF, 19 juillet 2021

Arrêter ou déplacer des grévistes de la faim ne les empêcherait pas de continuer leur grève. Quant à les forcer à se nourrir par une hospitalisation, c’est tout simplement illégal.

Pierre-Olivier de Broux, professeur de droit à l’université Saint-Louis de Bruxelles, le 22 juillet 2021

À l’occasion d’une affaire qui menace le gouvernement fédéral, deux présidents de partis de la majorité invitent à réagir rapidement à la grève de la faim des personnes “sans-papiers” occupant actuellement l’église du Béguinage à Bruxelles, ainsi que les campus de l’ULB et de la VUB. Joachim Coens, président du CD&V, suggère d’hospitaliser de force les grévistes ; alors qu’Egbert Lachaert, président de l’Open VLD, en appelle à l’intervention des autorités locales – sans préciser quelle intervention concrète pourrait être menée. La dégradation gravissime de la santé des grévistes inquiète à raison. Mais le contexte légal ne permet pas si facilement de contraindre ceux-ci à mettre fin à leur action.

La Ville de Bruxelles et son bourgmestre ont des pouvoirs de police limités

Les propos d’Egbert Lachaert, prolongés par des mandataires de l’opposition bruxelloise, laissent croire que le bourgmestre de Bruxelles pourrait agir pour mettre fin à la grève de la faim.

Les pouvoirs de police du bourgmestre dans la Région bruxelloise sont essentiellement régis par la Nouvelle Loi communale (art. 133 à 135). Selon cette loi, le bourgmestre peut notamment fermer un établissement ou prononcer une interdiction temporaire de se rendre ou de rester dans un lieu accessible au public, lorsqu’il existe un trouble à l’ordre public ou en cas d’infraction répétée à un texte légal. Il est également chargé de maintenir le “bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d’hommes”. Enfin, sur la base de l’article 31 de la loi sur la fonction de police, le bourgmestre pourrait ordonner l’arrestation administrative des grévistes, en cas d’absolue nécessité, s’il démontre que ces personnes perturbent ou mettent en danger la tranquillité et la sûreté publique.

Le bourgmestre devrait donc démontrer le trouble à l’ordre public ou l’infraction que constitue la grève de la faim des centaines de personnes concernées. Or, aucun texte n’a jamais interdit, en Belgique, une grève de la faim, même si celle-ci devait conduire au décès du gréviste. Si cette grève revêt certes un mobile politique, le calme dans lequel elle se déroule, au sein d’établissements accessibles au public (église et universités), rend tout aussi difficile la démonstration d’un trouble à l’ordre, la tranquillité ou la sûreté publique, du moins aussi longtemps que les responsables des lieux concernés acceptent d’accueillir les grévistes. Enfin, les mesures ici imaginées n’empêcheraient nullement les intéressés de poursuivre leur grève de la faim, soit dans un autre lieu, soit dans les lieux de détention où ils auraient été emmenés. Ces mesures seraient donc inutiles, en plus d’être difficiles à justifier légalement.

En réalité, au nom du “bon ordre”, la seule manière de mettre fin à la grève serait de forcer les grévistes à se nourrir et à boire, vraisemblablement via une hospitalisation et/ou une médication forcée, comme le réclame Joachim Coens. Mais là encore, cela coince juridiquement.

L’hospitalisation ou la médication forcée est en principe interdite

Selon la Cour européenne des droits de l’homme, toute intervention médicale non consentie constitue une ingérence dans le droit à la vie privée. De même, la loi relative aux droits du patient prévoit très explicitement “le droit de consentir librement à toute intervention du praticien professionnel moyennant information préalable”. Et ce consentement doit être donné “expressément, sauf lorsque le praticien professionnel, après avoir informé suffisamment le patient, peut raisonnablement inférer du comportement de celui-ci qu’il consent à l’intervention”. Plus clairement encore, l’article 8, §4 de cette loi réaffirme en toute lettre le droit de refuser des soins de santé.

La seule exception admise à ce principe est l’incapacité (temporaire ou permanente) d’une personne à exprimer sa volonté, et ce pour autant qu’aucune volonté n’ait été exprimée au préalable par écrit. Dans la situation des grévistes de la faim, la volonté de la plupart d’entre eux semble particulièrement claire, et nullement affectée d’une incapacité, ni psychologique ni médicale ni de quelque ordre que ce soit. Soutenir le contraire serait abusif – comme le rappelle utilement une avocate dans la presse – : c’est la détresse qui fait agir ces personnes, et non une incapacité psychologique à comprendre le danger dans lequel elles se mettent. Cette volonté doit donc être respectée aussi longtemps que les grévistes conservent la capacité d’exprimer leur volonté. Si la situation dramatique persistait, et que certains grévistes perdaient conscience, par exemple, ils devraient être soignés – au nom de la préservation du droit à la vie et de l’assistance à personne en danger –, sauf s’ils ont fait savoir par écrit au préalable qu’ils refusaient les soins nécessaires.

Heureusement, à l’heure d’écrire ces lignes, la grève en cours depuis près de deux mois vient d’être suspendue, après qu’un dialogue enfin constructif ait pu être noué entre les grévistes et les autorités fédérales compétentes.

Contactés, Joachim Coens et Egbert Lachaert, n’ont pas répondu à nos sollicitations

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Critiques européennes contre la réforme de la justice en Pologne : pour le Gouvernement polonais, ces questions relèvent “exclusivement du domaine national”

La Croix, le 1er Avril 2021

La majorité conservatrice au pouvoir en Pologne a lancé il y a quelques années une réforme de la justice qui porte atteinte à l’indépendance et à l’impartialité de ses juges. Or, ces deux principes sont protégés par le droit de l’Union européenne, dont la Commission européenne a l’obligation d’assurer le respect. Contrairement à ce que prétend le Gouvernement polonais, la justice n’est pas qu’une question nationale, mais également européenne.

Solweig Bourgueil, master Droit de l'Union européenne, Université Paris-Est-Créteil // Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au laboratoire VIP, université Paris-Saclay, le 8 avril 2021

À la suite d’une saisine de la Cour de justice de l’Union européenne par la Commission européenne, le porte parole du Gouvernement polonais, Piotr Müller, a déclaré, relayé par le journal La Croix le 1er avril dernier, que “la réglementation des questions liées au système judiciaire relève exclusivement du domaine national”. En cause, la création d’une nouvelle chambre à la Cour suprême polonaise permettant de lever l’immunité des juges.. Pour le Gouvernement polonais, l’Union européenne n’aurait pas son mot à dire sur cette nouvelle réglementation. Pourquoi c’est faux ?

L’Union européenne a l’obligation de s’assurer que la justice nationale est indépendante et impartiale

Ce n’est pas la première fois que le Gouvernement polonais conteste le droit de regard de l’Union européenne sur le fonctionnement de sa justice. Ce qui lui est reproché, c’est un système judiciaire qui serait partial car lié au parti au pouvoir. Or, les garanties d’indépendance et d’impartialité des juges sont protégées par le Traité sur l’Union européenne (article 19), que la Cour de justice de l’Union européenne a interprété comme lui confiant le soin de vérifier que cette indépendance et cette impartialité sont bien respectées dans les États membres. Et ce n’est pas tout : l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union garantit lui aussi le droit d’accès à un tribunal impartial. Dans une décision datant de 2018 et visant le Portugal, la Cour de justice avait rappelé la nécessité pour les juges nationaux d’être indépendants et impartiaux. Pour les juges européens, la baisse de rémunération des juges portugais, décidée par l’ancien Premier ministre social-démocrate Pedro Pasos Coelho pour réduire les dépenses publiques alors que le pays se remettait d’une violente crise économique, pouvait porter atteinte à leur impartialité.


… À LIRE : Pour le ministre de la justice de la Pologne, les Polonais pourraient être contraints par l’Union européenne « d’introduire des mariage homosexuels, avec adoption d’enfants, avortement et euthanasie » [FAUX]


En ce qui concerne la Pologne, dont le Gouvernement n’a pas souhaité répondre à nos questions, la Commission européenne a saisi la Cour de justice de l’Union européenne en octobre 2019, car elle considérait que la réforme de la justice mise en œuvre par le parti au pouvoir Droit et justice (PiS) dirigé par l’un des frères Kaczyński, violait le principe d’État de droit. Résultat, en avril 2020, la Cour de justice a ordonné à la Pologne de suspendre l’activité de la nouvelle chambre disciplinaire de la Cour constitutionnelle, pour violation du principe d’indépendance. Mais en vain, le Gouvernement polonais refusant de respecter cette injonction. Cette nouvelle saisine de la Cour intervient alors que le juge polonais Igor Tuleva, figure de l’opposition à la réforme de la justice, doit bientôt comparaitre devant la chambre disciplinaire. Dans le cas où son immunité serait levée, il risquerait la prison. 

Quelles sanctions l’Union peut-elle infliger en cas de justice défaillante ?

L’Union européenne, avec ses moyens et le soutien du droit, tente de préserver l’impartialité et l’indépendance de cette justice qui doit être d’abord au service des individus, pas du gouvernement. Et si la Pologne refuse de se plier à la règle, la Cour de justice de l’Union pourra toujours lui infliger une amende dissuasive, et la Commission suspendre le versement des subventions européennes.


… À LIRE : Manon Aubry estime que « rien ne nous empêche de ne pas respecter les traités européens » [FAUX]


La sanction de la Pologne serait une victoire pour l’État de droit. Cependant il ne faut pas négliger le délai pouvant aller jusqu’à deux ans entre la requête de la Commission et la réponse des juges européens, laissant le temps au gouvernement Polonais d’adopter des mesures de plus en plus éloignées des valeurs de l’Union.

Mise à jour le 12 avril 2021 à 16h27 : Sur une remarque d’une lectrice chercheuse en droit européen, le rôle de l’article 19 TUE a été replacé dans un contexte nouveau tel que voulu par la Cour de justice de l’Union européenne.

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Pour le ministre de la justice de Pologne, les Polonais pourraient être contraints par l’Union européenne “d’introduire des mariages homosexuels, avec adoption d’enfants, avortement et euthanasie”

Communiqué sur la page Facebook de Solidarna Polska, le 15 novembre 2020

Le projet européen dans le cadre du plan de relance de 750 milliards d’euros conditionne le versement des aides européennes au respect de l’Etat de droit. Ce projet ne traite aucunement la question du mariage homosexuel, de l’adoption, de l’avortement ou encore de la culture. Il vise avant tout l’indépendance des médias et de la justice.

Solweig Bourgueil, étudiante en Master droit européen à l’université Paris-Est Créteil, sous la direction de Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au laboratoire VIP (Paris-Saclay), le 20 novembre 2020

Zbigniew Ziobro, le dirigeant du parti Solidarna Polska (Pologne Solidaire) et ministre de la justice polonais, craint dans un communiqué du 15 novembre 2020 repris par le quotidien “Le Monde”, que les Polonais soient “contraints, par exemple, d’introduire des mariages homosexuels, avec adoption d’enfants, avortement et euthanasie sur demande, des changements inacceptables dans l’éducation, la culture, dans la sphère du média ou des changements désintégrant l’État polonais dans le domaine de la justice”. C’est pourquoi il soutient le véto de la Pologne sur une partie du plan de relance européen de 750 milliards d’euros, en réaction à un projet d’acte législatif qui permettrait de ne pas verser à un État membre qui viole l’État de droit des aides de ce plan.

L’accord législatif entre le Parlement et le Conseil du 6 novembre dernier permettrait de suspendre le versement des aides européennes à un État s’il n’assure pas, par exemple, l’indépendance de la justice ou la lutte contre la fraude fiscale, qui sont des exigences de tout État de droit, c’est-à-dire un système dans lequel tous sont soumis au respect du droit La suspension de l’aide pourrait avoir lieu dès lors que ces violations portent atteinte ou risquent sérieusement de porter atteinte au budget de l’Union. Cela exclut donc des sujets comme le mariage des personnes de même sexe ou l’euthanasie, qui non seulement ne sont pas envisagés par le projet d’acte législatif, mais en plus n’ont pas vraiment de rapport avec les atteintes au budget de l’Union, ni d’ailleurs avec l’État de droit.

Ce qui est donc plutôt visé, c’est ce qui permet à une démocratie pluraliste de fonctionner correctement et dans le contexte de la crise sanitaire, l’indépendance de la justice ou le pluralisme des médias ont une importance particulière. En effet, avec un budget historique de 1824,3 milliards d’euro dont environ 160 milliards d’euros en subventions et prêts prévus pour la Pologne, il est nécessaire de garantir l’État de droit pour être en mesure par exemple d’examiner les agissements des autorités polonaises, comme l’avait fait, en Hongrie cette fois, le journaliste d’investigation Szabolcs Panyi dans l’affaire de détournement de fonds européens au profit du dirigeant hongrois Viktor Orban. Il en va de même pour l’indépendance des juges, consacrée par le droit de l’Union, permettant la protection des droits fondamentaux et, dans le cas présent, pour éviter la corruption en cas de détournements de fonds européens. 

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La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen veut améliorer “l’éducation sur les causes historiques et culturelles du racisme.”

Le Monde, le 16 septembre 2020

L'Union ne peut pas définir les programmes scolaires des États membres, même à la marge. Elle ne peut que les encourager à s’engager dans cette voie, et ce sera à chaque État de décider.

Axel Mouton, étudiant en master droit européen à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, sous la direction de Vincent Couronne, chercheur associé au VIP (Paris Saclay), le 21 septembre 2020

Lors du discours sur l’état de l’Union du 16 septembre dernier devant le Parlement européen, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a déclaré vouloir s’attaquer à la question du racisme dans les États membres. Pour l’ancienne ministre allemande, il ne faut plus seulement condamner ces actes et propos racistes, mais agir par l’éducation pour « construire une Union véritablement antiraciste ». Or les pouvoirs de l’Union européenne dans le domaine de l’éducation restent très limités, puisqu’elle ne peut rien imposer de contraignant.

Même armées des plus nobles intentions, Madame von der Leyen et sa Commission auront bien du mal à imposer cet aspect de leur plan d’action contre le racisme. Son souhait de vouloir lutter contre le racisme par l’éducation se heurte à la compétence des Etats membres dans ce domaine car ces derniers exercent leur prérogatives nationales par exemple en choisissant les programmes scolaires.

La question de l’éducation est abordée à l’article 165 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il prévoit que soient attribuées à l’Union des compétences pour améliorer par exemple la mobilité des étudiants au sein des États membres. Mais en aucun cas l’Union ne peut imposer une réforme ou une harmonisation. Selon les règles de procédures, la Commission peut certes proposer un texte en matière d’éducation, qui devra obtenir l’aval de la majorité qualifiée des États et du Parlement européen. Mais l’Union ne peut rien adopter de contraignant, elle peut seulement “encourager”, selon les termes de l’article 165 TFUE.

Cela peut parfois être efficace, comme dans le cas du programme Erasmus, souvent considéré comme l’une des grandes réussites de l’Union. On retrouve aussi une compétence de l’Union pour développer la coopération entre les établissements ou l’échange d’information. Mais rien n’octroie le droit à l’Union d’imposer aux États membres de modifier leurs programmes scolaires ni plus largement de s’immiscer dans leurs systèmes éducatifs.

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Olivier Faure au nom du groupe Nouvelle Gauche demande au Gouvernement de « suspendre l’entrée en vigueur provisoire du CETA jusqu’à la décision de la Cour de justice de l’UE saisie par la Belgique »

Communiqué de presse d’Olivier Faure, 19 septembre 2017

Si un Parlement national suffirait à bloquer la ratification du CETA, il ne peut pas suspendre son application partielle provisoire.

Frédérique Berrod, le 22 septembre 2017

Le CETA est un accord de libre-échange entre le Canada et l’UE que ces deux parties ont signé et ratifié. Comme il implique des compétences qui relèvent encore, au sein de l’UE, des États membres, le CETA doit être ratifié par tous ces États, ce qui impliquera pas moins de 38 parlements nationaux et régionaux. Pour permettre de mettre en application les dispositifs relevant de la seule compétence de l’UE, comme l’élimination des droits de douane, il est prévu, conformément à l’article 30.7 du CETA, une application provisoire. Celle-ci ne peut pas concerner les compétences nationales, comme par exemple les dispositions sur le système juridictionnel des investissements (les contestés « tribunaux arbitraux »).

L’application provisoire a fait l’objet d’une décision du Conseil de l’UE, dans lequel la France a voté sans y mettre de condition, contrairement à l’Allemagne. Le président Macron a, une fois élu, contribué à retarder le moment de cette application, initialement prévue au 1er avril et qui n’est effective que depuis le 21 septembre, pour attendre la décision du Conseil constitutionnel. Mais il n’a pas conditionné l’application provisoire à une décision unilatérale nationale.

Quant à l’avis demandé à la CJUE par la Belgique, il ne concerne pas l’application provisoire mais certains mécanismes du CETA comme le système juridictionnel des investissements. Si la Cour rendait un avis négatif il faudrait en toute hypothèse recommencer la procédure de négociation.

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