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Inondations : l’État fédéral ne peut pas donner d’argent à la Wallonie

Théo Schwers, étudiant en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles, // sous la supervision de Pierre-Olivier de Broux, professeur de droit public, Université Saint-Louis - Bruxelles, le 17 novembre 2021.

Le bilan des inondations de la mi-juillet en Région wallonne est sérieux : plus de 100 000 sinistrés dans 209 communes et 40 décès liés à la catastrophe. Les mesures économiques mises en place, tant celles des assureurs que celles de la Région wallonne sont insuffisantes. Une aide du fédéral semblait par conséquent indispensable. 

Le 20 septembre 2021, Thomas Dermine (secrétaire d’État pour la relance et les investissements stratégiques) a proposé un don de 600 millions d’euros du fédéral à la Région wallonne. Cette somme correspondrait à la moitié des investissements nécessaires à la Région. Or, le 29 septembre 2021, le Gouvernement fédéral a accordé à la Région wallonne un prêt de 1,2 milliard d’euros. Ce prêt est une première : il a été mis en place par un mécanisme ad hoc. Certains députés du Parlement wallon ont critiqué le prêt car ils s’attendaient aux subventions fédérales proposées par Thomas Dermine. Contrairement à un don qui n’est qu’un engagement unilatéral à titre gratuit, le prêt implique inévitablement un remboursement

L’État fédéral ne peut pas subventionner une région…

La Belgique n’a pas de mécanisme de solidarité interfédérale dans les cas de calamité naturelle, contrairement à l’Allemagne. Le Gouvernement fédéral (représenté par son Premier ministre Alexander De Croo) ne peut tout simplement pas accorder de subventions à la Région wallonne, parce qu’un don ou un subside ne relève pas de ses compétences. La Constitution (article 177) prévoit que c’est une loi dite “spéciale” (c’est-à-dire une loi “renforcée” par un quorum de présence et de vote) qui fixe le système de financement des régions. Cet article constitutionnel, et le principe du fédéralisme financier qui en découle, s’oppose donc à ce que l’État fédéral attribue, autrement que par une loi “spéciale”, des moyens financiers aux entités fédérées (telle la Région wallonne). 

Le principe du fédéralisme financier exige également que chaque entité (en ce compris donc l’État fédéral) dépense ses moyens exclusivement dans les matières pour lesquelles elle est compétente. Or, depuis 2014, “l’intervention financière à la suite de dommages causés par des calamités publiques”, telles que les inondations, n’est plus du ressort de l’autorité fédérale, mais des régions (article 6, §1er, II, 5° de la loi du 8 août 1980, modifié en 2014). L’octroi d’un don ou d’un subside fédéral à la Wallonie, qui plus est dans cette matière, est donc à tout point de vue illégal.

… en revanche, une région peut emprunter à l’État fédéral.

Si un don est impossible, toute entité fédérée peut néanmoins emprunter. Le mécanisme du prêt est prévu par la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des Communautés et des Régions (article 49), et rien n’empêche la Région wallonne de contracter son emprunt auprès de l’Etat fédéral, du moment que les conditions légales prévues pour les emprunts publics soient respectées (moyennant, notamment, l’accord formel du ministre fédéral des finances, Vincent Van Peteghem). Jean-Luc Crucke (ministre wallon des finances et du budget) soulignait également dans les médias que le prêt octroyé est assorti d’une période de standstill de cinq ans, durant laquelle aucun remboursement ne sera dû. Concrètement, l’endettement est étalé sur 15 années. Jusqu’en 2025, l’autorité fédérale n’exige aucun remboursement. Cette période de “standstill” permet à la Région wallonne, sans coût ou surprime additionnel, de pouvoir d’abord gérer les conséquences matérielles et personnelles dues aux inondations et puis seulement de rembourser l’autorité fédérale sur une période de 10 ans. 

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La Pologne dénonce l’ingérence de l’Union européenne mais souhaite continuer d’en faire partie

Hugo Leroux, master droit de l’Union européenne, Université de Lille // Tania Racho, docteure en droit européen, chercheure associée à l’IEDP, Université Paris-Saclay // Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au VIP, Université Paris-Saclay, le 14 octobre 2021

Des dépressions se sont formées récemment en Pologne et une tempête pourrait bientôt s’abattre sur toute l’Europe. La primauté, pilier juridique de la construction européenne, est à nouveau mise à mal au sein de l’Union depuis que, jeudi 7 octobre, le Tribunal constitutionnel polonais a déclaré que certains articles des traités européens étaient contraires à la Constitution polonaise.

L’“Union à la carte” dont s’inquiétait la Commission européenne en juin n’est plus si irréaliste

Le Tribunal constitutionnel polonais a longtemps tardé à rendre sa décision, reportée quatre fois. C’est maintenant chose faite. En mars dernier, le Premier ministre Mateusz Morawiecki avait demandé à la plus haute juridiction du pays de se pencher sur la conformité à la Constitution polonaise de dispositions européennes. Pour les tribunaux polonais, s’est aussi posée la question de l’exigence de se conformer aux décisions de la Cour de justice de l’Union européenne. À Bruxelles, la Commission s’est indignée de cette décision et a tenu à réaffirmer dans un communiqué la primauté du droit de l’Union européenne sur le droit national et la force contraignante des décisions de la Cour de justice. Le Commissaire européen à la Justice, Didier Reynders, a déclaré que “tous les outils” devaient être utilisés pour protéger les principes fondamentaux de l’Union.

La Cour constitutionnelle allemande avait déjà remis en cause la primauté du droit de l’Union européenne sur le droit national, ce qui avait valu à l’Allemagne l’ouverture d’une procédure d’infraction. Et cela, alors même que la chancelière allemande, Angela Merkel, avait montré son opposition à la décision des juges de Karlsruhe. Dans cette affaire les faits étaient différents. La Cour constitutionnelle allemande remettait en cause l’indépendance de la Banque centrale européenne et refusait d’appliquer une décision de la Cour de justice de 2018. La primauté impose pourtant que les arrêts de la Cour de justice soient contraignants pour les juges nationaux.

Il faut le rappeler, l’Union est fondée sur le principe de la primauté, c’est-à-dire le fait que face à une disposition nationale contraire au droit de l’Union, un tribunal ou une cour doit écarter… la disposition nationale. La Cour de justice rappelle régulièrement que ce principe exige des États membres qu’ils ne portent pas atteinte au droit de l’Union européenne censé primer sur les droits nationaux. Et c’est tout l’enjeu qui se joue dans le cadre de la récente décision polonaise. Cette décision soumet au contrôle du Tribunal constitutionnel certaines dispositions des traités de l’Union. Notamment, la Cour constitutionnelle polonaise a considéré que les articles 1 et 19 paragraphe 1 alinéa 2 du traité sur l’Union européenne, qui évoquent respectivement “une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe” et la protection juridictionnelle effective qui doit être assurée par les cours nationales, sont incompatibles avec des dispositions constitutionnelles polonaises. L’article 1 pose problème, selon le Tribunal constitutionnel, en ce qu’il permet aux institutions de l’Union européenne d’agir au-delà des compétences transférées par la Pologne, qu’il remet en cause la primauté de la Constitution polonaise et qu’il remet en cause la démocratie et la souveraineté polonaise. Tandis que pour ce qui est de la protection juridictionnelle effective, la Cour constitutionnelle s’inquiète de ce que l’article 19 du traité permette à la Cour de Luxembourg d’examiner l’indépendance des juges polonais. Cela est préoccupant selon Didier Reynders, commissaire européen à la Justice, car c’est une remise en cause des fondements de l’Union européenne. Les États membres seraient-ils bientôt libres de choisir les dispositions du droit de l’Union européenne qu’ils souhaitent respecter ?

 Une décision prise par des juges à la botte du parti au pouvoir ?

La Pologne n’en est pas à son coup d’essai, elle fait l’objet depuis plusieurs années de diverses procédures au niveau de l’Union européenne pour non respect de l’État de droit,  qui implique que les juridictions soient indépendantes et impartiales, une règle qui, il faut le constater, n’est plus garantie en Pologne.

Cette notion d’État de droit est une valeur pourtant commune aux États membres énoncée à l’article 2 du traité sur l’Union européenne et doit donc être respecté par les États qui l’ont mis eux-mêmes, à l’unanimité, dans le traité. La procédure instituée à l’article 7 du traité sur l’Union, qui tend à faire constater un risque clair de violation grave de l’État de droit, ou encore le recours en manquement devant la Cour de justice, sont des mécanismes qui permettent de sanctionner ceux qui ne respectent pas ces valeurs. Ce sont d’ailleurs des mécanismes qui ont été utilisés contre la Pologne. La procédure de l’article 7 a été utilisée pour la première fois le 20 décembre 2017. À quatre reprises, la Commission a ouvert des procédures d’infraction au sujet des réformes de la justice polonaise. La semaine dernière, dans une déclaration, la Commission s’est dite prête à utiliser les “pouvoirs qui lui sont conférés par les traités pour garantir l’application uniforme et l’intégrité du droit de l’Union.” Il est fort à parier qu’un nouveau recours en manquement sera ouvert contre la Pologne à la suite de cette décision du Tribunal constitutionnel.


…À LIRE : Violations de l’État de droit en Pologne et en Hongrie : que fait (ou peut faire) l’Union européenne?


La Pologne a en effet multiplié les réformes de son système judiciaire et comme s’en inquiétaient Eric Maurice, de la Fondation Robert Schuman, il semblerait que l’on assiste à une “transformation des magistrats en relais du pouvoir politique”. Ces juges seraient sous la houlette du parti politique au pouvoir, le Parti Droit et Justice (PiS), sans capacité de pouvoir s’en défaire car ils courent le risque d’être mis à la retraite prématurément par exemple. Le 14 février 2020, la Pologne donnait de grandes prérogatives à la chambre disciplinaire de la Cour suprême pour contrôler notamment les décisions concernant la mise à la retraite de ces juges. La Cour de justice, un an plus tard, a demandé la suspension de ces modifications législatives car elle considérait que cette chambre disciplinaire manquait d’indépendance et d’impartialité au regard des autorités publiques. L’indépendance des juges n’est donc plus garantie en Pologne.

Le “Polexit“, un scénario écarté par le parti au pouvoir, mais il va falloir choisir

Certains voient dans cette décision les prémisses d’un Polexit, selon l’expression utilisée en référence au Brexit. Or, comme l’a affirmé sans équivoque le président du PiS, Jarosław Kaczyński, “il ny aura pas de Polexit (…) Nous voyons sans équivoque lavenir de la Pologne dans lUnion européenne”. Les Surligneurs ont “surligné” plusieurs fois qu’une telle remise en cause de la primauté de l’Union européenne n’est pas possible sans une modification des traités ou une sortie de l’État de l’Union européenne comme l’a fait  le Royaume-Uni.


…À LIRE : Arnaud Montebourg souhaite que le parlement français puisse « modifier » le droit européen… mais ce serait au risque d’un “Frexit”.


Désormais, la fronde s’organise en interne. Ce mardi, le Comité des sciences juridiques de l’Académie polonaise des sciences a déclaré que cette décision du Tribunal constitutionnel constituait une « menace (aux) fondements de l’ensemble de l’UE ». Plus tôt, une association polonaise réunissant 3 500 magistrats avait tenu à rappeler dans une déclaration que ses juges se “conformeront aux jugements des tribunaux européens et (qu‘ils) défendrons les valeurs européennes”, au mépris des sanctions de la chambre disciplinaire auxquelles ces juges feront face. C’est sans doute le prix à payer pour défendre l’indépendance de la justice.

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Procès des attentats du 13 Novembre en France : comment sont sécurisés ces procès hors normes ?

Par Camille Dubuffet, master de droit public, Université Lyon 3 Jean Moulin // Jean-Paul Markus, professeur de droit, Université Paris-Saclay, le 18 septembre 2021

Le 13 novembre 2015, la ville de Paris était le théâtre d’attentats djihadistes faisant 129 morts et plus de 350 blessés. Près de 6 années après le drame, s’ouvre le procès “hors norme” d’un certain nombre de commanditaires, auteurs et complices de ces attaques. En conséquence, la Cour d’assises spéciale de Paris, juridiction accueillant l’événement, fait l’objet d’une sécurisation toute particulière et à la hauteur de la menace terroriste persistante. Si, pour les procès médiatisés comme celui-ci, se met en place un système de sécurité extraordinaire aux abords de la Cour d’assises spéciale, pour les autres procès, la vigilance reste également de mise. L’intérêt étant de rendre la justice dans les meilleures conditions possibles. La sécurité, assurée par différents intervenants, s’ancre à l’intérieur du bâtiment et s’étend à ses extérieurs.

la sûreté dans l’enceinte des tribunaux 

À l’intérieur du bâtiment, les personnels en charge de la sécurité diffèrent suivant l’espace concerné. Les forces de l’ordre (policiers et gendarmes) gardent les salles d’attente de victimes, parcourent les couloirs, les lieux recevant du public et portent une attention toute particulière aux cellules contenant les accusés. De plus, le personnel des tribunaux est formé à réagir s’il advenait un quelconque incident.

Lors des audiences en revanche, c’est le président de la formation de jugement qui veille à l’ordre public (c’est la police des audiences). En effet, d’après le Code de procédure civile, “Tout ce qu’il ordonne pour assurer (l’ordre de l’audience) doit être immédiatement exécuté”. Il peut décider de faire intervenir les forces de l’ordre pour évacuer un individu perturbateur. Plus encore, s’il le juge pertinent, il peut s’interposer entre des avocats qui s’opposeraient trop violemment. Les débats doivent donc être “dignes”, selon les textes, ce qui exclut le désordre ou les échanges houleux.

À cela s’ajoute, et au regard de la difficulté pour le président de devoir gérer l’audience et la sécurité de celle-ci, la possibilité, depuis un protocole de 2011, de s’appuyer sur des réservistes de la police ou de la gendarmerie pour renforcer la sûreté. Des sociétés privées de sûreté sont pareillement autorisées à le faire.

la sécurité des accès aux tribunaux

Aux entrées et aux sorties des tribunaux se tiennent des forces de l’ordre prêtes à intervenir. Des contrôles spécifiques ont lieu, en plus d’un passage obligatoire par des portiques sécurisés, afin d’éviter qu’un objet porté par un accusé, spectateur ou témoin, ne puisse faire office d’arme. Les fouilles sont prévues par les règlements propres à chaque tribunal. Quant aux contrôles d’identité, ils sont effectués par des officiers ou des agents de police judiciaire en vertu du Code de procédure pénale. Le but est de prévenir un acte délictuel ou criminel dans l’enceinte du tribunal en éloignant un individu suspect, ou de faciliter son appréhension par les forces de l’ordre en vue d’une neutralisation future.

Dans le cas des personnes détenues menées à l’audience pour y être jugées, c’est l’administration pénitentiaire qui assure la protection des convois. Elle obéit à des règles strictes et est connue, depuis 2019, sous le nom de “Pôle de Rattachement des Extractions Judiciaires” (le PREJ). Cette branche de l’administration pénitentiaire est spécialisée dans les transports à risque.

la protection des abords des tribunaux lors de procès retentissants 

Le cas très particulier du procès des attentats du 13 novembre 2015 permet d’évoquer les mesures de protection et de sécurité parfois exceptionnelles pouvant être mises en place. À l’extérieur du bâtiment, partout en France, c’est le mairede la ville (sous le contrôle du préfet) qui maintient la sûreté publique en exerçant sa compétence en matière de police administrative générale. À noter cependant qu’à Paris, d’après le Code général des collectivités territoriales et un vieil arrêté du 1er juillet 1800, sont établies des compétences partagées entre le maire de la ville et le préfet. Ainsi, c’est le préfet qui, dans une “situation de crise affectant une juridiction”, comme lors d’un procès hors normes, décide d’accroître la présence de forces armées, qu’il déploie et coordonne (lorsque plusieurs services de police interviennent) aux abords des tribunaux en application de “plans de protection externe” (PPE). Il peut, par arrêté, interdire certaines zones à la circulation en respectant un calendrier précis et clairement défini.

Enfin, d’après le Code de la sécurité intérieure, la vigilance pourra être renforcée par un  processus de filtrage du public et la délivrance d’accréditations (notamment pour les journalistes).

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Violations de l’État de droit en Pologne et en Hongrie : que fait (ou peut faire) l’Union européenne?

Par Miriana Exposito et Hugo Leroux, master droit international et européen, Université de Lille // Tania Racho, docteure en droit européen, enseignante à l’Université Paris-Saclay et Sorbonne-Nouvelle// Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au VIP, Université Paris-Saclay, le 28 septembre 2021

Le 7 septembre 2021, la Commission européenne a demandé à la Cour de justice de l’Union européenne d’imposer des sanctions financières à l’égard de la Pologne. Récemment condamnée par la Cour de justice pour avoir instauré une chambre disciplinaire bridant l’indépendance et l’impartialité des juges, la Pologne ne semble pourtant pas décidée à cesser son atteinte à l’État de droit. Cette chambre disciplinaire, qui possède le pouvoir de lever l’immunité des juges ou de réformer leurs salaires, continue d’exister et de mener des enquêtes disciplinaires. Pourtant, le gouvernement avait annoncé en août 2021 sa suppression en raison de la condamnation par la juridiction européenne.

Les violations de l’État de droit par la Pologne (et sa voisine la Hongrie) sont “plus systémiques que dans le reste de l’Union européenne” selon Didier Reynders, commissaire européen à la Justice. En réaction, la Commission européenne a ouvert à la mi-juillet une procédure d’infraction contre les deux États de l’Union européenne pour que cessent les violations des droits fondamentaux des personnes LGBTQI commises sur leur territoire. La Hongrie est visée par cette procédure en raison de sa loi pour la “protection de l’enfance”. Cette loi que les Surligneurs avaient décortiquée interdit la promotion et la représentation de l’homosexualité auprès des mineurs. Concernant la Pologne, la Commission reproche au gouvernement d’avoir laissé une centaine de collectivités locales mettre en place des “zones sans idéologie LGBTQI”.

Face à de telles violations de l’État de droit, la Commission réagit à l’aide d’une des armes que les traités européens mettent à sa disposition : la procédure d’infraction, de son vrai nom le recours en manquement (articles 258 à 260 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).


…À LIRE : Critiques européennes contre la réforme de la justice en Pologne : pour le Gouvernement polonais, ces questions relèvent “exclusivement du domaine national”


Comment sont sanctionnés les États qui violent le droit de l’Union européenne ?

Le recours en manquement est un outil précieux qui permet à la Commission européenne de faire pression sur un des 27 États membres qui ne respecte pas le droit de l’Union européenne, afin qu’il cesse les violations qui lui sont reprochées. C’est bien l’objectif poursuivi dans les affaires concernant la Hongrie et la Pologne. Cette procédure est constituée de plusieurs étapes, dont la dernière est la condamnation de l’État membre par la Cour de justice de l’Union européenne à une sanction financière, qui peut être lourde.

Les affaires concernant la Hongrie et la Pologne sur les droits des LGBTQI n’en sont, pour l’heure, qu’au stade de la lettre de mise en demeure. Les deux États avaient jusqu’à mi-septembre 2021 pour fournir à la Commission des informations concernant les violations prétendument commises.

Si les informations n’ont pas été envoyées à la Commission, il est possible que l’institution leur communique un avis motivé et qu’elle saisisse la Cour de justice. Il s’agit donc de la première marche d’un long processus.

Première étape : la discussion entre la Commission européenne et l’État fautif

En premier lieu, lorsque la Commission estime qu’un État ne respecte pas le droit de l’Union européenne, elle engage une discussion informelle pour trouver un règlement à l’amiable. Non prévue par les traités européens, cette étape a un grand intérêt pratique : ce n’est qu’en l’absence de compromis entre l’État fautif et la Commission européenne qu’une procédure d’infraction est réellement engagée.

Deuxième étape : la lettre de mise en demeure

Si cette tentative de discussion échoue, la Commission adresse une lettre de mise en demeure à l’État concerné, afin d’obtenir des informations détaillées sur l’infraction reprochée. Dans le cadre de l’affaire concernant la violation des droits des personnes LGBTQI cette lettre a été envoyée le 15 juillet 2021.

À cette lettre s’ajoute un communiqué de presse dans lequel la Commission détaille les faits reprochés à l’État concerné et les éléments de droit de l’Union européenne qui font l’objet d’une violation. Par ce communiqué l’exécutif européen rend public le constat d’un manquement de la part de l’État. Au sein de ce communiqué, la Commission peut aussi mentionner ses objectifs dans la lutte contre de telles violations. La Commission a ainsi tenu à rappeler à la Hongrie et à la Pologne la stratégie de l’UE en faveur de l’égalité des personnes LGBTQI, axée notamment sur l’amélioration de la protection juridique contre les discriminations et sur la protection de leur sécurité.

Troisième étape : un avis motivé pour faire cesser la violation

Si au vu des informations fournies dans la lettre de mise en demeure, la Commission conclut que l’infraction continue d’être commise, elle adresse à l’État concerné un avis motivé dans lequel elle lui demande de manière formelle de respecter ses obligations et de cesser la violation. Un avis motivé sera également envoyé à l’État voyou qui refuse de fournir les informations dans le délai imparti par la Commission dans la lettre de mise en demeure.

Quatrième étape : intervention de la Cour de justice

Ce n’est qu’ensuite, si l’infraction ne cesse pas, que la Commission peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne. La France fait actuellement l’objet d’une telle procédure pour le traitement de ses eaux résiduaires, qu’elle ne traite pas convenablement dans 100 villes de plus de 2000 habitants. Toutefois, cela reste en pratique assez rare, car les États membres, la plupart du temps, se mettent en conformité avec le droit de l’Union avant ce stade de la procédure. Ainsi en 2020, la Cour de justice a été saisie de 18 recours en manquement seulement, une infime part des centaines de procédures initiées chaque année…


…À ÉCOUTER : La France ne respecte pas le droit européen ? – Objection votre Europe


Si la procédure d’infraction initiée par la Commission dans le cadre de la violation des droits des personnes LGBTQI aboutit à la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour pourrait reconnaître que la Pologne et la Hongrie ont effectivement violé le droit de l’Union européenne. Quelles seront les conséquences pour les deux États ? En réalité, la première décision est purement déclaratoire.

Autrement dit, la Cour constate seulement qu’il existe un manquement aux règles européennes, mais ne prévoit pas de sanctions spécifiques à l’égard des États membres pour y remédier. Attention, les États membres sont bien obligés de cesser leur infraction, mais ils sont libres de choisir la manière dont ils souhaitent se mettre en conformité.

Dernière étape : les sanctions financières

Donc, dans un premier temps, la Cour de justice n’est pas compétente pour prononcer une sanction pécuniaire sauf s’il s’agit d’absence de transposition de directive. Mais cette étape peut être efficace, même pour un État particulièrement récalcitrant. Dans l’affaire concernant le système judiciaire polonais, la Cour de justice a constaté par une décision du 15 juillet 2021 que la Pologne avait manqué à ses obligations en adoptant un régime disciplinaire à l’égard des juges qui ne garantissait pas leur impartialité et  leur indépendance. Aucune sanction financière n’avait été prononcée par la Cour. Pour autant, trois semaines plus tard, Jaroslaw Kaczynski, président du parti Droit et justice (PiS), principale formation de la coalition conservatrice au pouvoir, a annoncé renoncer à cette réforme.

À l’occasion du recours en manquement, ce n’est que si l’État concerné, malgré la constatation par la Cour de justice d’un manquement, continue de commettre l’infraction que la Commission pourra de nouveau saisir la Cour. Cette fois pour demander des sanctions financières. En juillet 2005, la Cour de justice a condamné la France dans le cadre d’un recours en manquement formé par la Commission. Dans le cadre de cette affaire la Cour a cumulé les deux types de sanctions prévues par les traités européens, une amende – 20 millions d’euros – et des astreintes par semestre de retard – 58 millions d’euros.

C’est dans cette optique que la Commission a demandé à la Cour de justice le 7 septembre 2021 d’infliger des sanctions financières à la Pologne, qui a certes annoncé le retrait de la réforme de la justice début août 2021, mais qui continue pourtant d’initier des procédures disciplinaires contre les juges qui ne sont pas en ligne avec la majorité au pouvoir. Ainsi en août 2021, une procédure disciplinaire a été ouverte contre un juge qui venait d’appliquer la décision de la Cour de justice de l’Union demandant à la Pologne de ne plus appliquer sa loi sur la justice… Double discours du Gouvernement conservateur ? Dans le doute, la Commission a préféré agir vite car le temps presse : chaque jour, les juges polonais ne peuvent rendre une justice impartiale, de peur de déplaire au pouvoir et de subir une sanction disciplinaire.


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Tribune – Le passe sanitaire est-il conforme au droit de l’Union européenne ?

Antoine Bailleux, professeur de droit européen à l’Université Saint-Louis – Bruxelles // Didier Blanc, professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 – Capitole // Emmanuelle Bribosia, professeur de droit européen à l’Université libre de Bruxelles // Anastasia Iliopoulou-Penot, professeur de droit public à l’Université Panthéon-Assas // Arnaud Van Waeyenberge, professeur de droit européen à HEC Paris // Lamprini Xenou, maître de conférences en droit public à l’Université Paris-Est Creteil, le 25 juillet 2021

La conformité du passe sanitaire français au droit de l’Union européenne n’a rien d’évident. La portée très large de ce passe cause en effet d’importantes entraves au droit à la libre circulation des citoyens des autres États membres.


… À LIRE : Le passe sanitaire passe devant le Parlement


La première concerne l’exercice même de la liberté de se rendre en France et d’y séjourner, par exemple pour ses vacances. En exigeant la présentation du pass sanitaire pour accéder au territoire, la loi française restreint sans aucun doute cette liberté. Si elle est la plus évidente, cette restriction n’est toutefois pas la plus problématique. Tant le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne que la directive 2004/38 qui réglemente l’exercice du droits des citoyens européens de circuler reconnaissent la possibilité aux États membres de limiter l’accès à leur territoire pour des raisons de santé publique. En l’occurrence, l’objectif consistant à limiter la reprise de la pandémie, conjugué à l’importante marge d’appréciation dont jouissent les États membres sur les questions sanitaires, est sans doute de nature à justifier une telle entrave.

La seconde restriction concerne l’accès aux lieux de détente et de loisirs. Celle-ci emporte une entrave au droit des touristes étrangers à la libre prestation des services. Ils ne peuvent en effet plus accéder librement aux services fournis dans un restaurant, un parc zoologique ou une salle de cinéma.

Du point de vue du droit de l’Union européenne, cette entrave est plus grave que la première parce qu’elle s’accompagne d’une double différence de traitement. D’une part, les résidents étrangers non totalement vaccinés devront dès à présent, et contrairement aux ressortissants français, payer les tests leur permettant d’établir leur non-contamination. D’autre part, un test positif entraînera une obligation d’isolement de dix jours sur le lieu de résidence déclaré lors du test. Si elle s’applique aux « locaux » comme aux touristes, cette obligation pèse de facto plus lourdement sur les seconds, qui auront potentiellement bien du mal à demeurer dix jours sur leur lieu de villégiature, pour des raisons de coût, mais aussi de disponibilité de l’hébergement loué.

De telles différences de traitement sont-elles conformes au droit de l’Union ? Il est permis d’en douter.

S’agissant de la première, la directive 2004/38 impose l’égalité de traitement entre nationaux et citoyens européens résidant légalement sur le territoire. Cette égalité s’impose « dans le domaine d’application du traité », ce qui, à lire la jurisprudence de la Cour de justice, semble couvrir toute situation qui, comme en l’espèce, entraîne une restriction à une liberté de circulation. Selon la directive, cette égalité souffre une seule exception : un État membre n’est pas tenu d’accorder aux citoyens des autres États membres de droit à une prestation d’assistance sociale pendant les trois premiers mois de leur séjour. Il est toutefois douteux que la gratuité des tests PCR et antigéniques bénéficie de cette exception. Elle ne constitue pas une prestation d’assistance sociale au sens que la Cour de justice a donné à ce terme, à savoir des régimes d’aides institués par des autorités publiques auxquels a recours un individu qui ne dispose pas de ressources suffisantes pour faire face à ses besoins élémentaires.

Un test positif entraînera une obligation d’isolement de dix jours sur le lieu de résidence déclaré lors du test : “Une restriction à ce point sérieuse ne pourra être acceptée qu’au terme d’une examen serré du bien-fondé de la mesure”

S’agissant de la seconde distinction de traitement, elle n’est pas le résultat d’une différence de régime formelle entre nationaux et ressortissants étrangers. Elle échappe donc sans doute à l’interdiction de la directive. Mais son impact discriminatoire a pour effet d’aggraver la restriction à la libre prestation des services mentionnée plus haut. Une restriction à ce point sérieuse ne pourra être acceptée qu’au terme d’une examen serré du bien-fondé de la mesure. Or, ce bien-fondé est questionnable, pour au moins trois  raisons.

Premièrement, et indépendamment de son effet sur la libre circulation des citoyens européens, le passe sanitaire entraîne de sérieuses restrictions aux droits fondamentaux de tous les citoyens. On songe ici non seulement au droit à la vie privée et familiale – qui implique le droit à une vie sociale – mais aussi à l’interdiction des discriminations sur la base de la fortune (pour les personnes qui ne peuvent se permettre de payer des tests de façon régulière) et du handicap ou de l’état de santé (s’agissant de personnes qui ne peuvent pas être vaccinées). La question des droits des enfants (pour lesquels le bénéfice de la vaccination est le moins évident tandis que les barrières à la vie sociale sont les plus néfastes) mérite elle aussi d’être posée.

“La vaccination obligatoire représente sans doute – et paradoxalement – une mesure moins attentatoire tant aux libertés de circulation qu’aux droits fondamentaux que le passe sanitaire”

Deuxièmement, des restrictions aux droits fondamentaux doivent être prévues par une loi suffisamment accessible et prévisible. Or, les innombrables zones de flou entourant l’application du passe sanitaire et son entrée en vigueur quasi immédiate (privant le public non vacciné de la possibilité de se faire vacciner suffisamment vite pour échapper aux tests) laissent penser que ces qualités font, en l’occurrence, défaut.

Troisièmement, il n’est pas certain que cette mesure puisse être raisonnablement justifiée par un objectif de santé publique. D’une part, elle risque de ne pas être efficace. L’obligation d’isolement aura probablement pour effet de dissuader certains citoyens – et en particulier les ressortissants étrangers – de se faire tester, accentuant ainsi le risque d’une propagation souterraine du virus. D’autre part, l’interdiction de fréquenter des lieux en plein air tels que des terrasses, même muni d’un masque, alors que des personnes vaccinées – dont il est établi qu’elles peuvent transmettre le virus – peuvent y accéder sans masque paraît difficilement justifiable au regard de l’objectif poursuivi.


… À LIRE : Passe sanitaire pour les restaurants, théâtres, musées : quels problèmes juridiques ?


On rétorquera peut-être que le but premier de la mesure est d’inciter à la vaccination, laquelle contribue à la protection de la santé publique. Si tel est le cas, alors la vaccination obligatoire représente sans doute – et paradoxalement – une mesure moins attentatoire tant aux libertés de circulation qu’aux droits fondamentaux que le passe sanitaire. En logeant tout le monde à la même enseigne, une telle obligation supprimerait les discriminations et les incertitudes. En outre, elle prévoirait une période raisonnable pour s’acquitter d’une telle obligation, ainsi que des exceptions pour raison de santé. Enfin, et surtout, elle obligerait l’État français à appeler un chat un chat et à prendre ses responsabilités – sur un plan politique comme judiciaire –, en acceptant de couvrir les risques liés aux éventuelles incertitudes scientifiques entourant une telle vaccination plutôt que de le faire peser sur le consentement de moins en moins libre et rarement éclairé de ses administrés et des touristes étrangers.

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Belgique : Le vaccin obligatoire pour le personnel soignant et des maisons de repos ? Seulement si c’est prévu par une loi

Par Marie-Sophie de Clippele, professeure invitée à Université Saint-Louis, Bruxelles, le 20 juillet 2021

Plusieurs politiciens, ainsi que certains représentants dans le secteur hospitalier, ou encore le Commissaire du gouvernement en charge de la crise du Covid, songent à rendre le vaccin obligatoire pour le personnel soignant et des maisons de repos. On comprend la crainte d’une recrudescence du Covid-19 et du risque que cela présenterait pour les patients et les résidents, même si la majorité d’entre eux est vaccinée. Toutefois, l’obligation vaccinale reste l’exception : aucun vaccin ne peut être imposé, sauf par la loi, et à certaines conditions.

Seule la loi peut imposer une vaccination…

Dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la Belgique adopte une loi sanitaire du 1er septembre 1945 qui admet que le Gouvernement puisse imposer des mesures sanitaires en cas de maladies transmissibles présentant un danger général, notamment par l’obligation vaccinale. Le cas le plus connu de vaccin obligatoire est celui du vaccin antipoliomyélitique (la polio), imposé aux enfants entre 2 et 18 mois en vertu de l’arrêté royal du 26 octobre 1966. Par ailleurs, le Code du bien-être au travail de 2017 admet trois cas de vaccinations obligatoires dans le cadre des relations travail si les travailleurs sont exposés à différents risques de contamination (tétanos, tuberculose, hépatite B). Enfin, l’arrêté royal du 29 octobre 1964 relatif à la police sanitaire du trafic international – qui rend obligatoire le Règlement sanitaire international de l’OMS de 1951 – permet également d’imposer aux voyageurs entrant en Belgique d’exiger la preuve de leur vaccination contre certaines maladies. Cet arrêté royal a été l’une des bases utilisées par le Gouvernement belge lors de la gestion de la pandémie liée au COVID-19.

…mais sous certaines conditions…

Dans chacune de ces réglementations, l’impératif de santé publique prend le dessus sur des considérations liées au droit au respect de la vie privée, protégé par l’article 22 de la Constitution et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Très récemment, la Cour européenne des droits de l’homme a examiné cette mise en balance entre le droit au respect de la vie privée et la nécessité de protéger la santé publique dans l’arrêt Vavřička et autres c. République tchèque du 8 avril 2021. La Cour souligne que”la vaccination obligatoire, en tant qu’intervention médicale non volontaire, constitue une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée” (paragraphe 263). Cette ingérence doit donc être

1/ prévue par la loi, (comme la loi belge du 1er septembre 1945 ou comme les arrêtés royaux de 1964 et 1966),

2/ légitime (poursuivre l’objectif légitime de protection de la santé publique),

3/ et proportionnée, c’est-à-dire nécessaire dans une société démocratique.

Dans le cas tchèque, la Cour conclut que le vaccin pouvait être rendu obligatoire, dans la mesure où cette obligation, une ingérence dans la vie privée, a pu être considérée nécessaire dans une société démocratique. Mais qu’en est-il de la proposition de politiciens belges pour le vaccin COVID-19 à l’égard du personnel soignant et de maisons de repos ?


… À LIRE : Nicolas Dupont-Aignant : “on n’impose pas de prendre un vaccin dont le fabricant se désengage de toute responsabilité”


Comme le précise le Comité de bioéthique dans son avis du 14 décembre 2015 relatif aux aspects éthiques de l’obligation de vacciner, l’obligation de vacciner doit rester l’exception et se limiter à des cas de maladies contagieuses pour lesquelles il n’existe pas de traitement curatif. Selon le Comité, une telle obligation ne devrait être prévue que par une loi (comme celle du 1er septembre 1945), et sa nécessité doit être revue périodiquement. Enfin, le Comité préconise que le législateur “devrait mieux régler l’indemnisation d’effets secondaires préjudiciables” : si le citoyen solidaire se plie à l’obligation de se vacciner, cette solidarité collective qui lui est imposée implique également que l’État doit intervenir si ce citoyen subit des effets secondaires néfastes, et que l’État indemnise son dommage.

 … qui dans le cas présent sont réunies

En d’autres mots, si l’appel lancé par plusieurs politiciens est entendu, il devrait se traduire par l’adoption d’une loi imposant le vaccin au personnel soignant et des maisons de repos. Il pourrait être admis, si on reprend l’arrêt tchèque de la Cour européenne des droits de l’homme, qu’on passe par arrêté royal (le pouvoir exécutif fédéral), pris en vertu de la loi du 1er septembre 1945. Le passage par un arrêté royal pourrait davantage susciter des discussions car l’article 22 de la Constitution exige plutôt l’adoption d’une loi formelle devant le Parlement, là où l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme admet aussi d’autres formes légales, comme un arrêté royal. La loi ou l’arrêté royal devrait également veiller à motiver dans quelle mesure cette obligation est nécessaire pour assurer l’impératif de protection de la santé publique.

Enfin, détail important, la compétence pour l’adoption d’une telle loi ou arrêté revient au pouvoir fédéral, comme le rappelle la section de législation du Conseil d’État du 16 juin 2021. Le Conseil supérieur du travail n’aurait d’ailleurs aucune compétence en la matière, malgré ce que semble suggérer le ministre bruxellois de la Santé, Alain Maron.

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Viktor Orban organisera un référendum pour plébisciter sa loi anti-LGBTI : pourquoi cela ne changera rien par rapport au droit européen

par Miriana Exposito, rédactrice // Tania Racho, docteure en droit européen de l’Université Panthéon-Assas, Paris II, le 26 juillet 2021

Le Premier ministre hongrois l’a annoncé : il soumettra à référendum la loi anti-LGBTI qui agite l’Union européenne. Cette loi adoptée le 15 juin 2021, sous couvert de protection de l’enfance, interdit toute présence de  l’homosexualité et du changement de sexe dans les publications accessibles aux mineurs. Elle a pour conséquence de discriminer et stigmatiser la communauté LGBTI. En réaction, la Commission européenne a introduit le 15 juillet 2021 des procédures d’infraction à l’encontre de la Hongrie. Si Viktor Orban ignore les mises en demeure de la Commission, cette procédure pourra conduire jusqu’à la saisine de la Cour de  justice de l’Union européenne et à l’application de sanctions financières.


… À LIRE : L’impuissance de l’Union européenne face à une loi hongroise d’inspiration homophobe


Pour autant, la Hongrie ne semble pas d’humeur à coopérer, bien au contraire : Viktor Orban, en organisant un référendum, cherche l’approbation de son peuple contre l’Union européenne. Il a d’ailleurs demandé aux hongrois de répondre massivement “non” aux 5 questions qui leur seront posées. Le but ? Renforcer la légitimité démocratique de cette loi, face aux critiques de l’Union et de certains de ses membres.

Le référendum peut-il faire plier l’Union européenne ?

Pas en droit, en raison du principe de primauté du droit européen sur les droits nationaux, principe affirmé depuis le début de la construction européenne. Ce principe fondamental implique la supériorité des traités de l’Union européenne sur les lois nationales. Donc, si un État adopte une loi qui contredit le droit de l’Union, c’est la loi qui sera écartée, pas le droit de l’Union. Le fait que la loi ait été approuvée par le peuple ne fait en aucun cas obstacle au principe de primauté. Peu importe donc le résultat de ce référendum : juridiquement, il ne pourra couvrir une violation du droit de l’Union par la Hongrie.


… À LIRE : Marine Le Pen a déclaré : “Je souhaite faire un référendum constitutionnel où j’indiquerai que toute loi nouvelle aura une autorité supérieure à celle des traités européens [IMPOSSIBLE]


Autrement dit, le référendum organisé par Viktor Orban est moins un instrument juridique – d’ailleurs inefficace – qu’un instrument politique pour faire passer ses messages à Bruxelles. Depuis son arrivée au pouvoir, le premier ministre hongrois a organisé pas moins de 9 consultations nationales. Pour Viktor Orban, l’important est que son peuple l’approuve, contre l’Union..

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Concerts, vacances en Grèce : les passeports sanitaires sont-ils un danger pour nos données personnelles ?

Sébastien Chaudat, doctorant en droit privé, laboratoire DANTE, Université Paris-Saclay, le 19 mai 2021

Le 11 mai, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture la possibilité de lancer un passe sanitaire dès le 9 juin. Le 25 mars, le Parlement européen s’était déjà prononcé en faveur d’un tel certificat à l’échelle européenne. Des voix se sont alors élevées pour dénoncer un fichage de la population, quand la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a mis en garde contre le risque de pérennisation d’un tel système. Qu’en est-il vraiment de la protection de nos données personnelles ?

La collecte des données personnelles pour le suivi et l’évolution de la crise sanitaire est encadrée par un ensemble de garde-fous. La mobilisation des institutions européennes, du législateur français, ou encore des autorités de protection de données comme la CNIL sont censées assurer la sécurité et le respect de la vie privée des personnes. À ce jour en tout cas, elles semblent être parvenues à éviter un fichage actuel ou futur par l’utilisation publique ou privée des données personnelles relatives à la gestion de la crise sanitaire.  

Une collecte de données limitée, pour des usages limités

La promulgation de l’état d’urgence en 2020 a engendré la création de systèmes d’information pour la surveillance de l’évolution de l’épidémie. D’abord, le Système d’information de DEPistage (« SI-DEP ») permet l’enregistrement des tests Covid-19, afin d’assurer la prise en charge des cas positifs. Puis le système « Contact-COVID » assure la prévention et l’accompagnement des cas-contacts. Ces dispositifs ont été complétés en décembre 2020 par la création du système « Vaccin Covid ». Ces systèmes d’information seront primordiaux pour le fonctionnement du passe sanitaire voulu par le gouvernement français et approuvé en première lecture par l’Assemblée nationale, considéré comme nécessaire par le Conseil scientifique et accepté dans son principe par la CNIL.


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Ainsi, les données collectées permettant de prendre contact avec les personnes infectées ou des cas contacts ne sont accessibles que par des professionnels de santé soumis au secret professionnel. Les accès aux données sont également limités pour l’exercice de leurs missions déterminées dans le cadre de la lutte contre la pandémie.  

Afin d’éviter toute discrimination pour les personnes ne pouvant ou ne souhaitant se faire vacciner, le passe sanitaire est délivré dans trois situations différentes : en cas de résultat d’un test négatif au Covid-19, d’un justificatif de l’administration d’un vaccin, ou d’un certificat de rétablissement. La communication du résultat du test négatif est effectuée par le biais du système SI-DEP et celle du justificatif de vaccination  par « Vaccin Covid ». 


… À LIRE : Passe sanitaire pour les restaurants, théâtres et cafés : quels problèmes juridiques ?


Les décrets établissant ces systèmes d’information ont été pris dans le respect du Règlement général relatif à la protection des données (RGPD), une législation européenne très contraignante sur la protection des données. Ces décrets s’attachent à définir les responsables du traitement, les finalités du traitement, la base légale du traitement, les droits des personnes concernées, les informations à transmettre aux personnes, etc. Ces éléments assurent que seules les données nécessaires font l’objet d’un traitement, et que ces données ne peuvent servir à un autre usage que ceux prévus. 

Les décrets précisent toutefois qu’il ne sera pas possible pour les personnes de s’opposer à la collecte de leurs données ni de demander leur effacement une fois collectées. Dans le cas contraire, cela remettrait en cause l’existence même du traitement de données, qui ne pourrait être déployé conformément aux objectifs de gestion et de sortie de la crise sanitaire. 

Toutefois, il sera possible de s’opposer à la transmission des données à la Plateforme des données de santé (le Health Data Hub). Cette plateforme lancée fin 2019 permet de faciliter le partage de données de santé à des fins de recherches médicales. Cette opposition est bienvenue en raison des problématiques soulevées lors du lancement de cette plateforme, tant au regard des déboires sur son hébergement par Microsoft que de l’opacité de son fonctionnement

La question des risques de fraude ou des fuites de données

Sur la forme, le passe national ou le certificat vert numérique européen ont recours au système de “QR Code”. L’Agence nationale des titres sécurisés (délivrant notamment la carte nationale d’identité, le passeport, les certificats d’immatriculation etc.) met en place une solution permettant de sécuriser ces nouveaux outils. Prenant le nom de « 2D-DOC », cette solution consiste en un code-barre contenant des données. À la différence d’un simple QR Code, le 2D-DOC est un “Code Datamatrix” permettant à l’autorité délivrant le passe d’y apposer sa signature électronique afin de certifier l’authenticité des données. Par exemple, les codes 2D-DOC sont déjà insérés sur certaines factures de fournisseurs d’énergie comme Engie, permettant d’attester la preuve du domicile de la personne. Dans d’autres cas, cela permet d’attester un diplôme sanctionné par l’État, la carte mobilité inclusion, etc.

Au niveau de l’Union européenne, le « certificat vert numérique » fonctionne selon les mêmes principes que le passe français : les fondements du passeport et la délivrance sur papier et numérique sont identiques. La Commission européenne  développe un logiciel à l’usage des États membres pour une vérification harmonisée de l’authenticité des certificats. Le développement de ce logiciel s’inscrit dans la démarche du respect de la protection des données personnelles et de la vie privée des personnes. Par ailleurs, le certificat vert numérique n’implique la création d’aucune base de données centralisée au niveau de l’Union européenne. Ainsi, les données personnelles ne figurent que sur le certificat de la personne concernée et sous sa maîtrise exclusive. 

Quelles données seront insérées dans ces passeports ?

Le principe de minimisation des données implique que seules les données pertinentes et adéquates aux usages prévus par le passe sanitaire peuvent y figurer. 

Ainsi, les données permettant l’identification de la personne (nom et prénom), l’identification de l’émetteur du certificat ou l’identifiant unique du certificat, sont requises pour tous les passeports vaccinaux. Certaines données spéciales seront à préciser en fonction du fondement de délivrance du passeport. 

En cas de vaccination notamment, des informations sur le vaccin administré seront insérées dans le passe sanitaire. La France a fait le choix de mentionner le nom du vaccin, du laboratoire, l’état vaccinal ainsi que la date de vaccination. Concernant le certificat délivré à partir d’un test, des informations sur le test effectué seront aussi insérées. Quant au certificat de rétablissement, il requiert la collecte d’informations relatives aux antécédents d’infection par le Covid-19. 

Celui qui contrôle le passe ne pourra pas en conserver les données

Ces données figurant au sein du passeport vaccinal ne sont pas pour autant celles mentionnées lors de la présentation du passeport. La lecture des données contenues dans le certificat n’emporte, tant en France qu’au niveau de l’Union européenne, aucune collecte de données de la part des autorités ou des établissements privés. La lecture du QR Code permet seulement de vérifier et de confirmer le statut du titulaire du certificat. La limitation des données lisibles par ces opérateurs de même que l’absence de collecte de ces données font de ces passeports sanitaires une seule mesure permettant d’adapter la circulation des personnes tout en améliorant le contrôle de l’épidémie. 

Ainsi, dans l’hypothèse d’un établissement ne pouvant ouvrir au public que sur présentation d’un passeport sanitaire, le scan du code présenté ne permettrait pas à l’établissement de récupérer des données. À cet égard, le Gouvernement s’interroge sur la pertinence d’afficher uniquement le résultat de conformité (par l’apparition d’une couleur verte ou rouge) ainsi que l’identité de la personne. La CNIL encourage l’adoption de cette modalité, en respect du principe de minimisation, impliquant d’afficher seulement les données nécessaires à la validité. 

Aucune transmission de données n’est donc opérée à la lecture du code : celui-ci permet uniquement de vérifier que le passe sanitaire n’est pas un faux, ceci pouvant requérir de vérifier l’identité de la personne la présentant.  Cette mesure empêchera les établissements de vous adresser des communications notamment commerciales à partir de la connaissance de votre état vaccinal. Les établissements doivent ainsi se garder de collecter et de croiser ces données avec leurs fichiers clients. Cette interdiction avait déjà été rappelée lorsqu’avaient été mis en place les cahiers de rappel dans les restaurants à l’automne 2020. 

Une autre mesure devrait renforcer la sécurité des données : chaque établissement qui devra scanner les passeports à l’entrée sera considéré juridiquement comme “responsable du traitement”. Cela signifie qu’il devra former les personnes chargées de vérifier les passeports sanitaires, et sera responsable en cas de violation de la loi ou du RGPD par son établissement.  

Et après l’épidémie ? 

Le projet de règlement européen relatif au certificat vert numérique prévoit la suspension de l’existence et de la délivrance des différents certificats dès lors que le directeur de l’OMS de la santé déclarera la fin de l’urgence de santé publique internationale. Mais en cas de retour de la crise sanitaire, le certificat vert pourrait être à nouveau exigé. 

Les décrets mettant en place les systèmes d’information au niveau national, en dehors du système d’information « Vaccin Covid », sont pris en application de la loi relative à l’état d’urgence sanitaire. La longévité de ces systèmes d’information est alors dépendante de la période d’urgence sanitaire. 

Une fois la crise passée, les données collectées seront effacées des systèmes d’informations. Ces modalités doivent être également applicables pour les preuves conservées par les utilisateurs au sein de l’application TousAntiCovid. À ce dernier égard, les données contenues au sein de l’application sont conservées sur le seul téléphone portable de l’utilisateur, sans sauvegarde ni transmission de données à des prestataires tiers. Reste qu’il faudra s’assurer que ce régime d’exception n’ait pas créé une accoutumance telle qu’une pérennisation de ces passeports puisse être envisagée. Comme le rappelle la CNIL dans son avis, le passe sanitaire – et la règle vaut aussi pour le certificat vert européen – est et doit rester temporaire.

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