La conformité du passe sanitaire français au droit de l’Union européenne n’a rien d’évident. La portée très large de ce passe cause en effet d’importantes entraves au droit à la libre circulation des citoyens des autres États membres.
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La première concerne l’exercice même de la liberté de se rendre en France et d’y séjourner, par exemple pour ses vacances. En exigeant la présentation du pass sanitaire pour accéder au territoire, la loi française restreint sans aucun doute cette liberté. Si elle est la plus évidente, cette restriction n’est toutefois pas la plus problématique. Tant le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne que la directive 2004/38 qui réglemente l’exercice du droits des citoyens européens de circuler reconnaissent la possibilité aux États membres de limiter l’accès à leur territoire pour des raisons de santé publique. En l’occurrence, l’objectif consistant à limiter la reprise de la pandémie, conjugué à l’importante marge d’appréciation dont jouissent les États membres sur les questions sanitaires, est sans doute de nature à justifier une telle entrave.
La seconde restriction concerne l’accès aux lieux de détente et de loisirs. Celle-ci emporte une entrave au droit des touristes étrangers à la libre prestation des services. Ils ne peuvent en effet plus accéder librement aux services fournis dans un restaurant, un parc zoologique ou une salle de cinéma.
Du point de vue du droit de l’Union européenne, cette entrave est plus grave que la première parce qu’elle s’accompagne d’une double différence de traitement. D’une part, les résidents étrangers non totalement vaccinés devront dès à présent, et contrairement aux ressortissants français, payer les tests leur permettant d’établir leur non-contamination. D’autre part, un test positif entraînera une obligation d’isolement de dix jours sur le lieu de résidence déclaré lors du test. Si elle s’applique aux « locaux » comme aux touristes, cette obligation pèse de facto plus lourdement sur les seconds, qui auront potentiellement bien du mal à demeurer dix jours sur leur lieu de villégiature, pour des raisons de coût, mais aussi de disponibilité de l’hébergement loué.
De telles différences de traitement sont-elles conformes au droit de l’Union ? Il est permis d’en douter.
S’agissant de la première, la directive 2004/38 impose l’égalité de traitement entre nationaux et citoyens européens résidant légalement sur le territoire. Cette égalité s’impose « dans le domaine d’application du traité », ce qui, à lire la jurisprudence de la Cour de justice, semble couvrir toute situation qui, comme en l’espèce, entraîne une restriction à une liberté de circulation. Selon la directive, cette égalité souffre une seule exception : un État membre n’est pas tenu d’accorder aux citoyens des autres États membres de droit à une prestation d’assistance sociale pendant les trois premiers mois de leur séjour. Il est toutefois douteux que la gratuité des tests PCR et antigéniques bénéficie de cette exception. Elle ne constitue pas une prestation d’assistance sociale au sens que la Cour de justice a donné à ce terme, à savoir des régimes d’aides institués par des autorités publiques auxquels a recours un individu qui ne dispose pas de ressources suffisantes pour faire face à ses besoins élémentaires.
Un test positif entraînera une obligation d’isolement de dix jours sur le lieu de résidence déclaré lors du test : « Une restriction à ce point sérieuse ne pourra être acceptée qu’au terme d’une examen serré du bien-fondé de la mesure »
S’agissant de la seconde distinction de traitement, elle n’est pas le résultat d’une différence de régime formelle entre nationaux et ressortissants étrangers. Elle échappe donc sans doute à l’interdiction de la directive. Mais son impact discriminatoire a pour effet d’aggraver la restriction à la libre prestation des services mentionnée plus haut. Une restriction à ce point sérieuse ne pourra être acceptée qu’au terme d’une examen serré du bien-fondé de la mesure. Or, ce bien-fondé est questionnable, pour au moins trois raisons.
Premièrement, et indépendamment de son effet sur la libre circulation des citoyens européens, le passe sanitaire entraîne de sérieuses restrictions aux droits fondamentaux de tous les citoyens. On songe ici non seulement au droit à la vie privée et familiale – qui implique le droit à une vie sociale – mais aussi à l’interdiction des discriminations sur la base de la fortune (pour les personnes qui ne peuvent se permettre de payer des tests de façon régulière) et du handicap ou de l’état de santé (s’agissant de personnes qui ne peuvent pas être vaccinées). La question des droits des enfants (pour lesquels le bénéfice de la vaccination est le moins évident tandis que les barrières à la vie sociale sont les plus néfastes) mérite elle aussi d’être posée.
« La vaccination obligatoire représente sans doute – et paradoxalement – une mesure moins attentatoire tant aux libertés de circulation qu’aux droits fondamentaux que le passe sanitaire »
Deuxièmement, des restrictions aux droits fondamentaux doivent être prévues par une loi suffisamment accessible et prévisible. Or, les innombrables zones de flou entourant l’application du passe sanitaire et son entrée en vigueur quasi immédiate (privant le public non vacciné de la possibilité de se faire vacciner suffisamment vite pour échapper aux tests) laissent penser que ces qualités font, en l’occurrence, défaut.
Troisièmement, il n’est pas certain que cette mesure puisse être raisonnablement justifiée par un objectif de santé publique. D’une part, elle risque de ne pas être efficace. L’obligation d’isolement aura probablement pour effet de dissuader certains citoyens – et en particulier les ressortissants étrangers – de se faire tester, accentuant ainsi le risque d’une propagation souterraine du virus. D’autre part, l’interdiction de fréquenter des lieux en plein air tels que des terrasses, même muni d’un masque, alors que des personnes vaccinées – dont il est établi qu’elles peuvent transmettre le virus – peuvent y accéder sans masque paraît difficilement justifiable au regard de l’objectif poursuivi.
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On rétorquera peut-être que le but premier de la mesure est d’inciter à la vaccination, laquelle contribue à la protection de la santé publique. Si tel est le cas, alors la vaccination obligatoire représente sans doute – et paradoxalement – une mesure moins attentatoire tant aux libertés de circulation qu’aux droits fondamentaux que le passe sanitaire. En logeant tout le monde à la même enseigne, une telle obligation supprimerait les discriminations et les incertitudes. En outre, elle prévoirait une période raisonnable pour s’acquitter d’une telle obligation, ainsi que des exceptions pour raison de santé. Enfin, et surtout, elle obligerait l’État français à appeler un chat un chat et à prendre ses responsabilités – sur un plan politique comme judiciaire –, en acceptant de couvrir les risques liés aux éventuelles incertitudes scientifiques entourant une telle vaccination plutôt que de le faire peser sur le consentement de moins en moins libre et rarement éclairé de ses administrés et des touristes étrangers.
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