Le 24 février 2022, la Russie a attaqué de manière illégale son pays voisin, l’Ukraine. Sans négliger le caractère alarmant de la situation humanitaire en Ukraine, une autre victime du conflit est à déplorer : le patrimoine culturel ukrainien. En effet, les forces armées russes bombardent et détruisent des monuments ukrainiens importants comme l’opéra de Kharkiv, la cathédrale orthodoxe de l’Assomption au centre de Kharkiv, le centre ville de Tcherniv inscrit sur la liste indicative du patrimoine mondial de l’Unesco, les oeuvres de Maria Prymachenko, le musée d’histoire de IvanKiv ou le mémorial de l’Holocauste Babi Yar.
Le droit international protège les biens culturels en cas de conflit armé
Ces destructions sont toutefois interdites par la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflits armés de 1954, dite la Convention de La Haye de 1954, à laquelle la Russie et l’Ukraine sont parties depuis 1957.
Rédigée sur les cendres de la Deuxième Guerre mondiale, la Convention protège les biens culturels en cas de conflit armé entre deux ou plusieurs États. Les biens culturels à protéger sont “Les biens, meubles ou immeubles, qui présentent une grande importance pour le patrimoine culturel des peuples” (article 1 de la Convention de 1954). Ils portent sur des monuments, comme l’opéra de Kharkiv, sur des œuvres d’art comme celles de Maria Prymachenko, ou sur des édifices religieux, comme la cathédrale orthodoxe de l’Assomption à Kharkiv.
Il ne faut pas nécessairement que ces biens soient protégés comme patrimoine mondial de l’humanité, cela limiterait sinon la protection aux 7 sites ukrainiens protégés au patrimoine mondial. La Convention concerne tout bien culturel que l’Ukraine estime important à protéger en cas de conflit armé.
L’Ukraine peut indiquer ces biens à protéger en apposant un signe distinctif blanc et bleu (un “bouclier bleu” précisé à l’article 16 de la Convention de 1954), mais n’est pas obligée de le faire. Cette interdiction de détruire des biens culturels touche donc beaucoup d’objets et de bâtiments d’importance culturelle.
Concrètement, les États parties doivent respecter les biens culturels en temps de guerre et donc ne pas les détruire ou les détériorer, tout comme ils doivent interdire le vol et le pillage de ces biens culturels. Les États veillent aussi à former des groupes cibles (militaire, forces de l’ordre) au respect de la Convention et prennent des mesures préventives pour sauvegarder les biens culturels en temps de paix. Certaines organisations internationales peuvent aider les États à transposer ces obligations, comme le Bouclier Bleu, qui s’est exprimé sur le conflit, et la Croix Rouge.
Les biens culturels peuvent quand même être attaqués en cas de nécessité militaire impérative
La Convention pose un cadre solide pour assurer la protection des biens culturels. Mais il y a une exception : les attaques contre les biens culturels sont permises en cas de nécessité militaire impérative… et c’est là où le bât blesse : qu’est-ce qu’une “nécessité militaire impérative” ?
La Convention de 1954 ne le définit pas, ni le premier protocole de 1954, laissant la porte ouverte à des interprétations qui arrangent mieux certains États que d’autres. Comprenant que cette notion est le nœud du problème, un deuxième protocole est adopté en 1999 qui précise ce qu’il faut comprendre par nécessité militaire impérative : quand le bien est devenu un objectif militaire par sa fonction et qu’il n’y a pas d’autre solution possible que de l’attaquer pour atteindre l’objectif militaire. Il faut aussi que la décision soit prise par un chef d’une formation égale ou supérieure en importance à un bataillon et qu’un avertissement soit donné si possible (article 6).
Mais ce deuxième protocole, qui améliore l’application de la Convention de 1954, ne s’applique pas au conflit ukrainien car la Russie ne l’a pas ratifié. Il est toutefois possible que la définition de nécessité militaire impérative soit conforme à la coutume du droit international. La Russie ne pourrait alors pas si facilement se réfugier derrière une interprétation souple de la nécessité militaire pour justifier une attaque contre des biens culturels ukrainiens et respecter la coutume internationale.
La destruction de biens culturels viole aussi les droits culturels
Le patrimoine culturel est non seulement protégé par la Convention de 1954 mais aussi par le droit fondamental de participer à la vie culturelle, consacré dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 27) et dans le Pacte International relatif aux Droits Économiques, Sociaux et Culturels (PIDESC) (article 15), dont la Russie et l’Ukraine sont tous deux parties. Les États ont l’obligation de garantir le respect, la protection et la mise en œuvre du droit d’accès et de jouissance du patrimoine culturel sur les territoires sous leur juridiction, en ce compris sur ceux dont ils ont le contrôle effectif, comme la Russie dans certaines parties de l’Ukraine.
La Russie risque des poursuites devant la Cour Pénale internationale et devant la Cour internationale de Justice
Que risque finalement la Russie pour ses destructions culturelles, autant de violations de la Convention de 1954 et du droit de participer à la vie culturelle ?
Son président, Vladimir Poutin, ainsi que d’autres dirigeants russes, peuvent être traduits devant la Cour pénale internationale (CPI), dont le Statut considère que les attaques illicites dirigées contre les bâtiments religieux, culturels ou les monuments historiques peuvent constituer des crimes de guerre (articl 8.2.b.ix), voire des crimes contre l’humanité s’ils participent à une attaque systématique contre la population civile, persécutant tout groupe ou collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste (article 7.1.h).
Les violations de la Russie peuvent aussi être traitées par la Cour internationale de Justice (CIJ), qui vient de rendre une décision le 16 mars 2022 ordonnant à la Russie de suspendre immédiatement toutes les opérations militaires en Ukraine. Il n’est pas question de biens culturels dans cette ordonnance-ci mais la CIJ pourrait condamner la Russie pour destruction du patrimoine culturel, comme elle l’a fait dans une décision préliminaire le 7 décembre 2021 Arménie c. Azerbaijan qui ne portait toutefois pas sur la Convention de 1954 mais sur la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discriminations raciales de 1965.
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