A peine le président du MR, Georges-Louis Bouchez, avait-il réclamé – de façon inutile, comme les Surligneurs l’ont démontré ici – l’exclusion des chômeurs de longue durée qui refusent un métier en pénurie, que le président du PS, Paul Magnette, s’est empressé de réagir sur Twitter, avant d’être largement relayé par les médias. Selon lui, cette solution libérale serait du “travail forcé”. Si l’expression politique est souvent faite d’outrances dont les auteurs mêmes ont évidemment conscience, cette expression n’est pas anodine en droit, et ne peut pas être utilisée à n’importe quel propos.
Rappel à toutes fins utiles sur ce qu’est réellement le travail forcé et son interdiction
Le “travail forcé” est une expression presque centenaire, consacrée et définie par l’Organisation internationale du travail (OIT) dès 1930. Selon la Convention sur le travail forcé, en effet, “le terme travail forcé ou obligatoire désignera tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré ». La Convention internationale exige également que le travail forcé soit passible de sanctions pénales efficaces. L’OIT a rappelé l’urgence et l’actualité de ces principes dans un Protocole à la Convention de 1930, signé en 2014. Le préambule de ce Protocole précise que “l’interdiction du travail forcé ou obligatoire fait partie des droits fondamentaux, et que le travail forcé ou obligatoire constitue une violation des droits humains et une atteinte à la dignité de millions de femmes et d’hommes, de jeunes filles et de jeunes garçons, contribue à perpétuer la pauvreté et fait obstacle à la réalisation d’un travail décent pour tous”. Selon l’OIT, la notion vise aujourd’hui, en particulier, la traite des personnes à des fins de travail forcé ou obligatoire, qui peut impliquer l’exploitation sexuelle et/ou concerner spécialement les migrants.
C’est dans cet esprit que le Code pénal a été complété dès 2005, en vue de réprimer la traite des êtres humains, notamment “à des fins de travail ou de services, dans des conditions contraires à la dignité humaine”. Le travail forcé est donc une situation particulièrement grave, susceptible d’entraîner immédiatement des poursuites pénales contre ceux qui en sont responsables.
Cette interdiction fondamentale connaît néanmoins des exceptions, dont la plus connue est sans doute celle des “travaux forcés”, à savoir l’exécution d’un travail “exigé d’un individu comme conséquence d’une condamnation prononcée par une décision judiciaire”, pour reprendre les termes de la Convention de 1930. Ce type de peine, dans laquelle l’imaginaire collectif voit sans doute un prisonnier en tenue rayée casser des cailloux, a été réformée en 2002 par l’insertion des peines de travail, toujours dans le Code pénal.
Comparer l’obligation d’accepter un emploi convenable avec du travail forcé est juridiquement outrancier
On le devine donc, à la lecture des différents textes interdisant par principe le travail forcé, ou autorisant celui-ci à titre d’exception : les propos du président du PS sont particulièrement excessifs. L’obligation d’accepter un emploi convenable dans un métier en pénurie ne peut en aucune façon être assimilée à du travail forcé. Le risque que court la personne sans emploi en cas de refus de l’emploi proposé dans un secteur en pénurie, c’est l’exclusion des allocations de chômage. Or, ni une telle exclusion, ni l’acceptation de l’emploi convenable proposé ne devrait la placer dans des conditions contraires à la dignité humaine. Dans le premier cas, il reste encore d’autres mesures d’aide sociale protégeant la personne concernée, le temps qu’elle retrouve un emploi. Dans le second cas, l’emploi est tenu pour convenable, c’est-à-dire qu’il correspond aux aptitudes, à la formation, aux compétences ou aux talents du demandeur d’emploi (art. 23, al. 4, de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991), et rémunéré. On est loin des situations envisagées par la Convention de l’OIT ou par le Code pénal. Jamais aucun chômeur n’a d’ailleurs essayé d’invoquer l’interdiction du travail forcé pour contester son exclusion des allocations de chômage…
Contacté par nos soins, Paul Magnette indique : “C’est toute la différence entre le langage juridique et l’expression politique, qui est toujours faite de métaphores”. La métaphore était alors à tout le moins mal choisie.
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