Dans une lettre adressée à différents ministres, les bourgmestres Cécile Jodogne (Schaerbeek), Emir Kir (Saint-Josse) et Ridouane Chahid (Evere), s’inquiètent du manque de sécurité et des infractions commises par un certain nombre de personnes sans papiers, demandeuses d’asile ou transmigrantes, autour de la Gare du Nord. Selon eux, “les actions de la police locale n’ont aucun résultat, puisque la plus grande partie (les Érythréens et les Soudanais) ne sauraient être expulsés. Les personnes concernées ne peuvent dès lors pas davantage être détenues et les personnes arrêtées sont ensuite relâchées”. Or, qu’une infraction soit commise par des Belges ou par des étrangers, elle est punie de la même manière par la loi. Quant à la question de l’expulsion, elle ne peut pas être considérée comme une peine.
Comme tout Belge, l’étranger sans papier qui commet une infraction peut être condamné
La question du traitement des étrangers ayant commis une infraction est traitée par le Code pénal. Peu importe que l’infraction soit commise par des Belges ou par des étrangers sur le territoire national, celle-ci est punie selon les modalités prévues par la loi. C’est ce qu’on appelle le principe de territorialité. Par exemple, en ce qui concerne le trafic de drogue, ce dont il est en partie question autour de la Gare du Nord, les coupables pourront être punis d’un emprisonnement de trois mois à cinq ans, peu importe leur nationalité. Ce principe de territorialité est appliqué par la majorité des pays européens.
Il existe néanmoins quelques exceptions à ce principe. C’est notamment le cas des immunités personnelles qui s’attachent à certains diplomates. Ceux-ci ne peuvent alors pas être jugés par les tribunaux belges. Mais il n’y a pas d’immunité pour les personnes qui séjournent illégalement sur le territoire. Celles-ci sont soumises aux lois pénales en vigueur sur le territoire belge et peuvent être poursuivies et arrêtées le cas échéant.
Dans leur lettre, par ailleurs, les bourgmestres ne font pas de différence entre l’arrestation administrative et l’arrestation judiciaire, alors que ces deux arrestations ont des causes et des conséquences totalement différentes. Si un étranger cause des troubles à l’ordre public, il pourra être arrêté administrativement, mais devra être libéré assez rapidement. La durée d’une arrestation administrative est de douze heures maximum. Faute d’alternative, la plupart d’entre eux retourneront probablement Gare du Nord. En revanche, si ces étrangers en séjour illégal sont suspectés d’infractions suffisamment graves, ils peuvent être arrêtés judiciairement et éventuellement placés sous mandat d’arrêt, ce qui prolongera leur privation de liberté. Ils peuvent ensuite être jugés et, le cas échéant, condamnés à des peines d’amendes, de travail ou de prison.
L’expulsion n’est pas une peine en Belgique
Quant à l’expulsion, elle ne constitue pas une sanction pénale, et elle ne constitue pas, en soi, une mesure privative de liberté. Afin de pénétrer sur le territoire belge, il est nécessaire de pouvoir présenter les documents adéquats. Il est également nécessaire d’obtenir une autorisation valable pour pouvoir y séjourner plus de nonante jours. Les étrangers qui ne respectent pas ces exigences peuvent recevoir un ordre de quitter le territoire délivré par l’Office des étrangers. Et c’est seulement si cette mesure ne peut pas être exécutée directement que l’étranger peut être détenu en vue d’un futur éloignement, “en particulier lorsqu’il existe un risque de fuite ou lorsque l’étranger évite ou empêche la préparation du retour ou la procédure d’éloignement”. Ainsi, si des étrangers en séjour irrégulier sont arrêtés administrativement, ils peuvent être envoyés dans un centre fermé en vue de leur expulsion.
Si les étrangers expulsables ont par ailleurs commis une infraction, ils peuvent être détenus, poursuivis et condamnés. Mais ils ne peuvent pas être condamnés à l’expulsion, qui n’est pas une sanction prévue par la loi, contrairement à ce qui prévaut en France par exemple. Dans certains cas, une personne condamnée à une peine privative de liberté en Belgique peut être renvoyée dans son pays pour y purger sa peine. Cette mesure, assez rare, est soumise à des conventions strictes. Dans d’autres cas, une personne condamnée peut être libérée pour pouvoir être expulsée. Selon la Cour de Cassation, toutefois, cette libération et l’expulsion qui s’ensuit ne constituent pas un “mode d’exécution de la peine privative de liberté”. Si la personne expulsée revient en Belgique, elle devra purger le reste de sa peine.
Non-expulsable ne signifie pas non-condamnable
En ce qui concerne les étrangers venant du Soudan ou d’Erythrée enfin, d’où seraient originaires la plupart des personnes visées par la lettre des bourgmestres, leur cas est particulier. Vu la situation actuelle dans leur pays, leur expulsion risquerait de mettre en danger leur intégrité physique ou morale. S’ils prouvent que leurs droits fondamentaux ne peuvent être respectés dans leurs pays d’origine, alors la Belgique ne peut pas les expulser, comme cela a été confirmé plusieurs fois par la Cour européenne des droits de l’homme. Ils restent néanmoins susceptibles de poursuites et condamnations pénales en Belgique. S’ils sont condamnés, ils ne pourront donc pas être renvoyés dans leur pays d’origine pour y purger leur peine, et ils ne pourront pas davantage être libérés en vue d’une expulsion. Mais, contrairement à ce que laissent entendre les bourgmestres, cela n’empêche évidemment pas qu’ils soient détenus préventivement ou qu’ils purgent leur peine en Belgique, comme tout autre auteur d’une infraction sur le territoire belge. L’exaspération des bourgmestres est sans doute moins une question de droit qu’une question de moyens. Afin de poursuivre, détenir et condamner les auteurs présumés d’infractions dans le quartier Nord, il faut disposer d’effectifs policiers et judiciaires en suffisance. Pour les Belges comme pour les étrangers, avec ou sans papiers, ce n’est apparemment actuellement pas le cas.
Contactés par nos soins, les trois bourgmestres concernés n’ont pas répondu à nos sollicitations.
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