Les bourgmestres de trois communes situées en périphérie bruxelloise veulent imposer une nouvelle règle à leurs établissements Horeca. Ils estiment qu’au moins un membre du personnel doit être en mesure de parler le néerlandais en cas d’urgence : “supposons que quelqu’un tombe malade au restaurant. Un membre du personnel devrait pouvoir demander s’il y a un médecin dans la pièce, non ? Ou si un incendie se déclare, quelqu’un ne devrait-il pas être en mesure de donner des instructions pour l’évacuation ?” explique le bourgmestre de Beersel, Hugo Vandaele (CD&V). Selon lui, tout comme pour ses collègues Mark Snoeck (Sp.a), bourgmestre de Hal, et Luc Deconinck (N-VA), bourgmestre de Leeuw-Saint-Pierre, il est donc logique d’imposer à ces établissements la présence permanente d’un membre du personnel parlant le néerlandais. Les trois bourgmestres s’asseyent ainsi tant sur la Constitution que sur le droit européen.
L’emploi des langues en Belgique est libre
La Belgique compte trois langues officielles (le français, le néerlandais et l’allemand). L’article 30 de la Constitution n’en garantit pas moins la liberté d’emploi des langues. Les seules exceptions sont réservées aux législateurs qui peuvent régler l’emploi des langues dans quelques domaines particuliers, notamment dans les relations sociales, au sein des entreprises et des associations. Le principe est donc la liberté, et la réglementation doit être l’exception. L’emploi de l’une ou l’autre langue au sein d’un établissement Horeca reste donc entièrement libre.
Les bourgmestres tentent d’emblée de se couvrir : ils prétendent ne pas régler “l’emploi des langues” : on pourra toujours parler la langue de son choix au restaurant, que ce soit avec ses amis ou avec le serveur. Mais en imposant des compétences linguistiques aux membres du personnel de l’horeca, les bourgmestres concernés s’ingèrent incontestablement dans les règles d’emploi des langues. Les lois sur l’emploi des langues en matière administrative prévoient en effet des obligations de compétence linguistique (voy. par exemple leurs articles 38 et 43) – mais pour les agents de l’Etat ou des communes. Pas pour du personnel issu du secteur privé, dont fait partie l’Horeca.
Or, les communes ne sont tout simplement pas compétentes pour régler l’emploi des langues dans le secteur privé. En effet, de deux choses l’une. Soit les mesures envisagées s’inscrivent dans le cadre des relations sociales entre l’employeur et l’employé, et dans ce cas l’article 129 de la Constitution réserve la compétence de régler l’emploi des langues au seul décret flamand, et pas aux règlements communaux. Soit il ne s’agit pas de relations sociales, et dans ce cas l’article 30 de la Constitution empêche toute réglementation. C’est la liberté qui doit prévaloir.
Régler l’emploi des langues dans l’Horeca est aussi contraire au droit européen
La réglementation proposée par les bourgmestres n’est pas seulement contraire au droit belge. Elle viole aussi le droit européen, en particulier la liberté de circulation des travailleurs en Europe.
La Cour de justice de l’Union européenne a en effet jugé en 2013 que le décret flamand régissant l’emploi des langues en matière de relations sociales entre employeurs et travailleurs était incompatible avec la liberté de circulation. Selon la Cour, le droit européen s’oppose en effet “à toute mesure qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice, par les ressortissants de l’Union, des libertés fondamentales garanties par le traité”, sauf si la mesure est justifiée par un objectif d’intérêt général, et si elle est adéquate et nécessaire pour garantir cet objectif.
Le nouveau règlement voulu par les trois bourgmestres risque à l’évidence de gêner ou rendre moins attrayant le travail en Belgique, pour les ressortissants européens. A supposer même que l’objectif poursuivi puisse être considéré comme légitime (mais l’objectif de sécurité invoqué peut-il vraiment être limité aux seuls locuteurs néerlandophones?), il paraît néanmoins difficile de considérer la mesure comme adéquate ou nécessaire. Rien ne démontre que les multiples exigences légales en matière de sécurité seraient actuellement insuffisantes pour assurer la sécurité des clients de l’Horeca. Les bourgmestres ne justifient pas davantage que la seule connaissance du néerlandais serait un aspect déterminant de l’appel efficace à un médecin ou aux services d’urgence : la loi sur le service d’appel d’urgence 112, par exemple, prévoit au contraire que “tout appel doit pouvoir être traité au moins dans les trois langues nationales et en anglais”. Ce service de secours multilingue, d’ailleurs harmonisé au niveau européen, rend d’autant plus superflue la mesure envisagée. Le nouveau règlement communal envisagé porte donc aussi atteinte de manière disproportionnée au droit européen.
Contacté par nos soins, les trois bourgmestres n’ont pas répondu à nos sollicitations.
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