A l’occasion des débats portant sur l’imposition d’un passe sanitaire (le Covid Safe Ticket, ou CST), Bart Steukers, administrateur délégué d’Agoria, souhaite permettre aux entreprises qui le jugent utile ou nécessaire de rendre le CST obligatoire pour leurs employés. A l’appui de sa demande, il a notamment affirmé que “celui qui refuse de se faire vacciner ou tester forme une menace pour ses collègues. Ce fait seul, c’est déjà une base juridique pour un licenciement” (traduction libre). Soutenir que l’employé présente une menace pour ses collègues reste à démontrer, mais que cette menace permette actuellement de licencier un travailleur est juridiquement faux.
Il faut distinguer le droit de rupture de l’employeur et son pouvoir de rupture
Le licenciement d’un travailleur, c’est la rupture de son contrat de travail par la volonté unilatérale de l’employeur. Cette rupture peut se concrétiser de deux manières. La première, c’est le droit de rupture, c’est-à-dire un licenciement conforme aux dispositions légales : soit avec indemnités ou délai de préavis ; soit sans indemnités, pour un motif grave. La seconde façon de licencier est l’exercice d’un pouvoir de rupture : une partie, par exemple l’employeur, rompt le contrat sans respecter les conditions ou les modalités prévues par la loi, voire pour des motifs illicites (discrimination, racisme…). Quelle que soit la manière choisie, il s’agit d’une rupture effective, et l’emploi est perdu pour le travailleur. Mais, le plus souvent, l’usage du pouvoir de rupture coûte cher à l’employeur : il implique à tout le moins le paiement d’indemnités supplémentaires pour l’employé licencié. Quand Bart Steukers prétend qu’il existe une base juridique pour un licenciement, c’est donc nécessairement un droit de rupture qu’il évoque.
Le droit de licencier des personnes refusant de se faire vacciner ou tester n’existe pas
Pour avoir le droit de licencier un travailleur qui refuserait de se faire vacciner ou tester, l’employeur devrait d’abord connaître l’existence de ce refus. Or, à l’heure actuelle, aucune règle ne permet d’imposer le Covid Safe Ticket (CST) aux employés sur leur lieu de travail, ni de faire connaître à l’employeur le statut vaccinal de ses employés. Il s’agit d’une donnée personnelle dont l’accès et le traitement est protégé, notamment par le R.G.P.D. L’usage du CST est même explicitement interdit “à des fins autres que celles stipulées dans le présent accord de coopération”, et donc notamment sur les lieux de travail (art. 17, §7). L’entreprise peut obtenir une indication en données agrégées et anonymes du pourcentage de son personnel vacciné, mais l’accès aux données individualisées est illégal. Pour cette seule raison déjà, l’affirmation d’Agoria ne tient pas.
Ensuite, considérer le refus de se faire vacciner ou tester comme un motif grave ou un motif raisonnable, permettant à l’employeur d’exercer son droit de rupture, serait juridiquement compliqué. Un tel licenciement conduirait en effet à traiter différemment les personnes vaccinées ou testées et les autres. Or, une telle distinction serait fondée sur un critère dit “protégé” par la loi tendant à lutter contre certaines formes de discrimination : le critère de l’état de santé. La distinction doit alors être justifiée par un but légitime, et les moyens de réaliser ce but doivent être “appropriés et nécessaires”. Agoria n’explique pas son objectif, même si on devine qu’il s’agit à la fois de protéger la santé des travailleurs et le fonctionnement des entreprises. Si un tel but pourrait sans doute être considéré comme légitime, il est bien plus délicat d’affirmer que le licenciement des personnes non testées ou non vaccinées serait d’ores et déjà approprié et nécessaire, notamment au vu des multiples autres mesures moins attentatoires aux droits des travailleurs prises depuis le début de la crise sanitaire.
Seule la loi peut créer un tel motif de licenciement
Ces obstacles juridiques sont en réalité bien connus. Ils sont au cœur des débats relatifs aux sanctions à imposer au personnel soignant qui refuserait la future vaccination obligatoire. C’est bien par une loi que le gouvernement tente actuellement de donner accès au statut vaccinal pour les employeurs du secteur des soins de santé. Et toujours dans la loi qu’il inscrira le but légitime poursuivi, et la proportionnalité de la mesure de licenciement pour garantir cet objectif.
Impossible donc de justifier aujourd’hui un droit pour l’employeur de licencier un travailleur non vacciné ou non testé. Il faudrait plusieurs interventions du législateur : pour permettre à l’employeur de connaître le statut vaccinal de ses employés, d’abord ; et pour justifier la différence de traitement que cela créerait entre les vaccinés et les non vaccinés, ensuite. En réalité, faire bouger le législateur est bien l’objectif poursuivi par l’intervention d’Agoria dans la presse, mais en faisant croire à tort qu’un licenciement était déjà possible.
Contactée par nos soins, Agoria nous confirme être tout à fait d’accord avec cette analyse : “aujourd’hui il n’y a pas de base juridique autorisant un employeur à rendre le CST obligatoire sur le lieu de travail”.
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