À l’occasion d’une affaire qui menace le gouvernement fédéral, deux présidents de partis de la majorité invitent à réagir rapidement à la grève de la faim des personnes “sans-papiers” occupant actuellement l’église du Béguinage à Bruxelles, ainsi que les campus de l’ULB et de la VUB. Joachim Coens, président du CD&V, suggère d’hospitaliser de force les grévistes ; alors qu’Egbert Lachaert, président de l’Open VLD, en appelle à l’intervention des autorités locales – sans préciser quelle intervention concrète pourrait être menée. La dégradation gravissime de la santé des grévistes inquiète à raison. Mais le contexte légal ne permet pas si facilement de contraindre ceux-ci à mettre fin à leur action.
La Ville de Bruxelles et son bourgmestre ont des pouvoirs de police limités
Les propos d’Egbert Lachaert, prolongés par des mandataires de l’opposition bruxelloise, laissent croire que le bourgmestre de Bruxelles pourrait agir pour mettre fin à la grève de la faim.
Les pouvoirs de police du bourgmestre dans la Région bruxelloise sont essentiellement régis par la Nouvelle Loi communale (art. 133 à 135). Selon cette loi, le bourgmestre peut notamment fermer un établissement ou prononcer une interdiction temporaire de se rendre ou de rester dans un lieu accessible au public, lorsqu’il existe un trouble à l’ordre public ou en cas d’infraction répétée à un texte légal. Il est également chargé de maintenir le “bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d’hommes”. Enfin, sur la base de l’article 31 de la loi sur la fonction de police, le bourgmestre pourrait ordonner l’arrestation administrative des grévistes, en cas d’absolue nécessité, s’il démontre que ces personnes perturbent ou mettent en danger la tranquillité et la sûreté publique.
Le bourgmestre devrait donc démontrer le trouble à l’ordre public ou l’infraction que constitue la grève de la faim des centaines de personnes concernées. Or, aucun texte n’a jamais interdit, en Belgique, une grève de la faim, même si celle-ci devait conduire au décès du gréviste. Si cette grève revêt certes un mobile politique, le calme dans lequel elle se déroule, au sein d’établissements accessibles au public (église et universités), rend tout aussi difficile la démonstration d’un trouble à l’ordre, la tranquillité ou la sûreté publique, du moins aussi longtemps que les responsables des lieux concernés acceptent d’accueillir les grévistes. Enfin, les mesures ici imaginées n’empêcheraient nullement les intéressés de poursuivre leur grève de la faim, soit dans un autre lieu, soit dans les lieux de détention où ils auraient été emmenés. Ces mesures seraient donc inutiles, en plus d’être difficiles à justifier légalement.
En réalité, au nom du “bon ordre”, la seule manière de mettre fin à la grève serait de forcer les grévistes à se nourrir et à boire, vraisemblablement via une hospitalisation et/ou une médication forcée, comme le réclame Joachim Coens. Mais là encore, cela coince juridiquement.
L’hospitalisation ou la médication forcée est en principe interdite
Selon la Cour européenne des droits de l’homme, toute intervention médicale non consentie constitue une ingérence dans le droit à la vie privée. De même, la loi relative aux droits du patient prévoit très explicitement “le droit de consentir librement à toute intervention du praticien professionnel moyennant information préalable”. Et ce consentement doit être donné “expressément, sauf lorsque le praticien professionnel, après avoir informé suffisamment le patient, peut raisonnablement inférer du comportement de celui-ci qu’il consent à l’intervention”. Plus clairement encore, l’article 8, §4 de cette loi réaffirme en toute lettre le droit de refuser des soins de santé.
La seule exception admise à ce principe est l’incapacité (temporaire ou permanente) d’une personne à exprimer sa volonté, et ce pour autant qu’aucune volonté n’ait été exprimée au préalable par écrit. Dans la situation des grévistes de la faim, la volonté de la plupart d’entre eux semble particulièrement claire, et nullement affectée d’une incapacité, ni psychologique ni médicale ni de quelque ordre que ce soit. Soutenir le contraire serait abusif – comme le rappelle utilement une avocate dans la presse – : c’est la détresse qui fait agir ces personnes, et non une incapacité psychologique à comprendre le danger dans lequel elles se mettent. Cette volonté doit donc être respectée aussi longtemps que les grévistes conservent la capacité d’exprimer leur volonté. Si la situation dramatique persistait, et que certains grévistes perdaient conscience, par exemple, ils devraient être soignés – au nom de la préservation du droit à la vie et de l’assistance à personne en danger –, sauf s’ils ont fait savoir par écrit au préalable qu’ils refusaient les soins nécessaires.
Heureusement, à l’heure d’écrire ces lignes, la grève en cours depuis près de deux mois vient d’être suspendue, après qu’un dialogue enfin constructif ait pu être noué entre les grévistes et les autorités fédérales compétentes.
Contactés, Joachim Coens et Egbert Lachaert, n’ont pas répondu à nos sollicitations
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