Ces derniers jours, le Conseil de l’Europe a fait circuler sur les réseaux sociaux une campagne visant à promouvoir la tolérance, et qui faisait incidemment la promotion du voile islamique comme élément de liberté de la femme. Une campagne rapidement dénoncée par divers partis politiques et responsables associatifs en France, et finalement retirée des réseaux sociaux par le Conseil de l’Europe. Cette campagne faisait partie d’un programme plus large de promotion de la tolérance ayant reçu des fonds de la Commission européenne. Il n’en fallait pas plus pour que sur les plateaux télé et les réseaux sociaux, la plus grande confusion se répande sur qui avait fait quoi et qu’on mélange tout de go Conseil de l’Europe et Conseil européen.
Quand, en 1948, un millier de personnalités politiques se retrouvent à La Haye sous la présidence d’honneur de Winston Churchill à l’invitation des mouvements fédéralistes européens, on n’est pas encore certain que le congrès donnera l’impulsion de la construction européenne, mais enfin on s’y attache fermement.
Le Conseil de l’Europe, avec un grand “E”, pour la grande Europe à 47
De ce raout fédéraliste sortiront deux réalisations concrètes : le Conseil de l’Europe et ce qui deviendra l’Union européenne. Le Conseil de l’Europe est une organisation internationale créée en 1949 dont l’objectif est de promouvoir les idéaux et les principes communs aux États qui en sont membres (article 1er du Statut du Conseil de l’Europe). Très vite, de nombreux États vont rejoindre ce Conseil de l’Europe dont l’action va se développer avant tout dans la protection des droits de l’homme. Aujourd’hui, 47 États en sont membres, du Portugal à la Russie, du Royaume-Uni à la Turquie. C’est le Conseil de l’Europe qui établit la Convention européenne des droits de l’homme et sa cour, la Cour européenne des droits de l’homme.
C’est la grande Europe, avec un grand “E”.
La construction de l’Europe communautaire
Rapidement après la création du Conseil de l’Europe en 1949, six États décident de créer une organisation dont le but est là aussi de promouvoir des principes communs, mais en utilisant non pas l’outil des droits de l’homme, mais celui du commerce, d’abord limité au charbon et à l’acier. C’est la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), d’après une proposition française exprimée par Robert Schuman, alors ministre des affaires étrangères, et qu’il appelle de ses vœux lors d’un discours resté célèbre : le discours du salon de l’Horloge du 9 mai 1950.
Pour fonctionner, cette Communauté a besoin d’institutions. L’une d’elle réunira les ministres des États membres, alors au nombre de six : le Conseil des ministres. Ce Conseil des ministres traversera la deuxième moitié du 20ème siècle et perdure encore aujourd’hui dans l’Union européenne contemporaine sous le nom désormais raccourci de Conseil (article 13 du Traité sur l’Union européenne). La presse continue néanmoins à l’appeler Conseil des ministres, ce qui a l’avantage de préciser qui y siège. Ce Conseil est une sorte de chambre haute du pouvoir législatif européen, aux côtés de la chambre basse, le Parlement européen. Cette chambre haute a un nom étrange – Conseil – en lieu et place du mot plus habituel de “Sénat” comme en France ou aux États-Unis. Mais il n’est pas si étranger que cela, quand on se rappelle que le Sénat s’appelait Conseil de la République sous la Quatrième République, et que le Bundesrat allemand se traduit en français par Conseil fédéral.
Le Conseil européen, avec un petit “e”, pour la petite Europe à 27
Mais alors, d’où vient la confusion ? La faute revient, si l’on peut dire, à Valéry Giscard d’Estaing, qui contre l’avis de ses partenaires chefs de gouvernements qui ne voulaient pas donner de nom à leurs réunions régulières et informelles, lance lors de la conférence de presse qui clôture le sommet de décembre 1974 un “nous avons assisté au dernier sommet européen, et nous avons participé au premier Conseil européen” (voir la vidéo à la 5ème minute). Ce qui s’était décidé lors du sommet de 74, c’était de rendre ces réunions entre chefs d’États et de gouvernements régulières, moins informelles. Car au sein de la Communauté, il n’y avait aucune institution dans laquelle ils pouvaient se réunir. Mais ce qui était aussi décidé, c’était de ne pas donner de nom à ces réunions. On garderait “sommet européen” comme la presse et les responsables politiques avaient nommé jusque là ces réunions.
Le Conseil européen est ainsi né contre son gré, et commence alors un embrouillamini sans fin où tout un chacun se met à confondre les appellations. Comme si, entre le Conseil de l’Europe et le Conseil, le Conseil européen était venu s’immiscer en jetant un pont entre les deux termes. En fait de pont, c’est plutôt une patinoire qui a été jetée là, sans vraiment y réfléchir, un soir de décembre 1974.
Confusion à tous les étages, au bénéfice des gouvernements
Car tous désormais font l’erreur. De l’étudiant en droit qui au bout de cinq années d’études se trompe encore, aux politiques, en passant par les journalistes comme Catherine Rambert qui réclamait sur RMC ce mercredi 3 novembre la démission “du président du Conseil de l’Europe”, Charles Michel, pour avoir diffusé une campagne vidéo faisant la promotion du voile islamique – une campagne retirée depuis. Sauf que Charles Michel n’est pas président du Conseil de l’Europe, mais du Conseil européen de l’Union européenne. La confusion fait que la journaliste s’étonne qu’il n’y ait pas de femme au Conseil de l’Europe pour s’opposer à ce genre de campagne – précision : sa secrétaire générale, Marija Pejčinović Burić, est une femme –, et croit bon de rappeler que Charles Michel – qui donc n’y est pour rien dans cette affaire – est l’homme qui avait piqué le fauteuil à Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, lors d’un déplacement diplomatique en Turquie.
Il y a certes une responsabilité des élus, des journalistes et des chroniqueurs, qui ne prennent pas la peine de vérifier ces informations avant de parler ou ont une connaissance trop lacunaire du fonctionnement de l’Europe. Mais il y a surtout une responsabilité des chefs d’États et de gouvernements européens qui se satisfont très bien de cette confusion générale, qui permet de diluer la responsabilité de leurs actes au niveau européen. Pour preuve, le site internet consilium.europa.euest le site commun au Conseil européen et au Conseil, Conseil qu’ils ont rebaptisé sur leur site “Conseil de l’Union européenne”. C’est bien la peine d’appeler son site “consilium” si c’est pour nous en faire perdre notre latin.
Alors, un “conseil” de juriste, pour aider nos lecteurs à y voir plus clair :
Le Conseil de l’Europe, avec un grand “E”, c’est pour la grande Europe à 47.
Le Conseil européen, avec un petit “e”, c’est pour la petite Europe à 27.
Le Conseil tout court, composé des simples ministres, c’est le modèle réduit du Conseil européen, composé de leurs chefs.
Vous n’avez plus d’excuse pour faire l’erreur.
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