A l’occasion des débats tendus sur la sortie du nucléaire en Belgique, Georges-Louis Bouchez, président du Mouvement Réformateur (MR), propose d’organiser une consultation populaire “pour déterminer notre mixte énergétique”. Le journaliste qui l’interviewe s’étonne: “une consultation populaire, on n’a jamais fait ça au niveau fédéral (…), est-ce vraiment sérieux?” Georges-Louis Bouchez ne tient en effet pas compte de la Constitution, qui n’autorise la consultation populaire que pour les matières régionales.
La Constitution interdit les consultations populaires au niveau fédéral
L’article 33 de la Constitution prévoit que “tous les pouvoirs émanent de la Nation. Ils sont exercés de la manière établie par la Constitution”. Ceci implique que la Constitution régit de manière exhaustive les institutions amenées à participer à l’exercice du pouvoir. Or, organiser une consultation populaire, c’est exercer une forme de pouvoir. Dans un avis rendu en 1985 déjà (p. 17 du document), le Conseil d’Etat a en effet précisé que, même si le résultat d’une consultation populaire n’est pas juridiquement contraignant (à l’inverse du référendum, qui est juridiquement contraignant), il a un impact tellement important sur les décideurs politiques que ces derniers ne pourront passer outre l’avis de la population. Le Conseil d’Etat estime donc que la consultation populaire au niveau fédéral est inconstitutionnelle.
Cet obstacle juridique a encore été renforcé lors de la révision de la Constitution en 2014. Le nouvel article 39bis de la Constitution autorise désormais l’organisation de consultations populaires, mais exclusivement pour les matières régionales, et donc à l’exclusion des matières fédérales, comme l’ont expressément souligné les travaux parlementaires de cette révision constitutionnelle. Une consultation populaire fédérale est donc aujourd’hui formellement interdite par la Constitution.
Pour prendre au sérieux la proposition de Georges-Louis Bouchez, une première piste serait donc, d’abord, de modifier la Constitution (ce qui impose soit d’attendre les élections de 2024, soit d’organiser de nouvelles élections…).
En revanche, la Constitution autorise les consultations populaires au niveau régional
Comme indiqué ci-dessus, l’article 39bis de la Constitution permet néanmoins l’organisation de consultations populaires au niveau des régions. Une seconde piste serait donc de confier la proposition de Georges-Louis Bouchez aux régions flamande, bruxelloise et wallonne. Mais il faut pour cela, précise la Constitution, que la question relative au “mixte énergétique” relève exclusivement des compétences régionales. Les travaux préparatoires de l’article 39bis précisent encore que “le résultat de la consultation populaire doit être exécutable au niveau régional. Il est dès lors exclu de tenir une consultation populaire sur un thème à propos duquel la région ne peut pas donner suite elle-même”, par exemple parce qu’elle aurait besoin du concours de l’État fédéral.
Or, la loi spéciale de réformes institutionnelles prévoit qu’en matière énergétique, la compétence de l’énergie nucléaire est une compétence qui appartient exclusivement à l’État fédéral. Les travaux parlementaires (p. 12 du document) soulignent bien que l’énergie nucléaire forme “un bloc de compétence homogène pour lequel seule l’autorité nationale est compétente”. La loi spéciale attribue également d’autres pans de la politique énergétique à l’État fédéral, comme celui de la production d’énergie. Dans l’état actuel du droit, le “mixte énergétique” ne relève donc pas exclusivement des compétences régionales. L’organisation, par les régions, d’une consultation populaire relative au mixte énergétique est donc également contraire à la Constitution.
Le président de la N-VA, Bart De Wever, le sait bien, lui qui a proposé, sur les plateaux de la VRT, de régionaliser la compétence de l’énergie nucléaire. En réalité, pour permettre une consultation populaire régionale sur le sujet, il faudrait même régionaliser l’ensemble de la politique énergétique (et pas seulement celle sur l’énergie nucléaire). Et donc trouver une majorité des deux tiers au Parlement, ainsi qu’une majorité dans les deux groupes linguistiques flamand et francophone.
Si l’intention n’est pas de modifier la Constitution, ni de régionaliser la politique énergétique, alors non, une consultation populaire sur le maintien du nucléaire, ce n’est juridiquement pas sérieux.
Contacté par nos soins, Georges-Louis Bouchez reconnaît que la consultation populaire, “qui sous-entend légalement un vote formel” selon lui, est effectivement impossible constitutionnellement en Belgique. Mais ce qu’il propose est une “consultation du public, ce qui n’est en rien interdit. C’est d’ailleurs ce que le gouvernement fédéral va mettre en œuvre dans le cadre de la préparation de la prochaine réforme de l’Etat (consultation organisée par les ministres des Réformes institutionnelles David Clarinval et Annelies Verlinden par le biais d’une plateforme en ligne). Il est possible de faire exactement la même chose au sujet de l’enjeu nucléaire“. Tout dépend-il alors de la méthode utilisée et de la formulation des questions? Non, en droit, si la consultation exerce un impact déterminant sur le sens de la décision politique, elle est inconstitutionnelle. Et tel sera inévitablement le cas au sujet de l’enjeu nucléaire.
Mis à jour le 25 février 2022
Une erreur dans cet article ? Faites-le nous savoir : contact@lessurligneurs.eu