Georges-Louis Bouchez, président du Mouvement Réformateur (MR), estime que les personnes sans emploi depuis au moins deux ans devraient accepter toute offre de formation ou d’emploi dans un métier en pénurie. Deux refus consécutifs devraient, selon lui, être passibles de l’exclusion pure et simple du bénéfice des allocations de chômage. En réalité, la réglementation du chômage est déjà particulièrement contraignante pour les chômeurs : un seul refus non justifié de se tourner vers un métier en pénurie peut donner lieu à une suspension temporaire des allocations de chômage. De même, rechercher un métier en pénurie ou suivre une formation y menant peut depuis longtemps être imposé par les services régionaux de l’emploi.
il existe déjà une obligation d’accepter des emplois dans les métiers en pénurie
La réglementation du chômage impose diverses obligations aux demandeurs d’emploi pour conserver leur droit aux allocations. Accepter (une formation à) un métier en pénurie en fait d’ores et déjà partie.
Premièrement, les demandeurs d’emploi doivent s’abstenir d’entrer ou de se maintenir volontairement au chômage. Concrètement, cela se traduit notamment par le fait que la personne sans emploi ne peut refuser un emploi convenable ou une offre de formation convenable (art. 51, § 1er, al. 2, 3° et dernier al., de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage). Le refuserait-elle, elle peut alors être sanctionnée par une exclusion du bénéfice des allocations de chômage pour une durée de 4 à 52 semaines (art. 52bis du même arrêté royal).
Deuxièmement, la réglementation du chômage exige des demandeurs d’emploi une disponibilité dite « passive » en vertu de laquelle ils doivent s’inscrire comme demandeur d’emploi et ne pas soumettre leur reprise du travail à des réserves incompatibles avec les critères de l’emploi convenable (art. 56, § 1er, du même arrêté royal). Le chômeur jugé indisponible, par exemple parce qu’il indique n’être pas prêt à se tourner vers tel ou tel type d’offre d’emploi ou de formation, est exclu des allocations de chômage (art. 56, § 1er, al. 2, et § 2, du même arrêté royal).
Enfin, les chômeurs doivent rechercher un emploi convenable par eux-mêmes, ce qu’on qualifie généralement de “disponibilité active” (art. 58 du même arrêté royal). Ces efforts concrets de recherche d’un emploi convenable sont consignés dans un plan d’action individuel conclu entre le conseiller emploi du service régional de l’emploi (le Forem en Wallonie, la VDAB en Flandre, Actiris à Bruxelles et l’ADG en Communauté germanophone) et le chômeur. C’est dans le cadre de ce plan d’action individuel, visant à favoriser la reprise d’emploi du chômeur, qu’une obligation de suivi d’une formation peut être convenue. Visant à augmenter son employabilité, le suivi d’une formation menant à un métier en pénurie est parfaitement envisageable. La mise en œuvre du plan d’action individuel, que ce soit sous les volets de la recherche d’un emploi ou du suivi d’une formation, est contrôlée régulièrement par le service régional de l’emploi compétent (art. 58/2 à 58/12 du même arrêté royal). L’évaluation négative du demandeur d’emploi peut mener à sa suspension ou son exclusion, temporaire ou non, du bénéfice des allocations de chômage (art. 58/9 du même arrêté royal).
un métier en pénurie est-il un emploi “convenable” ne pouvant être refusé ?
On le voit, une notion clé dans l’appréciation du comportement du chômeur est celle du caractère “convenable” de l’emploi qui lui serait proposé. C’est bien cet emploi convenable que le chômeur ne peut refuser, qu’il doit être disposé à accepter et qu’il doit même rechercher par lui-même, sous peine de s’exposer à des sanctions. Un métier en pénurie peut-il, voire doit-il, être considéré comme un emploi convenable pour le chômeur ? La réponse à cette question diffère. Dans un délai de 3 mois (pour les chômeurs de moins de 30 ans ou ayant un passé professionnel de moins de 5 ans) ou de 5 mois (pour tous les autres chômeurs) à compter du début du chômage, sorte de “délai protecteur”, un emploi est considéré comme convenable pour le demandeur d’emploi pour autant qu’il corresponde aux professions auxquelles l’ont préparé ses études ou son apprentissage ou aux professions précédemment exercées ou apparentées (art. 23, al. 1er, de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 portant les modalités d’application de la réglementation du chômage). Bien que des exceptions soient prévues par la réglementation à ce principe (art. 23, al. 3, du même arrêté ministériel), cela signifie que, de manière générale, ces chômeurs de courte durée ne peuvent pas être poussés d’autorité vers des métiers en pénurie, sauf à supposer naturellement qu’un tel métier cadre avec leur formation ou leur passé professionnel.
Après un certain délai, tout emploi “convenable” doit être accepté.
Pour les autres chômeurs, soit tous ceux ayant dépassé ce délai protecteur de 3 ou 5 mois, somme toute assez limité, la situation est toute autre : un emploi est cette fois considéré comme convenable pour autant qu’il corresponde aux aptitudes, à la formation, aux compétences ou aux talents du demandeur d’emploi (art. 23, al. 4, de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991). Le périmètre ainsi tracé est résolument plus large et ne tient plus uniquement compte des professions vers lesquelles le bénéficiaire se destine a priori. En d’autres termes, qu’importent les préférences du chômeur, un métier en pénurie peut, dès cette période protectrice de 3 ou 5 mois expirée, faire partie du périmètre des emplois convenables. À lui donc d’accepter toute offre en ce sens et de rechercher un tel métier, moyennant le cas échéant le suivi d’une formation, sous peine d’être sanctionné par le service régional de l’emploi.
Soulignons sur ce dernier point que nous n’avons pas d’informations sur la manière dont les services régionaux de l’emploi appliquent concrètement le cadre réglementaire en la matière et la sévérité dont ils font ou non preuve, en pratique, lors de l’évaluation du comportement du chômeur. En tout état de cause, les normes applicables sont assez dures pour le chômeur.
En somme, bien qu’ils aient suscité moult réactions, les propos de Georges-Louis Bouchez ne sont guère éloignés de l’état du droit actuel voire, plus exactement, sous-estiment la place d’ores et déjà octroyée aux métiers en pénurie, et plus largement à la réorientation professionnelle, dans le cadre normatif.
Contacté, Georges-Louis Bouchez n’a pas répondu à nos sollicitations.
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