Ce mardi 7 décembre avait lieu la grève du secteur des soins de santé contre la vaccination obligatoire du personnel soignant. Dans certains services hospitaliers, les deux tiers du personnel avaient manifesté leur intention d’y participer. Pour pallier le déficit certain et prévisible des membres du personnel et assurer la continuité des soins de santé, des mesures inédites ont été prises : plusieurs centaines de personnes ont été réquisitionnées, c’est-à dire qu’elles ont reçu l’ordre formel de leur bourgmestre ou de leur gouverneur de province, le cas échéant notifié par la police à leur domicile, de se présenter à leur poste de travail le jour de la grève. De telles mesures sont extrêmement rares, bien qu’elles aient déjà dû être prises durant la crise sanitaire, notamment lors des grèves de juin 2021.
Le personnel soignant peut-il faire grève?
Le personnel soignant bénéficie bien sûr du droit de grève, mais moyennant le respect de certaines conditions. Dans le secteur privé, c’est une loi de 1948 qui encadre, en cas de grève, les “prestations d’intérêt public en temps de paix”. Elle prévoit que les mesures à prendre, en cas de besoins vitaux à assurer malgré une grève, soient concertées entre les employeurs et les travailleurs. Pour les soins de santé dans le secteur privé, cette concertation a permis de conclure un nouvel accord en 2010 (rendu obligatoire par arrêté royal). Cet accord impose d’une part le dépôt d’un préavis annonçant la grève quinze jours à l’avance; et d’autre part, il engage les travailleurs et les employeurs “à ce que tous les patients et résidents en traitement ou à traiter ne subissent aucun préjudice au point de vue thérapeutique ou en matière de soins de base”. Pour assurer cela, diverses procédures et commissions peuvent être organisées dans chaque institution. Il est notamment prévu qu’il soit “fait appel par priorité aux non-grévistes pour exécuter les prestations”, puis à l’engagement volontaire des travailleurs, puis à une concertation au sein de l’hôpital pour se mettre d’accord, entre organisations syndicales représentées et direction, au niveau de chaque hôpital ou, à défaut, de l’ensemble du secteur hospitalier, sur les noms des travailleurs à désigner.
Ce n’est qu’à défaut d’accord à ces différentes étapes que la loi permet la réquisition de membres du personnel par le Ministre ou son délégué (à savoir, le plus souvent, le Gouverneur de province). Dans ce cas, si la personne réquisitionnée ne respecte pas l’obligation qui lui est imposée, elle risque des sanctions pénales.
Rien d’aussi organisé, en revanche, pour les institutions de soins et les hôpitaux relevant du secteur public, même si des pratiques comparables à celles du secteur privé sont le plus souvent mises en œuvre par chaque établissement concerné. A défaut d’accord en leur sein, la direction de l’hôpital peut alors faire appel au pouvoir de réquisition du bourgmestre prévu par la loi sur la sécurité civile. Dans le cadre des “missions d’assistance aux personnes dans des circonstances dangereuses” et “d’aide médicale urgente”, celui-ci peut “en l’absence de services publics disponibles et à défaut de moyens suffisants, procéder à la réquisition des personnes et des choses qu’il juge nécessaire”.
Qu’est-ce qu’une réquisition?
La Cour Constitutionnelle définit la réquisition comme “un procédé de droit administratif permettant aux pouvoirs publics d’exiger, dans des circonstances exceptionnelles, la fourniture d’une prestation ou d’un service, l’accomplissement d’une tâche d’intérêt public ou l’exécution d’un travail d’intérêt général, en faisant appel à des particuliers.” La réquisition peut donc s’appliquer tant à des choses qu’à des personnes. Ce procédé a montré son utilité durant la crise sanitaire. Il a notamment permis la réquisition de bâtiments, afin de les transformer en centre de testing ou de vaccination, ou encore la réquisition de matériel médical (masques, respirateurs,…). Ces réquisitions étaient pour la plupart tolérées, car elles ne concernaient que du matériel.
En revanche, lorsque le Gouvernement a décidé d’autoriser la réquisition de personnel médical, il a immédiatement subi la fronde des organisations syndicales, puis fait machine arrière à peine quelques semaines plus tard, en retirant l’arrêté royal contesté, notamment au motif que “cette mesure a entraîné un malaise social important”. C’est dès lors avec prudence que la nouvelle loi pandémie a prévu la possibilité de recourir à des réquisitions.
Une mesure attentatoire aux libertés et donc très encadrée
La réquisition est donc une mesure relativement brutale, par nature attentatoire aux droits et libertés des travailleurs, notamment à leur droit de grève et à leur liberté individuelle. C’est pourquoi les mesures de réquisition font l’objet d’un encadrement juridique très exigeant, tout en devant respecter des procédures rigoureuses de mise en œuvre. Il est essentiel de justifier la nécessité des mesures, et de s’assurer qu’elles sont proportionnées par rapport à l’objectif poursuivi. En d’autres termes, même lorsqu’elles sont permises par la loi, il faut encore vérifier que les réquisitions ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but fixé, et que d’autres mesures, moins contraignantes ou moins restrictives, ne sont pas envisageables.
De telles contraintes expliquent sans doute pour partie le recours finalement très limité à de telles mesures durant la crise sanitaire. La possibilité d’une réquisition semble surtout servir de repoussoir, en pratique, pour permettre la mise en place des mesures plus acceptables par les acteurs concernés. La réquisition ne s’utilise qu’en dernier recours.
L’usage récurrent qui semble devoir en être fait lors des grèves récentes dans le secteur des soins de santé, sans doute un des secteurs les plus touchés par la crise sanitaire, est donc particulièrement interpellant. Il faut tout mettre en œuvre pour que ces réquisitions retrouvent le caractère exceptionnel qui est le leur en droit.
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