Suite à sa participation à la marche réservée aux femmes, organisée dans le cadre des Rencontres écologiques d’été, la secrétaire d’État à l’égalité des genres, à l’égalité des chances et de la diversité, Sarah Schlitz a subi de nombreuses critiques, notamment de la part de Kattrin Jadin, députée MR. A l’occasion du débat mené au Parlement sur ce sujet, Kattrin Jadin a affirmé que « l’interdiction d’un genre à une manifestation n’est pas le bon chemin et est même contraire aux droits fondamentaux de notre État« . Juridiquement, ces propos doivent être nuancés.
Une distinction entre les femmes et les hommes est en principe interdite dans toute activité accessible au public
La marche pour les femmes a été organisée par Etopia, le centre d’étude du parti politique Ecolo, c’est-à-dire le parti de la Secrétaire d’État Sarah Schlitz. Le but de cette marche était de pouvoir échanger librement sur ce que les femmes et les groupes les plus vulnérables ont vécu durant les confinements dus à la pandémie. Ici, la question n’est donc pas de savoir si Sarah Schlitz a eu raison d’assister à cette marche, mais bien de savoir si l’organisation d’une telle marche est contraire aux droits fondamentaux, comme l’a dénoncé Kattrin Jadin.
Initiée par une association politique, cette marche n’émane donc pas d’une autorité publique, ni d’un fournisseur de bien ou de service, mais elle était ouverte au public. Cela implique que des différences de traitement entre les femmes et les hommes peuvent être acceptées mais uniquement sous certaines conditions. Les articles 10, al. 3, et 11 bis de notre Constitution garantissent en effet l’égalité entre les hommes et les femmes, et l’égal exercice de leurs droits et libertés. Ce principe d’égalité et de non-discrimination est aussi garanti par le droit européen, et par la loi, et notamment par la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes. Cette dernière loi s’applique à toutes les personnes, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, notamment en ce qui concerne l’accès, la participation et tout autre exercice d’une activité économique, sociale, culturelle ou politique “accessible au public”. Dans ce cadre, une distinction qui est directement fondée sur le sexe constitue une discrimination, à moins qu’elle ne soit “objectivement justifiée par un but légitime et que les moyens de réaliser ce but sont appropriés et nécessaires”.
Une marche réservées aux femmes ne discrimine pas pour autant les hommes
On parle donc de discrimination lorsqu’une personne ou un groupe de personnes est traité d’une façon moins favorable en raison d’une caractéristique, comme leur sexe, sans justification acceptable. En faisant de cette marche une marche exclusivement réservée aux femmes, il y a effectivement une différence de traitement envers les hommes. Mais une telle différence de traitement peut être justifiée, et n’est donc pas nécessairement contraire aux droits fondamentaux.
En réalité, dans toutes sortes de situations, des différences de traitement entre hommes et femmes ou des initiatives non-mixtes sont admises. Ainsi, par exemple, les mouvements de jeunesse qui sont réservés à un genre, les women’s running ou tout autre événement, compétition ou rassemblement sportif réservés aux femmes ou aux hommes, des lieux d’accueil, de prévention, de soins ou de détention non mixtes, etc. La cour d’appel de Liège a jugé en 2014 que des clubs de fitness pouvaient être réservés aux femmes, sans que cette différence de traitement ne soit jugée discriminatoire. L’objectif de “permettre aux femmes qui n’osaient, ne voulaient, ou encore ne pouvaient s’inscrire dans un club de fitness mixte” a été considéré comme légitime par la cour.
Dans le cadre de la marche d’Etopia, les règles applicables sont celles des activités accessibles à un public extérieur. Il s’agit de règles à peine moins strictes que celles imposées aux pouvoirs publics, ou que celles imposées pour la fourniture de biens ou de services. Il faut donc toujours, pour que la différence de traitement soit acceptable, démontrer que le but est légitime et que la mesure est appropriée et nécessaire. C’est sans doute sur ce point que les organisateurs de la marche sont restés trop silencieux. Il est pourtant reconnu qu’un groupe de parole non mixte offre un sentiment d’entraide féminine et de sécurité pour discuter de certains sujets compliqués, par exemple sur le sujet des violences conjugales. Il va de soi que les femmes ne sont pas les seules à subir ces violences, mais celles qui y ont été sujettes auront plus de difficulté à s’exprimer en présence d’hommes. Un tel but pourrait donc être considéré comme légitime et la non mixité pourrait, à cette fin, être considérée comme appropriée et nécessaire. Cet objectif n’a cependant pas été explicitement invoqué ou expliqué par les organisateurs de la marche.
Les propos de Kattrin Jadin, qui généralisent le reproche à toute manifestation non mixte, sont donc excessifs, dès lors qu’il est tout à fait possible de prévoir certaines différences de traitement. Ce n’est qu’en l’absence d’un but légitime, ou en cas de mesure inappropriée ou inutile, que l’interdiction d’un genre à une manifestation serait contraire aux droits fondamentaux.
Contactée par nos soins, Kattrin Jadin n’a pas répondu à nos sollicitations.
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