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“En Suède, on peut brûler un Coran en place publique. Et en Belgique ?” 

La Libre, 11 mai 2024

Cinq mois après la nouvelle loi danoise pénalisant les "outrages aux écrits religieux" et sept mois après le meurtre de deux suédois à Bruxelles abattus en représailles des actes de profanation du Coran survenus durant l’été en Suède, le responsable de la branche néerlandaise de l’organisation allemande PEGIDA, Edwin Wagensveld, a décidé, ce samedi 11 mai 2024, de bruler à son tour un Coran. Cet évènement suscite de nombreuses interrogations : cela pourrait-il se passer sur notre sol ? Quels sont les instruments dont nous disposons afin de lutter contre ce phénomène ? Comment ne pas franchir les plates-bandes de la liberté d’expression alors que le fantôme du délit de blasphème aboli depuis la Constitution de 1831 semble nous rendre visite ?

Thomas Thiry, étudiant en droit à l’UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Jogchum Vrielink, professeur à l’UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles et sous l’autorisation de Jean-Paul Markus, professeur à l’Université Parais-Saclay, le 20 juin 2024.

BRÛLER UN LIVRE SAINT : PÉNALEMENT RÉPRÉHENSIBLE ? 

La situation est claire : le législateur belge ne punit pas le blasphème qui n’est, par ailleurs, plus considéré comme un délit depuis son abolition par la Constitution de 1831. Et cela fait sens ! Le délit de blasphème est à ce point flou et vaste qu’il pourrait permettre à un pouvoir en place de brimer sa population, de contourner le principe de l’État de droit et de s’éloigner peu à peu d’un régime démocratique.  

D’un point de vue strictement légal, le Professeur Vrielink, spécialiste de la question, est très clair : “vous pouvez déchirer, brûler ou même manger un livre qui est en votre possession. Le fait qu’il s’agisse d’un livre que d’autres considèrent comme sacré ne change, en principe, rien à l’affaire sur le plan pénal”.  

Très bien. Pourtant, en 2012, un certain Monsieur S., citoyen belge, a été condamné par le tribunal correctionnel de Bruges à une peine de quatre mois de prison ferme et 600€ d’amende, pour avoir déchiré un Coran et ce, devant un groupe de musulmans. Doit-on crier au retour du blasphème ou peut-on expliquer cette condamnation autrement ? 

BRÛLER UN LIVRE SAINT : UNE INCITATION À LA HAINE ? 

Coupons court au débat : dans cette affaire, la justice n’a pas retenu la qualification de blasphème, mais bien d’incitation à la haine ou à la violence à l’égard d’une communauté, islamique dans le cas d’espèce, au sens de l’article 20, 4° de la loi tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie de 1981. L’histoire de cette affaire va même plus loin que ce qui a été évoqué au titre précédent. Le tribunal ne mentionne pas tant l’acte en lui-même, mais plutôt l’attitude de Monsieur S. que le tribunal qualifie de très discutable“, témoignant d’un manque flagrant de tolérance  et qui est survenue à la suite d’une manifestation du Vlaams Belang contre la construction d’une troisième mosquée à Ostende. 

De ce fait, cette condamnation prend place lors d’une situation particulière, réunissant des conditions précises, dans lesquelles déchirer un Coran ou tout autre livre saint peut être pénalement puni, si le message sous-jacent tend à propager la haine envers une certaine communauté. C’est d’ailleurs ce qu’a considéré le tribunal. Dès lors, si le prévenu avait simplement déchiré le Coran, sous couvert de la liberté d’expression, il aurait été peu probable que l’incitation à la haine à l’égard d’une communauté soit retenue par le tribunal. 

Tentons alors une autre piste. 

BRÛLER UN LIVRE SAINT : UN TROUBLE À L’ORDRE PUBLIC ?

Pourrait-on, par exemple et en reprenant l’hypothèse mentionnée ci-dessus, imaginer un individu qui déclarerait à sa commune vouloir organiser une manifestation, à Bruxelles, en projetant de réaliser un autodafé de Coran tout en mobilisant son droit à la liberté d’expression comme principal justificatif ? Dans cette hypothèse-ci, nombreuses sont les chances que cette manifestation soit interdite de manière préventive par le bourgmestre et ce, sur le fondement d’un risque de trouble à l’ordre public en vertu des articles 19 et 26, alinéa 2 de la Constitution ainsi que de 2 de la nouvelle loi communale de la Région de Bruxelles-capitale.

Il faut noter que la liberté d’expression n’est pas un principe absolu. C’est en ce sens que la Cour de cassation admet dans une jurisprudence constante que ce droit fondamental puisse être soumis à des mesures préventives, dès lors qu’il s’exerce en plein air, ce qui est vraisemblablement le cas lors d’une manifestation.  

Toutefois, la notion d’ordre public est composée de deux faces : 

  • L’ordre public au sens matériel qui comprend le dérangement public, la sécurité des personnes et la protection des biens. 
  • L’ordre public au sens moral qui comprend notamment les notions de respect d’autrui ainsi que la prévention de l’incitation à la haine.  

Cette distinction est importante puisque le Conseil d’État, dans l’arrêt Sprl. Ramsès c. Ville de Vilvoorde, considère que les mesures préventives d’annulation ne sont admissibles qu’en vue du seul maintien de l’ordre public au sens matériel. Il faudrait ainsi que le bourgmestre démontre l’existence de réelles menaces pour la sécurité des personnes afin d’annuler une manifestation de façon préventive.  

Toutefois, dans l’éventualité où le désordre moral pourrait venir compromettre l’ordre public au sens matériel, le Conseil d’État considère qu’une justification sur la face morale de l’ordre public est valable. Le bourgmestre pourrait ainsi justifier une interdiction préventive de la manifestation en considérant que celle-ci, puisqu’elle consiste en la réalisation d’un autodafé, incite à la haine et à la provocation et ne permettrait donc pas ou plus de garantir la sécurité des personnes y participant. Le moral corrompt le matériel. 

Une question se pose tout de même. Dans de nombreuses vidéos d’autodafés, nous apercevons un individu commettant l’acte entouré de policiers étant, on le ressent ainsi, protégé par ceux-ci. La réalité derrière ce ressenti est expliquée par l’arrêt Van Langenhove du Conseil d’État. Dans un premier temps, celui-ci rappelle sa jurisprudence, à savoir que la crainte que des contre-manifestants ou des opposants à la manifestation – et donc, ici, à l’autodafé – viennent perturber l’ordre public, n’est pas suffisante comme mobile pour interdire une manifestation en plein air. Au-delà de cela et dans un second temps, le Conseil d’État apporte une réponse à ce ressenti de protection de la personne réalisant un autodafé, en considérant, dans le même arrêt, que “l’autorité a même une obligation de moyen afin de protéger les manifestants dans l’exercice de leur liberté”. 

Dès lors, un bourgmestre peut justifier l’interdiction d’une manifestation ayant pour but de réaliser un autodafé. Pour ce faire, il devra démontrer que la perturbation de l’ordre public au sens moral – l’incitation à la haine qui pourrait survenir – puisse entacher la face matérielle de l’ordre public – la sécurité des manifestants. De plus, il aura à prouver qu’il n’y a pas d’autre moyen raisonnable d’empêcher ces troubles de se produire, qu’en annulant préventivement ladite manifestation. Toutefois et c’est peut-être contre-intuitif voire paradoxal : si le bourgmestre décide de maintenir la manifestation, celui-ci aura l’obligation de protéger les manifestants et leur droit à la liberté d’expression à l’aide, par exemple, de moyens policiers. 

Notons finalement que le bourgmestre ne justifiera pas l’interdiction d’un autodafé en particulier, mais plutôt d’une manifestation pouvant, potentiellement, troubler l’ordre public. La nuance est ici essentielle : ce n’est pas l’autodafé lui-même qui motive l’interdiction d’une manifestation, mais bien ses conséquences. 

Abordons alors une dernière piste. 

BRÛLER UN LIVRE SAINT : UNE ATTEINTE À LA COHÉSION NATIONALE ? 

Imaginons que cette fois-ci, le bourgmestre ne parvienne pas à motiver sa décision d’interdire une manifestation, dans laquelle un Coran sera brulé, pour cause de trouble à l’ordre public. Que lui reste-t-il comme option ? Celle-ci pourrait-elle être annulée à cause d’un trouble occasionné à l’ordre public, non pas selon les hypothèses précédemment évoquées, mais, dans le sens où la manifestation et, de ce fait, l’autodafé porterait atteinte à la cohésion nationale ? 

Cette notion de “cohésion nationale” dérive de la jurisprudence du Conseil d’État français. Celle-ci a été introduite dans un arrêt du Conseil d’État belge, venu confirmer l’interdiction d’une manifestation réunissant plusieurs personnes, dont de nombreuses sont connues pour leur comportement provocateur tel que Monsieur Dieudonné, qui auraient pu perturber l’ordre public si celle-ci avait été maintenue.  

Afin de justifier sa décision, le Conseil d’État a, entre autres, mobilisé l’arrêt du Conseil d’État français du 9 janvier 2014 qui aura épinglé “les propos pénalement répréhensibles et de nature à mettre en cause la cohésion nationale” qui pourraient être tenus lors de cette manifestation. La passation de la notion de “cohésion nationale” entre la France et la Belgique est, dès lors, tout à fait logique puisque les deux arrêts concernaient, entre autres, la personne de Monsieur Dieudonné alors en pleine tempête médiatique et juridique avec son spectacle “Le Mur”.  

Toutefois, il est essentiel de préciser que cette notion a été mobilisée au sein d’une argumentation juridique plus fournie. Autrement dit, elle n’a pas, à elle seule, fait pencher la balance envers l’interdiction mais a été évoquée en parallèle d’autres principes juridiques. De plus, en Belgique, contrairement à la France, l’utilisation de la cohésion nationale par le système judiciaire n’est, en l’état actuel des choses, pas encore confirmée par d’autres arrêts ou jugements et est donc à considérer comme étant une hypothèse plus qu’un nouveau principe de droit. 

De plus et nous l’avons vu ci-dessus, pour pouvoir interdire une manifestation de façon préventive, il faut un potentiel trouble contre l’ordre public. C’est le principe. Or, l’atteinte à la cohésion nationale ne se distingue pas de l’ordre public, c’est un ajout, une nouvelle composante de cette notion relativement large. Dès lors, la cohésion nationale n’est, pour ainsi dire, pas autonome et devra se greffer à d’autres arguments pour, in fine, démontrer qu’il existe un potentiel trouble à l’ordre public. En d’autres termes, même en France où cette notion est de plus en plus mobilisée, elle n’est qu’une partie de l’argumentaire des décisions d’interdiction et ne parvient, en tout cas pas à l’heure actuelle, à faire pencher la balance d’elle-même, en se détachant du principe du trouble à l’ordre public.  

Concrètement, lorsque le tribunal administratif de Paris confirma l’interdiction d’une manifestation pro-palestinienne qui devait se tenir le 28 octobre 2023, deux arguments ont été mis en avant : le risque de dégradations de biens lié à l’absence de sécurité suffisante, mais également des “agissements relevant du délit d’apologie publique du terrorisme ou de la provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence contre un groupe de personnes à raison de son appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion”.  

Ce que craignait le tribunal administratif de Paris était évidemment la dégradation matérielle, mais également l’apologie d’une certaine idéologie renvoyant l’idée que certains citoyens français, pour ne pas dire de confession juive, ne faisaient pas ou plus partie de la nation française et de cette cohésion nationale. La limite est ainsi très fine entre le délit d’incitation à la haine, l’apologie du terrorisme et le dressement d’une partie de la population contre une autre. Cependant, cette idée de la préservation de la cohésion nationale s’immisce peu à peu dans le droit de nos voisins et pourrait, pourquoi pas, être utilisé de la même façon chez nous, en complément d’autres instruments juridiques.

Notons par ailleurs que la raison pour laquelle l’idée de la cohésion nationale peine à se distinguer de l’ordre public, s’explique par ce qui a été dit en introduction pour le blasphème. Qu’est-ce que réellement la cohésion nationale ? Où démarre-t-elle et où s’arrête-elle ? Comment faire face aux dérives qui viendraient exclure un discours de cette cohésion nationale pour les réduire au silence ? Il y a un risque évident de permettre l’interdiction de spectacles ou de manifestations sur la seule justification et mobilisation de cette cohésion nationale, dès lors que le pouvoir exécutif en serait le principal définisseur. Il serait alors trop facile de faire taire les voix dissidentes et les critiques. La liberté d’expression et de manifestation vacilleraient. 

Finalement et c’est peut-être l’essentiel de ce qu’il faut retenir de cette dernière hypothèse : il serait possible – cela demande toutefois d’être confirmé par de futurs arrêts – qu’un bourgmestre puisse justifier l’interdiction d’une manifestation dans laquelle un Coran serait brûlé, dès lors qu’il considère que celle-ci pourrait troubler l’ordre public parce qu’elle porterait, entre autres et notamment, atteinte à la cohésion nationale. 

Cela reste toutefois hypothétique et nécessite confirmation. 

CONCLUSION 

En l’état, aucune législation, aucun arrêté et aucune mesure ne permet de punir ou de prévenir la réalisation d’autodafés de Corans ou de n’importe quel autre livre dit sacré, sous l’unique justification qu’il s’agisse d’autodafés. Toutefois, en parcourant quelques hypothèses, nous avons été confrontés à une réalité : certains mécanismes juridiques peuvent permettre aux autorités d’interdire préventivement une manifestation ou de punir, sur le fait, un délit incluant un autodafé.  

La limite est ainsi fine : 

  • Interdire préventivement une manifestation où un autodafé est réalisé pour trouble à l’ordre public et ce, reprenant les conditions que nous avons développées supra : c’est possible. 
  • Interdire préventivement une manifestation où un autodafé est réalisé parce qu’un autodafé y est prévu : ce n’est pas possible. 
  • Condamner une personne pour incitation à la haine lorsqu’elle réalise un autodafé et ce, dans un certain contexte : c’est possible. 
  • Condamner une personne car elle réalise un autodafé : ce n’est pas possible. 

 La question que cela sous-tend est la suivante : est-ce que le fantôme du blasphème n’agit-il pas déjà à travers les différents instruments que nous avons évoqués ? Ne s’agit-il pas là, du même esprit simplement présent dans un corps juridique autre ? 

Nous ne ferons qu’évoquer la question et laisserons tout un chacun se faire son propre avis face à celle-ci. Toutefois et nous conclurons en ce sens, en tant que juristes, il est important de se demander ce qui guide réellement la prise de décisions du pouvoir tant exécutif que législatif. Ces décisions, sont-elles prises à cause du trouble à l’ordre public que peut engendrer un autodafé ou par la simple crainte des réactions de certaines communautés se sentant offensées par de tels actes ? 

En soulevant ces différentes questions, nous ne faisons que mettre en lumière la justification de la nouvelle loi votée par le Danemark rétablissant le blasphème qui va en ce sens : afin de protéger sa population et de préserver la sécurité nationale au lendemain d’un attentat ayant touché deux citoyens d’un pays voisin, le délit de blasphème fait son grand retour.  

Chez nous, en Belgique, un point semble certain : il n’est pas comparable de brûler un livre sacré ou religieux pour allumer son feu de cheminée que de le brûler au milieu d’une foule avec des caméras, journalistes et policiers prêts à intervenir. 

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“A Etterbeek, à Bruxelles Ville et à Saint-Josse, l’extrême-droite n’est pas la bienvenue” – Emir Kir 

X, 16 avril 2024

Le 16 avril 2024, des représentants européens de la droite radicale ont voulu se réunir afin d’organiser une conférence portant sur le conservatisme national au sein des pays d’Europe occidentale. Après s’être vu refuser l’accès à plusieurs salles de réunion, ces personnalités politiques ont pu finalement se rassembler à la salle Claridge à Saint-Josse. Toutefois, le bourgmestre de la commune, Emir Kir, a émis un arrêté d’interdiction dans le but d’annuler la conférence afin, selon lui, d’éviter des troubles à l’ordre public. La fondation “MATHIAS CORVINUS COLLEGIUM ALAPÍTVÁNY” a intenté une demande au Conseil d’État afin de suspendre cet arrêté affirmant que celui-ci était contraire à la liberté d’association.

Emmanuelle Galassi, étudiante en droit à l’UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Jogchum Vrielink et Christine Guillain professeurs à L’UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles, le 18 juin 2024.

A la suite de la National Conservatism Conference (‘NatCon’) censée s’être déroulée le 16 avril 2024 à Saint-Josse, Emir Kir, le bourgmestre de la commune, a déclaré, le 16 avril 2024 à 12h50, que l’extrême droite n’est pas la bienvenue sur le territoire de certaines communes bruxelloises. En effet, celui-ci a pris un arrêté d’interdiction afin d’empêcher la poursuite de la conférence qui avait commencé dans la matinée. Cet arrêté est une décision administrative afin d’interdire certains événements dans la commune pour des raisons d’ordre et de sécurité publique. Les arguments du bourgmestre portent sur les nuisances que la conférence pourrait occasionner. L’arrêté explique que cette réunion pourrait conduire à de graves troubles de l’ordre public en raison des opinions “provocatrices” des participants et des orateurs, ce qui pourrait donner lieu à des réactions violentes. 

En prenant cette décision, il convient de se demander si les deux principes fondamentaux que sont la liberté d’expression et la liberté de réunion n’ont pas été violés. Ces deux principes ont été soulevés par la fondation “MATHIAS CORVINUS COLLEGIUM ALAPÍTVÁNY” qui a introduit, le 16 avril 2024, une demande visant la suspension de l’exécution de la décision du bourgmestre de la commune de Saint-Josse-ten-Noode interdisant la conférence ‘NatCon 2024’.  

Que dit l’arrêt du Conseil d’État ? 

Le Conseil d’État a suspendu l’arrêté d’interdiction de la conférence d’extrême droite adopté par Emir Kir, afin qu’elle puisse recommencer. Mais analysons cet arrêt plus en détail.  

Pour justifier sa demande, la partie requérante allègue la violation des articles 10, 11, 19, 26 et 27 de la Constitution, […]. Son argument principal repose sur le fait que la décision irait à l’encontre de la liberté de réunion et d’expression. La question qui s’est donc posée, et qui nous intéresse particulièrement dans cette affaire, est de savoir si l’arrêté du bourgmestre est inconstitutionnel parce qu’entravant la liberté de réunion.  

L’article 26 de la Constitution garantit à chacun le droit de se réunir pacifiquement. Les réunions qui n’ont pas lieu en plein air ne peuvent être soumises à une autorisation préalable. Les organisateurs, malgré qu’ils n’aient pas demandé d’autorisation préalable à l’organisation de la conférence, pouvaient tout à fait se réunir étant donné qu’il ressort des explications données à l’audience que la conférence se déroulait dans une salle fermée qui n’est accessible qu’aux participants préalablement inscrits. Le Conseil d’État rappelle donc que la loi semble plutôt exiger que des mesures soient prises pour contrôler les manifestations sur la voie publique, plutôt que d’interdire les rassemblements dans un espace privé. 

L’arrêté est donc problématique du point de vue de la liberté de réunion. Lors de la conférence, étaient présentes des personnalités politiques de la droite radicale qui, aux yeux de la Constitution, ont le droit de se réunir. En effet, selon l’article 26, cette réunion n’était pas tenue à une mesure préventive, ne s’agissant pas d’une réunion en plein air, mais d’une conférence dans une salle privée. Les participants n’avaient de ce fait pas besoin d’une autorisation préalable. Constitutionnellement, la réunion pouvait avoir lieu sans qu’il n’y ait de restriction à celle-ci. 

Toutefois, comme dit précédemment, les arguments de la partie défenderesse portent plutôt sur de potentielles nuisances de l’ordre public en raison des opinions de représentants de la droite radicale. Il prétend ne pas avoir eu le temps de prendre des mesures de sécurité spécifiques étant donné qu’il n’a été prévenu que peu de temps avant le début de la conférence.  

Dans l’arrêt, deux éléments sont mis en exergue afin de savoir si la décision attaquée est inconstitutionnelle.  

Premièrement, il n’est pas établi que l’effet potentiellement perturbateur doive être imputé à la conférence. La menace à l’ordre public semble se déduire uniquement des réactions que son organisation pourrait susciter chez les opposants. Il semble donc s’agir d’une crainte de contre-manifestations à proximité du lieu où se déroule la conférence. Ce n’est pas la conférence, mais d’éventuelles manifestations qui effraye les autorités. Le Conseil d’État considère que la conférence devait être admise, mais que d’éventuelles mesures de sécurité auraient dû être prises sinon le droit de réunion est limité sans raison valable.  

Deuxièmement, les dispositions mentionnées ci-dessus semblent exiger que des mesures soient prises pour contrôler les manifestations sur la voie publique, plutôt que d’interdire les rassemblements dans un espace privé. De plus, le Conseil d’État rappelle que le gouvernement a l’obligation de déployer tous les efforts possibles pour aider les personnes à exercer leur droit constitutionnel de réunion. Interdire cette réunion privée au simple motif qu’elle pourrait mener à des manifestations de la part d’opposants est manifestement inconstitutionnel par rapport à la liberté de réunion.  

Pour finir, le bourgmestre Émir Kir, la partie défenderesse demande au Conseil d’État de mettre en balance les intérêts du demandeur avec ceux de la protection des citoyens, des services de secours et des forces de l’ordre. Toutefois, en l’espèce, il ne semble pas que le maintien de la conférence entraînerait un risque sérieux de préjudice aux citoyens et policiers.  

Pour ces raisons, le Conseil d’État ordonne la suspension de l’exécution de la décision du bourgmestre de la commune de Saint-Josse-ten-Noode du 16 avril 2024 selon laquelle la manifestation “Conférence nationale du conservatisme”, appelée
“NatCon”, prévue le 16 et 17 avril 2024, est suspendue.
 

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“En Fédération Wallonie-Bruxelles, nous avons 10 000 personnes sous bracelet électronique” – Françoise Bertieaux  

RTL INFO, 19 février 2024

Le lundi 19 février 2024, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la jeunesse, Françoise Bertieaux, a été interviewée sur le plateau de Bel RTL dans le cadre de la présentation du dispositif du bracelet anti-rapprochement, un nouveau système censé éloigner les auteurs de violences intrafamiliales de leur victime, prétendument plus efficace que le traditionnel bracelet électronique. Lors de cette interview, la ministre Françoise Bertieaux a déclaré qu’il y avait 10 000 personnes sous bracelet électronique en Fédération-Wallonie Bruxelles. Cependant, ce chiffre est au-delà de la réalité.

Aubane Lekime, étudiante en droit à l’UCLouvain Saint-Louis - Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain, professeure à l’UCLouvain Saint-Louis - Bruxelles, le 18 juin 2024.

Des chiffres faussés pour la surveillance électronique ? 

Avant de nous pencher sur les chiffres, il est important de comprendre ce qu’est un bracelet électronique. Il s’agit d’un dispositif permettant à une personne de purger une peine de prison à domicile, sous surveillance électronique, en respectant un certain nombre de conditions et des horaires strictement définis.  

Concernant les propos tenus par la ministre sur le nombre de personnes sous bracelet électronique, ils ne sont pas corrects. En effet, le rapport annuel des Maisons de justice qui vient d’être publié ce 16 mai nous apprend qu’en 2023, 4 398 cas d’activation sous bracelet électronique en Fédération Wallonie-Bruxelles ont été recensés, soit moins de la moitié des chiffres avancés par la ministre. Il est difficile d’imaginer, qu’en quelques mois, ce chiffre aurait plus que doublé. 

Et le bracelet anti-rapprochement alors ? 

Le bracelet anti-rapprochement (ci-après le BAR) est un dispositif électronique qui permettrait de géolocaliser les auteurs de violences intrafamiliales, la plupart du temps, s’ils s’approchent de leur victime. Il serait donc la garantie du respect d’un périmètre de sécurité. 

Selon la ministre, deux options de mise en place sont possibles. La première prévoit un bracelet uniquement porté par l’auteur, et qui alerte la police lorsque celui-ci entre dans des ‘‘zones d’exclusion’’ comme celles du domicile ou du lieu de travail de la victime. La seconde consiste à ce que tant l’auteur que la victime portent les BAR, qui avertiraient alors d’un potentiel rapprochement.  

Françoise Bertieaux semble très concernée par le fait que ce dispositif soit déjà actif dans plusieurs pays, notamment la France et l’Espagne. Toutefois, les retours de nos voisins ne sont pas tous positifs.  

En France, par exemple, il y a un faible taux d’utilisation puisque l’activation du bracelet dépend des juges et, malgré leur mise à disposition, de nombreux BAR restent inutilisés. Par ailleurs, il s’agit régulièrement d’une source de stress supplémentaire pour les victimes qui doivent parfois porter le dispositif. Cela peut augmenter leur anxiété, surtout lorsque le dispositif est mal configuré et déclenche de fréquentes alertes. A nouveau, ce sont les victimes qui peuvent se sentir prises au piège. La France plaide donc pour une amélioration du système. 

En Espagne, bien qu’aucune femme équipée du BAR n’ait perdu la vie, la mise en place de ce dernier ne permet pas pour autant la diminution des chiffres en matière de féminicide 

À première vue l’initiative est certes séduisante, mais sa mise en pratique est complexe, sans parler de son coût. Le bracelet anti-rapprochement ne serait donc pas la ‘‘baguette magique’’ annoncée. 

Contactée par nos soins, Françoise Bertieaux n’a pas répondu à nos sollicitations. 

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Qui peut juridiquement exploiter les cassettes inédites de Marvin Gaye ? 

Le Soir, 3 avril 2024

Dans une annonce faite le 1er avril 2024, par le biais de leur avocat, Alex Trappeniers, la famille de Charles Dumoulin, chez qui Marvin Gaye a séjourné en 1981-82, annonce son intention d'exploiter des enregistrements inédits laissés par le célèbre chanteur. Cette affaire illustre le conflit juridique complexe qui existe entre, d’une part, le droit de propriété sur le support matériel d’une œuvre (en l’occurrence ici, les cassettes audio) détenu par la famille Dumoulin et, d’autre part, le droit de propriété intellectuelle sur les œuvres (en l’espèce ici, les chansons) qui appartient aux enfants de Marvin Gaye.

Ruben Ngan-Be, étudiant en droit, Université UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain, Jogchum Vrielink et Thierry Léonard, professeurs à l’Université UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles, le 1er juin 2024.

Les propos de l’avocat de la famille Dumoulin quant aux cassettes inédites de Marvin Gaye soulèvent plusieurs questions telles que l’origine de ces cassettes. La famille Dumoulin peut-elle effectivement exploiter ces cassettes, comme le prétend leur avocat ?  

Contexte : quelle est l’origine de ces cassettes ? 

Dans les années 1980, Marvin Gaye, légende de la musique soul américaine, se retrouve au plus bas de sa vie, aux prises avec des démons personnels tels que la drogue, l’alcool, des dettes écrasantes et un divorce douloureux avec Janis Gaye. En février 1981, il trouve une lueur d’espoir à Ostende, où un homme nommé Freddy Cousaert, à la fois hôtelier et DJ, décide de lui tendre la main. Pendant près d’un an et demi, Cousaert prendra sous son aile le chanteur déchu, l’aidant à se relever. Il lui achète un vélo afin qu’il se remette au sport, l’installe dans un appartement, fait venir ses musiciens et lui organise des concerts. 

Cet acte de générosité et d’amitié donnera naissance à un album légendaire et à un morceau emblématique, “Sexual Healing“, qui propulseront à nouveau la carrière de Marvin Gaye vers les sommets.  

En partant, Marvin Gaye laisse derrière lui plusieurs objets, dont des costumes de scène, des carnets de notes et de nombreuses cassettes audio, dont certaines contenaient des enregistrements de sa voix. 

L’usucapion ou la prescription acquisitive : des notions aux contenus divergents 

L’avocat de la famille Dumoulin, Alex Trappeniers, soutient que ces objets ” appartiennent à la famille parce qu’ils ont été laissés en Belgique il y a 42 ans. Marvin le leur a donné et leur a dit : “Faites ce que vous voulez avec” et il n’est jamais revenu. C’est important”. 

A l’article 2219 de l’ancien Code civil, il est question de prescription acquisitive, ou usucapion, à savoir que si vous utilisez un bien pendant une période prolongée, vous pourriez en devenir légalement propriétaire, à certaines conditions. Le délai de prescription était en principe de trente ans à partir du jour qui suivait la prise de possession. Ce délai pouvait être réduit à dix ou vingt ans. Dans ce cas, on parlait de prescription acquisitive abrégée.  

Cette règle existait avant la réforme de la loi du 4 février 2020 et continue d’exister pour des raisons pratiques et sociales. Elle favorise celui qui utilise activement un bien plutôt que celui qui le laisse à l’abandon. Pour que la prescription acquisitive puisse jouer, la possession doit être utile, ce qui implique qu’elle respecte différents critères 

  1. Continuité : Vous devez utiliser le bien de manière régulière, presque comme si vous en étiez le propriétaire légitime.  
  2. Paisibilité : Votre possession ne doit pas résulter de conflits ou de violence.
  3. Publicité : Votre utilisation du bien doit être transparente et visible. 
  4. Non-équivoque : Vos actions doivent clairement montrer que vous agissez comme le véritable propriétaire.

En se penchant sur ces critères, la famille Dumoulin semble remplir plusieurs conditions pour revendiquer la propriété des cassettes. Elle les a utilisées de façon continue, les ayant reçues de Charles Dumoulin après son décès, et pacifique, puisqu’elles ont été récupérées à la suite de l’abandon de Marvin Gaye. De plus, leur intention d’en être les propriétaires légitimes est claire, comme en témoigne leur consultation avec un avocat. Cependant, le fait que personne ne soit au courant de leur possession des cassettes jusqu’à récemment pose un problème selon le critère de publicité. 

Peuvent-ils exploités ces cassettes ?  

La prescription acquisitive s’applique uniquement pour l’acquisition de la propriété et d’autres droits réels sur les supports matériels tels que les cassettes, costumes et cahiers. La propriété intellectuelle concerne quant à elle les enregistrements, textes et photos litigieuses, et non le support physique des œuvres (cassettes audio, carnets). Elle protège l’œuvre musicale elle-même, susceptible d’être couverte par les droits d’auteurs et les droits voisins. musicale elle-même, susceptible d’être couverte par les droits d’auteur et les droits voisins. En Belgique, ces droits sont réglementés actuellement par diverses lois, notamment par les articles XI.164 et suivants du Code de Droit Economique.   

Par conséquent, la simple déclaration de Marvin Gaye selon laquelle Monsieur Dumoulin peut faire ce qu’il veut avec les choses qu’il lui a léguées, y compris les enregistrements ne suffit pas juridiquement à permettre la publication des chansons. D’abord, si cette déclaration semble indiquer une certaine permission informelle, elle ne permet pas de prouver qu’il y’a bien eu à l’époque une cession des droits d’auteur venant de Marvin Gaye, surtout en l’absence de contrat. En outre, elle ne remplace pas les droits légaux de propriété intellectuelle détenus par les enfants de Marvin Gaye. 

Les droits de propriété intellectuelle sur les chansons sont protégés par des lois spécifiques, comme la loi sur les droits d’auteur et les droits voisins en Belgique. Ces lois confèrent aux créateurs et à leurs ayants droit des droits exclusifs sur l’utilisation et la distribution de leurs œuvres. Ainsi, même si les cassettes physiques pourraient être considérées comme la propriété de la famille Dumoulin en vertu de la prescription acquisitive, les droits sur les chansons qu’elles contiennent demeurent entre les mains des enfants de Marvin Gaye, sauf si la famille Dumoulin prouve une cession des droits d’auteurs par Marvin Gaye. 

Pour publier ou utiliser légalement ces chansons, il est nécessaire d’obtenir l’autorisation des détenteurs de ces droits d’auteur, en l’occurrence les enfants de Marvin Gaye. C’est pourquoi toute collaboration avec eux est cruciale pour mener à bien des projets impliquant ces enregistrements. L’avocat Trappeniers a déjà pris des mesures en ce sens en contactant l’avocat des enfants de Marvin Gaye, démontrant ainsi une volonté de collaboration avec les ayants droit pour une utilisation appropriée de ces œuvres. 

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“La commune d’Ans peut-elle interdire les signes convictionnels ? Analyse de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne” 

Cour de justice de l’Union européenne, 28 novembre 2023

La question de la neutralité dans l’administration publique est un débat qui revient très souvent sur le devant de la scène. Toutefois, cette notion même de "neutralité" reste floue et non définie, faisant ainsi peser une insécurité juridique sur les administrations publiques belges qui n’ont, dès lors, pas connaissance de leur champ d’action. Dans la continuité, la Cour de justice de l’Union européenne a été saisie afin de répondre à la question de la discrimination que pourrait amener l’interdiction du port de signes convictionnels religieux ou philosophiques, dans la commune d’Ans. Analysons l’arrêt rendu et ses conséquences.

Thomas Thiry, étudiant en droit à l’UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Jogchum Vrielink, professeur à l’UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles, le 28 mai 2024.

MISE EN CONTEXTE DE L’ARRÊT ANALYSÉ 

En février 2021, OP, une juriste travaillant pour la commune d’Ans depuis 2016, a exprimé son souhait de porter le foulard islamique sur son lieu de travail. La demande a été rejetée par la commune qui décida, dans la foulée, d’interdire le port de tous signes ostensibles liés aux convictions philosophiques, politiques ou religieuses, en introduisant ce principe de neutralité dans son règlement de travail.  

OP a contesté cette interdiction devant le tribunal du travail de Liège, arguant qu’elle constituait une discrimination, étant donné qu’elle n’était en contact direct qu’avec les usagers du service public, puisqu’elle travaillait en back-office. Cette contestation basée sur une différence de traitement entre employés provient d’un principe que Madame OP a cru pouvoir tirer d’une jurisprudence antérieure de la Cour de justice, dans l’affaire Achbita. Le tribunal a soulevé la question de savoir si une neutralité absolue pour tous les agents, même ceux n’ayant pas de contact avec le public était légitime. Face au doute, ce dernier a décidé de saisir la Cour de justice de l’Union européenne pour obtenir un éclaircissement à propos de la Directive 2000/78 du Conseil de l’Europe portant création d’un cadre général, en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail que le tribunal mobilisait en vue rendre son jugement. 

Le tribunal belge a ainsi posé une question en deux parties, sur base de la Directive mentionnée, à la Cour de justice de l’Union européenne : 

Est-ce qu’il y a discrimination directe (1re point analysé) ou indirecte (2ième point analysé), dès lors que l’on autorise une administration publique à organiser un environnement de travail totalement neutre et partant ainsi, à interdire le port de signes à l’ensemble des membres du personnel, qu’ils soient ou non en contact direct avec le public?

LA DISCRIMINATION DIRECTE ET INDIRECTE : QUELQUES NOTIONS 

Afin de comprendre la décision prise par la Cour, il convient de savoir faire la distinction entre les deux faces de la discrimination : la discrimination directe et indirecte. 

Il y a discrimination directe lorsqu’une catégorie de personnes est moins bien traitée qu’une autre en raison d’une norme ou d’un règlement la visant directement. Le règlement d’une entreprise qui établirait que les femmes doivent travailler 2h de plus que les hommes par jour serait, par exemple, considéré comme étant de la discrimination directe. 

Il y a discrimination indirecte lorsqu’une mesure neutre en apparence est susceptible de défavoriser les personnes d’une catégorie par rapport à une autre. L’exemple qui accompagne souvent la discrimination indirecte concerne l’interdiction de tous les animaux dans les cafés et restaurants. La mesure parait anodine mais discrimine pourtant de façon indirecte et déguisée les personnes malvoyantes se déplaçant à l’aide d’un chien d’assistance qui ne pourront alors plus profiter de ces établissements. 

LA RÉPONSE DE LA COUR CONCERNANT LA DISCRIMINATION DIRECTE  

Cette distinction étant faite, plongeons-nous dans la réponse que la Cour de justice de l’Union européenne donne à la première question 

Tuons tout suspens, celle-ci est franche : une règle interne édictée par un employeur qui interdit sur le lieu de travail le port de tout signe visible de convictions, notamment, philosophiques ou religieuses, n’est pas constitutive d’une telle discrimination directe“.  

La Cour justifie cette prise de position en exposant que le règlement de travail écrit par la commune d’Ans vise de façon indifférenciée toutes les manifestations, toutes les convictions et, in fine, traite ainsi de façon identique tous les travailleurs de l’entreprise sans distinction aucune. 

LA RÉPONSE DE LA COUR CONCERNANT LA DISCRIMINATION INDIRECTE  

La Cour souligne, ici, que selon une jurisprudence constante, une règle interne interdisant sur le lieu de travail le port visible de tout signe de convictions, notamment, philosophiques ou religieuses, est susceptible de constituer une différence de traitement indirectement fondée sur la religion ou sur les convictions“. 

La Cour précise toutefois que pour que cette discrimination indirecte soit établie, il faut que le règlement pris par la commune soit en apparence neutre mais que les obligations qu’il comporte aboutissent, de facto, concrètement, à un désavantage “pour les personnes adhérant à une religion”. 

Toutefois, face à cette mise en garde, la Cour rappelle qu’une telle différence de traitement ne sera pas considérée comme étant indirectement discriminatoire si celle-ci poursuit un objectif légitime. Ce critère de légitimité sonne ainsi comme le point d’orgue de l’arrêt. 

LE GRAND PRINCIPE DE LÉGITIMITÉ 

Face à ce grand principe de légitimité, la Cour se mouille sans trop se mouiller.
Celle-ci considère à la fois que l’objectif de “neutralité exclusive” poursuivi par une administration publique peut être légitime, mais considère en même temps que l’inverse, à savoir le choix d’une autre administration publique de pratiquer une politique de “neutralité indifférenciée” ou “inclusive” peut également être considéré comme étant légitime. La Cour reste ainsi à l’écart et préfère passer le relais aux États en mobilisant la large marge d’appréciation que ceux-ci possèdent face à cette question épineuse. 

La Cour de justice de l’Union européenne admet ainsi toutes les positions de la neutralité, de la plus souple à la plus ferme. De ce fait, la Cour reconnaît la légitimité tant du choix d’une commune d’interdire tous les signes religieux – neutralité exclusive – que de celui d’une autre d’autoriser leur port et ce, même en présence de citoyens – neutralité indifférenciée. 

La Cour se prononcera toutefois de façon un peu plus précise quant à la question de la distinction de traitement entre les travailleurs qui sont en contact avec les usagers du service public et les employés de “back-office” qui ne sont en contact qu’entre eux. Alors que Madame OP qualifiait cette distinction de traitement de règlement “à géométrie variable”, la Cour, elle, relève que “l’objectif légitime consistant à assurer, à travers une politique de “neutralité exclusive”, (…) un environnement administratif totalement neutre ne saurait être efficacement poursuivi que si aucune manifestation visible de convictions, notamment, philosophiques ou religieuses, n’est admise lorsque les travailleurs sont en contact avec les usagers du service public ou sont en contact entre eux puisque le port de tout signe, même de petite taille, compromet l’aptitude de la mesure à atteindre l’objectif prétendument poursuivi et remet ainsi en cause la cohérence même de cette politique” 

En d’autres termes, lorsqu’une administration décide d’appliquer la “neutralité exclusive” et donc d’interdire à tous ses employés et ce, de façon indifférenciée, le port de signes convictionnels, elle ne peut pas, selon la Cour, faire de différence ou de distinction de traitement. C’est tout ou rien : le règlement doit s’appliquer de la même façon à tous les employés qu’ils soient ou non en contact direct avec le public. 

UN ARRÊT QUI RÉSOUT MOINS DE QUESTIONS QU’IL N’EN POSE 

Dès lors, il semble toutefois intéressant de constater que la Cour n’apporte pas de réponse nette face à la double question posée par le Tribunal du travail de Liège. La Cour évoque, tout au long de son arrêt, sa vision du principe de neutralité, tantôt extrêmement libérale, tantôt plutôt conservatrice mais décide, au moment de conclure, de passer le relai aux États, en se retranchant derrière leur marge d’appréciation. 

La neutralité prend alors un sens quelque peu ambigu : le terme est utilisé de la même façon lors de situations totalement opposées et ceci, selon la Cour, peut également s’appliquer à l’intérieur d’un État membre, pour des entités infra-étatiques. Dans cette optique, la Cour déclare que “chaque État membre, y compris, le cas échéant, ses entités infra-étatiques, dans le respect des compétences qui leur sont reconnues, doit se voir reconnaître une marge d’appréciation dans la conception de la neutralité du service public qu’il entend promouvoir sur le lieu de travail.” 

Le constat face à cela est sans appel en Belgique : la marge d’appréciation étatique descend d’un niveau et vient se loger auprès des administrations publiques qui disposent alors du plein pouvoir d’appréciation et pourront ainsi placer le curseur de neutralité façon Cour de justice de l’UE au degré qu’elles souhaitent.  

La Cour érige ainsi la marge d’appréciation comme critère essentiel face à la question de la neutralité et ce, dans le but que chaque État ou, en Belgique, chaque administration communale puisse faire usage de celle-ci “compte tenu du contexte qui est le sien, pour autant que cette règle soit apte, nécessaire et proportionnée au regard de ce contexte et compte tenu des différents droits et intérêts en présence.” 

En conclusion, puisque la Belgique et la Cour de justice de l’Union européenne ne parviennent ni à un consensus ni à clarifier la situation, des décisions communales antinomiques ont été prises et l’insécurité juridique, autrement dit, la perte de repères fixes se fait déjà ressentir. Concrètement, d’un côté, Anderlecht a choisi d’autoriser le port de signes convictionnels et de l’autre côté, Ans l’a interdit. Les deux agissent sous la notion de la “neutralité”, dans le respect de la loi et de leur marge d’appréciation mais dans deux sens pourtant bien différents. 

C’est tout le paradoxe de l’arrêt qui a été rendu : bien que celui-ci ait eu pour but de répondre à un vide juridique, à une question posée par un tribunal, il rend, en réalité, encore plus floue la politique européenne à appliquer au sein de nos communes. 

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Jordan Bardella déclare s’engager “à réécrire les traités européens” contre le ‘vonderleyisme’ si le RN remporte les élections européennes, jetant les bases pour les présidentielles de 2027 

Euractiv FR, 1 mars 2024

Lors d'une conférence de presse tenue à Paris le jeudi 29 février, Jordan Bardella, tête de liste du Rassemblement National (parti politique français d’extrême droite) pour les prochaines élections européennes, a présenté sa “stratégie tricolore” visant à “réécrire les traités” européens. À cette occasion, en présence de figures clés du parti, dont Marine Le Pen, Bardella a lancé un appel à “100 jours pour mobiliser, 100 jours pour gagner”, plaçant ainsi l'élection du 9 juin 2024 comme un pas important vers les présidentielles de 2027. En ciblant le ‘vonderleyisme’, il défie les courants libéraux européens ainsi que les partis de centre gauche et centre droite et envisage une profonde réforme institutionnelle en cas de victoire.

Safae El Bouzakhi, étudiante en droit, UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Nicolas de Sadeleer, professeur à l’UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles, le 28 mai 2024.

À l’approche des élections européennes prévues pour le 9 juin 2024, les partis politiques clarifient leurs ambitions en cas de succès électoral. Jordan Bardella, pour le Rassemblement National, a annoncé que son parti proposerait de réviser les traités européens si celui-ci remportait les élections. Ce discours de révision des traités n’est pas sans rappeler les promesses antérieures de leaders politiques comme Emmanuel Macron qui voulait moderniser l’Union européenne en créant un budget commun pour les pays utilisant l’euro et en augmentant la collaboration entre les pays sur les questions de défense et de sécurité ou encore celles de François Hollande qui souhaitait améliorer la gestion de l’économie européenne en renforçant les règles financières et fiscales. Cependant, d’un point de vue juridique, il convient de souligner que “réécrire les traités” n’est pas aussi simple que cela puisse paraître, même en cas de victoire électorale. 

Pour commencer, il convient d’expliquer que les traités européens, adoptés à l’unanimité par les États membres, constituent le fondement juridique de l’UE. En effet, ils établissent les règles principales, déterminent le fonctionnement de l’UE et fixent ses objectifs. La révision de ces traités, essentielle pour l’avancement et l’adaptation de l’UE aux nouveaux défis, est rendue possible par deux procédures spécifiées dans l’article 48 du TUE : une procédure ordinaire pour des changements majeurs et une procédure simplifiée pour des modifications plus spécifiques.  

Le parcours dynamique de la procédure Ordinaire 

La procédure ordinaire, véritable moteur du changement au sein de l’UE, est enclenchée par une proposition de révision qui pourrait être initiée par n’importe quel État membre de l’Union européenne, le Parlement européen (art. 14 TUE) ou la Commission européenne (art. 17 TUE). Une fois lancée, cette proposition serait examinée par le Conseil européen, lequel en informerait les parlements nationaux de chaque État membre. Cela marquerait le début d’un dialogue élargi, marquant l’importance de chaque voix au sein de l’UE.  

Ensuite, le Conseil européen (art. 15 TUE), rassemblant les chefs d’État ou de gouvernement, engagerait en son cœur une phase de consultation où la proposition de révision serait discutée avec le Parlement européen, la Commission européenne et la Banque centrale européenne en cas de questions monétaires. C’est à ce stade que le Conseil européen, requérant une majorité qualifiée, pourrait décider d’organiser une grande réunion, appelée “convention”, où différents représentants, incluant des députés nationaux, des eurodéputés et des fonctionnaires de la Commission, se réuniraient pour débattre et façonner en détails les changements proposés. Il est important de noter que cette phase, n’est que théorique et ne pourrait peut-être jamais être mise en œuvre. Néanmoins, cela illustre une possible voie future pour les révisions des traités. 

Lors de la convention, les idées fusent et les participants tenteraient de se mettre d’accord sur les modifications, qui seraient ensuite transmises à une Conférence intergouvernementale (CIG) chargée de sculpter les derniers détails et de finaliser l’accord sur les changements à apporter aux traités. Il est important de noter qu’en théorie, le Conseil européen pourrait choisir d’omettre l’étape de la convention si les modifications envisagées sont minimes. En pratique, compte tenu de l’ampleur des modifications souvent proposées, il serait difficile d’envisager de contourner l’organisation d’une convention. 

La dernière étape est à la fois cruciale et solennelle car une fois tout le monde d’accord et le consensus atteint au sein de la Conférence intergouvernementale, les modifications proposées devraient être ratifiées par tous les États membres pour entrer en vigueur. La ratification est le processus par lequel les États confirment formellement leur accord avec un traité ou une proposition législative. Il est essentiel de noter que la ratification se fait conformément aux règles constitutionnelles en vigueur dans chaque État membre. Cela implique que chaque pays doit suivre ses propres procédures légales et constitutionnelles pour approuver officiellement les modifications. Ces procédures peuvent inclure des votes par les parlements nationaux, des référendums populaires, ou d’autres méthodes requises par les lois nationales, garantissant ainsi que les modifications soient légitimement acceptées et intégrées au niveau national.  

Soulignons que l’entrée en vigueur des traités est aussi un processus qui peut s’avérer long et complexe, ce qui ne facilitera pas la tâche de Bardella.  

Quid de la procédure simplifiée ?  

Quant à la procédure simplifiée, elle est envisagée pour des changements plus spécifiques permettant de peaufiner les règles sans bouleverser les grands équilibres de pouvoir. Ici, le Conseil européen prendrait les choses en mains en examinant directement les propositions sans organiser de grande réunion (convention) ni de Conférence intergouvernementale. Après consultation rapide du Parlement européen et de la Commission, tous les pays membres devraient unanimement approuver les changements pour qu’ils puissent prendre effet et rendre l’application des traités aussi fluide qu’efficace. 

Il est crucial de reconnaitre le caractère exceptionnel de cette procédure qui n’a été utilisée qu’une seule fois pour la modification de l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La légalité de cette procédure a ensuite été affirmée par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt Pringle.  

Bien que totalement légale, cette procédure qui semble initialement être conçue pour des modifications spécifiques et ciblées requiert en réalité une analyse approfondie, rigoureuse et complète. En pratique, cela signifie que de nombreuses propositions qui débutent sous l’empire de la procédure simplifiée peuvent, en raison de leur complexité et de l’impact potentiel sur les structures de l’UE, nécessiter le passage à la procédure ordinaire qui est plus détaillée. 

En somme, les mécanismes de révision des traités européens sont des outils indispensables pour l’évolution et l’adaptation de l’Union européenne face aux défis contemporains, tout en préservant l’équilibre entre l’intégration et la souveraineté des États membres. Il apparaît clair que “réécrire les traités” n’est pas chose simple au vu du parcours semé d’embûches et de la nécessité d’une coopération absolue des autres États membres devant mener à une décision prise à l’unanimité. De ce fait, une victoire, encore incertaine, aux élections ne permet pas aux plus audacieux de contourner ces diverses procédures et leurs étapes successives, en déclarant pouvoir s’engager unilatéralement à modifier les traités européens.  

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LA N-VA SOUHAITE FAIRE EMERGER SON IDEE DU CONFEDERALIME EN WALLONIE, DE QUOI S’AGIT-IL ? 

VRT NWS, 3 décembre 2023

En décembre 2023, lors de l’émission ‘De Zevende Dag’ diffusée sur la VRT, Bart de Wever a été reçu et dit vouloir proposer une liste de candidats aux élections fédérales en Wallonie, en juin 2024. Il souhaite amener le débat du confédéralisme en Wallonie car il n’est porté par aucun parti politique francophone pour le moment. Bart de Wever a également abordé ce sujet lors d’une plus longue interview accordée à Het Laatste Nieuws.

Zoé Verstraete, étudiante en droit, UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Jogchum Vrielink et Julian Clarenne, professeurs à l’UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles, le 23 mai 2024.

INTRODUCTION 

Après ces affirmations en décembre 2023, la N-VA a annoncé il y a quelques semaines que le projet se concrétisait et a présenté la tête de liste du Barbant-Wallon : Drieu Godefridi. Finalement, c’est le 16 avril 2024 que la N-VA a introduit l’ensemble des candidats qui figureront sur ses listes électorales en Wallonie. 

Cet article aura pour but de présenter les caractéristiques du confédéralisme, d’en exposer ses éventuelles conséquences et d’ensuite comparer cela au confédéralisme imaginé par la N-VA. Il sera également envisagé si cela peut être instauré en Belgique et si cela nécessite une révision de la Constitution.

LE CONFEDERALSIME 

DE QUOI S’AGIT-IL ? 

Le confédéralisme est une structure institutionnelle, “ il s’agit d’une association d’États qui, de leur propre initiative, décident de gérer en commun certaines tâches, comme la défense militaire, et/ou de régler en commun certains domaines, tel le commerce extérieur. A cette fin, ils abandonnent une partie de leur souveraineté au profit d’organes communs ”. (UYTTENDAELE, M. et VERDUSSEN, M., Dictionnaire de la Sixième Réforme de l’État, Bruxelles, Larcier, 2015, p. 245.) 

Dans le cas d’un État fédéral, un État décide de créer des collectivités politiques auxquelles la Constitution délègue certaines compétences législatives. C’est le régime institutionnel qui s’applique en Belgique. Les régions et les communautés ont été créé et doté de compétences propres par la Constitution (par exemple ; l’enseignement est une compétence communautaire).  

Dans le cas du confédéralisme, il s’agit de différentes collectivités indépendantes qui décident de travailler ensemble sur certaines compétences. La proposition du confédéralisme émise par la N-VA aurait pour conséquences que la Flandre et la Wallonie disposent de toutes les compétences d’un État et que celles-ci décident de mettre en commun certaines compétences au niveau fédéral quand elles estiment cela opportun et nécessaire, il s’agirait notamment de la défense, la réduction de la dette nationale et la coordination de la politique étrangère. La N-VA souhaite donc inverser la tendance actuelle. 

Pour illustrer cela, on pourrait prendre l’exemple de l’Union Européenne qui, bien que l’Union ne soit pas une confédération stricto sensu, a pour but de réunir certains États afin qu’ils travaillent et gouvernent certaines matières ensemble. Les États membres de l‘organisation décident d’abandonner une partie de leur souveraineté afin de mettre en commun une ou plusieurs compétences. Dans le cadre de l’Union Européenne, on peut prendre l’exemple de la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro (article 3, §1, c) du TFUE). 

LES CARACTERISTIQUES 

On peut relever certaines caractéristiques du modèle confédéraliste, présentées par la doctrine, qui le distingue notamment du modèle fédéral. Ces caractéristiques sont ensuite examinées afin de de vérifier si elles sont prévues par le projet de la N-VA. 

Premièrement, les traités internationaux, et plus généralement toutes les décisions qui doivent être prises, ne peuvent être adoptés et modifiés qu’à l’unanimité des États confédérés. Il s’agit donc d’un droit de véto que chaque État membre conserve. La N-VA propose un “grondverdrag” qui prévoit les règles de base de la confédération, les droits et libertés fondamentales de tous les habitants de la confédération et les compétences que la Flandre et la Wallonie continueraient à partager.  

En second lieu, la confédération n’est compétente que dans certains domaines/compétences déterminées. Elle ne peut agir que pour les matières spécifiquement attribuées à la confédération. La N-VA s’inspire de l’exemple de l’Union européenne dans la gestion de la division des compétences ; certaines compétences sont exercées par l’Union et certaines par les États membres afin d’adapter au mieux la politique au souhait des citoyens. 

Ensuite, il n’existe pas de lien direct entre l’État et les organes communs de la confédération. La caractéristique suivante prévoit que les États membres conservent la nationalité de l’État. 

Finalement, la dernière caractéristique prévoit que les États membres ont un droit de sécession. Il s’agit du droit de quitter la confédération.  

Dans la cadre du projet de confédéralisme, proposé par la N-VA, que se passerait-il pour Bruxelles ? Elle serait ‘responsabilisée’. La N-VA propose que celle-ci soit en charge des compétences territoriales et la Flandre et la Wallonie seraient responsables des compétences personnalisables à Bruxelles. 

La N-VA propose de maintenir un “Belgische Raad” (Conseil belge) et un gouvernement belge, qu’elle met en comparaison avec le Conseil européen et la Commission européenne de l’Union. Il s’agirait du parlement et du gouvernement actuel qui compteraient moins de membres.  

(UYTTENDAELE, M. et VERDUSSEN, M., Dictionnaire de la Sixième Réforme de l’État, Bruxelles, Larcier, 2015, p. 245 à 250.) 

UN BASCULEMENT VERS LE CONFEDERALISME ? 

Dans le cas où les élections se déroulent comme espérées pour la N-VA, est-il réellement possible d’envisager le basculement vers le confédéralisme en Belgique et cela sans modifier la Constitution ? Si l’on souhaite rester quelque peu dans les cadres légaux et si l’on veut bénéficier de la collaboration politique des autres régions et communautés du pays, faudrait-il en principe passer par la procédure officielle  

Ensuite, la N-VA formule une réponse à la question suivante: comment s’envisagerait le confédéralisme d’un point du vue juridique ? Est-il possible de l’instaurer sans que les articles concernés de la Constitution aient été mis à révision ? La N-VA est d’avis que si les politiques le souhaitent vraiment, le confédéralisme pourrait être instauré sans modifier la Constitution. Cela avait également été présenté comme “faisable” (en modifiant seulement certaines lois spéciales) il y a quelques années, par certains. 

La N-VA affirme donc que le confédéralisme peut être introduit en dehors de la Constitution.  L’article 1 de la Constitution Belge étant : “La Belgique est un État fédéral qui se compose de communautés et de régions”, il n’est pas possible en droit de basculer au confédéralisme sans modifier la Constitution.  

Afin de réviser de la Constitution, l’article 195 prévoit le déroulement de la procédure de révision. Elle s’effectue en trois étapes : le vote de la déclaration de révision, la dissolution des Chambres et leur renouvellement après les élections et enfin le vote de la révision proprement dite. Dans ce cas, ce ne serait logiquement pas possible en juin 2024.  

La N-VA a néanmoins proposé la réouverture complète de la Constitution, c’est-à-dire la proposition de porter l’ensemble des articles à révision. Toutefois, il est peu probable qu’une majorité des 2/3 (comme exigée par la Constitution) soutienne cette proposition. Finalement, le 3 mai 2024, la déclaration de révision a été votée et celle-ci inclut l’article 195. 

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Déchéance de nationalité, possible?

RMC Sport, 19 octobre 2023

La sénatrice Valérie Boyer, membre des Républicains, un parti politique français de droite, réclame la déchéance de nationalité pour Karim Benzema. À la suite de ses déclarations critiquant la France en soutien aux Palestiniens, Karim Benzema est qualifié de "proche des Frères Musulmans" par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Dans un communiqué, Valérie Boyer estime qu'un binational français ne devrait pas déshonorer ou trahir le pays de cette manière. Une telle situation pourrait-elle se produire en Belgique ?

Ruben Ngan-be et Oumaima El bouzaidi , étudiants en droit, UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain et Jogchum Vrielink professeurs à l’UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles, le 9 mai 2024.

Pour la sénatrice française, Valérie Boyer, il faut déchoir Karim Benzema de sa nationalité française comme sanction à ses supposés “liens notoires ” avec les frères musulmans. 

En octobre dernier, Karim Benzema crée la polémique avec un tweet sur les bombardements à Gaza, suscitant des réactions politiques. Dans son tweet sur la plateforme X, l’ancien joueur du réal Madrid exprimait ses prières pour les victimes de bombardements ayant eu lieu à Gaza :  toutes nos prières pour les habitants de Gaza victimes une fois de plus de ces bombardements injustes qui n’épargnent ni femmes ni enfants  

De nombreuses réactions politiques s’en sont suivies, notamment celles du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et de la sénatrice Valérie Boyer.  

Gérald Darmanin a clairement accusé le jouer d’entretenir  des liens notoires  avec les frères musulmans. À la suite de cette déclaration du ministre de l’Intérieur, c’est Valérie Boyer qui s’exprime à son tour dans un communiqué :  si les propos du ministre de l’Intérieur sont avérés, nous devons envisager des sanctions contre Karim Benzema. Une sanction d’abord symbolique, serait de lui retirer son Ballon d’or. Enfin, nous devons demander la déchéance de nationalité ”.  

La sénatrice demande explicitement le retrait du ballon d’or du joueur et réclame la déchéance de sa nationalité française.  

La question soulevée est de savoir si exprimer ses opinons sur les réseaux sociaux justifie la déchéance de nationalité d’un citoyen ? Plus précisément, quelles sont les modalités de déchéance de la nationalité en droit belge ?  

Bien que la réponse à cette question semble claire, elle nécessite quelques explications supplémentaires.  

Qu’en est-il plus précisément dans le système juridique belge ?  

La nationalité est le lien juridique entre un individu et un État, basé sur des faits sociaux, une solidarité et une réciprocité de droits et de devoirs. Selon les principes du droit international, elle indique l’appartenance à la population d’un État, entraînant des implications juridiques et conditionnant l’accès à d’autres droits.  

Selon Christelle Macq, la déchéance de la nationalité qui a longtemps été délaissée, suscite un regain d’intérêt dans les pays occidentaux ces dernières années. Cela est justifié par des préoccupations sécuritaires. Au sein de l’Union européenne, plusieurs États membres ont introduit ou élargi les dispositions relatives à la déchéance de la nationalité et le droit belge n’échappe pas à cette évolution. Depuis 2006, les modifications apportées au champ d’application de la déchéance de la nationalité belge ont tendance à l’élargir. Parallèlement, on observe une augmentation de sa mise en œuvre. 

Déchéance de la nationalité belge : modalités  

Les règles relatives à la déchéance de la nationalité belge sont définies par les articles 23 et 23/1 du Code de la nationalité belge.  

Concernant l’attribution ou l’obtention de la nationalité, celle-ci est accordée aux enfants de moins de dix-huit ans sous réserve du respect de certaines conditions énoncées dans le code de la nationalité belge et elle peut être demandé après l’âge de dix-huit ans selon plusieurs critères.  

L’objet de notre attention est la déchéance de nationalité, plus précisément, la question de savoir si un citoyen peut être déchu de sa nationalité suite à l’expression de ses opinions sur une plateforme publique.   

En droit belge, l’article 23 du Code de la nationalité énonce deux situations dans lesquelles la nationalité peut être déchue. Premièrement, le ministère public peut demander la déchéance de la nationalité d’un citoyen ayant gravement manqué à ses devoirs de citoyen belge. Deuxièmement, la déchéance peut être demandée dans le cas où elle a été acquise de manière illégale.  

En outre, l’article 23/1 énonce diverses situations dans lesquelles il est possible de demander la déchéance de la nationalité. Celle-ci peut être décidée par un juge sur demande du ministère public notamment si un individu a été condamné à une peine d’emprisonnement d’au moins cinq ans suivant l’obtention de la nationalité belge. Cette mesure ne peut être prise si elle rend la personne apatride, sauf si la nationalité a été obtenue de manière frauduleuse. Une fois prononcée et enregistrée, la déchéance prend effet. Une personne déchue de sa nationalité belge ne peut redevenir belge que par naturalisation.  

Cependant, il est important de noter que la situation de Karim Benzema suscite une controverse, car certains soutiennent qu’il possède la double nationalité franco-algérienne, tandis que d’autres, comme son avocat, affirment qu’il n’a qu’une seule nationalité. D’après son avocat, bien que Karim Benzema puisse prétendre à la nationalité algérienne de ses parents, il n’aurait pas formalisé cette acquisition.  

Dans le premier scénario, où une personne détient deux nationalités, il est possible de lui retirer sa nationalité selon les procédures mentionnées, ce qui laisserait Karim Benzema avec la seule nationalité algérienne. Dans le deuxième scénario, si Karim Benzema possède juste la nationalité française, comme affirmé par son avocat, la déchéance de la nationalité n’est pas envisageable en raison des conventions internationales ratifiées par la Belgique et la France. Dans ce cas, elle placerait effectivement l’intéressé dans une situation d’apatridie, ce qui est interdit par la Convention internationale sur le statut des apatrides signée à New York le 28 septembre 1954, la Constitution belge et le Code de la nationalité belge.  

De plus en plus, face aux nombreux conflits dans le monde, on observe l’émergence de politiques publiques visant à retirer la nationalité à certaines personnes associées à des organisations, comme illustré par l’affaire récente, en Belgique, de Mohamed Khatib. La décision, prise par la ministre belge la Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, Nicole De Moor (CD&V), de révoquer le statut de réfugié de Mohammed Khatib en raison de ses activités politiques est critiquée. Elle soulève des préoccupations quant à l’impact sur les libertés civiles et appelle à protéger les droits fondamentaux tels que la liberté d’expression et le droit de soutenir la cause palestinienne sans crainte de répression. 

In fine, en droit belge, les propos tenus par Valérie Boyer semblent juridiquement incorrects.  

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Zuhal Demir: “Ce n’est pas aux juges de prendre des décisions politiques” 

Zuhal Demir, 1er décembre 2023

Ce premier décembre 2023, Zuhal Demir, ministre flamande (N-VA) de la Justice, de l’Environnement, de l’ Energie et du Tourisme, a décrété, en parlant de la décision d'appel de l’ affaire Klimaatzaak (“l’affaire climat”), “ce n’est pas aux juges de prendre des décisions politiques” (traduction française de “Het is niet aan rechters om politieke beslissingen te nemen”).

Joséphine Paternotte, étudiante en droit, UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain et Jogchum Vrielink, professeurs à l'UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles, le 9 mai 2024.

Tout commence en 2014, lorsque l’ASBL Klimaatzaak envoie une mise en demeure aux quatre autorités belges en leur demandant de respecter leurs engagements à réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre par rapport à celles enregistrées en 1990. Après de longs rebondissements, le procès a lieu du 16 au 26 mars 2021 et le jugement est rendu le 17 juin 2021. Le tribunal de première instance de Bruxelles déclare les quatre autorités publiques belges responsables d’une politique climatique défaillante. Cependant, le juge n’impose aucun objectif aux pouvoirs publics.   

L’ASBL Klimaatzaak, non satisfaite de ce jugement, interjette appel et, le 30 novembre 2023, l’arrêt est rendu. Il est historique : l’État belge, la Région flamande et la Région de Bruxelles-Capitale sont condamnés à prendre des mesures afin de diminuer les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55% par rapport à 1990, afin de prévenir la survenance d’un dommage futur et certain, dont une partie est déjà réalisée, et pour assurer l’effectivité de la protection des articles 2 et 8 de la CEDH.  La Région wallonne n’est, quant à elle, pas condamnée alors qu’elle l’avait été en première instance, car la cour d’appel estime qu’elle avait fait les progrès nécessaires entretemps. 

Lorsque Zuhal Demir annonce qu’elle introduit un pourvoi en cassation contre cet arrêt, elle explique que ce n’est pas aux juges de prendre des décisions politiques”., “le tribunal [a] fait une déclaration politique” et “Il s’agit de la séparation des pouvoirs et de la démocratie”. Cependant, ses propos ne sont pas juridiquement corrects et sont, dès lors, à nuancer. 

A première vue, la cour d’appel, en jugeant un autre pouvoir et en lui prescrivant ce qui doit être fait, peut donner un sentiment de non-respect du principe de la séparation des pouvoirs. Zuhal Démir précise que la politique climatique est une affaire politique. Cependant, c’est là tout l’objet de l’affaire Klimaatzaak, n’y a-t-il pas moyen de sanctionner les pouvoirs publics s’ils ne respectent pas leurs engagements ?  

La Cour s’est longuement exprimée dans son arrêt à propos de sa compétence. Elle n’estime pas qu’il y avait là une violation du principe général de droit qu’est le principe de la séparation des pouvoirs. Elle se base sur de nombreuses jurisprudences, dont les conclusions du procureur général Velu (1980) qui affirmait que le pouvoir judiciaire était le gardien naturel de tous les droits subjectifs et qu’il avait la mission d’ordonner la réparation des atteintes illicites portée à ces droits. Depuis ces conclusions, il est largement admis que le pouvoir judiciaire a le pouvoir de réparer toute atteinte illicitement portée par des autorités publiques à des droits subjectifs. De plus, le pouvoir judicaire peut prendre des mesures pour y mettre fin avec, pour autant, interdiction d’obliger les autorités publiques à prendre certaines mesures précises, devant laisser à celles-ci le choix des mesures à mettre en œuvre pour atteindre le résultat imposé. En 2014 et, plus récemment en 2022, la Cour de cassation a reconfirmé que le juge, qui, aux fins de rétablir entièrement dans ses droits une partie lésée, ordonne la réparation en nature de son préjudice en prescrivant à l’administration de prendre des mesures destinées à mettre fin à l’illégalité dommageable, doit indiquer l’illégalité à laquelle ces mesures doivent mettre fin et, sans priver cette autorité de sa liberté d’appréciation ni se substituer à celle-ci, préciser leur portée de sorte qu’il ne puisse susciter pour cette administration aucun doute raisonnable”. 

Cela signifie que le pouvoir judiciaire peut ordonner la réparation d’un préjudice commis par le pouvoir exécutif, sans avoir cependant le droit d’imposer des actes que seule l’autorité compétente peut effectuer.  

En outre, la Cour d’appel a estimé que le fait qu’il y ait là une violation des articles 2 et 8 de la CEDH et 1382 et 1383 du Code civil, a pour conséquence qu’imposer aux autorités une injonction qui aurait pour but de retirer l’atteinte illicite aux droits individuels ne serait pas contraire au principe de la séparation des pouvoirs. 

Dans l’affaire Klimaatzaak, le juge de la cour d’appel a prononcé une injonction d’atteindre l’objectif de –55% de CO2 à l’encontre du pouvoir exécutif, l’assortissant d’une astreinte, mais lui laisse l’entière liberté sur la façon d’atteindre cet objectif, respectant de ce fait les conditions fixées par la Cour de cassation. 

Au vu de ce qu’il précède, les propos de Zuhal Demir ne sont pas juridiquement corrects, la jurisprudence ayant longuement, et à plusieurs reprises, affirmé que, sous réserve de certaines interdictions, le pouvoir judiciaire pouvait donner des injonctions aux autorités publiques. 

Alexander De Croo, Premier ministre, n’a pas souhaité se pourvoir en cassation, estimant qu’il était important de passer à l’énergie verte, et qu’il ne souhaitait pas passer du temps à discuter de l’arrêt. 

Contactée par nos soins, Zuhal Démir n’a pas répondu à nos sollicitations. 

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Une première à Bruxelles : Une entreprise condamnée pour absence de politique de prévention de la discrimination  

Bx1, 27 novembre 2023

L’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes a intenté une action en justice contre une entreprise au sein de laquelle une stagiaire avait signalé le comportement déplacé, déjà dénoncé auparavant par d’autres femmes, d’un de ses collègues. Cette action a donné lieu à une décision de la Cour du travail de Bruxelles qui a rendu, le 4 septembre 2023, un arrêt sans précédent (en Belgique) condamnant cette entreprise pour discrimination indirecte envers les femmes, sous forme d’inadéquation des mesures de prévention et de protection contre le harcèlement sexuel.

Mais, concrètement, qu’est-ce qu’une discrimination indirecte ? En quoi l’inadéquation de mesures de prévention et de protection contre le harcèlement sexuel peut-elle en constituer une ?

Johan Alvarez et Emilie Dabire, étudiants en droit, UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Jogchum Vrielink, professeur à l'UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles, le 9 mai 2024.

Comment la non-discrimination au travail est-elle encadrée en Belgique ? 

Le 5 juillet 2006, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté conjointement la directive 2006/54/CE relative à l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière d’emploi et de travail. Cette directive a été transposée dans notre ordre juridique par la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes, dite “loi genre”.  

Discrimination directe et discrimination indirecte, quelle différence ? 

En vertu de l’article 5, 5° et 6° de la loi genre, il est question de discrimination directe lorsque deux personnes se trouvent, se sont trouvées ou auraient pu se trouver dans des situations comparables et que l’une d’entre elles est traitée moins favorablement que l’autre sur base d’un critère protégé, et ce sans que cette différence de traitement ne soit justifiée conformément à la loi.   

Les critères protégés établis par la loi sont : le sexe, la grossesse, la procréation médicalement assistée, l’accouchement, l’allaitement, la maternité, les responsabilités familiales, l’identité de genre, l’expression de genre, les caractéristiques sexuelles et la transition médicale ou sociale.  

Ainsi, le rejet d’une candidature à une offre d’emploi en raison du sexe du candidat est constitutif d’une discrimination directe. 

Par ailleurs, comme le dispose l’article 5, 7° et 8° de la loi genre, il est question de discrimination indirecte lorsque des personnes protégées risqueraient d’être particulièrement désavantagées par rapport à d’autres en raison d’une disposition, d’un critère ou d’une pratique neutre en apparence, et ce sans que ce traitement ne soit justifié conformément à la loi. 

Ainsi, le fait pour une entreprise de ne pas accepter de travailleurs à temps partiel sans justification objective et raisonnable peut être constitutif d’une discrimination indirecte à l’égard des femmes étant donné que ce sont, en règle générale, majoritairement ces dernières qui occupent des postes à temps partiel.  

Comment la Cour du travail est-elle arrivée à la conclusion que l’inadéquation des mesures de prévention et de protection contre le harcèlement sexuel constituait une discrimination indirecte ? 

Tout d’abord, pour argumenter sa demande de reconnaissance d’une discrimination indirecte, l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes se base, notamment, sur l’arrêt du 19 octobre 2017 de la Cour de Justice de l’Union européenne (arrêt Ramos).   

L’affaire Ramos concerne une infirmière à qui on a refusé l’octroi d’une attestation indiquant que le fait d’exercer certaines tâches liées à son poste présentait un risque pour l’allaitement de son enfant. La Cour de Justice de l’Union européenne a considéré que les risques liés à son poste n’ayant pas été évalués correctement, cette travailleuse et son enfant ont été privés de la protection dont ils devaient pouvoir bénéficier. Elle a considéré qu’il s’agissait d’un traitement moins favorable d’une femme lié à la grossesse et que cette différence de traitement était constitutive d’une discrimination fondée sur le sexe. 

Cette décision européenne a servi de base au raisonnement de la Cour du travail de Bruxelles, en partant du principe que si un employeur n’évalue pas les risques liés au travail ou s’il ne prend pas de mesures pour contrer ou diminuer ces risques et que cela porte préjudice à certains ou certaines de ses employé(e)s caractérisé(e)s par un critère protégé, on peut considérer qu’il y a une discrimination indirecte.   

La Cour du travail de Bruxelles poursuit sa réflexion sur les données du rapport de recherche sur le harcèlement sexuel dans l’Union européenne de mars 2018 qui établit que le harcèlement sexuel au travail est statistiquement davantage dirigé contre les femmes que contre les hommes. Elle en vient donc à considérer que de manière générale, les femmes sont davantage exposées au harcèlement sexuel que les hommes.   

Elle en déduit que l’inadéquation des mesures de prévention et de protection contre le harcèlement sexuel aura plus de conséquences sur les travailleuses que sur les travailleurs. Dans la continuité du raisonnement de l’affaire Ramos, ce traitement moins favorable constitue une discrimination fondée sur le sexe.  

Ensuite, la Cour constate, en l’espèce, qu’à la suite de la dénonciation des faits, l’entreprise concernée a mené un semblant d’enquête qui manquait de rigueur, d’objectivité et d’honnêteté et qui n’a permis ni d’infirmer ni de confirmer les faits dénoncés. Cette dernière a également porté plainte contre la plaignante pour l’intimider et s’est opposée durant trois mois à ce que la conseillère en prévention effectue une enquête interne ; laquelle a finalement contredit les conclusions de l’entreprise en établissant l’existence de dangers de harcèlement sexuel dans le contexte spécifique de travail au sein de l’entreprise, ainsi que l’absence de code de conduite définissant les comportements adéquats ou non adéquats, l’absence de mesures de prévention de harcèlement sexuel, l’absence de procédure de signalement d’un comportement déplacé, l’absence de procédure pour le traitement des plaintes et l’absence de toute analyse de risques.  

En conclusion, la Cour du travail de Bruxelles constate l’existence d’une discrimination indirecte au sein de l’entreprise, sous la forme d’inadéquation des mesures de prévention et de protection contre le harcèlement sexuel.  

Pour Michel Pasteel, le directeur  de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, “ce jugement est historique et constitue donc un précédent important. Les entreprises qui n’ont pas de politique en matière de comportements sexuels transgressifs, qui ne communiquent pas de manière transparente à ce propos ou qui ne la mettent pas en œuvre correctement enfreignent le droit relatif à la discrimination. L’employeur ne crée alors pas un contexte dans lequel les femmes peuvent compter sur un environnement de travail sûr, ce qui les empêche d’accéder au travail de la même manière que les hommes, ce qui est considéré comme une discrimination de genre du point de vue juridique”.  

Cette décision marque donc une nouvelle avancée dans la lutte contre la discrimination entre les hommes et les femmes au travail. Elle permet également de rappeler aux employeurs que les mesures contre le harcèlement sexuel ne sont pas négligeables et que les femmes doivent pouvoir se sentir autant en confiance que leur collègue de sexe opposé sur leur lieu de travail. 

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“La Cour européenne permet l’interdiction de l’abattage rituel sans étourdissement”

RTBF, 13 Février 2024

Récemment, un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme a attisé les débats en validant l'interdiction de l'abattage rituel sans étourdissement en Flandre et en Wallonie. L'abattage rituel, souvent réalisé sans étourdissement préalable de l'animal, suscite des préoccupations éthiques, notamment en ce qui concerne le bien-être animal. Nous allons donc tenter d’analyser l’arrêt afin de comprendre comment la cour a tranché la question.

Ruben Ngan-be et Maya Barakat, étudiants en droit, UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles et ULB // sous la supervision de Christine Guillain et Jogchum Vrielink professeurs à l’UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles, le 3 mai 2024.

Qu’est-ce que l’abattage rituel ? 

L’abattage rituel est une pratique religieuse importante pour les musulmans et les juifs. Il existe des règles strictes à respecter pour que l’abattage soit considéré comme halal ou casher. Il y a des similitudes entre les deux religions tels que : l’abattage doit être effectué par un individu qualifié et pratiquant la religion, l’animal doit être en bonne santé et ne pas souffrir de blessures. L’animal doit également être égorgé à l’aide d’un couteau aiguisé, d’un seul mouvement afin de minimiser la souffrance de celui-ci et enfin, il faut laisser l’animal se vider de son sang avant d’être dépecé. Il y a également des invocations religieuses qui doivent être prononcées lors de l’abattage.  

Sans ces « conditions », la viande ne peut pas être considérée comme étant halal ou casher.  Que signifie l’étourdissement à la lumière de ces règles religieuses ? Il y a de nombreuses autorités et croyants musulmans qui acceptent l’étourdissement réversible avant l’abattage, tel que l’étourdissement électrique ou par percussion. Il est cependant rare de trouver des croyants ou autorités juives qui approuvent cette pratique. Cette disparité découle de l’interprétation juive selon laquelle les animaux doivent être “sans blessure” au moment de l’abattage, ce qui rend les pratiques d’étourdissement préalablement à l’abattage strictement interdites. Toutefois, certaines autorités musulmanes en Belgique rejettent également chaque étourdissement, y compris les requérants devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).   

Précédents juridiques  

En 2019, des organisations représentatives des communautés musulmanes de Belgique ainsi que des autorités religieuses nationales et provinciales de la communauté musulmane turque et marocaine de Belgique, des ressortissants belges de confession musulmane et des ressortissants belges de confession juive qui résident en Belgique, ont déposé une demande d’annulation du décret flamand et du décret wallon devant la Cour constitutionnelle. Les décrets en question ont été adoptés, en 2017 et en 2018, par les régions flamande et wallonne. Ces derniers mettent fin à l’autorisation de l’abattage rituel d’animaux sans étourdissement, introduisant ainsi une obligation d’étourdissement réversible. La région de Bruxelles-Capitale n’est pas concernée et reste pour l’heure la seule en Belgique autorisant cette pratique.  

La Cour Constitutionnelle a posé des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur l’interdiction de l’abattage rituel sans étourdissement en Flandre. En 2020, la CJUE a déclaré que les États membres étaient libres d’imposer des règles supplémentaires pour protéger les animaux lors de l’abattage rituel, à condition de respecter la liberté religieuse. À la suite de cela, la Cour constitutionnelle belge a rejeté les recours contre les décrets contestés, estimant qu’ils n’enfreignaient pas la liberté religieuse ni le principe d’égalité et de non-discrimination. 

Les requérants, des ressortissants belges, musulmans et juifs, ainsi que des associations représentatives d’autorités nationales et provinciales des communautés musulmanes, ont dès lors décidé de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme. Ils continuent de protester contre les décrets adoptés, en 2017 et en 2018, par les régions flamande et wallonne.  

Les ressortissants invoquaient, plus particulièrement, que l’interdiction de l’abattage rituel sans étourdissement allait à l’encontre de leur rituel religieux et violait par conséquent l’article 9 consacrant la liberté religieuse de la Convention européenne des droits de l’Homme. Le gouvernement belge a soutenu que l’interdiction était justifiée par l’objectif de protection du bien-être animal. Il a également fait valoir que l’interdiction était proportionnée à cet objectif, compte tenu des alternatives disponibles, telles que l’étourdissement réversible. 

Les ressortissants invoquaient également que ces décrets violaient le principe d’égalité et de non-discrimination, en ce qu’ils traitaient de manière similaire les croyants juifs et musulmans soumis à des préceptes alimentaires religieux et les personnes qui ne sont pas soumises à ces mêmes préceptes. Le point sur la violation du principe d’égalité et de non-discrimination soulevé par les requérants peut être développé comme suit : 

  • Traitement similaire sans justification raisonnable : Les requérants soutiennent que les croyants juifs et islamiques sont traités de façon similaire à ceux qui ne suivent pas de préceptes religieux spécifiques en matière alimentaire, sans justification raisonnable. Ils considèrent cela comme une discrimination injustifiée.  
  • Traitement similaire entre les croyants juifs et islamiques : ils affirment que le décret ne fait pas de distinction entre les pratiques rituelles juives et islamiques, malgré leurs différences religieuses, ce qui ne tient pas compte de leurs particularités. 
  • Traitement différencié entre les pratiques religieuses et d’autres méthodes d’abattage : ils font valoir qu’il y a une disparité de traitement entre les personnes qui abattent des animaux pour des pratiques religieuses et celles qui les tuent pour d’autres raisons, comme la chasse, sans justification raisonnable, constituant ainsi une discrimination.  

Analyse de l’affaire 

L’arrêt de la CEDH est une décision importante qui aura des implications pour les pratiques religieuses en Belgique et dans d’autres pays européens. L’arrêt reconnaît l’importance de la liberté de religion, mais souligne que les États peuvent prendre des mesures pour protéger le bien-être animal, même si ces mesures affectent des pratiques religieuses. 

La Cour a jugé qu’en  « adoptant les décrets litigieux qui ont eu pour effet d’interdire l’abattage des animaux sans étourdissement préalable dans les régions flamande et wallonne, tout en prévoyant un étourdissement réversible pour l’abattage rituel, les autorités nationales n’ont pas outrepassé la marge d’appréciation dont elles disposaient ». Elle ajoute que la mesure est justifiée et proportionnée par rapport au bien-être animal. 

La Cour a également jugé que l’interdiction de l’abattage rituel sans étourdissement n’était pas discriminatoire à l’égard des musulmans et des juifs car l’interdiction était justifiée par l’objectif de protection du bien-être animal et a donc conclu à la non-violation de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme consacrant l’interdiction de discrimination. 

Contrôle de la Cour européenne des droits de l’Homme  

Le contrôle de la Cour suit un raisonnement né d’une jurisprudence constante. Pour qu’une ingérence à la liberté de religion soit compatible avec la Convention européenne des droits de l’Homme, elle doit être prévue par la loi, son but doit être légitime et l’ingérence doit être nécessaire et proportionnée dans une société démocratique.  

Prévue par la loi  

Premièrement, l’ingérence est belle et bien prévue par la loi, plus précisément, à travers l’article 15 du décret flamand pour la Région flamande et l’article 15, § 1 du décret wallon pour la Région wallonne. Par conséquent, cette loi est accessible et prévisible.  

But légitime  

Ensuite, l’article 9 de la Convention énumère les différents buts légitimes d’ingérence.  Dans ce cas, il s’agit de déterminer si la protection du bien-être animal peut être considérée comme l’un de ces buts légitimes.  

Bien que la Convention ne mentionne pas explicitement la protection du bien-être animal comme but légitime, la CEDH a reconnu que la protection des animaux est une question d’intérêt général protégée par la Convention. La Cour admet que la prévention de la souffrance animale peut justifier une restriction à la liberté de religion au nom de la protection de la morale. La Cour estime que la notion de “morale publique” ne se limite pas à la protection de la dignité humaine, mais englobe également le bien-être animal. Elle souligne que la Convention doit être interprétée à la lumière des conditions de vie actuelles et des valeurs contemporaines, et que la protection du bien-être animal est devenue une préoccupation croissante dans les sociétés démocratiques. Ainsi, la Cour reconnaît que la protection du bien-être animal peut être un objectif légitime au sens de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme.  

Nécessité dans une société démocratique 

La nécessité dans une société démocratique exige que toute restriction des droits fondamentaux, y compris la liberté religieuse, soit justifiée par des motifs impérieux et proportionnée aux objectifs légitimes poursuivis par les autorités. 

Concernant l’ingérence dans la liberté de religion, l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme garantit le droit à la liberté de religion, mais reconnaît que cet exercice peut être soumis à certaines limitations pour des motifs légitimes tels que la protection des droits et libertés d’autrui, la sécurité publique, l’ordre public, la santé publique ou la morale publique. Cependant, toute ingérence dans cet exercice doit être nécessaire dans une société démocratique, c’est-à-dire qu’elle doit répondre à un besoin social impérieux et être proportionnée au but légitime poursuivi. 

Marge d’appréciation des autorités nationales  

Les autorités nationales disposent d’une marge d’appréciation pour évaluer les besoins et contextes locaux, en particulier dans les questions de politique générale et les rapports entre l’État et les religions. Cela signifie que les tribunaux internationaux, tels que la CEDH, accordent généralement une certaine déférence aux décisions des autorités nationales, sauf en cas de violation flagrante des droits garantis par la Convention. 

Dans le cas d’espèce, la protection du bien-être animal est présentée comme un objectif légitime relevant de la “morale publique”, qui peut justifier une restriction à la liberté de religion. Les législateurs ont cherché à trouver un équilibre entre la protection du bien-être animal et la liberté de pratiquer sa religion, en introduisant des mesures alternatives telles que l’étourdissement réversible pour l’abattage rituel.    

Discrimination 

En ce qui concerne la violation du principe d’égalité et de non-discrimination, la Cour analyse les trois arguments des requérants : 

La situation des pratiquants juifs et musulmans souhaitant consommer de la viande issue de l’abattage rituel diffère de celle des chasseurs et pêcheurs qui tuent des animaux. La Cour considère que le contexte de mise à mort est significativement différent.  

Les requérants avaient également soutenu que le décret ne prend pas en compte les différences religieuses entre les pratiques rituelles juives et islamiques, ce qui néglige leurs particularités distinctes. La Cour européenne des droits de l’Homme, tout comme la Cour constitutionnelle belge, estime que la différence entre les préceptes alimentaires des communautés juive et musulmane ne justifie pas une considération distincte des croyants de ces religions par rapport à la mesure contestée en termes de liberté religieuse. 

Contrairement aux allégations des requérants concernant la discrimination injustifiée où ceux-ci allèguent que les croyants juifs et islamiques sont traités de manière similaire à ceux qui n’ont pas de préceptes religieux spécifiques en matière alimentaire, sans justification raisonnable, la Cour constate, avec le gouvernement belge, que les pratiquants juifs et musulmans ne sont pas traités de la même manière que ceux qui ne suivent pas de préceptes alimentaires religieux. En effet, les décrets contestés prévoient une méthode alternative d’étourdissement lorsque la mise à mort se fait selon des rituels religieux spécifiques, garantissant que l’animal ne soit pas tué par ce processus. 

Conclusion  

Après avoir examiné attentivement les mesures adoptées par les autorités nationales belges, au regard des différents arguments invoqués par les requérants, la Cour européenne des droits de l’Homme conclut que ces mesures ne dépassent pas la marge d’appréciation accordée aux États membres. En conséquence, il n’y a pas violation de l’article 9 ni de l’article 14 de la Convention dans ce cas spécifique.

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Un propriétaire se voit condamné par la Région bruxelloise en raison de l’inoccupation de son bien

Le Soir, 8 novembre 2023

Le 8 novembre 2023, un propriétaire a été condamné en raison de l'inoccupation de son bien immobilier. Après avoir ignoré un avertissement de la Région de Bruxelles-Capitale, la décision de condamnation a été prise par les autorités régionales. La secrétaire d'État Nawal Ben Hamou a exprimé son soutien face à cette mesure, soulignant ainsi l'importance de répondre aux avertissements officiels dans le cadre des régulations immobilières en vigueur.

Lucia Naredo et Emmanuelle Galassi, étudiantes en droit à l’UCLouvain et à l’UCLouvain Saint-Louis - Bruxelles, sous la supervision de Nicolas Bernard, professeur à l’UCLouvain Saint-Louis - Bruxelles, le 15 avril 2024.

En période où les logements se font rares, la secrétaire d’État Nawal Ben Hamou (PS) entend lutter contre les logements inoccupés. Le principal objectif est de remettre des biens sur le marché de la vente ou de la location afin de donner à toutes les personnes la chance de s’en procurer un. Parmi les instruments juridiques à disposition, existe une action en cessation (art. 23 du Code bruxellois du logement), c’est-à-dire une procédure judiciaire qui permet de faire cesser une infraction nuisant aux intérêts communs et, pour les biens inoccupés, de contraindre le propriétaire à mettre fin à la vacance de son logement. L’infraction immobilière peut ainsi cesser, par exemple, lorsque le propriétaire a repris l’occupation de son bien, l’a vendu ou l’a mis en location. Il est intéressant de préciser qu’une des particularités de l’action en cessation est qu’elle peut être lancée par une association. En effet, les associations visées à l’article 134 dudit Code, qui ont pour objectif la défense du droit au logement, peuvent accomplir des missions telles que fixées dans le Code bruxellois du logement. Une autre particularité de l’action en cessation est que le juge peut assortir sa condamnation d’une astreinte.  

Cette action est prévue depuis 2009 dans le Code bruxellois du logement, mais, peu de condamnations ont été prononcées jusqu’à présent. La condamnation récente d’un propriétaire mérite dès lors qu’on se penche sur la problématique de l’inoccupation immobilière.  

Qu’est-ce que l’inoccupation immobilière et à partir de quand y a-t-il infraction ? 

L’interdiction de l’inoccupation immobilière en droit belge, comme dans d’autres pays, trouve son origine dans la volonté de lutter contre la pénurie de logements et d’encourager l’utilisation efficace des biens immobiliers. L’inoccupation immobilière est néfaste tant pour des raisons sociales qu’économiques. Des mesures législatives et réglementaires ont dès lors été introduites pour prévenir et réduire le nombre de vacances immobilières, favorisant ainsi une meilleure utilisation des ressources immobilières.  

La compétence du logement a été régionalisée. Il appartient de ce fait aux autorités régionales de légiférer en la matière. Pour la Région de Bruxelles-Capitale, c’est le gouvernement bruxellois qui met en place les mesures relatives à l’inoccupation immobilière. 

Au sens de l’article 19/2 du Code bruxellois du logement, un logement inoccupé est “l’immeuble qui n’est pas occupé conformément à sa destination en logement depuis plus de douze mois consécutifs”. Le Code nous précise donc que pour que les services publics puissent agir, l’inoccupation doit durer au minimum douze mois de manière consécutive. L’infraction immobilière démarre de ce fait à partir de la fin du douzième mois d’inoccupation. 

L’article 19/3 du Code bruxellois du logement nous donne les critères de présomption d’inoccupation, à savoir les logements : 1° qui ne font l’objet d’aucun titre de résidence principale ; 2° ou aucun bail d’habitation n’a été enregistré ; 3° qui ne disposent pas du mobilier indispensable à son occupation ; 4° ou la consommation d’eau et d’électricité sont inférieur à une certaine valeur par an ; 5° qui ne peuvent pas être mis en location depuis plus de douze mois ; 6° déclarés inhabitables depuis plus de douze mois ; 7° ayant fait l’objet d’un procès-verbal d’infraction urbanistique suite à une modification illicite de la destination. 

Comment se déroule la constatation de l’infraction ?  

Selon l’article 20 du Code bruxellois du logement, il y a quatre étapes pour qu’un propriétaire soit considéré en infraction. 

Tout d’abord, le propriétaire sera confronté à la constatation de l’inoccupation, où un agent du Service régional des logements inoccupés repère les infractions après une plainte ou de sa propre initiative. Il est important de noter que ces agents doivent respecter des plages horaires spécifiques, entre 8 heures et 20 heures, et prévenir les propriétaires avant leur visite.  

Une fois l’infraction présumée constatée par procès-verbal, le Service régional des logements inoccupés envoie un avertissement au propriétaire. Si après 12 mois, le logement est toujours inoccupé, la Région bruxelloise informe les propriétaires qu’ils sont en infraction. Le propriétaire du logement inoccupé dispose de 3 mois pour la contester, à partir de l’envoi de l’avertissement. Le propriétaire peut ainsi indiquer que le bien n’était pas inoccupé ou que l’inoccupation était justifiée pour des raisons indépendantes de sa volonté ou pour un cas de force majeure, voire pour des raisons liées à la réalisation de gros travaux. En résumé, lorsqu’un propriétaire a un bien qui reste inoccupé plus de 12 mois, il ne sera pas d’office sanctionné. Il a toujours la possibilité de démontrer qu’il y avait de bonnes raisons que son bien immobilier soit inoccupé. Dans ce cas-là, l’action en cessation prendra fin n’ayant plus d’objet. Néanmoins, si après le délai de 3 mois, le propriétaire n’a pas contesté l’infraction qu’on lui reproche, il se verra imposer une amende administrative. Une fois l’amende envoyée, le propriétaire peut dans un délai de 30 jours, introduire un recours. Le Gouvernement ou le fonctionnaire délégué à cette fin devra, dans un délai de trente jours à dater de la réception du recours, se prononcer sur l’inoccupation et l’imposition d’une amende. Si aucune décision n’est prise, l’amende ne pourra pas être imposée.    

Une fois l’amende imposée, le service régional des logements inoccupés contrôle la situation du logement jusqu’à son occupation. De ce fait, une fois l’occupation constatée, l’infraction cesse. 

Quelques chiffres  

Le nombre d’habitations inoccupées est difficile à chiffrer mais certains estiment qu’il existe environ vingt mille logements inoccupés en Région bruxelloise. D’après une recherche de la VUB et de l’ULB, entre 17 000 et 26 000 propriétés seraient inoccupées. Il s’agit d’estimations car l’administration régionale n’a pas encore vérifié ces chiffres.  

La ministre du Logement Nawal Ben Habou avait mandaté en 2021 des chercheurs de l’ULB et de la VUB pour cibler la vacance immobilière. Trois ans plus tard, après avoir vérifié les données sur le terrain, les résultats sont là. On estime en 2024 qu’en Région bruxelloise 4 500 logements sont vacants sur le marché immobilier et ainsi en infraction. Cette estimation sera réévaluée dans cinq ans.   

En date du 30 octobre 2023, sur les dossiers ouverts pour logements inoccupés en Région de Bruxelles-Capitale, 214 propriétaires ont fait l’objet d’une amende administrative à la suite d’un avertissement de la Région bruxelloise, auquel ils n’ont pas répondu. De ces 214 propriétaires ayant fait l’objet d’une amende, nous n’avons pas trouvé d’informations sur le nombre de propriétaires qui ont été condamnés.    

Ces infractions semblent de plus en plus fréquentes alors que le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale avait comme objectif, durant cette législature, de lutter contre les inoccupations immobilières. De plus, celui-ci prévoyait une meilleure identification des logements inoccupés afin de mieux pouvoir agir. La condamnation suite à la vacance immobilière est donc importante car pour la première fois, la Région bruxelloise elle-même a introduit l’action (et non plus uniquement une association ou une commune), ce qui laisse espérer une montée en puissance de l’outil. Toutefois, notons que l’action en cessation n’épuise pas la gamme des outils de lutte contre la vacance des logements inoccupés.  

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Maisons de détention : une alternative aux prisons?

La Libre, le 13 novembre 2023

Après la Flandre et Bruxelles, place à la Wallonie ! C’est à Jemeppe-sur-Sambre en province de Namur et à Grivegnée à Liège que seront construites les deux prochaines maisons de détention. Celles-ci s'ajouteront aux deux maisons de détention déjà actives à Forest et à Courtrai et les cinq autres prévues en Flandre.

Léa Sessa, étudiante en droit à l'UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain, professeur à l'UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles, le 11 avril 2024.

L’implantation de maisons de détention est un phénomène de plus en plus répandu en Belgique. En tout, sept nouvelles maisons devraient ouvrir leurs portes en plus des deux maisons déjà actives à Forest et à Courtrai. Mais quelle est leur origine ?  Qu’est-ce qu’une maison de détention concrètement ? Et quelle différence avec la prison et les maisons de transition ? 

Quelle est leur origine ? 

Avant 2022, les personnes condamnées à une peine de moins de trois ans ne l’exécutaient généralement pas dans un établissement pénitentiaire. Les condamnés bénéficiaient le plus souvent d’une libération provisoire sans conditions, entrainant de l’insécurité tant chez les victimes que chez les condamnés. En effet, selon l’ancien ministre de la Justice, les victimes voyaient les condamnés échapper à l’exécution de leur peine pouvant amener ceux-ci à continuer à commettre des délits jusqu’à ce que l’ensemble de leurs peines non-exécutées dépasse trois ans. Depuis le 1er septembre 2023, les peines de prison inférieures à trois ans sont systématiquement exécutées, ce qui n’a pas amélioré la situation des prisons, surpeuplées depuis des années, faisant de la Belgique le 4e pays d’Europe avec la surpopulation carcérale la plus élevée. Avec la création des maisons de détention, l’objectif est de remédier à la surpopulation carcérale et, sur le long terme, de remplacer les prisons par des maisons de détention, outre l’élargissement des peines alternatives. 

Qu’est-ce qu’une maison de détention ?  

Une maison de détention est un établissement permettant d’accompagner des personnes condamnées à de courtes peines de prison, afin de faciliter leur réinsertion dans la société. Ces maisons sont des établissements implantés en zone urbaine, permettant d’accueillir 20 à 60 personnes, qui recevront un accompagnement personnalisé dans le but de faciliter la recherche d’un travail et de retrouver une place active dans la société, tout en diminuant les risques de récidive.  

Qui peut intégrer une maison de détention ? 

Pour intégrer une maison de détention, une stricte sélection est faite par la directrice et le service psychosocial de l’administration pénitentiaire. Cette sélection est limitée aux personnes condamnées à une peine de prison de moins de trois ans, présentant un faible risque de sécurité. Les auteurs de terrorisme et les délinquants sexuels en sont exclus. Les critères pris en compte concernent tant la durée et la nature de la condamnation, que l’état psychologique du potentiel résident. La personnalité de l’auteur, sa dépendance à des substances toxiques, sa nature violente, … peuvent constituer de potentielles clauses d’exclusion pour le service psychosocial. Enfin, le détenu doit marquer son accord et présenter une volonté d’intégrer la maison de détention, les places étant limitées. Si un résident ne s’adapte pas, ne réalise pas d’efforts pour favoriser sa réinsertion ou se comporte mal, celui-ci sera renvoyé en prison 

Quelle est la différence avec une prison ? 

Comme mentionné plus haut, une maison de détention est d’avantage axée sur la dimension de réinsertion que sur la répression. Bien que les détenus, ou plutôt les “résidents”, disposent d’une certaine autonomie, des règles similaires à celles des prisons encadrent ces maisons de détention. Les résidents ne peuvent pas sortir sans autorisation et restent suivis et contrôlés régulièrement. En dehors des déplacements au sein de la maison, les déplacements à l’extérieur restent limités à des conditions très strictes.  

Cependant, les résidents peuvent demander une autorisation de sortie afin de déposer des curriculums vitae ou se rendre à un rendez-vous en vue de préparer leur sortie. L’accent est également mis sur l’autonomie, les résidents sont ainsi tenus de faire les tâches ménagères comme la cuisine ou le nettoyage. Les portes des chambres restent ouvertes une grande partie de la journée et les résidents peuvent se déplacer librement au sein de la maison.  

Les résidents sont suivis personnellement et quotidiennement par des accompagnateurs de détention. Un des points primordiaux de la relation résident-accompagnateur est la confiance et la bonne entente, qui favorise l’évolution dans un environnement sain. Les accompagnateurs sont également habillés en civil comme les résidents, contrairement aux agents de surveillance des prisons qui sont en uniforme. L’équipe d’accompagnateurs est composée d’une direction, d’un personnel administratif et médical assurant un suivi en continu.   

A ne pas confondre avec une maison de transition ! 

Bien que les deux termes soient assez semblables, il est important de ne pas confondre maison de détention et maison de transition, car celles-ci ne poursuivent pas le même objectif. 

Introduite par la loi du 11 juillet 2018, la maison de transition est définie à l’article 9/2 §1 de la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté. Le placement d’un détenu dans une maison de transition est une modalité d’exécution de la peine privative de liberté qui doit répondre à certaines conditions énoncées à l’article 9/3 de cette même loi. L’objectif des maisons de transition semble, de premier abord, assez similaire aux maisons de détention : permettre aux détenus de retrouver leur place dans la société en leur octroyant une autonomie progressive, en les accompagnant dans la recherche d’un emploi, … Mais quelle est la différence ? Alors que les maisons de détention accueillent les personnes condamnées à de courtes peines de prison (moins de trois ans), les maisons de transition accueillent, quant à elles, des détenus séjournant en prison et qui y sont transférés afin d’y purger la fin de leur peine. 

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De la poursuite à la tragédie : l’affaire Ouassim et Sabrina et le débat sur la proportionnalité  

Le Soir, le 5 décembre 2023

Plus de cinq ans après l’accident, la justice s’est penchée sur l’Affaire « Ouassim et Sabrina ». En décembre dernier, les trois policiers concernés ont comparu devant le tribunal de police de Bruxelles qui les a condamnés pour homicide involontaire à des peines d’emprisonnement, considérant que les actes qu’ils ont posés et qui ont entrainé la mort des deux jeunes, ne respectaient pas les principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Emilie Dabire et Aubane Lekime, étudiantes en droit à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain, professeure à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles, le 11 avril 2024.

Chronologie d’une poursuite fatale  

Durant la soirée du 9 mai 2017, un jeune couple est décédé à la suite d’une course-poursuite avec la police. Ouassim Toumi conduisait une moto sur laquelle sa compagne, Sabrina El Bakkali, était passagère. Constatant que ces derniers ne portaient pas les équipements adéquats et que la moto roulait trop vite, deux policiers ont tenté de les interpeller, en vain. Face à ce refus d’obtempérer, les agents se sont lancés dans une course-poursuite atteignant une vitesse de 141 km/h. Un de leurs collègues a décidé de leur prêter main forte en positionnant son véhicule à la sortie d’un tunnel au moment où la moto s’apprêtait à passer. Les deux véhicules sont entrés en collision, entraînant le décès immédiat de Ouassim Toumi. Sa compagne, quant à elle, a été emmenée à l’hôpital mais a succombé à ses blessures par la suite.  

De nombreuses personnes, en particulier les familles des deux victimes, ont considéré que le comportement des policiers avait été excessif, qu’ils avaient agi de manière disproportionnée, et que leur intervention n’était pas conforme à la loi. La question de la proportionnalité a été largement débattue tout au long du procès, lequel a débuté le 7 novembre dernier. Le 5 décembre 2023, le jugement a été prononcé. Les lignes qui suivent tentent de résumer ce jugement extrêmement motivé (110 pages), en se penchant plus explicitement sur les critères légaux n’ayant pas été respectés par les policiers, sur leur responsabilité et leur condamnation. 

Entre devoir et excès : analyse des interventions policières  

Le critère de légalité

Le critère de légalité consiste à évaluer si l’objectif poursuivi est conforme à la loi. Dans le cas présent, l’objectif est jugé conforme au critère de légalité, comme le souligne la juge, puisqu’en vertu du Code de la route, la constatation d’infractions autorise la police à effectuer un contrôle du véhicule ainsi que du conducteur et du passager. En effet, les inspecteurs ont procédé à un contrôle en raison de la vitesse inappropriée, de l’absence d’équipement adéquat de la part des deux individus sur la moto, et en raison du manque “d’indicateur de direction” lors d’un virage, comme le précise le procès-verbal des inspecteurs de police. Ces éléments constituent effectivement des infractions au Code de la route. Par conséquent, le critère de légalité est rempli en l’espèce. 

Le critère de subsidiarité

Le critère de subsidiarité évalue si une alternative moins risquée et moins préjudiciable existe pour parvenir au même résultat.  Selon le Manuel “Poursuite et Interception” du Comité P, ce critère est à prendre en compte avant l’entame d’une course poursuite. A titre informatif, le Comité P, ou plus précisément le Comité Permanent de contrôle des services de police, joue le rôle d’organe de contrôle externe des “services de polices” en Belgique.  

Dans le cas présent, le numéro de la plaque d’immatriculation du véhicule a été enregistré et son propriétaire identifié dès le début de la poursuite. Ces informations cruciales d’identification auraient dû permettre d’adopter une approche moins intrusive et moins dangereuse pour atteindre l’objectif visé, notamment par la rédaction d’un procès-verbal et la réalisation d’une enquête ultérieure, incluant la convocation du propriétaire de la plaque pour une audition en vue d’identifier le conducteur et le passager. 

Dans la mesure où une alternative moins dangereuse était envisageable pour parvenir au même résultat, le critère de subsidiarité n’a pas été rempli selon le tribunal de police. 

Le critère de proportionnalité 

Le principe de proportionnalité joue un rôle central dans l’analyse juridique lorsqu’il est question d’évaluer la “licéité d’une action ou d’une abstention” au regard des normes qui protègent les droits et libertés.  

Cette notion a été au cœur de l’affaire Ouassim et Sabrina, où le tribunal de police a considéré l’ampleur des conséquences d’une course-poursuite engagée par des fonctionnaires de police comme démesurée par rapport à l’infraction commise par le conducteur. Ladite infraction se limitait à un port de chaussures inadaptées à la conduite d’une moto, à une vitesse que les policiers ont qualifiée “de vive allure”, bien que cela n’ait pas été prouvé par des éléments objectifs, et au fait d’avoir omis d’utiliser son clignotant à une seule reprise. 

Le tribunal de police a souligné que diverses options s’offraient aux policiers, suggérant ainsi qu’une démarche plus rationnelle aurait pu être envisagée par ceux-ci. En effet, il appartient aux services de police de faire un choix “qui ne défie pas la raison”. 

En l’espèce, il apparaît que l’exigence du caractère raisonnable, fondamentale au principe de proportionnalité, n’a pas été respectée.  

Selon le jugement, les directives préconisées par le Manuel “Poursuite et Interception de véhicules” du Comité P mettent en avant une approche mesurée, préconisant une évaluation intelligente des avantages et des risques avant toute intervention.   

Les moyens de contrainte employés sont-ils raisonnables et proportionnels ?  

La circulaire du ministre de l’Intérieur du 2 février 1993 rappelle que l’usage de la force doit être précédé d’un examen de trois critères (fondamentaux) : sa légalité, sa nécessité et sa proportionnalité, mettant en avant l’importance de considérer des alternatives moins contraignantes.  

En l’occurrence, les infractions initiales mineures impliquant une moto et non une voiture, et la présence d’une passagère, soulignent davantage le manque de proportionnalité de la réaction policière. D’autant plus que la plaque d’immatriculation avait été relevée, offrant la possibilité d’une intervention ultérieure moins périlleuse, comme expliqué supra (cfr. critère de subsidiarité). La course-poursuite a non seulement mis en danger les agents impliqués, mais également les autres usagers de la route, révélant un défaut d’appréciation dans le respect du principe de proportionnalité tel que prévu par l’article 37 de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police (LFP), tel qu’interprété par la jurisprudence.  

Quand la justice parle : retour sur les responsabilités et la condamnation                  

Entre éthique et légalité : qui porte le poids de la faute ?   

Les articles 418 à 420 du Code pénal sanctionnent celui qui par défaut de prévoyance ou de précaution aura causé un homicide. Au vu des préventions sur lesquelles les policiers ont été jugés, c’est à l’article 418 du Code pénal qu’il fallait s’en remettre pour savoir si leur responsabilité pénale était engagée ou non. Cet article requiert trois conditions : une faute, un dommage consistant en un homicide ou des coups et blessures, et un lien de causalité entre la faute et le dommage. 

Le juge a le pouvoir d’apprécier la faute in concreto, c’est-à-dire au cas par cas. Celui-ci doit donc analyser si les auteurs de cette faute ont enfreint la loi ou un devoir général de prudence et de précaution.  Pour ce faire, il doit se demander si une personne normalement prudente et diligente exerçant la même fonction et ayant le même degré de qualification que les auteurs du dommage aurait agi de la même manière que ces derniers, tout en tenant compte des circonstances concrètes. 

Dans le cadre de l’affaire Ouassim et Sabrina, le tribunal s’est notamment référé aux règles de l’art en matière policière et aux principes que les policiers doivent respecter. Certains d’entre eux figurent dans des documents du Comité P. Dans un de ses rapports d’enquête, ce dernier mentionne, tout d’abord, le fait que “lors d’une poursuite, le principe général est le suivant : ne jamais poursuivre à tout prix, mais se limiter à suivre la voiture de façon intelligente. Il faut évaluer l’équilibre entre le but recherché d’une part et les risques de la poursuite d’autre part. Les intervenants doivent être conscients des conséquences de cette situation stressante provoquant une poussée d’adrénaline qui risque de modifier la vision du tunnel et la perception des distances, … Quand les risques deviennent trop élevés il faut arrêter la poursuite, sinon le policier peut être appelé à se justifier”. 

Ensuite, le Comité P précise qu’une poursuite doit être une solution de dernier recours dans des circonstances exceptionnelles car “les risques sont souvent trop élevés et les conséquences disproportionnées par rapport à l’objectif poursuivi par l’intervention policière” et qu’elle ne doit pas constituer une plus grande menace pour la sécurité des personnes que le comportement de la personne poursuivie.  

Dans son rapport, le Comité P ajoute également que pour entamer une course-poursuite d’un véhicule suspect, il faut être vigilant, préparé (en ayant une bonne formation) et juger adéquatement la situation en évaluant les risques et en ne mettant pas en péril la vie ou la sécurité de personnes. Cette évaluation des risques doit se faire en fonction de la nature et de la gravité de l’infraction commise ou du comportement adopté et de la nécessité d’intercepter la personne, des conditions climatiques et routières, de la présence de piétons, de la densité de circulation et de l’existence de zones à risques, de la présence de passagers à bord du véhicule suspect et des caractéristiques des deux véhicules impliqués.  En outre, le Comité P note que la tentative d’échapper à une arrestation ne constitue pas un facteur pour déterminer la gravité du crime ou la nécessité d’une arrestation immédiate.  

Enfin, le tribunal a également dû se référer à la loi sur la fonction de police et plus particulièrement aux articles 1 et 37 dont les critères ont été analysés précédemment.  

Les trois conditions étant remplies, les policiers ont tous été tenus pénalement responsables. Ils ont tenté d’y échapper en invoquant le fait qu’ils n’avaient jamais été formés sur la poursuite des véhicules. Le tribunal a toutefois estimé que “l’absence de formation spécifique en la matière ne saurait constituer une cause de justification”, notamment car la formation initiale des policiers inclut à la fois un module sur la loi sur la fonction de police et un module sur la gestion de la violence, incluant l’interception des véhicules.   

Cette responsabilité pénale se matérialise par leur condamnation. 

Il découle de cette responsabilité pénale une responsabilité civile, laquelle se matérialise par la condamnation de l’assureur des véhicules de police à payer une somme d’argent à certains membres de la famille Toumi en guise de réparation des dommages moraux desquels ils ont été victimes. Toutefois, cette réparation n’est pas intégrale, car le tribunal a estimé la responsabilité civile des policiers à seulement 40%, tandis que Ouassim Toumi a été considéré responsable à 60%. En effet, lorsqu’une victime a elle-même commis une faute qui a contribué à son propre dommage, le juge peut opter pour un partage de responsabilité. 

Et la condamnation alors ? 

Alors qu’il est très rare que des policiers soient poursuivis et condamnés dans ce type de dossier, les trois inspecteurs ont été déclarés coupables d’homicide involontaire par défaut de prévoyance ou de précaution avec la circonstance que la mort est une conséquence d’un accident de la circulation. En vertu des articles 418 et 419 du Code pénal, l’inspecteur qui avait positionné son véhicule à la sortie du tunnel a été condamné à 10 mois d’emprisonnement, dont la moitié avec sursis. Le conducteur de la voiture qui a initié la course-poursuite a, quant à lui, été condamné à 8 mois d’emprisonnement, dont la moitié avec sursis et son coéquipier à 5 mois d’emprisonnement dont la moitié avec sursis. Ils ont, par ailleurs, tous été condamnés à payer une amende assortie d’un sursis de trois ans. Le sursis assorti à leurs peines respectives se justifie par le fait qu’aucun d’entre eux n’a d’antécédents judiciaires.  

Face à cette décision, plus de 300 policiers ont décidé de manifester devant le palais de justice quelques jours après que le jugement ait été prononcé car ils ont le sentiment que celui-ci est injuste. De plus, la défense et le parquet ont interjeté appel.  

Les familles des victimes, et de manière plus générale les personnes qui luttent contre les violences policières, considèrent, quant à elles, que ce jugement est positif en raison de sa valeur symbolique même si les peines sont jugées minimes par rapport aux faits commis par les policiers (sachant que les peines prévues par la loi peuvent atteindre 5 ans d’emprisonnement et 2000 euros d’amende). 

Ce jugement n’inaugure pas pour autant une nouvelle orientation jurisprudentielle étant donné l’affaire Adil qui marque un réel contraste avec l’affaire Ouassim et Sabrina. En effet, dans cette affaire, la chambre du conseil a prononcé un non-lieu, à savoir qu’elle a décidé de ne pas renvoyer l’affaire devant le tribunal de police, pour un débat au fond. L’avocat de la famille a annoncé son intention d’interjeter appel de cette décision. 

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Cessez-le feu à Gaza : nouveau véto américain à l’ONU, l’opportunité d’un rappel des règles en la matière

Le Courrier international, 21 février 2024

Au Conseil de sécurité de l’ONU, le mardi 20 février 2024, les États-Unis ont opposé leur véto à un projet de résolution présenté par l’Algérie et réclamant un "cessez-le-feu immédiat" à Gaza. C’est la troisième fois qu'ils bloquent une résolution similaire depuis le début du conflit entre Israël et le Hamas. La situation humanitaire à Gaza reste catastrophique, avec près d'un million et demi de palestiniens massés dans la ville de Rafah, laquelle est menacée d'assaut par Israël. Malgré les appels à l’action par la communauté internationale, les États-Unis ont refusé de soutenir une résolution immédiate en faveur du cessez-le-feu, préférant proposer un texte alternatif. Mais quel est le rôle du Conseil de sécurité des Nations Unies ? En quoi consiste précisément ce droit de véto dont les Américains disposent ?

Bastien Henry de Frahan, étudiant en droit à l’Université UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain, professeur à l’UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles, le 6 avril 2024.

LE CONSEIL DE SÉCURITÉ DE L’ONU : 

Le Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) est un des organes majeurs de l’ONU. Créé par la Charte des Nations unies, il est investi de la mission cruciale du maintien de la paix et de la sécurité dans le monde. Il est composé de quinze membres, cinq permanents bénéficiant du droit de véto – à savoir la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie – et dix membres non permanents élus par l’Assemblée Générale pour des mandats de deux ans. Ce Conseil se réunit au quartier général des Nations unies à New-York, et siège de manière permanente afin de faire face à toute menace qui pourrait compromettre la stabilité mondiale. Ce maintien de la paix internationale fait partie des quatre objectifs fondamentaux de l’ONU énoncés à l’article premier de la Charte des Nations unies. 

Tous les membres de l’ONU (193 pays) se sont engagés à respecter et à appliquer les décisions du Conseil de sécurité. Contrairement à d’autres organes de l’ONU qui formulent des recommandations, le Conseil de sécurité est le seul organe autorisé à prendre des décisions contraignantes pour les États membres. Ces décisions, appelées résolutions, sont considérées comme juridiquement contraignantes en vertu de l’article 25 de la Charte des Nations unies. Lorsque des conflits émergent, le Conseil de sécurité s’efforce d’abord de favoriser des solutions pacifiques en encourageant le dialogue entre les parties concernées. En cas d’escalade des hostilités, il peut intervenir en ordonnant des cessez-le-feu, en déployant des forces de maintien de la paix (casques bleus) ou encore en imposant des sanctions économiques. 

Tout au long de son action, le Conseil de sécurité cherche à cibler les responsables des politiques contraires aux normes internationales tout en préservant les populations civiles et les secteurs économiques innocents. Son rôle et ses pouvoirs sont définis en détail dans différents articles de la Charte des Nations unies. 

VOTE ET DROIT DE VÉTO 

Comme écrit ci-dessus, le Conseil de sécurité de l’ONU peut prendre des décisions obligatoires et contraignantes pour ses États membres. Un exemple concret de résolution qui pourrait être adoptée en cas de conflit est l’imposition d’un “cessez-le-feu”. Le Conseil de sécurité des Nations Unies adopte alors des résolutions avec une majorité de 9 voix sur 15, intégrant celles des membres permanents. On parle de vote affirmatif, vote classique avec une décision adoptée à la majorité des suffrages. 

Cependant, l’article 27 de la Charte des Nations unies prévoit aussi que seuls les 5 membres permanents bénéficient d’un droit de vote particulier : le droit de veto. Il suffit qu’un seul membre permanent émette un vote négatif - droit de véto – pour qu’un projet de résolution soit rejeté.  

Même si un membre permanent exerce son droit de véto en émettant un vote négatif seul contre tous les autres membres, permanents ou non, le projet de résolution ne sera pas adopté.  

Le 20 février dernier, dans le contexte actuel du conflit Israélo-Palestinien, l’Algérie a présenté au Conseil de Sécurité un projet de résolution demandant un “cessez-le-feu humanitaire immédiat qui doit être respecté par toutes les parties”. Ce projet a reçu le soutien de 13 membres du Conseil de Sécurité (sur les 15 membres qui le composent), avec une abstention du Royaume-Uni et un vote “contre” des États-Unis, tous deux membres permanents. Bien que la majorité des 15 États membres du Conseil de sécurité aient approuvé ledit projet de résolution, les États-Unis ont empêché son adoption exerçant leur droit de véto. 

Il convient encore de préciser que l’absence ou l’abstention d’un membre permanent lors d’un vote ne constitue pas un vote négatif et n’empêche donc pas l’adoption d’une résolution. Cela s’est notamment produit le lundi 25 mars 2024, lorsque la résolution 2728 a été votée au Conseil de sécurité de l’ONU .  Elle stipule un cessez-le-feu entre Israël et le groupe islamiste palestinien Hamas, avec des conditions spécifiques pour le mois de Ramadan. La résolution a été approuvée par 14 membres du Conseil de sécurité des Nations unies, sans opposition, tandis que les États-Unis se sont abstenus. La résolution a donc été valablement approuvée. De plus, le droit de véto ne peut pas porter sur des questions de procédure : il ne peut donc pas être utilisé pour empêcher qu’un projet de résolution soit examiné par le Conseil.  

En conclusion, le droit de véto représente pour les cinq États membres permanents un “mécanisme de blocage” au sein du Conseil de sécurité, empêchant toute intervention qui serait contraire à leurs intérêts propres. La puissance de ce droit de véto est donc considérable, mais sa légitimité fait tout de même face à de nombreuses critiques. 

LA LÉGITIMITÉ DU DROIT DE VÉTO FACE AUX CRITIQUES 

L’exercice du droit de véto au sein du Conseil de sécurité des Nations unies fait l’objet de controverses qui suscitent de nombreux débats depuis la création de l’Organisation en 1945. Voici quelques critiques fréquemment soulevées à l’égard du droit de véto :  

  • Obstruction à l’action collective et anti-démocratique 

Le droit de véto permet à un seul membre permanent du Conseil de sécurité de bloquer tout projet de résolution, même si la majorité des membres, permanents et non permanents de l’ONU le soutient, conduisant à une paralysie du Conseil et à une incapacité à répondre efficacement aux crises internationales : la crédibilité et l’efficacité de l’ONU en tant qu’organe du maintien de la paix sont ainsi compromises. 

Selon Amnesty International, les cinq membres permanents du Conseil ont déjà utilisé leur droit de véto à de multiples reprises pour “promouvoir leur intérêt politique ou leur intérêt géopolitique au-delà de l’intérêt de protéger les civils”.  

  • Inégalité entre les membres du Conseil de Sécurité 

Le fait que seuls cinq membres permanents (États-Unis, Russie, Chine, France et Royaume-Uni) possèdent un droit de véto, est souvent critiqué comme étant une manifestation d’inégalité dans les relations internationales. En effet, ces cinq pays exercent une influence disproportionnée sur les projets de décisions du Conseil, tandis que les autres membres de l’ONU, même s’ils sont élus pour des mandats temporaires, n’ont pas le même pouvoir de décision. D’autant plus qu’aujourd’hui, ces 5 membres permanents ne représentent plus que 30% de la population mondiale.  

Aujourd’hui, certains parlent de réformer le fonctionnement du Conseil de sécurité en ajoutant comme nouveaux membre permanents d’autre pays ayant une réelle influence dans les relations internationales, tels que le Japon, l’Allemagne, l’Inde ou encore le Brésil.  

  • Utilisation abusive du véto 

Les membres permanents du Conseil de Sécurité ont précédemment été accusés d’abuser de leur droit de véto pour protéger leurs intérêts nationaux, et ce, même à l’encontre des objectifs de maintien de la paix et de la sécurité internationale. Par exemple, des pays membres ont souvent utilisé leur véto pour bloquer des projets de résolutions condamnant leurs alliés ou leurs propres actions controversées. 

Rappelons-nous qu’en avril 2017, la Russie s’est opposée à un projet de résolution présenté par les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, laquelle demandait une enquête internationale et la coopération de Damas à la suite d’une attaque chimique, à Khan Cheikhoun, attribuée au régime de Bachar al-Assad. La résolution exigeait des détails sur les activités militaires syriennes le jour de l’attaque et un accès aux bases aériennes. Cependant, la Russie, alliée de Bachar el-Assad, a bloqué l’adoption de la résolution, malgré les appels à la justice. 

En conclusion, bien que le droit de véto ait été conçu pour assurer la participation et l’engagement des grandes puissances dans la structure des Nations unies, son exercice est devenu un sujet de préoccupation en raison du pouvoir d’obstruction totale conféré à certains États, pouvant entrainer injustice et inefficacité.  

Les appels à réformer ou à abolir le droit de véto des 5 membres permanents du Conseil sont donc fréquents dans les débats sur la réforme de l’ONU et la gouvernance mondiale.

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“L’Office des étrangers n’a aucune compétence en matière de nationalité et ne peut donner d’ordre aux communes”- Julien Wolsey (avocat au barreau de Bruxelles)  

Bx1, 7 décembre 2023

En décembre 2023, l'Office des étrangers a demandé à plusieurs communes belges de retirer la nationalité belge accordée à des enfants de parents palestiniens nés en Belgique. Cette démarche, justifiée par la volonté de prévenir l'obtention opportuniste de la nationalité, soulève des doutes quant à sa légalité. En effet, l'Office outrepasse ses compétences légales en matière de nationalité. Selon la loi, seul l'officier d'état civil du lieu de naissance est habilité à prendre de telles décisions.

Bruyère Duvieusart-Zimmermann, étudiante en droit, UCLouvain Saint-Louis - Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain et Diletta Tatti, le 3 avril 2024.

Début décembre 2023, la nouvelle a fait la une de nombreux journaux : plusieurs communes ont reçu des courriers de l’Office des étrangers leur demandant de retirer la nationalité belge octroyée à des enfants nés en Belgique, de parents palestiniens. 

L’Office des étrangers estime, selon les dires de la secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, Nicole de Moor (CD&V), qu’il y aurait trop de familles palestiniennes venant en Belgique afin d’y obtenir la nationalité belge. En effet, la Palestine n’étant pas reconnue comme un État souverain par la Belgique, les enfants naissant sur le territoire obtiennent la nationalité afin qu’ils ne soient pas reconnus apatrides. À cette fin, les femmes de ces familles viendraient accoucher sur le territoire belge afin que leur enfant obtienne la nationalité pour ensuite faire une demande de regroupement familial. 

Afin de lutter contre ce phénomène, l’Office a décidé de mener une enquête concernant une potentielle autre nationalité de ces enfants. Dans plusieurs cas, après recherche, il a conclu que les parents, ayant la nationalité palestinienne, pouvaient également l’obtenir pour leurs enfants par une démarche administrative. L’Office a alors pris la décision d’envoyer un courrier aux communes concernées, indiquant que l’enfant pouvait bénéficier d’une autre nationalité et n’encourait donc plus de risque d’apatridie, et que, de ce fait, la nationalité belge devait être retirée.   

Il est important de rappeler que l’Office des étrangers assure la gestion des flux migratoires en prenant toute décision concernant l’accès au territoire, le séjour, l’établissement ou encore l’éloignement. La nationalité n’apparaît pas, tant au niveau de l’attribution qu’au niveau du retrait dans ses compétences. 

Très vite, une question s’est posée : l’Office des étrangers est-il compétent en matière de nationalité ?   

Pour rappel, la Palestine n’est pas officiellement reconnue par la Belgique comme étant un État souverain. De ce fait, la nationalité belge de ces enfants palestiniens est accordée dans le but d’éviter qu’ils ne se retrouvent apatrides.   

La Belgique ayant signé la Convention de New York relative au statut des apatrides de 1961, s’est engagée à lutter contre ce phénomène et à mettre en place des mesures afin de le limiter. Dans ce but, l’article 10 du Code de la nationalité belge définit les critères pour l’attribution de la nationalité belge aux enfants. Selon le paragraphe 1er, un enfant né en Belgique sans autre nationalité avant l’âge de dix-huit ans ou avant son émancipation est belge. Toutefois, s’il peut obtenir une autre nationalité, ses représentants légaux doivent entreprendre des démarches administratives. En cas de doute sur sa nationalité, le procureur du Roi est consulté. Le paragraphe 3 stipule qu’un enfant ayant acquis la nationalité belge la conserve jusqu’à ce qu’il soit établi qu’il possède une autre nationalité avant ses 18 ans ou son émancipation. 

Quelle autorité détient la compétence de retrait de nationalité dans le cas présent ? 

En ce qui concerne la nationalité attribuée selon l’article 10 du Code de la nationalité belge, seul l’officier d’état civil du lieu de naissance est compétent   pour se prononcer sur le retrait de celle-ci, depuis les modifications apportées à ce code en date du 31 décembre 2022.  

Ce dernier peut, en cas de doute, demander l’avis de deux autorités : le ministre de la Justice et le procureur du Roi. Afin de clarifier l’autorité compétente en fonction des situations, le législateur a créé, par la loi du 6 décembre 2022, une autorité centrale en matière de nationalité au sein du Service Public Fédéral Justice. Cette dernière a une compétence générale et légale d’avis, sauf lorsque le Code de la nationalité ou la loi accordent expressément la compétence au procureur du Roi (qu’elle soit obligatoire ou facultative).  

L’Office des étrangers n’a dès lors aucune compétence, de principe ou d’avis, concernant la nationalité. 

Revenons à l’article 10 du Code de la nationalité précité. Il en ressort qu’en “cas de doute sur l’absence de nationalité de l’enfant, l’officier de l’état civil demande l’avis du procureur du Roi”. Le Code ayant expressément prévu la compétence d’avis (non contraignant) du procureur du Roi, aucune autre autorité n’est compétente. 

 L’Office des étrangers est-il donc compétent ?  

Il en ressort une fois de plus que l’Office des étrangers n’est pas compétent pour donner des avis, encore moins des instructions aux autorités communales concernant l’exécution de l’article 10 du Code de la nationalité, et de ce fait dépasse le cadre de ses attributions. De plus, l’Office envoyait ces courriers aux communes dans lesquelles résidaient ces enfants, alors que seul l’officier d’état civil du lieu de naissance est compétent concernant l’article 10 précité. Cette pratique n’est donc pas légale. 

Par ailleurs, la mission palestinienne auprès de l’Union européenne a précisé qu’un enfant, né en Belgique de parents ayant la nationalité palestinienne, n’obtient pas la nationalité de ses parents. Ce dernier ne peut obtenir la nationalité qu’en se rendant dans les territoires palestiniens pour l’inscription au registre de l’état civil.  

Enfin, le Centre fédéral de la migration (M.Y.R.I.A) rappelle dans un communiqué de presse du 21 décembre 2023 que dans l’examen de tels dossiers, une obligation pèse sur l’autorité compétente de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant  . Bien que l’Office précise avoir commencé l’envoi de ces courriers depuis le mois d’août, il convient de relever, compte tenu de la situation actuelle en Palestine, que la prise en compte de l’intérêt de l’enfant est encore plus primordiale. 

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“La Justice française émet un mandat d’arrêt contre Bachar al-Assad”

France 24, 15 novembre 2023

Le 15 novembre 2023, la Justice française a émis un mandat d'arrêt international contre le dirigeant syrien Bachar al-Assad pour complicité de crimes contre l'humanité et pour crimes de guerre, liés à des attaques chimiques en Syrie durant l'été 2013. Ce mandat fait suite à une plainte, déposée en 2021, accusant le président syrien, son frère Maher et deux généraux d'avoir utilisé des armes chimiques interdites à Douma et dans la Ghouta orientale (région en Syrie) en août 2013, provoquant la mort de plus de 1 000 civils.

Le conflit syrien, débuté en 2011, a déjà entraîné la perte de plus de cinq cent mille vies et a complètement fragmenté le pays.

Mais qu’est-ce qu’un mandat d’arrêt international ? Bachar al-Assad peut-il réellement se faire arrêter ?

Bastien Henry de Frahan, étudiant en droit à l’Université UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain, professeure à l’Université UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles, le 21 février 2024. 

LE MANDAT D’ARRET INTERNATIONAL :  

Un mandat d’arrêt international constitue une mesure juridique, émanant d’un pays, sollicitant l’interpellation d’un individu à l’étranger en vue de son extradition vers ledit pays, afin qu’il puisse être jugé pour des infractions pénales graves ou purger une peine de prison. Un mandat d’arrêt international n’est autre qu’une expression qui renvoie dans les faits à une demande d’arrestation et d’extradition classique d’un individu recherché à l’étranger. 

Ce dispositif est habituellement mobilisé dans le contexte de délits majeurs tels que les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, le terrorisme ou encore la corruption internationale. Lorsqu’un mandat d’arrêt international est émis par un juge d’instruction, il est généralement diffusé par l’intermédiaire d’Interpol, l’organisation internationale de police criminelle, pour faciliter la coopération entre les pays. Les autorités du pays dans lequel la personne visée par le mandat se trouve, peuvent être appelées à arrêter cette personne en vue de son extradition vers le pays émetteur du mandat d’arrêt international. 

Les mandats d’arrêt internationaux sont des instruments importants de la coopération internationale en matière de justice. Ils sont utilisés pour lutter contre l’impunité dans le cas de crimes graves qui transcendent les frontières nationales.  

Cependant, il est important de noter que l’expression “mandat d’arrêt international” peut parfois être trompeuse. Un mandat d’arrêt international n’a pas d’existence propre en terme juridique. En réalité, un mandat d’arrêt international est un mandat d’arrêt national qui n’a de caractère international que parce qu’il fait l’objet d’une diffusion internationale par le biais d’Interpol. Cette diffusion informe les autres États de l’émission dudit mandat, mais elle n’oblige pas ces États à le reconnaître et à lui donner effet sur leur propre territoire. Les États conservent la faculté d’apprécier s’il est approprié de diffuser ce mandat d’arrêt sur leur territoire par le biais de leur système interne de diffusion des demandes d’arrestation. Ainsi, bien que les juges d’instruction d’un état (comme la France) aient la faculté de délivrer des mandats d’arrêt ciblant des individus résidant à l’étranger, il est important de souligner que ces mandats ne revêtent pas automatiquement un caractère international. Leur statut international dépend de la volonté de coopération des autres États impliqués.  

À cette fin, des accords, qu’ils soient bilatéraux ou multilatéraux, rassemblent des États, favorisant ainsi une coopération accrue et une efficacité améliorée en ce qui concerne l’arrestation et l’extradition des individus recherchés à l’étranger. Voici quelques exemples de l’importance de ces accords : 

Enfin, n’oublions pas que la Cour pénale internationale (CPI) peut également émettre de tels mandats d’arrêts afin d’arrêter et de juger des personnes qui auraient commis un crime de droit international humanitaire (tel que le crime de génocide,…). 

MAIS ATTENTION : NE PAS CONFONDRE “MANDAT D’ARRÊT INTERNATIONAL ” ET “MANDAT D’ARRÊT DE LA COUR PENALE INTERNATIONALE” :  

Comme mentionné précédemment, l’émission de mandats d’arrêt internationaux n’est pas exclusivement réservée aux États. La Cour pénale internationale (CPI) possède également cette compétence. Cependant, il convient de souligner que le mandat d’arrêt international et le mandat d’arrêt de la CPI sont deux instruments juridiques distincts, bien qu’ils soient tous deux liés à la poursuite pénale à l’échelle internationale. 

La CPI émet des mandats d’arrêt dans le cadre de ses propres enquêtes et poursuites en tant qu’organisation internationale indépendante définie par le Statut de Rome. La compétence de la CPI s’étend aux individus accusés de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et éventuellement d’agression, tel que dispose le Chapitre 2 du Statut de Rome en son article 5.  

Les juges de la CPI sont habilités à émettre des mandats d’arrêt à l’encontre des personnes soupçonnées d’avoir commis ces crimes internationaux. Cependant, la CPI ne dispose pas de son propre mécanisme d’exécution, ce qui signifie que seuls les États parties au Statut de Rome peuvent les mettre en œuvre. En cas de recherche de personnes présumées responsables de crimes et non encore appréhendées, la CPI peut émettre des mandats d’arrêt sur la base d’une enquête, sous réserve de l’approbation de la chambre préliminaire compétente. 

Les États membres de la CPI ont alors l’obligation de coopérer dans l’arrestation et la remise des individus visés par ces mandats. Il est important de noter que les mandats d’arrêt de la CPI sont spécifiques aux affaires traitées par cette Cour et ils sont émis conformément au Statut de Rome. 

En résumé, la distinction principale réside dans le fait que le mandat d’arrêt international est émis par un État souverain en vue de solliciter l’extradition du suspect, tandis que le mandat d’arrêt de la CPI est émis par la Cour elle-même dans le cadre de ses propres poursuites pour des crimes relevant de sa compétence. 

MAIS BACHAR AL-ASSAD POURRAIT-IL RÉELLEMENT SE FAIRE ARRÊTER ?  

Suite à notre analyse, il semble extrêmement improbable, voire impossible, que le président syrien Bachar al-Assad soit arrêté par les autorités syriennes ou françaises. 

En réalité, l’absence de toute convention entre la France et la Syrie concernant une éventuelle procédure d’arrestation ou d’extradition rend cette perspective encore moins envisageable. De surcroît, en tant que président de la Syrie et chef d’État, Bachar al-Assad bénéficie d’une immunité au sein de l’ordre juridique interne de son pays. Par conséquent, il semble peu probable que la police ou l’armée syrienne agissent pour arrêter leur chef. 

En ce qui concerne la Cour pénale internationale, il est à souligner que jusqu’à présent, aucun mandat d’arrêt n’a été émis par celle-ci à l’encontre du président syrien Bachar al-Assad. Toutefois, un tel mandat constituerait un atout significatif : contrairement aux États, la CPI a le pouvoir de poursuivre un chef d’État en fonction. Conformément à l’article 27 du Statut de Rome, la qualité de chef d’État ne confère aucune immunité pénale pour les crimes relevant de la compétence de la Cour, comme l’illustre la poursuite précédente d’un chef d’État en exercice, M. Omar El-Béchir, alors président du Soudan. 

Mais la tâche semble complexe. La Cour peut se saisir d’une affaire de deux manières : Premièrement, les crimes ont été commis par un ressortissant d’un État partie, ou sur le territoire d’un État partie ou d’un État qui a accepté autrement la compétence de la Cour. Ce n’est pas le cas ici, la Syrie ne figurant pas parmi les 123 États qui ont ratifié le Statut de Rome. Elle n’accorde donc aucune validité aux injonctions de la CPI. 

La deuxième manière, certainement la plus intéressante, est celle où la Cour pourrait se saisir de l’affaire malgré le fait que la Syrie n’ait pas adhéré au Statut de Rome. La Cour pénale internationale, chargée de juger les crimes les plus graves, pourrait être saisie pour les crimes commis en Syrie par le biais d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU (chapitre VII de la Charte des Nations Unies). Cependant, cette voie est bloquée car la Russie, membre permanent du Conseil de sécurité, dispose d’un droit de veto et l’utilise souvent, notamment concernant la Syrie. En raison du refus de la Syrie de reconnaître la CPI, une saisine par le Conseil de sécurité serait la seule option pour mandater la CPI. En 2014, la France a proposé une résolution en ce sens, mais la Russie, alliée de la Syrie, a opposé son veto, suivie par la Chine. Ainsi, l’espoir d’un procès international pour les responsables des crimes en Syrie s’est dissipé. 

Enfin, quand bien même le président syrien serait sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale, celui–ci évitera simplement de se déplacer dans d’autres pays ayant ratifié le Statut de Rome sachant qu’il risque alors une arrestation dès lors qu’il pénètre sur le territoire d’un État partie. L’émission d’un mandat d’arrêt par la CPI opère alors comme une “épée de Damoclès” pour celui ou celle qu’elle vise. 

Finalement, l’espoir de voir un jour Bachar al-Assad comparaître devant la Justice demeure ténu. Une lueur d’espoir pourrait néanmoins émerger à la fin de son mandat présidentiel, mais étant donné que la famille des dictateurs “al Assad” dirige la Syrie depuis 1971, les perspectives de changement dans le régime et le système judiciaire demeurent minces. Il semble donc, que dans ce cas-ci en Syrie, justice ne soit jamais et ne sera jamais rendue. 

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Le projet de transfert des compétences des présidents du MR, Ecolo, et PS

Le Soir, 28 septembre 2023

Fin septembre, les présidents des partis Ecolo (Jean-Marc Nollet), MR (Georges-Louis Bouchez) et PS (Paul Magnette) ont annoncé qu’ils travaillaient autour d’un projet commun consistant à transférer des compétences de la Fédération Wallonie-Bruxelles à la Région wallonne et à la Région bruxelloise. Il ne s’agit cependant pas d’un projet aussi simple à mettre en place qu’il n’y paraît.

Aubane Lekime et Joséphine Paternotte, étudiantes en droit, UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain et Jogchum Vrielink professeurs à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles, le 20 février 2024. 

En quoi consiste ce projet des Présidents des partis Ecolo, MR et PS ? 

L’objectif de ce projet est de réduire le nombre de ministres, pour gagner en efficacité, en lisibilité et de faire des économies de fonctionnement. 

Concrètement, la FWB garderait quatre compétences : l’enseignement, la culture, laudiovisuel et la recherche (La question du sport semble encore épineuse, mais le projet transfèrerait l’aide à la jeunesse, la santé, les maisons de justice, la petite enfance, l’égalité des chances, la fonction publique ainsi que la formation, aux régions wallonne et bruxelloise). 

Dans les faits, transférer des compétences de la Fédération Wallonie-Bruxelles aux Régions nest pas une idée neuve ni révolutionnaire. L’article 137 de la Constitution le permet, et, par un cret spécial la Communauté française a déjà transféré l’exercice de certaines de ses compétences aux Régions. Ce qui est innovant, cest d’en transférer autant, et de ne laisser que peu de compétences à la FWB. 

 Pourquoi ne pas se calquer sur larchitecture institutionnelle flamande ? 

Du côté flamand, la Communauté flamande a absorbé la Région flamande, ce qui est autorisé en vertu de larticle 137 de la Constitution et a été mis en œuvre par les articles 1er, 19, 50 ainsi que par l’article 76 de la loi spéciale de réformes institutionnelles. 

En effet, bien que les néerlandophones constituent une majorité indiscutable en Belgique, leur présence à Bruxelles demeure minoritaire. Cette situation explique pourquoi le mouvement flamand n’a rencontré aucune opposition significative à l’absorption de la Région flamande par la Communauté flamande, qui sert de lien entre les néerlandophones de Flandre et ceux de Bruxelles. 

Une démarche similaire semble très peu probable du côté wallon, pour les raisons suivantes :  

D’abord, pour des raisons démographiques et politiques : au sud du pays, on ne peut sous-estimer le poids des francophones bruxellois. En effet, nous comptons 19 bruxellois sur 94 députés au Parlement de la Communauté française, cest à dire 24%. Tandis quau nord du pays, la proportion de néerlandophones bruxellois dans la Communauté flamande est faible (6 sur 124 députés au Parlement flamand, c’est-à-dire 2,4%). En cas d’un transfert complet des compétences, les élus bruxellois francophones auraient un poids beaucoup plus important sur la Région wallonne, compte tenu de leur présence considérable au sein du parlement wallon. Cette situation semble difficilement acceptable pour les néerlandophones 

Ensuite, pour des raisons fiscales : la Communauté française se trouve dans une impasse en ce qui concerne lexercice de son pouvoir fiscal (qui lui est confépar larticle 170, § 2 de la Constitution), contrairement à la liaison institutionnelle au nord du pays qui a fusionné les budgets de la Région flamande et de la Communauté flamande. Ni la Communauté flamande, ni la Communauté française ne peuvent effectivement prélever des impôts car cela impliquerait de faire payer non seulement les wallons de la région de langue française, mais aussi les francophones de Bruxelles (mais il ny a pas de sous-nationalité). 

La révision constitutionnelle de 1993 a ouvert un mécanisme de transfert, à l’inverse de la fusion, créant ainsi un fédéralisme asymétrique. En effet, la Communauté française a délégué plusieurs de ses compétences à la Région wallonne, tandis que Bruxelles a acquis certaines compétences via la COCOF (article 138, al. 2 de la Constitution). 

 Ce projet est-il faisable ? 

 A Bruxelles, impossible de confier de telles compétences sans l’accord des partis flamands

Les trois chefs de partis en parlent comme un sujet déjà acquis, et insistent sur laccord presque historique entre leurs trois partis, mais semblent peu parler de la Flandre, qui a également son mot à dire dans leur projet. 

En effet, pour transférer des compétences à la Région de Bruxelles, il faut modifier les textes fédéraux : la Constitution ou la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980. Cette modification impliquerait une nouvelle réforme de l’Etat, et pour cela, il faut laccord du nord du pays. 

 Or, comme Céline Romainville l’exprime, il semble peu probable que les partis flamands acceptent de transférer leurs compétences à la Région de Bruxelles-Capitale car cela renforcerait le pouvoir de Bruxelles et affaibliraitle pouvoir de la Flandre. En effet, les néerlandophones étant minoritaires à Bruxelles, cette réforme ne leur serait pas favorable. En outre, cela priverait la Flandre de compétences dont elle dispose actuellement, ce qui ne s’est encore jamais fait. Cependant, les partis flamands se disent prêts à négocier. 

 La COCOF n’est pas faite pour des matières aussi importantes 

Une manière de contourner la réforme est de trouver un arrangement entre francophones. Une solution envisagée par les trois partis serait de transférer les matières vers la COCOF, grâce à l’article 138 de la Constitution. 

De plus, comme le souligne Céline Romainville, la COCOF n’est pas un organe créé pour gérer des compétences aussi importantes et, nayant pas de pouvoir fiscal, elle aurait des difficultés à tenir une situation financière à flot avec ces nouvelles compétences. 

 Ce projet voit le jour trop tard, trop précipitamment 

Il est impossible de parvenir à l’adoption dun décret au cours de cette législature, cest pourquoi les présidents des partis Ecolo, MR et PS envisagent plutôt ladoption dune “résolution. La résolution na pas de caractère constitutionnel. Il sagit plutôt dun engagement politique et informel entre les partis qui y adhèrent. Dans une résolution, il est possible dexprimer des aspirations, même si celles-ci ne relèvent pas nécessairement des compétences dune assemblée. Ainsi, les partis peuvent définir leur vision d’une réforme de lÉtat au travers de cette démarche (à l’instar de la Flandre au début des années 2000). Cependant, il convient de souligner que cela demeure un engagement politique et na pas de portée contraignante. 

L’engagement des présidents de parti à adopter une “résolutionest audacieux, car ils sont incertains des résultats des élections à venir. Cette initiative semble destinée à mettre en lumière les enjeux politiques à l’approche du scrutin. 

En conclusion, la faisabilité du transfert des compétences demeure incertaine et dépend notamment de l’approbation des partis flamands, qui joue un rôle crucial dans le processus. Dans l’attente de leur positionnement, et face aux enjeux actuels, le dénouement de cette question restera suspendu jusqu’à la prochaine législature, (du moins ?).  

 

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Procès sur l’affaire Schild & Vrienden : pourquoi l’immunité parlementaire n’a pas été mobilisée dans cette affaire ? 

Le Soir, 12 septembre 2023

Depuis 2018, le groupe Schild & Vrienden, sous la direction de Dries Van Langenhove (Vlaams Belang), s'est retrouvé au cœur d'une polémique grandissante, suscitant des préoccupations quant à ses actions et déclarations.  En effet, le député Van Langenhove a été inculpé en 2019 pour racisme, négationnisme et infraction à la loi sur les armes. Or, il jouit normalement d’une immunité parlementaire.

Ruben Ngan-be et Safae El Bouzakhi, étudiants en droit, UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain et Jogchum Vrielink professeurs à l’UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles, le 15 février 2024.

Quels sont les faits ? 

Pour retracer les origines de cette controverse, un documentaire diffusé sur la VRT en 2018 a mis en lumière l’existence de Schild & Vrienden, groupe nationaliste flamand, massivement présent sur Facebook. Ce qui a véritablement retenu l’attention, ce sont les messages échangés au sein du groupe, que l’on peut aisément qualifier de racistes, haineux et violents.  

Dries Van Langenhove, leader de ce groupe, a été inculpé en juin 2019 par le juge d’instruction de Gand avec 6 autres membres du groupe pour incitation à la haine et diffusion de messages racistes. Bien que le juge d’instruction lui ait imposé certaines conditions (telle que la visite guidée à la caserne Dossin, mémorial sur l’holocauste), une question cruciale demeure, celle de son immunité parlementaire.  

Immunité parlementaire, un obstacle aux poursuites judiciaires ? 

L’immunité parlementaire se compose de l’irresponsabilité parlementaire (article 58 de la Constitution) et de l’inviolabilité parlementaire (article 59 de la Constitution).  

L’irresponsabilité parlementaire se réfère à l’immunité dont bénéficient les parlementaires pour les opinions ou les votes exprimés dans l’exercice de leurs fonctions. Cela signifie qu’ils ne peuvent être tenus responsables légalement ou poursuivis pour leurs votes ou opinions.  

En revanche, l’inviolabilité parlementaire englobe une protection plus large, incluant l’immunité relative contre les poursuites pénales pour des actions non liées aux fonctions parlementaires, offrant ainsi une sphère d’immunité plus étendue.  

Ces deux principes visent à préserver l’indépendance des parlementaires, mais ils se différencient par leur portée et les situations auxquelles ils s’appliquent.  

Lirresponsabilité parlementaire confère une protection juridictionnelle aux membres du Parlement, les préservant de poursuites liées à leurs activités parlementaires. Le principe est consacré à l’article 58 de la Constitution qui dispose :Aucun membre de l’une ou de l’autre Chambre ne peut être poursuivi ou recherché à l’occasion des opinions et votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions . En d’autres termes, elle leur accorde la liberté d’expression sans craindre de conséquences pénales. Ce principe est une garantie fondamentale, mais son champ d’application soulève plusieurs questions. 

L’irresponsabilité parlementaire en Belgique : depuis quand et pourquoi ? 

L’irresponsabilité parlementaire existe afin de garantir l’indépendance du pouvoir législatif en protégeant les parlementaires contre d’éventuelles pressions ou représailles judiciaires qui pourraient entraver le libre exercice de leurs fonctions.  

Elle a été instaurée dans le contexte de la mise en place des institutions de l’État belge lors de son indépendance en 1831. À cette époque, la Belgique venait de se séparer des Pays-Bas et élaborait sa propre Constitution.  

L’introduction de l’irresponsabilité parlementaire était motivée par la volonté de garantir l’indépendance et la liberté de débat au sein du Parlement. Les rédacteurs de la Constitution cherchaient à protéger les parlementaires, favorisant ainsi un climat propice à des discussions franches et ouvertes.  

Ainsi, l’instauration de cette immunité visait à renforcer la démocratie naissante en Belgique en assurant la libre expression des idées au sein de l’institution parlementaire.  

Jusqu’où les parlementaires peuvent-ils invoquer le principe d’irresponsabilité parlementaire ?  

La question centrale demeure : jusqu’à quel point les parlementaires peuvent-ils invoquer le principe de l’irresponsabilité parlementaire ? Le cadre de l’exercice des fonctions comprend le travail parlementaire et les réunions officielles des mandataires pendant lesquelles ont, par exemple, lieu des discussions et négociations de propositions de lois, où les représentants politiques débattent des orientations à prendre et cherchent des consensus pour prendre des décisions importantes. Se pose ainsi la question de la protection de l’article 58 de la Constitution pour des propos tenus à l’extérieur du Parlement et en dehors des fonctions parlementaires.  

Quelle différence avec l’inviolabilité parlementaire consacrée à l’article 59 de la Constitution ? 

L’inviolabilité parlementaire implique que, durant la période de session, les membres du Parlement ne peuvent être traduits directement devant une cour ou un tribunal sans l’autorisation de l’assemblée à laquelle ils appartiennent, sauf en cas de flagrant délit. Aussi, l’article 59 de la Constitution couvre tout ce qui n’est pas couvert par l’article 58. 

L’inviolabilité parlementaire trouve son fondement dans la nécessité d’assurer l’indépendance du pouvoir législatif à l’égard du pouvoir judiciaire et exécutif. Son origine est intimement liée à la protection contre les poursuites arbitraires, établissant ainsi une barrière essentielle entre les fonctions parlementaires et d’éventuelles interférences externes. Cet équilibre vise à garantir que les parlementaires puissent exercer leurs fonctions sans craindre des actions judiciaires motivées par des considérations politiques, préservant ainsi l’intégrité du processus démocratique.  

Dans le cas de Dries Van Langenhove, des ambiguïtés surgissent. Tout d’abord, son mandat n’avait pas encore débuté au moment des faits. En effet, il a accédé au statut de parlementaire en 2019, alors que les évènements en question ont eu lieu en 2018, ce qui signifie qu’il ne jouissait pas de l’irresponsabilité parlementaire. Cependant, le parquet n’a pas entamé les poursuites rapidement et Mr Van Langenhove a été élu entre-temps, bénéficiant ainsi de la couverture accordée par l’article 59 de la Constitution. Compte tenu des circonstances, le Parlement a pris la décision le 1er décembre 2022, à la majorité des votes, de lever l’immunité parlementaire de Dries Van Langenhove afin de permettre au parquet de mener à bien les poursuites, soulignant ainsi la primauté de la justice et la responsabilité au sein de l’institution parlementaire. 

Conclusion 

La controverse entourant Dries Van Langenhove inculpé pour racisme, négationnisme et violation de la loi sur les armes souligne les défis liés à l’immunité parlementaire en Belgique. La chronologie des évènements et la nature des propos litigieux soulèvent des questions sur les limites de cette immunité, en particulier en ce qui concerne les actes commis antérieurement à son mandat. Cette situation illustre l’équilibre délicat qu’il convient d’opérer entre l’immunité parlementaire, garantie démocratique essentielle, et la responsabilité individuelle dans le contexte des activités extraparlementaires. 

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“Pas d’autre choix que de démissionner. Le ministre Van Quickenborne est politiquement responsable de l’erreur aux conséquences fatales avec deux décès” – Catherine Fonck

Rtbf, le 20 octobre 2023

Le vendredi 20 octobre 2023, la députée Catherine Fonck (Les Engagés) souligne que le ministre de la Justice n’a pas d’autre choix que de démissionner. Selon elle, il est impératif qu'il assume la responsabilité de l'erreur commise par le magistrat du parquet ayant omis de traiter la demande d'extradition du présumé terroriste, à l'origine de l'attentat commis le 16 octobre 2023 sur des ressortissants suédois. Vincent Van Quickenborne devrait pleinement assumer sa responsabilité ministérielle.

Bruyère Duvieusart-Zimmermann et Emmanuelle Galassi, étudiantes en droit à l’UCLouvain Saint-Louis - Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain et Jogchum Vrielink professeurs à l’UCLouvain Saint-Louis - Bruxelles, le 13 décembre 2023

Suite à l’abstention d’un magistrat de traiter la demande d’extradition d’Abdesalem Lassoued, l’auteur de l’attentat du 16 octobre 2023, Catherine Fonck, députée du parti Les Engagés, prend position en faveur de la démission du ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne. Selon elle, il est légitime qu’il assume la responsabilité politique à la place du magistrat, même s’il n’est pas à l’origine de l’erreur commise. 

Bien que les propos de la députée soient compréhensibles compte tenu des conséquences tragiques de l’erreur judiciaire, il est crucial de distinguer la responsabilité ministérielle de fait (laissée à l’appréciation du ministre, en dehors de toute base légale) de la responsabilité ministérielle de droit (consacrée par les textes légaux). 

Qu’est-ce que la notion de responsabilité politique ? 

La notion de responsabilité politique émerge au 19ème siècle, en pleine période révolutionnaire. L’inscription de cette notion dans la Constitution permet de donner au Parlement la possibilité de renvoyer le gouvernement ou un membre de ce dernier dès qu’ils ne bénéficient plus de leur confiance, choix devant être confirmé par le Roi. De nos jours, la responsabilité politique d’un ministre implique des engagements et des obligations envers le Parlement, mais également envers la société.  

Les ministres doivent rendre des comptes, même lorsque des erreurs sont commises par d’autres. En d’autres termes, le ministre est tenu responsable en cas de manquements. Il est important de noter que la démission d’un ministre est un acte soumis à des règles strictes et que la responsabilité politique seule ne contraint pas automatiquement, d’un point de vue juridique, un ministre à démissionner. 

Que prévoit la constitution ? 

La Constitution et le règlement de la Chambre des représentants prévoient deux situations de démission obligatoire pour un ministre. 

La première se produit lorsque le chef de l’État intervient en révoquant ses ministres, ce qui nécessite un contreseing ministériel (Constitution, art. 96, al.1). En d’autres termes, le Roi peut mettre fin aux fonctions d’un ministre pour autant qu’il y ait un contreseing ministériel. Cette prérogative, héritage du 19ème siècle, est difficilement admissible de nos jours et n’est plus utilisée dans les faits. 

La deuxième possibilité se présente lorsque la Chambre adopte une motion de méfiance individuelle à l’encontre d’un ministre (Règlement de la Chambre des représentants, art.138). Dans ce cas, le ministre visé par la motion doit démissionner et la motion n’a pas besoin d’être constructive (accompagnée de facto d’un successeur). 

Au-delà de ces deux situations spécifiques, il existe diverses circonstances de fait, laissées à l’appréciation personnelle du ministre qui ne sont ni réglementées par la loi ni par la Constitution, pouvant également mener à une démission. En l’absence de règles strictes en la matière, c’est au ministre de juger lui-même s’il peut demeurer en poste. Les démissions historiques de ministres, telles que celles liées à l’affaire Dutroux ou à l’affaire Semira Adamu, ont permis de dégager quatre typologies de démission. Tout d’abord, la démission peut résulter d’une erreur personnelle, qu’elle soit liée à des aspects politiques ou extra-politiques. Ensuite, elle peut être déclenchée par une faute survenue au sein des services relevant de la responsabilité du ministre. Enfin, la démission peut découler de motifs politiques ou encore motivée par des considérations personnelles. 

Obligation de démission ? 

Dans le cas présent, en assumant la responsabilité de l’erreur commise par des services soumis à sa direction, l’ancien ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne, a choisi de démissionner de sa propre initiative, sans y être légalement contraint. 

Par conséquent, les déclarations de Catherine Fonck selon lesquelles le ministre de la Justice n’avait pas d’autre choix que de démissionner ne sont pas en adéquation avec ce qui est prévu par la Constitution et le règlement de la Chambre des représentants. La décision de l’ancien ministre relevait d’un choix personnel et volontaire. 

Contacté par nos soins, Catherine Fonck n’a pas répondu à nos sollicitations.

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“EVRAS : plusieurs institutions islamiques en recours devant la Cour Constitutionnelle” 

Le Soir, 2 octobre 2023

Le 2 octobre 2023, les institutions islamiques formant le Conseil de Coordination des Institutions Islamiques de Belgique (CIB) ont annoncé, par voie de communiqué, vouloir introduire un recours devant la Cour Constitutionnelle visant à annuler le décret validant l’accord de coopération entre les gouvernements de la Fédération Wallonie-Bruxelles, la Région wallonne et la Commission communautaire française relatif à la généralisation de l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS) au sein des écoles francophones. Mais le projet EVRAS, de quoi s’agit-il ? Les institutions islamiques peuvent-elles opposer un recours en annulation devant la Cour Constitutionnelle ?

Bastien Henry de Frahan, étudiant en droit, Université UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain et Jogchum Vrielink professeurs à l'UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles, le 12 décembre 2023.

Le projet “ EVRAS ”, de quoi s’agit-il ?

La naissance du projet “ EVRAS ”

Le 24 juillet 1997, le Parlement de la Communauté française, également connue sous le nom de Fédération Wallonie-Bruxelles, a adopté le décret “Missions” . Ce décret a pour objectif de définir les missions prioritaires de l’Enseignement francophone, tant au niveau fondamental (maternel et primaire) qu’au niveau des secondaires. Il vise à établir non seulement les missions de l’enseignement francophone, mais aussi ses programmes et les compétences essentielles que les élèves doivent acquérir pour s’insérer socialement dans la société future et poursuivre leurs études. 

L’article 6 de ce décret “Missions” dispose que la Communauté française et tout pouvoir organisateur, pour l’enseignement subventionné, doivent notamment remplir simultanément les missions prioritaires suivantes : 

  • Promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chaque élève. 
  • Amener tous les élèves à s’approprier des connaissances et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre tout au long de leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle. 

L’article 8 de ce même décret, modifié en 2012, énonce que pour remplir ces missions prioritaires, la Communauté française et les pouvoirs organisateurs doivent veiller notamment à ce que chaque établissement éduque au respect de la personnalité et des convictions de chacun, au devoir de proscrire la violence tant morale que physique ainsi qu’à la vie relationnelle, affective et sexuelle. 

C’est donc le 12 juillet 2012, que l’Éducation à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle (EVRAS) a été intégrée dans le décret “Missions”, devenant ainsi l’une des missions prioritaires de l’enseignement francophone. Cependant, bien que l’EVRAS était devenue une mission, son enseignement n’était pas obligatoire, et seulement environ 20% des écoles la proposaient. 

Face à ce constat, en juin 2013, un protocole d’accord relatif à la généralisation de l’EVRAS a été signé entre les trois gouvernements francophones (la Région Wallonne, la Commission Communautaire Française (COCOF) et la Fédération Wallonie-Bruxelles). Ce protocole a défini l’EVRAS et les objectifs poursuivis, ainsi que les thématiques à aborder lors des animations liées à l’Éducation à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle. Cependant, il a fallu attendre l’approbation d’un décret pour que la mise en œuvre de l’EVRAS soit effective. 

Finalement, c’est le jeudi 7 septembre 2023 que le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a promulgué le décret approuvant l’accord de coopération entre les différentes entités fédérées. L’EVRAS deviendra enfin obligatoire dans toutes les écoles primaires et secondaires francophones dès cette rentrée des classes 2023-2024. Les élèves de 6ème primaire devront suivre 2 heures d’animations obligatoires, tout comme ceux de 4ème secondaire. Devenant partie intégrante du programme scolaire, ces animations seront dorénavant obligatoires pour tous les élèves, sans exception. 

Mais en quoi consiste le projet “EVRAS”?

Selon l’initiateur de ce projet, à savoir la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’Éducation à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle (EVRAS) est un processus éducatif abordé dans les écoles francophones, qui se concentre sur des thèmes tels que la sexualité, les relations et les émotions. 

L’accord de coopération qui le définit précise que l’EVRAS vise à renforcer les compétences des jeunes pour prendre des décisions éclairées, favorisant le bien-être dans leur vie relationnelle, affective et sexuelle, ainsi que le respect de soi et des autres. Il s’agit d’accompagner les jeunes vers l’âge adulte en tenant compte de multiples dimensions, y compris les aspects relationnels, affectifs, sociaux, culturels, philosophiques et éthiques de la sexualité. 

Comme explicité dans ce même accord, l’EVRAS comprend plusieurs aspects : elle commence par une éducation affective, encourageant la compréhension des émotions et la capacité à les exprimer. Ensuite, elle enseigne le domaine relationnel, couvrant des thèmes comme la communication, le respect de soi et des autres, la prévention de la violence, et la déconstruction des stéréotypes sexistes et homophobes. Elle aborde également la vie affective et sexuelle dans un contexte de diversité culturelle. Enfin, l’EVRAS inclut l’apprentissage de la sexualité, en encourageant la connaissance et le respect de son propre corps, la prévention des risques sexuels, et une réflexion sur les aspects sociaux et culturels de la sexualité, y compris la pornographie. 

Les animations EVRAS sont dispensées par des personnes compétentes et formées, et sont adaptées en fonction de l’âge des enfants. Les sujets abordés au cours de ces animations sont choisis en réponse aux questions et aux besoins des enfants. 

Mais aujourd’hui, tout le monde n’approuve pas ce changement considérable qu’est l’arrivée de l’EVRAS dans le parcours scolaire des enfants. Comme de nombreuses personnes, certaines institutions islamiques de Belgique s’opposent à ces animations affirmant qu’elles violent la Constitution et en particulier son article 24 relatif à la neutralité de l’enseignement. 

Les institutions islamiques peuvent-elles s’y opposer en introduisant un recours en annulation devant la Cour Constitutionnelle ?  

Oui, la réponse à cette question est positive. Depuis 1988, toutes les personnes physiques ou morales démontrant un intérêt, ont la possibilité de déposer un recours en annulation directement devant la Cour Constitutionnelle. Néanmoins, l’intérêt pour agir doit être réel, actuel et légitime, et la requête doit être présentée dans un délai de 6 mois à partir de la publication de la norme législative contestée. Un critère supplémentaire est requis pour les personnes morales qui souhaitent introduire un recours en annulation : la norme attaquée doit affecter directement leur objet social.  

Il est important de noter que la Cour Constitutionnelle a pour mission de contrôler des normes de nature législative. Par conséquent, elle est compétente pour examiner toutes les normes législatives – lois, décrets et ordonnances – ainsi que les normes liées à l’assentiment d’accords de coopération. Enfin, les normes de contrôle de la Cour s’étendent à l’ensemble du titre II de la Constitution, comprenant ainsi l’article 24 relatif à a neutralité de l’enseignement. La Cour Constitutionnelle contrôle aujourd’hui le respect de l’ensemble du titre II de la Constitution (droits fondamentaux des citoyens), ainsi que des articles 170, 172 et 191 de la Constitution. 

Comme mentionné précédemment, le recours intenté contre l’EVRAS repose sur l’allégation de violation de l’article 24 de la Constitution, qui concerne la neutralité de l’enseignement. Les parties plaignantes avanceront probablement que l’EVRAS porte atteinte aux convictions religieuses et philosophiques des enfants en leur imposant une idéologie particulière.  

Cependant, il est peu probable que la Cour Constitutionnelle donne raison aux institutions islamiques. En effet, selon une vieille jurisprudence qu’est l’arrêt “Kjeldsen Busk Madsen & Pedersen” de 1976 de la Cour Européenne des Droits de l’Homme : ”l’éducation sexuelle ne constitue point une tentative d’endoctrinement visant à préconiser un comportement sexuel déterminé. Elle ne s’attache pas à exalter le sexe, ni à inciter les élèves à se livrer précocement à des pratiques dangereuses pour leur équilibre”. Tant l’État danois que la Cour Européenne des Droits de l’Homme affirment que l’éducation sexuelle vise à informer les élèves et s’inscrit dans une politique d’intérêt public. En conclusion, la Cour rappelle que si les parents ne sont pas d’accord avec l’enseignement dispensé, ils ont la possibilité d’inscrire leurs enfants dans des écoles privées ou de choisir l’enseignement à domicile. Mais notons que cet arrêt remonte dans le temps et concerne spécifiquement l’État danois ainsi que son système éducatif. La période écoulée depuis lors et les différences entre le système éducatif danois et celui de la Belgique pourraient alors être des éléments propices à la discussion. 

Par conséquent, comme tout individu ou toute association, les institutions islamiques ont le droit de soumettre une demande d’annulation concernant le décret d’approbation de l’accord de coopération établissant l’EVRAS. À présent, il ne reste plus qu’à attendre le recours et la décision des juges pour déterminer si leur demande est justifiée ou non : affaire à suivre ! 

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Comment pense-t-on le financement des cultes en Belgique aujourd’hui ?

Godvergeten, VRT Canvas le 5 septembre 2023

Suite à l'émission ‘Godvergeten’ qui est parue sur la chaîne VRT il y a quelques semaines, la Flandre est bouleversée et révoltée. L’émission dénonce les abus sexuels commis par l’Église catholique et le manque de soutien apporté aux victimes qui ont osé dénoncer les faits. On peut se poser la question suivante : Comment l’État peut-il continuer à financer le culte catholique et ses ministres des cultes, après de telles dénonciations ? Une commission d’enquête parlementaire a été établie investie de différentes missions, dont celle de réfléchir au financement des cultes.

Léa Sessa et Zoé Verstraete, étudiantes en droit, UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Jogchum Vrielink professeur à l’UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles et Adriaan Overbeeke professeur à la Vrije Universiteit Amsterdam et chercheur à l’UAntwerpen, le 30 novembre 2023

La répartition des compétences en matière de financement des cultes, qui diffère selon les entités du pays, est une matière complexe en Belgique. Cet article a pour but d’illustrer comment fonctionne ce financement aujourd’hui et quelles sont les alternatives envisageables pour le futur.

Comment est réparti le financement des cultes en Belgique ?

En Belgique il y a 6 cultes reconnus ainsi que la conception philosophique non-confessionnelle. Le bouddhisme n’est pas reconnu, mais l’ASBL “Union bouddhique Belge” perçoit quand même une subvention. 

En principe, les droits garantis aux cultes sont repris aux articles 19, 20 et 21 de la Constitution et le financement des cultes est repris à l’article 181, §1 de la Constitution. Son financement est néanmoins étalé et divisé entre l’État fédéral, les communautés et les régions, les provinces et les communes. Elles sont toutes responsables d’une partie du financement des cultes, depuis la réforme de 2001. 

 L’État fédéral est compétent s’agissant de la reconnaissance des cultes (Loi spéciale du 8 août 1980, art. 6 §1er, VIII, 6°) et du traitement des pensions des ministres des cultes (art. 181 de la Constitution). Les régions sont compétentes en matière de fabrication des structures de gestion pour des communautés cultuelles reconnues (par exemple, l’église), d’établissements chargés de la gestion du temporel des cultes reconnus (Loi spéciale du 13 juillet 2001) et en matière de reconnaissance des communautés locales. Suite à la répartition des compétences en Belgique, directement et indirectement, certaines matières sont également devenues des compétences communautaires et des compétences régionales. Par exemple, le transfert de la compétence de l’enseignement aux communautés a un impact sur le statut des professeurs de religion qui est défini par décrets (S. WATTIER, Le financement public des cultes et des organisations philosophiques non confessionnelle, Bruxelles, Bruylant, 2016, p.104 à 128.).

Les communes ont l’obligation de “pourvoir au logement des personnes placées à la tête des paroisses et des succursales par le chef diocésain” et “l’indemnité du logement qui sera due lorsque le logement ne peut être fourni en nature”. Les provinces sont compétentes pour ces deux mêmes matières à l’égard des ministres des cultes islamique et orthodoxe (Art. 69, 9° de la loi provinciale) (S. WATTIER, ibidem, p.132 et 133.).

 Toutefois, il faut noter que l’Église catholique a, lors de la création de la Belgique, bénéficié d’un arrangement différent.  Afin de créer une communauté locale, il existait un principe administratif qui prévoyait qu’il fallait 200 à 250 croyants dans la commune tandis que l’Église catholique pouvait obtenir une paroisse dès lors qu’il y avait au moins 600 habitants dans la commune, peu importe leur religion. Cette différence provient du fait qu’à la création de la Belgique, pratiquement toute la population était catholique. Néanmoins, nous avons évolué vers une société pluraliste mais aucun changement n’a été apporté. Il faut également noter qu’il n’existe pas de base juridique à cette exception, il s’agit seulement d’une pratique administrative (S. WATTIER, ibidem, p.692 et 693.). 

Comment pourrait-on modifier le système belge ?

Le financement des cultes et des communautés non-confessionnelles par l’État belge est aujourd’hui jugé dépassé par certains et de plus en plus de personnes appellent au changement. 

Mais comment pourrait-on modifier ce système de financement mis en place depuis des centaines d’années? Le financement des cultes est inscrit aux articles 24, § 1 et § 3 ainsi qu’à l’article 181, § 1 de la Constitution; pour changer le contenu de ces articles, une révision de la Constitution est donc nécessaire, ce qui n’est pas si facile à faire. 

Conformément à l’article 195 de la Constitution, pour pouvoir entamer une procédure de révision, le pouvoir législatif fédéral doit déclarer quels articles de la Constitution sont révisables. Après cette déclaration, la Chambre des représentants et le Sénat sont dissous de plein droit entraînant de nouvelles élections. Ce ne sont que les nouvelles chambres législatives qui seront compétentes pour procéder à la révision des articles qui figurent dans la déclaration de révision (M. UYTTENDAELE et M. VERDUSSEN, “Révision de la Constitution” dans M. Uyttendaele et M. Verdussen, (dir.), Dictionnaire de la Sixième Réforme de l’Etat, Bruxelles, Larcier, 2015, p. 735.).  

Pour changer le système actuel de répartition du financement il faudrait donc ouvrir les articles 24 et 181 de la Constitution à révision et ceux-ci pourront potentiellement être révisés à la suite des prochaines élections législatives. 

Mais quelles alternatives au système belge pourrait-on envisager ? 

Certains pays comme l’Italie et l’Espagne ont, quant à eux, opté pour un système d’assignation fiscale. Chaque personne choisit de payer un petit montant d’impôt au culte ou à une organisation non-confessionnelle de son choix. Ce système entraînerait un grand changement car on passerait d’un financement de postes individuels prédéfinis, l’État belge finance actuellement la pension des ministres des cultes et la pension des déléguées des organisations reconnues par la loi – à un financement où une somme globale serait attribuée à un culte qui devra ensuite la répartir de manière autonome (S. WATTIER, op. cit., p. 818-819.).

Ce changement de système apporterait aussi son lot de questions concernant sa compatibilité avec notre Constitution car plusieurs droits fondamentaux qui y sont consacrés, comme le respect à la vie privée, le droit de ne pas révéler ses croyances et biens d’autres encore pourraient potentiellement entrer en conflit avec l’assignation fiscale. Celle-ci nécessite en effet de choisir une croyance à subventionner et donc de révéler sa « croyance » ou « non-croyance » (S. WATTIER, op. cit., p. 818-819.). 

En France, on peut observer un système encore différent puisque l’État et l’Église sont complètement séparés. Cette abstention de financement est consacrée à l’article 2 de la loi française du 9 décembre 1905. On peut y lire que « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Alors que pour l’État belge, la laïcité laisse sous-entendre un traitement égalitaire entre les religions et les organisations non-confessionnelles de l’État, pour la France, elle signifie une abstention complète (p. 91) de tout financement des cultes par l’État. Cette séparation complète reste néanmoins théorique car en pratique on peut observer certaines formes de financement (p.99) prévues par la loi comme l’entretien des lieux de cultes érigés avant 1905 ou encore le financement de l’enseignement privé catholique. En Alsace-Moselle (p.101), les cultes catholique, israélite, protestant, protestant réformé et luthérien sont même reconnus et financés car le régime en place est encore celui du Concordat de 1801, remis en vigueur le 15 septembre 1944. 

Il existe donc des alternatives au système belge de financement des cultes direct, notamment l’assignation fiscale ou la séparation complète de l’État et de l’Église. Ces systèmes, bien qu’envisageables, comportent néanmoins également des désavantages qu’il convient de prendre en compte s’agissant d’une éventuelle réforme.

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“Surpopulation carcérale : la Belgique à nouveau tristement mise en lumière par le Conseil de l’Europe” 

Le Soir, 4 octobre 2023

Le Conseil de l’Europe a, une nouvelle fois, appelé la Belgique à prendre des mesures urgentes pour lutter contre la surpopulation carcérale. Mais que se passe-t-il réellement dans nos prisons? La Belgique risque-t-elle des sanctions de la part du Conseil de l’Europe ?

Joséphine Paternotte, étudiante en droit, UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain professeure à l'UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles, le 23 novembre 2023.

La Belgique est le quatrième pays d’Europe la surpopulation carcérale est la plus importante, selon les statistiques du Conseil de l’Europe. De nombreux prisonniers n’y ont pas de lit, et dorment sur des matelas posés à même le sol. Les gardiens se mettent régulièrement en grève, en raison de leurs conditions de travail et du manque d’effectif 

Le problème n’est pas nouveau, loin de là. Suite à sa première condamnation dans l’arrêt Vasilescu c. Belgique du 25 novembre 2014 par la Cour européenne des droits de l’Homme (organe judiciaire du Conseil de l’Europe), la Belgique aurait dû prendre des mesures générales et structurelles pour garantir de meilleures conditions de détention et prévenir la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Cependant, elle ne l’a pas fait, et s’en est suivi de nombreuses condamnations par la Cour européenne et par la justice belge. Le tribunal de première instance de Liège et celui de Bruxelles ont en effet condamné l’Etat belge (respectivement en 2018 et 2019) et, plus récemment, le tribunal de première instance du Hainaut a exhorté l’Etat belge, en juin 2023, à réduire la surpopulation carcérale de la prison de Mons. 

Quelles sont les conséquences de cette surpopulation ?  

L’excès de prisonniers n’est pas qu’une affaire de lits posés par terre : cette situation empêche les agents pénitentiaires de pouvoir travailler correctement et elle est à l’origine de mauvaises conditions de détention, notamment sanitaires. De plus, elle brise la confiance mutuelle entre les Etats membres de l’Union européenne. En effet, une situation comme celle que nous avions vécue en décembre 2022, où la justice néerlandaise refusait le transfert de détenus en Belgique à cause de la surpopulation carcérale, pourrait se répéter, tant que la Belgique ne mettra pas en place de réelles mesures pour y mettre fin.   

En mars 2023, la Belgique a soumis un sixième plan d’action au Comité des ministres du Conseil de l’Europe (qui assure le suivi de l’exécution des arrêts de la Cour européenne). Le CCSP, Conseil central de surveillance pénitentiaire, a fait savoir que ce nouveau plan d’action ne permettait pas de résoudre les problèmes de surpopulation carcérale et le Comité des ministres a invité la Belgique à envisager des mesures contraignantes de régulation de la population carcérale.  

Mais que s’est-il passé pour que la Belgique soit à nouveau pointée du doigt par le Conseil de l’Europe ?  

Le premier septembre 2023, la dernière phase de la réforme “Van Quickenborne”, visant à faire exécuter les peines de moins de deux ans (jusqu’ici très peu exécutées), est entrée en vigueur. Si les objectifs de cette réforme sont louables (lutter contre l’impunité et combattre la délinquance), elle n’arrive pas au bon moment, au vu de la situation de nos prisons, comme le soulignent certains directeurs de prison. Ils estiment en effet qu’“ aucun effort n’assortit l’entrée en vigueur de la réforme ” (Marc Brisy, directeur de la prison de Lantin). 

Le Conseil central de surveillance pénitentiaire a directement réagi en soulignant que la réforme ne ferait qu’accentuer la surpopulation carcérale. 

Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a adopté une décision constatant que l’objectif qu’ils avaient recommandé à la Belgique, visant à limiter le nombre de détenus à 10 000, n’est pas maintenu.   

En novembre 2023, 11 734 personnes étaient incarcérées, contre 11 224 l’année dernière, sachant que la Belgique n’a qu’une capacité de 10 432 places. Il s’agit donc d’une belle augmentation de prisonniers, alors que notre pays se sait surveillé par le Conseil de l’Europe et que, selon certains, “Les capacités des prisons sont parfois surestimées !” (Vincent Spronck, pour Le Soir). 

Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe recommande de privilégier plus souvent les alternatives à la prison (surveillance électronique, la libération conditionnelle,..) ainsi que de créer une voie de recours pour les prisonniers souhaitant dénoncer le caractère inhumain et dégradant de leur incarcération. Il demande également à la Belgique que tous les détenus aient un lit et des sanitaires fermés. De plus, le Comité “appelle le Parlement et Gouvernement et les acteurs de la chaîne pénale à mettre en œuvre, sans délai, les recommandations fermes du Conseil de l’Europe ” ainsi qu’à consacrer leurs efforts non pas sur l’augmentation de la capacité carcérale, qui ne résout pas le problème, mais sur la réduction de la surpopulation.   

En conclusion, la Belgique est un Etat régulièrement condamné, tant par le Conseil de l’Europe que par sa propre justice pour sa surpopulation carcérale. Cette situation semble malheureusement loin d’être résolue aujourd’hui. Si pour l’instant seules des recommandations sont émises par le Conseil de l’Europe, la Belgique n’est pas à l’abri d’une nouvelle condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme pour traitement inhumain et dégradant. 

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Procès des attentats de Bruxelles : pas de recours en cassation  

Le Soir, le 2 octobre 2023

Après la déclaration de culpabilité des accusés, les regards se sont tournés vers la question des peines, où le parquet a réclamé la réclusion à perpétuité, notamment pour Salah Abdeslam et Mohamed Abrini, alias l’homme au chapeau.

Pour les avocats de la défense, leurs clients ne devaient pas être soumis à une nouvelle peine en raison de leur précédente condamnation pour les attentats du 13 novembre 2015. En effet, la cour d’assises parisienne les a condamnés le 29 juin 2022 à la réclusion à perpétuité.

L’argumentation de la défense repose sur l’article 62 du Code pénal belge, suscitant un débat juridique avec le parquet sur la question épineuse du concours d’infractions.

Le 15 septembre 2023, la cour d’assises de Bruxelles a condamné Mohamed Abrini à 30 ans de réclusion et n’a pas prononcé de peine à l’égard de Salah Abdelsam en raison du concours idéal d’infractions formé avec sa précédente condamnation, par le tribunal correctionnel de Bruxelles en 2018 à 20 ans d’emprisonnement pour tentative d’assassinat à caractère terroriste et possession illégale d’armes à feu (fusillade de la rue du Dries).

Les condamnés n’ont pas introduit de pourvoi en cassation, de sorte que la décision de la cour d’assises est désormais définitive.

Johan Alvarez, étudiant en droit, UCLouvain Saint-Louis Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain, professeure à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles, le 16 novembre 2023.

Comprendre le concours d’infractions  

Pour bien appréhender le concours d’infractions, il est essentiel de dissiper une confusion couramment opérée avec la récidive. Contrairement à la récidive, qui se produit lorsque quelqu’un commet une infraction après avoir déjà été condamné pour une autre infraction, le concours d’infractions survient lorsqu’une personne est accusée de plusieurs infractions distinctes, sans qu’aucune de ces infractions n’ait donné lieu à une condamnation préalable.  

Prenons un exemple pour illustrer la distinction. Si une personne est condamnée pour un vol avec violences et est ensuite arrêtée pour un vol de véhicule, il s’agit d’un cas de récidive, car il y a eu une condamnation antérieure pour le vol avec violences. En revanche, si une personne est accusée à la fois de vol de véhicule et de fraude fiscale, sans avoir été condamnée précédemment pour l’une de ces infractions, cela constitue un concours d’infractions.  

Cette distinction est cruciale dans le système judiciaire, car elle influe sur la manière dont les tribunaux déterminent les peines applicables.  

Concours matériel versus concours idéal  

Il est important de distinguer deux types de concours d’infractions. 

D’une part, le concours matériel. Ce type de concours se produit lorsque les infractions poursuivies sont indépendantes les unes des autres. Par exemple, si une personne commet un vol avec violences, un viol et un homicide, ces infractions ne sont pas liées entre elles par une même intention délictueuse.  

D’autre part, le concours idéal qui  se produit lorsque les infractions sont reliées entre elles par une intention criminelle commune. Par exemple, si une personne commet une série de vols dans le but de financer sa consommation de drogues. Dans cette situation, on considère que toutes les infractions reflètent la même intention délictueuse et que ces multiples infractions ne forment entre elles qu’un fait pénal unique.  

L’enjeu de cette distinction est crucial dans cette affaire.  

Dans le procès des attentats de Bruxelles, la cour d’assises juge des actes commis à Bruxelles en 2016, formant un concours d’infractions avec ceux commis à Paris en 2015, pour lesquels Salah Abdeslam et Mohamed Abrini ont déjà été condamnés en France. En effet, au moment où ils ont commis les attentats à Bruxelles, ils n’ont pas encore été condamnés pour les faits commis à Paris, de sorte qu’il faut ici parler de concours d’infractions et non de récidive. 

Reste à savoir si le concours d’infractions doit être qualifié de matériel ou d’idéal. 

Pour la défense des accusés, les attentats de Paris et de Bruxelles forment un concours matériel d’infractions. Elle considère dès lors qu’aucune peine ne peut être prononcée en Belgique puisque leurs clients ont déjà été condamnés à la peine la plus forte en France, soit la réclusion à perpétuité. 

Leur argumentation se fonde sur l’article 99 bis alinéa 1 du Code pénal qui prévoit que les condamnations prononcées par les juridictions pénales des autres Etats membres, produisent les même effets que les condamnations prononcées par les juridictions pénales belges.    

 Or, en cas d’un concours matériel, notre droit prévoit que seule la peine la plus forte peut être prononcée (article 62 du Code pénal). Dans ce cas, la cour d’assises belge doit tenir compte de la condamnation prononcée par la cour d’assises parisienne. 

L’arrêt de la cour d’assises de Bruxelles 

La cour d’assises belge affirme que les actes pour lesquels comparaissent les accusés constituent “la manifestation successive et continue de la même intention délictueuse étant inscrits dans une vague d’attentats commandités depuis la Syrie par l’État islamique et exécutée sur le sol européen”.  

La cour considère ainsi que les actes commis à Paris et à Bruxelles forment un concours idéal d’infractions et que, dans ce cas, elle n’est pas tenue par les condamnations prononcées par les juridictions pénales étrangères selon l’article 99 bis, alinéa 2, du Code pénal, mais uniquement de celles prononcées par les juridictions belges. 

Il convient dès lors de différencier le cas de Salah Abdeslam de celui de Mohamed Abrini. 

Salah Abdeslam a été condamné en 2018 par le tribunal correctionnel francophone de Bruxelles à une peine de 20 ans de prison pour la fusillade rue du Dries. Ce premier fait forme avec les attentats de Bruxelles un concours idéal d’infractions. Sa condamnation de 2018 ayant été prononcée par une juridiction belge, la cour d’assises doit en tenir compte. 

Ainsi, la cour estime que la peine de 2018 “assure une juste répression de l’ensemble des infractions” et n’a pas prononcé de nouvelle peine à son encontre.  

Dans le cas de Mohamed Abrini, si la cour estime également que l’ensemble des faits constitue un concours idéal d’infractions, elle n’est pas liée par la condamnation française. Comme l’explique Benoît Dejemeppe, dans plusieurs arrêts belges et européens, la jurisprudence a néanmoins précisé que les juges belges devaient “ tenir compte d’une autre manière ” des condamnations prononcées dans un autre État membre de l’Union européenne, par exemple en diminuant la peine. La cour d’assises a ainsi tenu compte de la décision française au titre de “ circonstance atténuante ” pour condamner Mohamed Abrini, non à la réclusion à perpétuité, mais à une peine de 30 ans de réclusion. 

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“Droit à l’accueil : une illégalité qui traduit un choix politique condamnable”

Le Soir, 07 octobre 2023

Le 29 août 2023, Nicole de Moor (CD&V), secrétaire d’Etat à l’asile et à la migration, a annoncé une décision temporaire visant à ne plus accepter les hommes seuls dans le réseau Fedasil, l’agence chargée de l'accueil des demandeurs d’asile en Belgique.
La justification de cette décision est la constante augmentation des demandes d’asile de familles avec enfants, ce qui, selon Madame de Moor, nécessite une priorité pour éviter que des enfants ne se retrouvent sans abri pendant l’hiver.
Cette décision a suscité l’indignation et huit associations ont décidé de saisir le Conseil d’Etat en introduisant une requête en suspension de l'exécution de cette mesure.

Johan Alvarez et Thomas Thiry, étudiants en droit, UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Jogchum Vrielink professeur à l’UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles et Benoit Dhondt, avocat en droit des migrations et des réfugiés - Bruxelles, le 17 octobre 2023.

La requête en suspension d’extrême urgence : un enjeu crucial 

Lorsqu’une requête en annulation est soumise au Conseil d’Etat, il est important de noter que cette démarche n’a pas d’effet immédiat sur la décision contestée. En conséquence, ladite décision demeure en vigueur, continuant ainsi à produire ses effets en attendant l’issue de la procédure. Cependant, il faut reconnaitre que les délais inhérents à un recours en annulation devant le Conseil d’Etat peuvent s’étirer sur une période relativement longue, atteignant généralement un an et demi. Il en est de même pour la requête en suspension ordinaire laquelle peut atteindre un délai allant de quatre à six mois en principe.

Par conséquent, il peut survenir des situations où une décision préjudiciable conserve son impact pendant cette période, occasionnant des dommages graves et irréparables.

Pour faire face à de telles circonstances, la loi prévoit la possibilité d’introduire une requête en suspension d’extrême urgence. Cette procédure exceptionnelle ne s’applique que dans des cas particuliers et est soumise à des conditions spécifiques. Tout d’abord, elle exige que l’urgence soit manifeste, rendant impossible le traitement de l’affaire par le biais d’une procédure d’annulation classique.

De plus, il est nécessaire qu’au moins un argument sérieux soit avancé pour étayer la possibilité d’annuler la décision contestée.

La politique européenne en matière d’accueil des demandeurs d’asile

L’Union européenne s’est engagée à établir un régime d’asile européen harmonisé avec une procédure d’asile commune et un statut uniforme pour les personnes bénéficiant d’une protection internationale.

Dans cette perspective, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté, le 27 janvier 2003, une directive ayant pour objectif d’établir des normes minimales en ce qui concerne l’accueil des demandeurs d’asile au sein des États membres.

Dix années plus tard, le 26 juin 2013, l’Union européenne a adopté une directive exigeant des États membres qu’ils garantissent la mise en œuvre de conditions matérielles d’accueil adéquates. Cela inclut notamment la création de centres d’hébergement offrant un niveau de vie satisfaisant.

Ces dispositions s’appliquent de manière universelle, à l’ensemble des demandeurs de protection internationale dès leur arrivée sur le territoire des États membres.

Par ailleurs, bien que cet argument n’ait pas été porté par les parties demanderesses, il est important de noter que dans la mise en œuvre du droit européen, la Belgique est tenue de respecter la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne laquelle interdit formellement toute discrimination fondée notamment sur le sexe.

La garantie du droit d’accueil dans la législation belge

Nicole de Moor l’affirme elle-même en citant le Conseil d’État : “chaque personne qui demande l’asile en Belgique a droit à l’accueil”. Cette affirmation se fonde sur l’article 3 de la loi de 2007 qui consacre le principe de non-discrimination et d’égalité en soulignant que tout demandeur d’asile jouit du droit à l’accueil. Ce n’est pas un souhait ou une simple requête, c’est un droit.

Ce droit à l’accueil, tel que défini par le législateur, englobe principalement une assistance matérielle, comme précisé à l’article 2 de la loi de 2007. Cette assurance couvre la garantie d’accès à des besoins fondamentaux tels que le logement, la nourriture et les vêtements. Elle englobe également l’accès à un soutien médical, social et psychologique, la fourniture d’une allocation quotidienne, l’assistance juridique, l’accès à des services tels que l’interprétation ou la formation, ainsi que la possibilité d’adhérer à un programme de retour volontaire.

Bien qu’il soit effectivement possible de restreindre ce droit matériel, de telles restrictions ne sont permises que dans trois cas spécifiques : lorsque le demandeur de protection internationale refuse de s’inscrire dans le lieu d’inscription obligatoire, ne respecte pas certaines obligations procédurales ou présente une demande ultérieure.
Ces décisions de limitation de l’aide matérielle doivent être justifiées, proportionnées et être prises objectivement sur base de la situation personnelle du demandeur d’asile.

Dans une décision du 12 novembre 2019, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a toutefois précisé que même lorsqu’une telle sanction vient à être prise, les États membres doivent garantir “en permanence et sans interruption” un niveau de vie digne conformément à l’article 1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et “qu’une sanction qui priverait le demandeur d’asile, même temporairement, de l’ensemble des conditions matérielles d’accueil n’est pas compatible avec la directive”.

Ainsi, une décision de limitation du droit d’accueil généralisée ne peut être prise en toute légalité.

Au contraire, la CJUE dans une décision du 27 février 2014, a précisé que la directive de 2003 s’oppose à ce “qu’un demandeur d’asile soit privé, fut-ce pendant une période temporaire, après l’introduction d’une demande d’asile, de la protection des normes minimales établies par cette directive”.

Dans cette même décision, la CJUE rappelle que la circonstance que les structures d’hébergement dédiées aux demandeurs d’asile soient saturées ne permet pas aux États membres de se soustraire à leurs obligations de fournir des conditions matérielles d’accueil. En effet bien que les États membres ne soient pas en mesure de fournir ces conditions d’accueil en nature, la directive leur laisse la possibilité de fournir ces conditions matérielles d’accueil sous la forme d’allocations financières.

Décision du Conseil d’État

Le 13 septembre 2023, le Conseil d’Etat a tranché en faveur des demandeurs d’asile en accédant à la requête en suspension. Il a basé sa décision sur la loi belge du 12 janvier 2007 sur l’accueil des demandeurs d’asile, qui garantit à tout demandeur d’asile un accueil conforme à la dignité humaine, dès l’introduction de sa demande.

Le Conseil d’Etat estime que l’application de la loi du 12 janvier 2007 “ne permet pas à la partie adverse de priver du droit à l’accueil une catégorie de demandeurs d’asile, constituée par les hommes seuls, pour résoudre les difficultés auxquelles elle indique être confrontée.”.

Malgré cette décision, Nicole de Moor a maintenu sa position affirmant sur X que “la suspension du Conseil d’Etat ne garantit pas que nous ayons soudainement de la place pour tout le monde”, maintenant ainsi le Gouvernement belge dans une position illégale.

Toutefois, dans un article du 28 septembre 2023, le journal De Morgen affirme avoir eu accès à l’instruction de Madame de Moor à Fedasil et que celle-ci ne prévoit pas d’interdire l’accès aux hommes seuls mais uniquement de prioriser les familles pour les places actuelles. Il est donc important à ce stade d’attendre de voir la future décision du Conseil d’État quant à la demande d’annulation. En effet, s’il s’avère que cette catégorie de personnes est accueillie conformément aux exigences de la loi, alors il se pourrait que la demande initiale soit devenue sans objet.

Les implications et le respect de l’État de droit

La décision du Conseil d’État ordonne l’exécution immédiate de son arrêt dans l’attente d’une décision qui statuera sur la requête en annulation au maximum dans les 6 mois suivant ce premier arrêt.

En cas de non-respect de cette décision, les parties requérantes sont autorisées à solliciter la section de législation du Conseil d’Etat pour imposer une astreinte à l’État, afin de garantir l’application de cette décision.

Dans un article publié le 7 avril 2023, le journal Moustique rappelle que “L’État belge et Fedasil ont déjà été sanctionnés 8.600 fois par différents tribunaux du travail pour ne pas avoir logé, nourri et blanchi des demandeurs d’asile” et qu’il en résulte 168 millions d’euros d’astreintes que les deux parties refusent de payer.

Par ailleurs, les individus qui ont subi un préjudice en raison de cette politique jugée illégale peuvent poursuivre l’Etat en invoquant sa responsabilité extracontractuelle, bien que l’immunité ministérielle couvre la secrétaire d’Etat.

Cette situation fait écho à la condamnation récente de la Belgique par la Cour européenne des droits de l’Homme en juillet 2023 qui a souligné une “carence systémique” dans l’exécution des décisions de justice.

Dans une tribune publiée le 20 septembre 2023 dans “De Standaard”, plusieurs professeurs d’université ont dénoncé “un gouvernement fédéral qui persiste à violer l’un des principes démocratiques parmi les plus élémentaires”.

En somme, la Belgique, autrefois perçue comme un exemple de démocratie et de respect des droits de l’homme, voit sa politique d’asile sous un nouveau jour, remettant en question ses engagements européens et les principes de l’État de droit qui sont au cœur de sa tradition politique à savoir le respect des décisions de justice.

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La Région bruxelloise va octroyer un droit de préférence aux locataires d’un logement mis en vente

Le Soir, 15 juin 2023

Être propriétaire permet-il de tout décider concernant son bien ? Et notamment à qui on veut le vendre ? Selon, la secrétaire d’Etat bruxelloise, Nawal Ben Hamou, la réponse est non. En effet, un projet d’ordonnance est actuellement soumis au Parlement, qui vise à accorder un droit de préférence aux locataires lorsque leur propriétaire souhaite vendre son bien. Ce projet porte donc directement atteinte au droit de propriété.

Rania Sabaouni, étudiante en droit à l’Université Saint-Louis - Bruxelles, sous la supervision de Nicolas Bernard, professeur de droit des biens à l’Université Saint-Louis - Bruxelles, le 28 juillet 2023

L’atteinte d’un droit de préférence au droit de propriété n’est pas contestée mais, selon Nawal Ben Hamou, elle est justifiée. Elle souhaite, par cette mesure, favoriser l’accès à la propriété et rétablir l’égalité entre les locataires et les propriétaires, tout en protégeant les locataires de l’envolée des prix des logements à Bruxelles.  

Comment ça marche ?   

Le droit de préférence projeté s’inspire d’un mécanisme prévu en France depuis 1989. Lorsque le bailleur souhaite mettre en vente son bien loué, il devra en informer préalablement son locataire, en lui transmettant une offre de vente. Le locataire aura alors un délai de 30 jours afin de se positionner par rapport à l’offre. Si celle-ci lui convient, il devient le nouveau propriétaire du bien. Sinon, le propriétaire peut se tourner vers d’autres acquéreurs.  

Mais même dans ce cas, le propriétaire reste tenu d’informer son locataire de sa volonté de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux que sa première offre ; et le locataire pourrait donc encore activer son droit de préférence parce que le prix a baissé.  

L’atteinte au droit de propriété est-elle proportionnée ?   

Le syndicat national des propriétaires, tout comme les fédérations des agents immobiliers, s’opposent fermement au projet. Ils prétendent que cela constitue une atteinte tout à fait disproportionnée au droit de propriété. Parmi les nombreuses préoccupations exprimées, il y a d’une part le risque de diminution de la valeur des biens loués (et de la hausse corrélative du prix des logements libres ou neufs). Et les propriétaires craignent, d’autre part, la complexité administrative inhérente à la mise en œuvre du droit de préférence. 

Le droit de propriété, garanti par l’article 16 de la Constitution, l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne et l’article 1er du protocole 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme, n’est pas pour autant absolu et se heurte à de nombreuses limitations, au nom de l’intérêt général. 

De telles limitations doivent cependant, selon la Cour européenne des droits de l’homme (§73 de l’arrêt référencé), “être mises en œuvre d’une manière non discriminatoire et satisfaire à l’exigence de la proportionnalité”. Pour ce faire, il faut s’assurer, tout d’abord, que la mesure a un but légitime. Du point de vue du gouvernement bruxellois, son intention de favoriser l’accès à la propriété au moyen d’un droit de préférence constitue une mesure appropriée pour atteindre un but légitime. 

Plus délicate et discutée ici, est la question de savoir si la mesure est “nécessaire dans une société démocratique”, et s’il n’y a pas d’autres manières d’atteindre le même but, en limitant moins le droit de propriété. Des conditions ont ainsi été ajoutées afin de réduire l’impact sur le droit de propriété. En effet, par exemple, seuls les locataires disposant de baux de longue durée pourront prétendre à ce droit. Les baux d’une durée égale ou inférieure à trois ans ne sont donc pas concernés. Par ailleurs, si un propriétaire souhaite vendre son bien à un membre de sa famille, le droit de préférence du locataire ne s’applique pas. Ou encore pas de droit de préférence en cas de vente d’un immeuble composé de multiples appartements. Toutes ces conditions permettent de limiter l’atteinte aux intérêts des propriétaires, et servent à justifier la proportionnalité de cette atteinte. Suffisamment? Question à laquelle seule la Cour constitutionnelle peut réellement répondre…   

Droit de préemption ou droit de préférence ? 

Dernière explication juridique : les commentaires de ce projet dans les médias recourent à deux expressions comparables, mais pourtant juridiquement distinctes : le “droit de préférence” et le “droit de préemption”. Le droit de préférence du locataire est une première en Belgique (rien de comparable n’existe en Flandre ni en Wallonie), mais il s’inspire d’autres mesures comparables en droit belge, qui organisent un droit de préemption. Il s’agit par exemple de la loi sur le bail à ferme. Lorsqu’un propriétaire d’un bien rural (un champ ou une prairie), qui est loué dans le cadre d’un bail à ferme, décide de le mettre en vente, il existe un droit de préemption octroyé au “fermier” (le locataire qui l’exploite, pour l’agriculture ou l’élevage, par exemple). 

Quelle différence, alors? Le droit de préemption permet à un acheteur d’acquérir un bien en priorité sur toute autre personne, et ce le plus souvent lorsqu’un contrat de vente a déjà été conclu avec un tiers. Le titulaire du droit de préemption peut alors acquérir le bien aux conditions de ce contrat. En revanche, le droit de préférence oblige le propriétaire à négocier en premier lieu avec le titulaire du droit de préférence, mais ne le contraint pas à vendre si les négociations n’aboutissent pas. Ainsi, le droit de préférence semble un peu moins contraignant que le droit de préemption. Un argument supplémentaire pour convaincre que la mesure est proportionnée?

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Pour Germain Mugemangango (PTB), il faut supprimer les facilités fiscales et sociales “pour faire pression” sur le groupe Delhaize 

La Libre, le 22 mars 2023

Le député wallon Germain Mugemangango (PTB) propose de supprimer toute aide économique, fiscale ou sociale dont bénéficie le groupe Delhaize pour combattre le projet de Delhaize de franchiser tous ses magasins. Selon lui : “ils font cette opération pour dégager un milliard d’euros pour racheter leurs propres actions. En d’autres termes, c’est un cadeau qui est fait aux actionnaires”. De telles suppressions, qui ne sont pas prévues par la loi, et prises pour "faire pression" sur le groupe Delhaize, seraient abusives.

Charlotte Gallée, étudiante en droit à l'Université Saint-Louis – Bruxelles // Pierre-Olivier de Broux, professeur de droit public à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, le 25 juillet 2023

Le 7 mars 2023, le groupe Delhaize a annoncé vouloir franchiser tous ses magasins en Belgique. Concrètement, cela correspond au transfert de 128 magasins à un indépendant ou à une autre entreprise, qui géreront le ou les magasin(s) racheté(s) en conservant seulement la marque “Delhaize”. 

Suite à cette décision, le député wallon ne mâche pas ses mots : “Delhaize bénéficie de facilités fiscales et sociales incroyables en Belgique. […] Ils ont droit à des réductions de cotisations sociales, des facilités fiscales, des aides régionales… Pourquoi donne-t-on autant d’argent public pour des emplois qui ne sont pas durables ?”. 

Quelles sont les facilités fiscales et sociales dont bénéficie le groupe Delhaize ? 

Le groupe Delhaize est une multinationale qui dispose d’un siège social en Belgique. Ceci leur permet effectivement de bénéficier d’un certain nombre de facilités fiscales et sociales. 

Ainsi, par exemple, diverses réductions de cotisations sociales sont régulièrement octroyées aux entreprises, pour favoriser leur compétitivité. Le législateur a ainsi accordé à toutes les grandes entreprises une réduction de 7,07% des montants dus pour les deux premiers trimestres de l’année 2023. 

Deuxième exemple : des facilités fiscales, particulièrement nombreuses et variées, peuvent s’appliquer aux entreprises, notamment les entreprises multinationales. Un mécanisme fiscal a par exemple été créé en 2006 (et sera supprimé en 2023) pour permettre la déduction fiscale d’une partie des montants investis par les sociétés dans du “capital à risque”, en principe au sein de leur propre société. Il s’agit d’une mesure qui était présentée par l’administration fiscale comme “novatrice et stimulante en matière de loi fiscale internationale”. 

La troisième affirmation du député PTB, relative à l’existence d’éventuelles aides régionales, est en revanche bien plus difficile à démontrer. Il semble très peu probable que le groupe Delhaize puisse bénéficier des régimes d’aides économiques directes (la grande distribution en est souvent privée), et Delhaize est le plus souvent exclue des autres aides économiques spécifiques. Par exemple, pour bénéficier d’une intervention de la Région wallonne dans la facture énergétique, suite à la guerre en Ukraine, l’entreprise demanderesse ne peut pas verser de dividendes (à savoir une part de ses bénéfices) à ses actionnaires. Delhaize, qui distribue chaque année des dividendes, ne peut donc pas bénéficier de ce type d’aides régionales. 

Supprimer les facilités de Delhaize serait abusif 

Supprimer tous les mécanismes fiscaux ou sociaux grâce auxquels le groupe Delhaize bénéficie d’argent public serait tout simplement contraire à chacune des lois concernées. Pour rendre possible la proposition du député PTB, il faudrait modifier chaque législation, en prévoyant les conditions dans lesquelles l’avantage fiscal ou social serait supprimé. Actuellement, ce n’est pas le cas, du moins pas pour les motifs invoqués par Germain Mugemangango. La proposition du député PTB est donc à tout le moins illégale. 

Mais en demandant la suppression de tous les avantages existant “pour faire pression” sur le groupe Delhaize, la proposition est même abusive. Les avantages sociaux et fiscaux ont été prévus dans un but d’intérêt général déterminé par chaque législateur. Ils ne peuvent donc être supprimés que dans la mesure ou ce but d’intérêt général n’est plus rencontré – c’est bien ce que fait le législateur fédéral en supprimant le mécanisme fiscal de “déduction pour capital à risque” à partir de 2023 pour TOUTES les entreprises.

Or, ici, la proposition vise une situation particulière – la restructuration du groupe Delhaize – et serait appliquée dans un but étranger à celui de la mesure sociale ou fiscale concernée. Le ministre qui suspendrait ou supprimerait telle ou telle aide individuelle, pour “faire pression” sur Delhaize, commettrait donc, comme nous l’avons déjà expliqué dans une autre situation, un détournement de pouvoir. 

Contacté par nos soins, Germain Mugemangango précise : “S’il est vrai qu’on ne peut agir de manière rétroactive, la seule volonté politique de vouloir changer les dispositions légales pour le futur constitue déjà une réponse politique à la situation. […] Sur le fond, il n’y a pas de difficultés légales à conditionner les aides de quelque manière que ce soit et notamment en partant du souci du maintien de l’emploi”.

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Le chef de corps de la zone de police Bruxelles-Midi disqualifie des propos racistes attribués au policier inculpé dans l’affaire ‘Adil’

Le Soir, 17 mai 2023

Le 16 mai, la chambre du conseil de Bruxelles devait se prononcer sur le renvoi devant le tribunal correctionnel des deux policiers inculpés dans l’ ‘affaire Adil’, ce jeune anderlechtois décédé à l’issue d’une course poursuite en 2020. Les policiers ont cependant demandé plus de temps pour examiner deux nouvelles pièces : le témoignage d’une policière et une plainte interne à la police qui imputent des propos racistes et xénophobes au principal policier mis en cause. Interrogé sur ces faits, le chef de corps de la zone Midi qualifie les propos de ‘beauf’ et de ‘déplacés’, mais sans intention raciste. Cette appréciation doit être recadrée en rappelant que le racisme et la xénophobie sont punis en droit belge

Diletta Tatti, assistante et chercheuse, Université Saint-Louis – Bruxelles, membre du Groupe de recherche en matière pénale et criminelle (GREPEC), le 6 juin 2023

Des propos explicites

Les propos attribués au policier et repris dans l’article du journal Le Soir sont très explicites : ‘bougnoule’, ‘bouns’ ou encore ‘vous enculez des chèvres dans vos pays d’origine, je ne comprends pas que vous ne mangez pas de porc’. Ils auraient été adressés à des collègues policiers d’origine étrangère, qui les auraient dénoncés à leur hiérarchie. À propos des faits ayant entraîné la mort du jeune Adil, le policier se serait en outre vanté ‘d’en avoir sorti un de la rue’.

Interrogé sur les faits, le chef de corps de la police Bruxelles-Midi explique ne pas avoir été personnellement à connaissance des plaintes, mais indique que le policier a fait l’objet d’un ‘recadrage’ par sa hiérarchie et a été muté de service, à la suite de quoi il n’a plus fait l’objet de plaintes. Aucune sanction disciplinaire n’a été prise.

À la suite de la parution de l’article, une enquête interne a été ouverte au niveau de la zone de police. Cependant, si ces propos sont avérés, on ne peut donner raison au chef de corps lorsqu’il les banalise et dit qu’ils ne sont pas racistes. Il est également problématique qu’aucune suite n’ait été donnée avant, ces faits étant passibles de poursuites pénales. Un détour par la législation belge en la matière nous semble nécessaire.

La loi antiracisme

La loi du 30 juillet 1981 a pour objectif de lutter contre des actes inspirés par le racisme ou la xénophobie. Cette loi est fondée sur plusieurs critères protégés, ce qui signifie qu’il est interdit de discriminer des personnes ou des groupes de personnes sur la base de ces ceux-ci. Ces critères sont : la nationalité, une prétendue race, la couleur de peau, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique.

La loi prévoit des peines pour les personnes qui se rendent coupables de discrimination sur la base des critères protégés. Les peines prévues par la loi sont comprises entre un mois et un an d’emprisonnement, ou une amende comprise entre deux cent et huit mille euros.

Par ailleurs, la loi prévoit des peines plus sévères si l’auteur ou l’auteure de la discrimination représente l’autorité publique. Sont visés : les fonctionnaires, les officiers publics ou encore les agents de l’autorité ou de la force publique. Les policiers tombent donc dans cette catégorie, et encourent une peine d’emprisonnement de deux mois à deux ans s’ils sont reconnus coupables d’une discrimination envers une personne, un groupe, une communauté ou ses membres, en raison de l’un des critères protégés.

Le racisme comme circonstance aggravante

Le droit belge ne s’arrête pas là. Il faut en effet rappeler que la peine attachée à plusieurs infractions prévues dans le Code pénal est aggravée si celui ou celle qui commet l’infraction l’a fait dans un but discriminatoire. Parmi les mobiles aggravants, on retrouve la haine, le mépris ou l’hostilité à l’égard d’une personne en raison de sa prétendue race, de sa couleur de peau, de son ascendance, de son origine nationale ou ethnique ou encore de sa nationalité. L’aggravation de la peine s’applique notamment aux infractions de coups et blessures volontaires, de harcèlement, ou encore de non-assistance à personne en danger.

Des peines qui visent à éviter la récidive

Enfin, une loi de 2019 prévoit que le juge qui condamne à une peine alternative (peine de travail ou peine de probation autonome) pour des infractions à caractère raciste ou xénophobe peut donner des indications quant au contenu de la peine, qui devra s’effectuer en lien avec la problématique du racisme et de la xénophobie.

Cette loi fait suite aux recommandations du centre Unia qui souhaitait limiter la récidive en assurant une prise en charge adaptée des auteurs et auteures de ce type d’infractions, notamment par un accompagnement, une formation, ou encore un parcours de sensibilisation au racisme, à la xénophobie ou à la lutte contre les discriminations de manière générale.

Cette loi a surtout une portée symbolique : le juge peut toujours proposer des mesures alternatives en rapport avec la problématique particulière liée à une infraction. Elle montre cependant que la lutte contre le racisme et la xénophobie est une préoccupation constante du législateur.

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Yvan Verougstraete, vice-président du parti “Les engagés”, propose un référendum à deux tours à propos de mesures à prendre pour le climat par les entités fédérées et fédérale.  

La Libre, 23 mars 2023

Pour dénoncer la suppression du mécanisme de répartition des efforts climatiques à fournir par les entités fédérées et fédérale, Yvan Verougstraete propose de mettre en place un “haut conseil climatique” chargé de préparer des scénarios de mesures à prendre par les différentes entités. Ensuite, c’est la population qui choisirait le meilleur scénario, propose-t-il, par un référendum ou une consultation populaire à deux tours. Or, en droit belge, le référendum comme la consultation populaire sont en principe inconstitutionnels.

Lucia Naredo et Rania Sabaouni, étudiantes en droit à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, sous la supervision de Pierre Olivier de Broux, professeur en droit public à l’Université Saint-Louis, le 16 mai 2023

Les Engagés cherchent à instaurer un référendum à deux tours à propos de la répartition de la charge entre le fédéral et le fédéré concernant les mesures à prendre pour protéger le climat. Concrètement, il faut en effet déterminer comment la Belgique va respecter son engagement de réduction des émissions de gaz à effet de serre, par exemple. Et pour cela, il faut non seulement déterminer les actions à effectuer par secteur (la part des entreprises, des logements particuliers, du transport, etc.), mais aussi leur impact et leur répartition géographique (les mesures qui seraient relatives à l’agriculture n’auraient forcément pas le même impact sur la contribution flamande ou bruxelloise, puisqu’il n’y a pratiquement pas d’agriculture à Bruxelles). Pour choisir le scénario idéal, Yvan Verougstraete propose de recourir au referendum (ou à la consultation populaire). Cette idée se heurte cependant à un obstacle de taille : la Constitution.  

Avant tout, qu’est-ce qu’un référendum ?   

Un référendum est une invitation faite à l’ensemble de la population d’adopter ou de rejeter une option politique. Suite à un référendum, l’autorité qui l’a organisé est liée, en droit, par le résultat. La consultation populaire est un processus identique, mais qui n’est pas juridiquement contraignant : en droit, l’autorité qui l’a organisée peut prendre une décision finale différente (même si, politiquement, c’est souvent très improbable). 

Ces deux procédures sont souvent appréciées pour leur caractère plus démocratique et participatif à l’égard du citoyen. Le référendum n’est cependant pas autorisé en Belgique, et la consultation populaire ne l’est que de manière très exceptionnelle. 

Que prévoit la Constitution ?  

L’article 33 de la Constitution prévoit que les pouvoirs sont exercés conformément aux règles de la Constitution. Or, aucune règle constitutionnelle ne confère de pouvoir directement à la population belge. Le seul pouvoir du citoyen consiste à participer aux élections. Comme l’ont affirmé et réaffirmé depuis longtemps de nombreux experts, la Constitution ne permet donc pas l’organisation d’un référendum en Belgique.  

Il est vrai que, depuis 2014, la Constitution prévoit en son article 39bis que les Régions peuvent organiser des consultations populaires. Cette modification de la Constitution a donc confirmé que, dans toutes les autres situations, tant le référendum que la consultation populaire sont interdits. L’article 39bis impose en outre que la consultation populaire porte sur des matières exclusivement régionales. Or, la proposition qui concerne ici la répartition des efforts à fournir entre les trois régions et l’État fédéral, est par nature relative à une question qui n’est pas exclusivement régionale.  

Le projet des Engagés est donc inconstitutionnel dès le départ, ce qui peut à juste titre susciter des débats sur la place de cette procédure démocratique dans notre système politique. 

Contacté par nos soins, Yvan Verougstraete est d’accord avec l’analyse, mais souligne que “c’est le propre des politiques de proposer et de modifier les législations. Ce n’est pas parce que quelque chose n’est pas possible aujourd’hui que l’on ne doit pas le défendre”. Lorsque nous rappelons qu’il faut modifier la Constitution, il ne s’agit selon lui que d’une question de “procédure” et des “majorités à obtenir pour pouvoir faire le changement”. S’il est rassurant que le vice-président des Engagés se dise averti des lourds obstacles juridiques qui pèsent sur sa proposition, il doit néanmoins en informer son public pour rester crédible. 

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Caroline Désir affirme qu’il n’y a actuellement “aucun cadre ni réglementation commune pour outiller ou orienter les écoles en vue de gérer des situations de harcèlement”

Le soir, le 24 mars 2023

Caroline Désir affirme qu’il n’y a actuellement "aucun cadre ni réglementation commune pour outiller ou orienter les écoles en vue de gérer des situations d’harcèlement”. Or, il existe des dispositifs juridiques permettant d’orienter les établissements scolaires pour faire face au harcèlement.

Surlignage réalisée par Rania Sabaouni, étudiante en droit à l’Université Saint-Louis –Bruxelles, supervisé par Christine Guillain, professeure à l’Université Saint-Louis – Bruxelles.

Le harcèlement scolaire est un fléau qui ne cesse de prendre de l’ampleur dans notre société. Ces derniers temps, les mouvements tels que “Move tegen pesten” ou les hashtags luttant contre le harcèlement scolaire, ont suscité une vive émotion sur les réseaux sociaux. Dans ce contexte, Caroline Désir, ministre de l’Éducation de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), a affirmé qu’il n’y a “aucun cadre ni réglementation commune pour outiller ou orienter les écoles en vues de gérer des situations d’harcèlement”.

Toutefois, il est important de souligner que sur le plan juridique, il n’y a pas “rien”. En effet, plusieurs textes de loi existent pour encadrer la gestion de la violence et du harcèlement dans les établissements scolaires. Tout d’abord, l’article 3 du décret du 13 septembre 2008 qui porte création de centres psycho-médico-sociaux, permettant d’orienter les écoles afin de gérer les situations d’harcèlement.

Ensuite, un arrêté du gouvernement de la Communauté française du 15 septembre 2022 fixe les orientations et thèmes prioritaires de la formation professionnelle continue des membres de l’équipe éducative des écoles, jusqu’en 2030. Parmi ces priorités, figure la prévention, la gestion et la prise en charge des problématiques de violence et de harcèlement entres élèves, dont le cyberharcèlement (art. 17, c et d.).

Enfin, un autre arrêté du gouvernement de la FDW du 18 janvier 2008 impose, en son article 2, à l’école d’adopter un règlement d’ordre intérieur afin d’ériger certains comportements en “faits graves” dont “le fait d’exercer sciemment et de manière répétée sur un autre élève ou un membre du personnel de l’établissement une pression psychologique insupportable, par menaces, insultes, injures, calomnies ou diffamation” ou encore “le racket à l’encontre d’un autre élève de l’établissement”. Ces faits peuvent justifier l’exclusion définitive de l’élève. Malgré ces textes de loi, la gestion du harcèlement scolaire reste un défi de taille pour les écoles. Selon le rapport d’étude réalisé par le groupe interdisciplinaire de recherche sur la socialisation, le harcèlement est un problème qui touche de nombreux milieux, celui du travail, de l’école ou encore celui de la communauté en ligne. Les conséquences de ce phénomène peuvent être importantes pour les victimes, qui subissent des atteintes à leur santé mentale et physique, à leur bien-être, leurs relations interpersonnelles, leur travail ou leur scolarité. Les facteurs de risque pour le harcèlement sont multiples, pouvant être liés au genre, à l’âge, à l’orientation sexuelle, à la race ou encore, au statut socio-économique. Le rapport souligne la nécessité de prendre en compte ces facteurs pour mieux comprendre et prévenir le harcèlement. Les programmes de prévention et d’intervention doivent dès lors être adaptés en fonction du contexte et des facteurs de risque spécifiques, afin d’avoir un impact sur les taux de harcèlement et de diminuer les effets préjudiciables sur les victimes.

Les pouvoirs publics doivent continuer à renforcer le cadre juridique en la matière et à sensibiliser l’ensemble des acteurs concernés par cette problématique cruciale pour notre société. Malgré les propos galvaudés de la ministre de l’Éducation, Caroline Désir, on ne peut qu’encourager son avant-projet de décret afin de lutter contre le harcèlement relatif à l’amélioration du climat scolaire et la prévention du harcèlement et du cyberharcèlement à l’école qui vient d’être adopté par la FDW.

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Le premier ministre britannique, Rishi Sunak, a déclaré que “si vous arrivez de manière irrégulière, vous ne pouvez pas demander l’asile”.

Le Monde, 7 mars 2023

Lors d’une conférence de presse se déroulant le 7 mars 2023, le gouvernement britannique a présenté un projet de loi contre l’immigration illégale qui prévoit d’empêcher des migrants de demander l’asile au Royaume-Uni. À cette occasion, le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, a pris la parole.

Ilias Amechrouk, étudiant en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Christine Guillain, professeure à l’Université Saint-Louis –Bruxelles, le 30 avril 2023.
Le projet de la loi sur l’immigration illégale a été présenté à la Chambre des communes du Royaume-Uni le 7 mars dernier. Le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, a déclaré, lors d’une conférence de presse tenue à cette occasion, que les personnes qui arrivent de manière irrégulière sur le territoire, ne pourraient plus demander l’asile, ni bénéficier de protections “contre l’esclavage moderne. Vous ne pouvez pas faire de demandes fallacieuses liées aux droits humains et vous ne pouvez pas rester”.

Rishi Sunak a précisé que la future loi permettrait de placer toutes les personnes arrivant illégalement au Royaume-Uni en détention (le gouvernement prévoit la construction de nouveaux centres), puis de les renvoyer dans leur pays s’il est sûr ou, le cas échéant, dans un pays tiers considéré comme sûr, tel le Rwanda.

La future loi obligera le ministre de l’Intérieur à prendre des mesures pour expulser toute personne entrée illégalement au Royaume-Uni, sans autorisation d’entrée ou de séjour et qui ne vient pas directement d’un endroit où elle craint d’être persécutée. La dernière condition implique que le migrant n’ait pas traversé un “État sûr”, listée dans la loi, avant d’arriver sur le sol britannique. C’est, par exemple, le cas des migrants qui traversent la Manche pour arriver au Royaume-Uni, étant donné qu’ils passent par la France, un État listé comme sûr dans la loi.

Un projet qui a suscité des réactions …

Depuis 2018, le Royaume-Uni fait face à un afflux de réfugiés. Le nombre de personnes, qui arrivent par bateaux traversant la Manche, a augmenté ces dernières années jusqu’à atteindre plus de 45 000 migrants en 2022. L’immigration illégale est devenue un enjeu essentiel de la société britannique que le Premier ministre entend combattre.

Le projet de loi a néanmoins été vivement critiqué par plusieurs associations internationales. Yasmine Ahmed, directrice britannique de Human Rights Watch, a ainsi déclaré qu’ “interdire aux gens de demander l’asile est illégal, inapplicable et profondément inhumain”. Steve Valdez-Symonds, directeur des droits des réfugiés et des migrants auprès d’Amnesty International au Royaume-Uni, estime quant à lui qu’il “Il n’y a rien de juste, d’humain, voire de praticable dans ce plan, et il est franchement effrayant de voir des ministres tenter de supprimer les protections liées aux droits humains pour un groupe de personnes qu’ils ont choisi comme bouc émissaire de leurs propres échecs. Enfin, le Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations unies a également fait part de son inquiétude: “cette législation, si elle est adoptée, reviendrait à bannir l’asile, c’est-à-dire qu’elle supprimerait le droit de demander l’asile au Royaume-Uni pour les personnes qui arrivent de manière irrégulière, quelles que soient la légtimité et la pertinence de leur demande, et sans tenir compte de leur situation personnelle”.

Mais qu’en est-il juridiquement ?

Les propos tenus par Rishi Sunak semblent incompatibles avec la Convention relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951 , un accord international adopté par l’Organisation des Nations unies qui définit les droits des réfugiés dans le monde entier. La Convention définit un réfugié comme étant une personne qui fuit son pays parce qu’elle craint “avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques”.

En refusant de prendre en considération les personnes entrées illégalement sur son territoire, le Royaume-Uni refuse de considérer un réfugié tel qu’il est défini par la Convention et manque ainsi à ses obligations internationales.

Par ailleurs, la Convention sur les réfugiés établit un principe fondamental, celui du “non-refoulement” en stipulant que les réfugiés ne peuvent pas être renvoyés dans un pays où leur vie ou leur liberté est menacée. Cependant, le gouvernement affirme que son plan d’envoi des réfugiés vers des pays, comme le Rwanda, respecte le droit international, en arguant que ce pays est considéré comme un pays sûr.

Enfin, le fait de renvoyer tous les migrants vers leurs pays d’origine ou vers un pays comme le Rwanda pourrait être considéré comme une expulsion collective, une pratique strictement interdite par l’article 4 du Protocole n°4 à la Convention européenne des droits de l’Homme de 1963 qui impose un examen individuel et différencié de chaque demande d’asile.

La problématique soulevée ici n’est pas neuve. Pour rappel, le 13 avril 2022, le gouvernement britannique a conclu, avec le Rwanda, un protocole d’accord de partenariat en matière d’asile prévoyant que les demandeurs d’asile dont les demandes ne seraient pas examinées par le Royaume-Uni pourraient être transférés au Rwanda. Aucun réfugié n’a pour l’instant été expulsé vers le Rwanda en raison des procédures judiciaires en cours.

Ce fut également le cas du Danemark qui adopta en 2021 une loi permettant de conclure un accord pour qu’un pays tiers, hors de l’Union européenne, accueille les demandeurs d’asile et examine leur dossier. Cette externalisation du traitement des demandes d’asile pose donc d’épineuses questions au plan juridique.

 

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