Mélissa Hanus, députée socialiste (PS), a annoncé son projet d’introduire un recours au Conseil d’État en vue de priver le Vlaams Belang, parti politique flamand d’extrême droite, de dotation. Selon les chiffres bruts analysés par des chercheurs de la KULeuven, les dotations publiques du Vlaams Belang s’élevaient à 7,9 millions en 2020. Les partis politiques ont aussi d’autres sources de revenus, notamment les cotisations des membres et les contributions des mandataires, mais ces revenus ne représentent qu’un faible pourcentage de leur financement. Dans le cas du Vlaams Belang, selon les mêmes chercheurs, ce pourcentage est d’à peine 7 %, les contributions publiques représentant les 93 % restant. Si le projet de Mélissa Hanus venait à aboutir, les conséquences seraient donc considérables pour le parti politique flamand.
Comment l’Etat finance les partis politiques
La réglementation concernant le financement des partis politiques se trouve dans une loi adoptée en 1989. Cette loi prévoit que chaque parti qui est représenté à la Chambre des représentants par au moins un parlementaire a droit à une dotation à condition que son programme ou ses statuts comprennent un engagement “à faire respecter par ses différentes composantes et par ses mandataires élus, au moins les droits et les libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et par les protocoles additionnels à cette Convention en vigueur en Belgique”. La dotation, dont le montant est également fixé conformément à la loi de 1989, doit être reçue par une institution constituée sous forme d’une ASBL désignée par le parti politique. En ce qui concerne le Vlaams Belang, il s’agit principalement de l’ASBL Vrijheidsfonds.
Comment l’Etat peut priver un parti de financement
La loi de 1989 prévoit une procédure qui permet de suspendre ou de diminuer les dotations d’un parti politique. Elle prévoit qu’un parti qui « par son propre fait, ou par celui de ses composantes, de ses listes, de ses candidats, ou de ses mandataires élus montre de manière manifeste et à travers plusieurs indices concordants son hostilité envers les droits et libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » peut être privé de contributions publiques, à la requête de membres de la Commission de contrôle des dépenses électorales de la Chambre. C’est la section d’administration du Conseil d’État qui est compétente pour décider de supprimer pour une période comprise entre trois mois et un an, ou de diminuer, les subsides d’un parti politique. Cependant, Mélissa Hanus ne pourra pas introduire sa demande seule. Il faut au moins sept députés de la Commission de contrôle des dépenses électorales de la Chambre pour introduire un tel recours. Deux des membres de cette Commission, appartenant également au Parti Socialiste, lui ont déjà manifesté leur soutien.
Si elle obtient les quatre soutiens qui lui manquent encore, les sept députés devront ensuite prouver que le Vlaams Belang montre une hostilité manifeste envers les droits et libertés garantis par la Convention européenne des droits de l’homme et les protocoles additionnels. La Cour constitutionnelle a déjà eu l’occasion de se prononcer quant au sens du mot “hostilité” tel que repris dans la loi de 1989. Elle adopte une interprétation stricte en expliquant que le terme « hostilité » se comprend “comme une incitation à violer une norme juridique en vigueur (notamment, une incitation à commettre des violences et à s’opposer aux règles susdites)”. Elle ajoute qu’« il appartient en outre aux hautes juridictions dont dépend la mesure en cause de vérifier que l’objet de cette hostilité est bien un principe essentiel au caractère démocratique du régime ». Le Conseil d’État a, quant à lui, expliqué « qu’inciter signifie encourager, pousser à ce qui implique de donner une forte impulsion ou un stimulus psychologique qui contribue aux effets dommageables actuels, directs ou qui à tout le moins les rend très probable ». Il précise ensuite qu’être hostile implique l’existence de sentiments forts et de pensées de rejet et de haine. Les simples opinions qui n’incitent pas manifestement à des violations ne suffisent donc pas pour rendre la loi de 1989 applicable.
Pour appuyer le recours des députés de la Commission de contrôle, Mélissa Hanus explique avoir réuni 130 preuves, qu’elle ne dévoile toutefois pas, et qui lui permettront de prouver l’incitation manifeste à s’opposer. Toutefois, le recours doit être introduit dans les soixante jours après que les requérants auront eu connaissance de l’élément de preuve le plus récent qu’ils apportent. À défaut, la demande sera rejetée pour avoir été introduite trop tardivement.
Les pièges de la procédure
En 2006, un ensemble de personnalités politiques belges avaient déjà introduit un recours devant le Conseil d’État en vue de faire supprimer la dotation allouée au Vlaams Belang. Ce recours avait été rejeté parce que la plupart des faits invoqués étaient connus depuis plus de 60 jours par les requérants. Et le seul fait survenu au cours des soixante jours précédant la requête ne prouvait pas suffisamment que le Vlaams Belang était manifestement hostile aux droits et libertés fondamentales. La demande a donc été déclarée irrecevable, car introduite trop tardivement par rapport à la prise de connaissance des faits.
Les députés de la Commission de contrôle devront donc être particulièrement prudents, tant au niveau du timing de l’introduction de leur demande, qu’au niveau des preuves de l’hostilité du Vlaams Belang, s’ils espèrent remporter le recours. A la lecture de l’arrêt du Conseil d’Etat, rendu en 2011, 5 ans après l’introduction du recours, après deux élections et bien d’autres péripéties juridiques (notamment un passage par la Cour constitutionnelle), cela promet en tout cas d’être compliqué.
Contactée par nos soins, Mélissa Hanus n’a pas réagi à nos sollicitations.
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