À Bruxelles, une nouvelle vague de protestations s’est levée suite à une affaire de viols présumés dans deux bars ixellois. Le mouvement a rapidement été très relayé sur les réseaux sociaux et deux manifestations ont eu lieu afin d’interpeller les autorités. Les faits dénoncés suivent un mode opératoire classique, qui prend cours dans de nombreux autres bars et boîtes de nuit ; celui de placer de la drogue dans le verre des femmes, afin de plonger celles-ci dans un état de “soumission chimique” et de commettre sur elles des viols et agressions sexuelles.
Luc Hennart, président honoraire du tribunal de première instance de Bruxelles, s’est exprimé au sujet de ces violences sexistes et sexuelles et, plus précisément, sur l’inscription du féminicide dans le Code pénal. Il soutient que “D’un point de vue pénal, il n’y a rien de particulier dans les violences faites aux femmes. (…) Selon moi, il ne faut pas singulariser toutes les violences mais les combattre toutes de la même manière”. Or, cette idée est manifestement contraire à l’esprit de la Convention d’Istanbul, que la Belgique a ratifiée en 2016.
La singularité des violences faites aux femmes est reconnue par le droit international
Cette opinion exprimée est le contraire de ce qui est prescrit par la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite “Convention d’Istanbul”, dont la Belgique est État-partie.
Son article premier indique qu’elle a pour but de “concevoir un cadre global, des politiques et des mesures de protection et d’assistance pour toutes les victimes de violence à l’égard des femmes et de violence domestique (…) de soutenir et d’assister les organisations et services répressifs pour coopérer de manière effective afin d’adopter une approche intégrée visant à éliminer la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.”
La Convention a donc principalement pour objectif d’adopter une approche intégrée et d’obliger les États signataires à prendre des mesures concrètes, législatives ou autres, afin de lutter efficacement contre la violence à l’égard des femmes.
Par approche intégrée, il y a lieu d’entendre la mise en place d’une perspective d’égalité de genre à tous les stades et à tous les niveaux des mesures prises, au moyen de politiques publiques, programmes ou projets. Pendant très longtemps, l’essentiel des politiques étaient basées sur les besoins du groupe dominant et étaient elles-mêmes décidées par ce même groupe dominant, à savoir les hommes. La Convention d’Istanbul prône donc désormais une approche intégrée de l’égalité, qui permet, notamment en associant des femmes aux processus décisionnels et en tenant compte des besoins et de leurs situations spécifiques, une lutte plus efficace contre les violences de genre.
Son préambule précise d’ailleurs d’emblée que “la violence à l’égard des femmes est une manifestation des rapports de force historiquement inégaux entre les femmes et les hommes ayant conduit à la domination et à la discrimination des femmes par les hommes, privant ainsi les femmes de leur pleine émancipation. (…) que la nature structurelle de la violence à l’égard des femmes est fondée sur le genre, et que la violence à l’égard des femmes est un des mécanismes sociaux cruciaux par lesquels les femmes sont maintenues dans une position de subordination par rapport aux hommes”.
La violence faite aux femmes ne peut donc pas être traitée juridiquement comme n’importe quelle autre violence
La problématique des violences faites aux femmes ne peut être réglée comme toutes les autres, précisément en raison de son aspect systémique et omniprésent dans la société et des rapports de force qui sont en jeu, amenant ainsi les États-membres du Conseil de l’Europe à élaborer cette Convention.
La Belgique s’est donc engagée à ne pas traiter les violences faites aux femmes de la même manière que les autres violences, mais bien via une approche singulière. Elle doit donc mettre en place des politiques publiques et prévoir des récoltes de données spécifiques. Il lui incombe également, selon la Convention d’Istanbul, de former et sensibiliser les personnes qui prennent en charge les victimes, comme la police, le milieu médical ou la magistrature, mais aussi le grand public. Il doit, de même, être apportés aux victimes, une protection et un soutien adaptés à leur situation, tenant compte de la discrimination qu’elles vivent d’emblée en tant que femmes et des difficultés supplémentaires qui en découlent. Enfin, doivent en conséquence être adaptés, le droit matériel, le processus d’enquêtes ainsi que les poursuites.
L’Etat belge est tenu d’adopter une approche différenciée
En octobre 2020, le rapport d’évaluation fait par le groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) quant à l’application de la Convention en Belgique recensait bon nombre de mesures complémentaires qui devraient être prises par la Belgique, comme par exemple :
“Assurer que les programmes (…) intègrent une approche uniforme fondée sur le genre et la déconstruction des stéréotypes” ou encore: “Doter les services répressifs et judiciaires des ressources, connaissances et moyens nécessaires pour répondre rapidement et de manière adéquate à toutes les formes de violence visées par la convention.”
De manière générale, le rapport met en exergue le manque de véritable reconnaissance du lien systémique entre les violences faites aux femmes et l’organisation de la société, dans la mise en place des mesures et politiques pour appliquer les préceptes de la Convention. Les autorités belges sont exhortées à prendre des mesures pour assurer que la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul intègre une réelle perspective de genre.
L’Etat belge est donc encore loin de respecter l’ensemble des obligations auxquelles il s’était engagé juridiquement en ratifiant la Convention d’Istanbul. Concernant l’inclusion du féminicide dans le Code pénal, bien que cela ne soit pas prescrit explicitement par la Convention, cette démarche s’inscrirait certainement dans l’esprit de celle-ci (à condition que cette avancée législative soit accompagnée d’une politique globale, pour lutter efficacement contre toutes les formes de violence de genre).
In fine, et comme l’illustre cette déclaration du président honoraire du tribunal de première instance de Bruxelles, la Convention et ses implications restent encore trop mal connues des praticien.ne.s du droit et des magistrat.e.s.
Malgré nos recherches, il n’a pas été possible de contacter Luc Hennart pour lui permettre de réagir. Toute erreur ou tout commentaire peut néanmoins nous être envoyé : contact-be@lessurligneurs.eu
Une erreur dans cet article ? Faites-le nous savoir : contact@lessurligneurs.eu