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ATTENTION AUX “FAUX STAGES” : UN ÉTUDIANT NON RÉMUNÉRÉ NE PEUT PAS REMPLACER UN VRAI TRAVAILLEUR

Georgina Skenderi et Linda Draoui, étudiantes en droit, Université Saint-Louis - Bruxelles // sous la supervision de Pierre-Olivier de Broux, professeur de droit public, Université Saint-Louis - Bruxelles, le 19 mai 2022

La Belgique autorise en principe les employeurs à ne pas rémunérer les personnes effectuant un stage dans leur entreprise, même en dehors de leur cursus scolaire. Suite au constat d’un nombre croissant d’abus du recours au stage non rémunéré, une plainte a été déposée en 2017 par le Forum européen de la jeunesse auprès du Comité européen des droits sociaux. Ce comité a récemment publié sa décision, en constatant que la législation belge viole la Charte sociale européenne (art. 4, §1er), qui protège le droit à une rémunération équitable.

SOUS QUEL STATUT UN JEUNE PEUT-IL EFFECTUER UN STAGE ?  

En principe, les étudiants, comme toute autre personne, travaillent soit sous un contrat de travail, soit sous un contrat de stage, soit enfin comme volontaires.

Le contrat de travail porte, selon les termes de la loi elle-même, sur l’engagement d’un employeur à fournir une rémunération à un employé, en échange d’un travail d’ordre manuel ou intellectuel. C’est la réglementation de principe pour effectuer un travail rémunéré.

En revanche, le contrat de stage, lui, n’a pas pour but d’engendrer de profit, mais de fournir au stagiaire des compétences. Actuellement en Belgique, plusieurs types de stages sont possibles. Des stages peuvent être effectués dans le cadre scolaire; ou être organisés au sein d’une agence d’emploi tel que Actiris (à Bruxelles), le VDAB (en Flandres) ou le Forem (en Wallonie), ou encore directement au sein d’une entreprise. Toutes ces formes de stages sont en principe réglementés (par exemple par la loi relative à la convention d’immersion professionnelle, par l’arrêté bruxellois relatif au stage de première expérience professionnelle, ou par la loi sur la convention de premier emploi). Il est important de souligner que ces stages ne doivent pas être rémunérés lorsqu’ils sont accomplis dans un cadre scolaire. En revanche, les stages accomplis en dehors du cadre scolaire doivent, en principe, être rémunérés, conformément aux montants prévus par leur loi respective.

Enfin, il existe encore une législation qui concerne le volontariat. Celle-ci a pour objectif d’encadrer le travail volontaire. Ce qui caractérise le volontariat, c’est d’une part le fait que la personne soit désintéressée financièrement et, d’autre part, la volonté libre de donner de son temps et de sa personne, et ce sans contrainte juridique.

QUAND UN STAGE NON RÉMUNÉRÉ POSE-T-IL ALORS PROBLÈME ?

Légalement, un stage ne doit donc pas être rémunéré s’il est inscrit dans un cadre scolaire, ou s’il s’agit d’un travail volontaire. En pratique cependant, il y a beaucoup de stages non rémunérés qui ne s’inscrivent pas dans ce contexte, et où l’étudiant effectue un travail réel au profit de l’employeur. Les informations apportées par le Forum européen de la jeunesse témoignent bel et bien de l’existence de ce fléau en Belgique. Et le gouvernement ne semble pas capable de justifier ou d’expliquer l’existence de ces stages non rémunérés. Le “stagiaire” qui accepte un tel poste ne bénéficie d’aucun avantage ni d’aucune protection. C’est la raison du recours introduit par le Forum européen de la jeunesse en 2017 auprès du Comité européen des droits sociaux.

Dans sa décision, le Comité européen des droits sociaux considère que  la Belgique viole le droit fondamental à une rémunération suffisante pour assurer “un niveau de vie décent” (article 4 §1 de la Charte sociale européenne), en reprochant tant l’existence de ces “faux stages” que l’insuffisance des contrôles pour les détecter. Le Forum européen de la jeunesse soulignait également que cette situation crée une discrimination entre les jeunes issus de milieu favorisé, pour qui la rémunération importe peu, et les jeunes plus précarisés, qui doivent combiner un job étudiant et un stage, pour subvenir à leurs besoins.

QUE FAIRE POUR REMÉDIER À CETTE SITUATION ? 

En théorie, un jeune engagé dans un “faux stage” pourrait intenter une action en justice. En pratique, le lieu d’autorité avec le maître de stage, comme le déséquilibre de pouvoir entre le jeune et l’organisation d’accueil, dissuade presque toujours le jeune de réagir. En outre, malheureusement, les stagiaires méconnaissent très souvent leurs droits et l’existence des services d’inspection sociale et du travail.

Il faut donc informer les jeunes, notamment à propos des barèmes salariaux, et leur conseiller de négocier les modalités de leur stage avant de s’engager. Par ailleurs, il faudrait que les autorités belges s’intéressent à la question des stages non rémunérés, et qu’elle pose un cadre, en fixant des limites bien définies. Le Comité recommande ainsi fermement à la Belgique d’adopter des “mesures proactives” (§150 de la décision), vu la vulnérabilité des jeunes qui se seraient engagés dans un stage non rémunéré. Concrètement, par exemple, tant des contrôles plus systématiques des inspecteurs du travail que des obligations de transmettre les contrats de stage aux autorités pourraient être mis en place. Toutes les réactions politiques à la décision du Comité étaient favorables à de telles réformes : il s’agit maintenant de les mettre en œuvre.

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Dans le conflit ukrainien, beaucoup se demandent pourquoi l’OTAN ou l’UE n’interviennent pas militairement. La réponse est assez simple : l’Ukraine n’est membre d’aucune de ces deux organisations et ne peut donc exiger une aide et assistance de la part des États membres d’une ou de l’autre organisation. Justement, dans quelle mesure le fait d’être membre de l’OTAN ou de l’UE a un impact en termes d’assistance militaire ? Quelle est la différence pour par exemple la Turquie, membre de l’OTAN mais pas de l’UE, et la Finlande ou la Suède, toutes deux membres de l’UE mais pas de l’OTAN, même si ces deux pays ont très récemment déclaré vouloir devenir membres de l’OTAN ? Ces deux organisations prévoient une assistance mutuelle en cas d’agression, finalement assez proche sur le plan juridique.

Les États membres de l’UE doivent se prêter aide et assistance en cas d’agression armée

Le Traité de Lisbonne a introduit une politique de sécurité et de défense commune (qui fait partie de la politique étrangère et de sécurité commune introduite en 1992) afin de commencer à développer une stratégie de défense commune aux pays membres de l’Union européenne. La question d’une défense commune avait déjà été débattue dans les années 50, la défense reste encore aujourd’hui une compétence régalienne auquelle les États restent attachés.

C’est ainsi que l’article 42 paragraphe 7 a fait son apparition dans le TUE, le traité sur l’Union européenne. Cette clause prévoit notamment que : « Au cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l’article 51 de la charte des Nations unies. ». Chaque État membre doit donc décider individuellement quelle mesure d’aide et d’assistance prendre. L’Union européenne ne disposant pas d’une armée propre, elle ne peut décider seule d’une intervention militaire de tous ses pays membres. 

Plusieurs États membres de l’UE – mais pas tous – sont également membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Le Traité de l’Atlantique Nord (TAN) prévoit aussi une aide mutuelle à l’article 5 : “Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties (…) et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense (…) assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord.

Mais cela ne devrait pas poser de problèmes : si la clause de l’OTAN vient à s’appliquer, la clause d’assistance mutuelle de l’Union européenne ne viendra, elle, pas à s’appliquer, comme le prévoit l’article 42 §7 du TUE lui-même. Le droit de l’Union européenne précise en effet que la règle d’assistance militaire est subsidiaire : cette disposition n’affecte en rien les obligations et engagements souscrits par les États au sein de l’Organisation du Traité Atlantique-Nord qui reste le fondement de la défense collective des États qui en sont membres. 

Cette clause d’assistance mutuelle de l’Union européenne dépend aussi de l’article 51 de la Charte des Nations Unies, consacrant le principe de légitime défense. Mais cela ne veut pas dire que toute assistance doit respecter les conditions de la légitime défense, l’assistance peut aussi être financière, humanitaire, etc. La référence à l’article 51 de la Charte de l’ONU reste volontairement large pour ne pas heurter la neutralité de certains pays de l’UE, notamment la Suède. Toutefois, l’intention formulée très récemment par la Suède à rejoindre l’OTAN vient remettre en question cette politique de neutralité. Cette démarche, également entamée par la Finlande, prouve la plus-value de l’article 5 du traité de l’OTAN, plus que l’article 42 § 7.

En somme, l’article 42§7 du TUE a une portée moins large que l’article 5 du Traité de l’Atlantique-Nord. Il vise avant tout à accroitre la coopération entre l’OTAN et la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union. Mais les deux clauses poursuivent en réalité le même but et pourraient avoir les mêmes conséquences maximales, à savoir l’intervention militaire. 

En même temps, les membres de ces deux organisations n’ont pas le même poids. Si la plupart des membres de l’UE font partie de l’OTAN, la première puissance militaire mondiale, les États-Unis d’Amérique, ne fait pas pas partie de l’UE, rendant l’article 5 de l’OTAN bien plus fort, en pratique, puisqu’il pourrait activer l’assistance américaine à un conflit, ce que ne pourrait pas l’article 42, § 7 du TUE.  

Concrètement, dans l’hypothèse où la Russie attaquerait la Finlande, seuls les pays membres de l’Union devraient lui porter assistance. Si c’est la Pologne qui est attaquée, les membres de l’OTAN comme les Etats-Unis et le Canada seraient aussi impliqués. On comprend alors mieux pourquoi la Suède et la Finlande veulent rejoindre l’OTAN.

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LES EXACTIONS COMMISES PAR LA RUSSIE CONTRE LES CIVILS À BOUTCHA SONT-ELLES DES CRIMES DE GUERRE ?

Auteur : Lorraine Dumont, doctorante en droit international à Aix-Marseille Université // Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Yeni Daimallah, le 8 avril 2022.

En droit international, il est interdit de faire la guerre, tout comme de prendre les civils pour cible. De prime abord, les exactions commises à Boutcha relèvent donc de la qualification de crime de guerre, voire même de crime contre l’humanité.

LE CONTEXTE

Le 4 avril 2022, le président de l’Ukraine Volodymyr Zelensky dénonçait les “crimes de guerre” qui auraient eu lieu à Boutcha. Les faits à l’origine de cette accusation ont été documentés par Human Rights Watch qui relève les “crimes de guerre manifestes dans les zones [ukrainiennes] contrôlées par la Russie”, dont des exécutions sommaires et des violences sexuelles. Les médias français font quant à eux état de plusieurs centaines de civils massacrés, dont les corps ont été retrouvés dans les rues ou dans des fosses communes. Tandis que la communauté internationale s’indigne des images peu à peu dévoilées des exactions commises à Boutcha, Les Surligneurs reviennent sur les fondements et implications de la notion de crime de guerre.

QU’EST-CE QU’UN CRIME DE GUERRE EN DROIT ?

L’article 6(b) du Statut du Tribunal de Nuremberg (1945), élaboré au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour juger de hauts responsables nazis, définit les crimes de guerres comme étant des “violations des lois et coutumes de la guerre”. En somme, il s’agit de violations de ce qu’on appelle le droit international humanitaire. La consécration de l’existence de certains crimes internationaux à la suite des atrocités de l’Holocauste a ainsi permis l’engagement d’une responsabilité internationale des individus mêmes, alors qu’à l’origine seuls les États pouvaient se voir imputer (c’est-à-dire reprocher) une violation du droit international. Cette responsabilité de l’individu peut donc être recherchée pour crimes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes d’agression (articles 6, 7 et 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale).

Le crime de guerre a alors la particularité de permettre d’engager la responsabilité d’un individu pour une violation du droit international humanitaire. Ce droit tend à encadrer la manière dont les États se font la guerre (on parle, dans le langage du droit humanitaire, de “conflit armé”) afin de limiter les souffrances causées. Notamment, certaines méthodes de guerre sont interdites, et les personnes qui ne participent pas (civils, personnels humanitaires) ou plus (prisonniers, blessés) aux combats sont protégées.

Ce sont les exactions commises contre la population civile – laquelle, par définition, ne prend pas part aux combats – qui sont à l’origine des accusations de crimes de guerre émises à l’encontre de la Russie. À ce titre, selon le CICR, le droit international humanitaire proscrit les “actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur au sein de la population civile”. La quatrième Convention de Genève (1949) porte quant à elle spécifiquement sur la protection des personnes civiles en temps de guerre, et d’autres règles protégeant les non-combattants se trouvent dans les deux Protocoles additionnels aux Conventions de Genève (1977). Enfin, l’article 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale énonce, parmi les faits constitutifs de crimes de guerre, “[l]e fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile”.

QUELLE DIFFÉRENCE ENTRE UN CRIME DE GUERRE, UN CRIME CONTRE L’HUMANITÉ ET UN CRIME DE GÉNOCIDE ?

Selon le président ukrainien, les crimes de guerre commis à Boutcha relèvent du crime de génocide. Or, bien qu’étroitement liés, les concepts de crime de guerre, de crime de génocide et de crime contre l’humanité se distinguent en droit international.

Le génocide est un concept très étroit. Il relève d’actes “commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux”(article 6 du Statut de Rome et article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide). Néologisme crée par l’avocat polonais Raphaël Lemkin, le génocide concerne des exactions visant à annihiler un groupe particulier d’individus, que ce soit en temps de guerre ou en temps de paix. Le génocide est difficile à prouver, car en plus de l’élément matériel qui le compose (c’est-à-dire des actes qui permettent son accomplissement, comme le meurtre ou l’entravement des naissances), il existe un élément psychologique : il faut démontrer l’intention spéciale de détruire le groupe en cause. Les génocides internationalement reconnus à ce jour sont le génocide des Arméniens commis par l’Empire ottoman (1915-1916), le génocide des Juifs commis par les nazis (1941 à 1945) et le génocide des Tutsis au Rwanda (1994).

Le crime contre l’humanité suppose quant à lui des actes commis “dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque” (article 7 du Statut de Rome). Il réintègre dans les conflits armés la question du respect des droits de l’Homme en interdisant par exemple les violences sexuelles, l’esclavage, les déplacements forcés, la torture ou les persécutions.

QU’EN EST-IL DES EXACTIONS CONSTATÉES À BOUTCHA ?

Pour que ces actes soient qualifiés de génocide, il faudra prouver que les exécutions sommaires alléguées ont eu lieu en raison de la nationalité des victimes et en vue de détruire tout ou partie du peuple ukrainien. Si démontrer cette intention n’est pas impossible, cela s’avérera certainement difficile.

En revanche, les attaques contre les civils pourraient relever de la qualification de crime contre l’humanité. Pour cela, les preuves que la communauté internationale est en train de recueillir en Ukraine devraient démontrer le caractère général, systématique et intentionnel de ces attaques.

En définitive, la qualification de  crime de guerre paraît la plus susceptible d’être retenue en raison d’une définition juridique plus large, plusieurs crimes de guerre pouvant par ailleurs constituer un crime contre l’humanité.

Enfin, l’invasion de l’Ukraine par la Russie étant qualifiable d’agression, le président russe Vladimir Poutine pourrait voir sa responsabilité pénale internationale personnelle engagée pour crime d’agression.

LA RUSSIE POURRA-T-ELLE ÊTRE RECONNUE COUPABLE DE CRIMES DE GUERRE ?

La Russie ne pourra pas être reconnue coupable de crimes de guerre, car seuls les individus peuvent se voir imputer des crimes. Les États, quant à eux, peuvent aussi être déclarés responsables pour avoir violé des règles internationales humanitaires, mais leur responsabilité est purement civile (d’ailleurs, la Russie a été poursuivie par l’Ukraine devant la Cour internationale de Justice).

En somme, sur le plan pénal, toute personne ayant commis, ordonné, sollicité, encouragé ou facilité un crime international pourra théoriquement voir sa responsabilité pénale internationale être engagée (article 25 §3 du Statut de Rome).

DEVANT QUELLES JURIDICTIONS SONT JUGÉS CES CRIMES ?

Diverses juridictions pourraient avoir compétence pour connaître de la responsabilité d’un individu pour crimes de guerre : des juridictions nationales dotées d’une compétence dite “universelle” (c’est-à-dire s’étendant à des crimes commis au-delà des frontières de l’État, comme c’est le cas en France ou en Belgique) ; une juridiction pénale internationale permanente (à savoir, la Cour pénale internationale) ; ou encore, une juridiction pénale internationale spéciale (créée spécifiquement pour juger de violations flagrantes du droit international humanitaire, comme ce fut le cas du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie).

L’OBSTACLE DE LA PREUVE 

De nombreux obstacles existent toutefois en pratique, au niveau de la preuve. Tout d’abord, il faut que les faits soient établis, ce qui va être facilité par l’enquête ouverte par la Cour pénale internationale dès le 2 mars 2022, l’Ukraine ayant reconnu la compétence de la Cour sur son sol dès 2014. Toutefois, même s’il était établi que des crimes de guerre ont eu lieu, encore faudra-t-il déterminer qui les a commis, qui les a ordonnés, et qui les a laissés se produire. Autrement dit, il faut pouvoir identifier l’auteur du crime et/ou remonter la chaîne de commandement. Cela signifie que les faits objectifs sont à distinguer de la désignation d’un responsable qui sera peut-être, à l’issue du procès, reconnu coupable de ces crimes qui offensent l’humanité.

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LA RUSSIE EXCLUE DU CONSEIL DE L’EUROPE : UNE SANCTION AUX CONSÉQUENCES JURIDIQUES LOURDES

Auteur : Nelson Ollard, doctorant en droit international, Université de Poitiers, CECOJI // Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Loïc Héreng, le 31 mars 2022.

Le 16 mars 2022, la Russie a été exclue du Conseil de l’Europe. Une décision historique : cette sanction de nature politique, prévue à l’article 8 du Statut de l’organisation internationale, n’avait encore jamais été mise en œuvre. Les conséquences juridiques de cette décision sont importantes, tout particulièrement en matière de droits fondamentaux.

DEUX SANCTIONS ÉTAIENT POSSIBLES AU SEIN DU CONSEIL DE L’EUROPE

Le Conseil de l’Europe est une organisation internationale créée en 1949. Son but : une union autour de valeurs communes, aux premiers rangs desquelles la démocratie, l’État de droit et la protection des droits fondamentaux. L’idée sous-jacente est qu’il existe une forme d’identité européenne structurée autour de ces valeurs. Afin d’en assurer la promotion et la sauvegarde des libertés, le Conseil dispose d’un champ de compétence vaste, qui n’exclut que les questions relatives à la défense nationale (Article 1er du Statut du Conseil de l’Europe).

L’organisation, d’abord cantonnée à l’Ouest de l’Europe, s’est progressivement élargie vers l’Est jusqu’à englober depuis 2007 l’ensemble de l’Europe à l’exception de la Biélorussie. Soit, avant la sortie de la Russie, 47 États membres. Le Conseil s’organise autour de deux organes principaux : l’Assemblée parlementaire, composée de délégations de parlementaires nationaux, est avant tout un organe délibératif, qui formule des avis et recommandations au Comité des Ministres, organe décisionnel,qui regroupe les ministres des affaires étrangères des États Membres.

Or, l’article 3 de son Statut érige la prééminence du droit et le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales en principes structurants. En cas de non-respect de ce texte, le Conseil de l’Europe peut adopter deux formes de sanctions politiques.

Un premier mécanisme se trouve dans le règlement intérieur de l’Assemblée parlementaire, aux articles 8 et 9 : l’Assemblée parlementaire peut refuser la délégation d’un État Membre, ce qui se pratique parfois, notamment à l’encontre de la Russie. Ainsi, l’État visé se trouve privé de toute représentation au sein de l’Assemblée, sans pour autant être exclu.

Le second mécanisme est prévu par l’article 8 du Statut, il permet au Comité des Ministres de suspendre un État membre de son droit de représentation, ce qui signifie qu’il ne peut plus participer aux réunions du Conseil. Le Comité des ministres peut également inviter l’État membre à se retirer de l’organisation internationale, voire l’exclure. Cet article 8 fut activé contre la Grèce en 1969, mais la procédure avait été stoppée avant son terme. Si bien qu’elle n’a jamais été mise en œuvre jusqu’à présent.

COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ À LA SANCTION LA PLUS LOURDE CONTRE LA RUSSIE ?

Ce ne sont pas les premiers déboires de la Russie face au Conseil de l’Europe. Cet État, qui a adhéré en 1996, a régulièrement fait l’objet de condamnations de la part des institutions du Conseil. Il en fut ainsi en raison de la guerre de Tchétchénie en 1999, pendant l’invasion militaire en Géorgie en 2008 ou bien à la suite de l’annexion de la Crimée en 2014 : la Russie s’est trouvée plusieurs fois sanctionnée ou menacée de l’être. À chaque fois, c’est finalement le simple refus de délégation devant l’Assemblée parlementaire qui a été activé.

Ainsi, entre 2014 (annexion de la Crimée) et 2019, la Russie fut privée du pouvoir de représentation au sein de l’Assemblée. En 2019, la délégation russe avait finalement été accueillie de nouveau, en geste d’ouverture et de dialogue.

Avec l’invasion de l’Ukraine, l’article 8 du Statut fut cette fois-ci activé. Le 25 février, le Comité des ministres suspendait la Russie de ses droits de représentation dans les institutions. Devant l’escalade des tensions, l’Assemblée parlementaire a finalement estimé dans un avis du 15 mars, que la Russie ne pouvait plus rester membre du Conseil de l’Europe, et a recommandé au Comité des ministres de mettre en œuvre la deuxième partie de l’article 8, à savoir la procédure l’exclusion.

Le 15 mars, la Russie dénonçait le statut du Conseil de l’Europe afin de sortir par elle-même de l’organisation internationale. Malgré cela, le Comité des ministres a adopté le 16 mars sa propre résolution sur la cessation de la qualité de membre de la Fédération de Russie. Comme prévu dans celle-ci, la sortie s’est opérée le jour même, marquant la première exclusion de l’histoire du Conseil de l’Europe, qui ne compte donc aujourd’hui plus que 46 membres. Cette mise au ban a d’ailleurs rejailli sur la Biélorussie qui a été suspendue de son statut d’observateur, en raison de son soutien à la Russie.

LES PREMIÈRES VICTIMES : LES LIBERTÉS DU CITOYEN RUSSE

L’État exclu et le Conseil de l’Europe cessent d’être liés dans leurs obligations juridiques réciproques. Cela implique que la Russie ne peut plus participer aux réunions des organes du Conseil de l’Europe. Autres conséquence, la Convention européenne des droits de l’Homme, et donc des libertés qu’elle protège, ne s’applique plus en Russie.

Or, cette convention est d’une importance particulière pour la protection des citoyens : c’est un des rares textes internationaux qui institue une juridiction permanente, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), chargée notamment de traiter les requêtes de simples particuliers contre leur propre État qu’ils accusent de violer les libertés.

Ainsi, à compter du 16 septembre, il ne sera plus possible pour les citoyens russes de bénéficier de la protection offerte par la Convention. De même, aucun particulier, quelle que soit sa nationalité, ne pourra saisir la Cour à l’encontre de la Russie. La Cour qui avait initialement décidé de suspendre l’examen de toutes les requêtes contre la Fédération de Russie a en effet décidé de maintenir un délai de six mois, conformément à la procédure de retrait prévue par la Convention.

S’agissant toutefois des affaires dites “pendantes” devant la Cour (c’est-à-dire des procès en cours), elles continueront d’être examinées et feront l’objet d’une décision. De même, pour les violations des libertés commises avant le 16 mars par l’État russe, la Cour devrait rester compétente.

De plus, la Cour européenne des droits de l’homme traite également de contentieux entre les États eux-mêmes, et il existe au moins cinq contentieux interétatiques entre l’Ukraine et la Russie, qui sont pendants. La Cour avait également prononcé des mesures provisoires depuis l’invasion russe, afin de protéger les civils. Enfin, le Conseil de l’Europe et la Cour européenne des droits de l’Homme assuraient un suivi laborieux de plusieurs décisions déjà anciennes de la Cour contre l’État russe, que ce dernier n’applique pas.

On voit bien là toute la différence avec les sanctions précédemment formulées par le Conseil de l’Europe. La Russie restait jusqu’alors obligée par ses engagements juridiques, notamment en matière de protection des droits fondamentaux. Cela n’a pas manqué d’être rappelé par le Comité des ministres dans une résolution du 2 mars, alors que la Russie était simplement suspendue. Entre un droit international malmené ou l’absence de droit international, les États membres du Conseil de l’Europe ont cette fois tranché pour la seconde option. Les premières victimes ne seront donc pas l’État russe, mais les Russes eux-mêmes.

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La Russie viole ses obligations internationales de sauvegarder le patrimoine culturel en temps de guerre

Georgina Skenderi et Marie De Beer, étudiantes en droit, Université Saint-Louis - Bruxelles // sous la supervision de Marie-Sophie de Clippele, chargée de recherche FNRS, professeure invitée Université Saint-Louis - Bruxelles, le 17 mars 2022

Le 24 février 2022, la Russie a attaqué de manière illégale son pays voisin, l’Ukraine. Sans négliger le caractère alarmant de la situation humanitaire en Ukraine, une autre victime du conflit est à déplorer : le patrimoine culturel ukrainien. En effet, les forces armées russes bombardent et détruisent des monuments ukrainiens importants comme l’opéra de Kharkiv, la cathédrale orthodoxe de l’Assomption au centre de Kharkiv, le centre ville de Tcherniv inscrit sur la liste indicative du patrimoine mondial de l’Unesco, les oeuvres de Maria Prymachenko, le musée d’histoire de IvanKiv ou le mémorial de l’Holocauste Babi Yar.

Le droit international protège les biens culturels en cas de conflit armé

Ces destructions sont toutefois interdites par la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflits armés de 1954, dite la Convention de La Haye de 1954, à laquelle la Russie et l’Ukraine sont parties depuis 1957.

Rédigée sur les cendres de la Deuxième Guerre mondiale, la Convention protège les biens culturels en cas de conflit armé entre deux ou plusieurs États. Les biens culturels à protéger sont “Les biens, meubles ou immeubles, qui présentent une grande importance pour le patrimoine culturel des peuples” (article 1 de la Convention de 1954). Ils portent sur des monuments, comme l’opéra de Kharkiv, sur des œuvres d’art comme celles de Maria Prymachenko, ou sur des édifices religieux, comme la cathédrale orthodoxe de l’Assomption à Kharkiv. 

Il ne faut pas nécessairement que ces biens soient protégés comme patrimoine mondial de l’humanité, cela limiterait sinon la protection aux 7 sites ukrainiens protégés au patrimoine mondial. La Convention concerne tout bien culturel que l’Ukraine estime important à protéger en cas de conflit armé. 

L’Ukraine peut indiquer ces biens à protéger en apposant un signe distinctif blanc et bleu (un “bouclier bleu” précisé à l’article 16 de la Convention de 1954), mais n’est pas obligée de le faire. Cette interdiction de détruire des biens culturels touche donc beaucoup d’objets et de bâtiments d’importance culturelle. 

Concrètement, les États parties doivent respecter les biens culturels en temps de guerre et donc ne pas les détruire ou les détériorer, tout comme ils doivent interdire le vol et le pillage de ces biens culturels. Les États veillent aussi à former des groupes cibles (militaire, forces de l’ordre) au respect de la Convention et prennent des mesures préventives pour sauvegarder les biens culturels en temps de paix. Certaines organisations internationales peuvent aider les États à transposer ces obligations, comme le Bouclier Bleu, qui s’est exprimé sur le conflit, et la Croix Rouge

Les biens culturels peuvent quand même être attaqués en cas de nécessité militaire impérative

La Convention pose un cadre solide pour assurer la protection des biens culturels. Mais il y a une exception : les attaques contre les biens culturels sont permises en cas de nécessité militaire impérative… et c’est là où le bât blesse : qu’est-ce qu’une “nécessité militaire impérative” ? 

La Convention de 1954 ne le définit pas, ni le premier protocole de 1954, laissant la porte ouverte à des interprétations qui arrangent mieux certains États que d’autres. Comprenant que cette notion est le nœud du problème, un deuxième protocole est adopté en 1999 qui précise ce qu’il faut comprendre par nécessité militaire impérative : quand le bien est devenu un objectif militaire par sa fonction et qu’il n’y a pas d’autre solution possible que de l’attaquer pour atteindre l’objectif militaire. Il faut aussi que la décision soit prise par un chef d’une formation égale ou supérieure en importance à un bataillon et qu’un avertissement soit donné si possible (article 6).

Mais ce deuxième protocole, qui améliore l’application de la Convention de 1954, ne s’applique pas au conflit ukrainien car la Russie ne l’a pas ratifié. Il est toutefois possible que la définition de nécessité militaire impérative soit conforme à la coutume du droit international. La Russie ne pourrait alors pas si facilement se réfugier derrière une interprétation souple de la nécessité militaire pour justifier une attaque contre des biens culturels ukrainiens et respecter la coutume internationale. 

La destruction de biens culturels viole aussi les droits culturels

Le patrimoine culturel est non seulement protégé par la Convention de 1954 mais aussi par le droit fondamental de participer à la vie culturelle, consacré dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 27) et dans le Pacte International relatif aux Droits Économiques, Sociaux et Culturels (PIDESC) (article 15), dont la Russie et l’Ukraine sont tous deux parties. Les États ont l’obligation de garantir le respect, la protection et la mise en œuvre du droit d’accès et de jouissance du patrimoine culturel sur les territoires sous leur juridiction, en ce compris sur ceux dont ils ont le contrôle effectif, comme la Russie dans certaines parties de l’Ukraine.

La Russie risque des poursuites devant la Cour Pénale internationale et devant la Cour internationale de Justice

Que risque finalement la Russie pour ses destructions culturelles, autant de violations de la Convention de 1954 et du droit de participer à la vie culturelle ?

Son président, Vladimir Poutin, ainsi que d’autres dirigeants russes, peuvent être traduits devant la Cour pénale internationale (CPI), dont le Statut considère que les attaques illicites dirigées contre les bâtiments religieux, culturels ou les monuments historiques peuvent constituer des crimes de guerre (articl 8.2.b.ix), voire des crimes contre l’humanité s’ils participent à une attaque systématique contre la population civile, persécutant tout groupe ou collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste (article 7.1.h).

Les violations de la Russie peuvent aussi être traitées par la Cour internationale de Justice (CIJ), qui vient de rendre une décision le 16 mars 2022 ordonnant à la Russie de suspendre immédiatement toutes les opérations militaires en Ukraine. Il n’est pas question de biens culturels dans cette ordonnance-ci mais la CIJ pourrait condamner la Russie pour destruction du patrimoine culturel, comme elle l’a fait dans une décision préliminaire le 7 décembre 2021 Arménie c. Azerbaijan qui ne portait toutefois pas sur la Convention de 1954 mais sur la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discriminations raciales de 1965.

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ENTRÉE DE L’UKRAINE DANS L’OTAN : LES CONDITIONS JURIDIQUES SONT RÉUNIES, PAS LES CONDITIONS POLITIQUES

Ana-Maria Kordic, master de droit international, Université Paris-Panthéon-Assas//Pascale Martin-Bidou, maître de conférence en droit public, Université Paris-Panthéon-Assas // Emma Cacciamani et Yeni Daimallah, le 8 mars 2022

L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, en l’état, entraînerait tous les membres de l’Alliance dans la guerre. Il n’y a donc pas d’opposition juridique à cette adhésion, mais politique. La seule aide qui peut être apportée à l’Ukraine est donc indirecte : les moyens humains et matériels de résistance.

Depuis quelques semaines, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) est sur le devant de la scène internationale en raison de l’invasion du territoire ukrainien par la Russie depuis le 24 février, marquant ainsi le début de la guerre en Ukraine. Cette alliance, fondée sur le traité de l’Atlantique Nord signé à Washington en 1949, prévoit un mécanisme de défense collective répondant à la définition de la Charte des Nations Unies.

Il faut donc comprendre que d’après le Préambule du traité, l’OTAN est une alliance ayant pour but la sauvegarde de la liberté et de la sécurité des pays membres par la mise en œuvre d’une coopération internationale de sécurité collective, aussi bien politiquement que militairement.

Par le passé, cette alliance s’est néanmoins heurtée à des réticences sur de possibles élargissements aux pays de l’Europe de l’Est. L’Ukraine en fait les frais aujourd’hui : sa position centrale et ambivalente entre Est et Ouest pose de réelles difficultés qui ont entraîné une altération des relations diplomatiques entre les pays occidentaux et la Russie. La guerre en Ukraine et la question de son adhésion à l’OTAN, alors même que Moscou s’oppose fermement à une extension de l’alliance à l’Est, restent intimement liées.

ADHÉRER À L’OTAN, C’EST BÉNÉFICIER AUTOMATIQUEMENT DE LA CLAUSE D’ENTRAIDE EN CAS D’AGRESSION

Adhérer à l’OTAN, c’est adhérer à un ensemble de valeurs. Comme l’affirme le Préambule du traité, l’alliance est fondée sur des valeurs communes de liberté et de démocratie auxquelles les États membres et candidats doivent se conformer. Le Préambule réaffirme que l’alliance est fondée sur le respect des règles du droit international, en se référant à l’instrument juridique le plus important du droit international : la Charte des Nations Unies.

Adhérer à l’OTAN, c’est aussi s’engager à respecter et mettre en œuvre le traité de l’Atlantique Nord. En particulier, les États membres doivent appliquer le principe d’assistance mutuelle et de capacité d’action collective en matière de défense, prévu à l’article 3 du traité. Cependant, le traité ne s’arrête pas là. D’autres conséquences juridiques découlent d’une adhésion à l’OTAN et notamment l’application de l’article 5 qui prévoit la légitime défense collective en cas d’attaque d’un État membre. En effet, lorsque l’on évoque l’OTAN, c’est l’enclenchement de l’article 5 qui vient à l’esprit et qui constitue le mécanisme mère de l’alliance : en cas d’attaque armée contre un ou plusieurs États parties au traité, c’est le mécanisme de légitime défense et de l’assistance mutuelle des États qui s’active. Ainsi, lorsqu’un État est attaqué, les autres États de l’alliance doivent “l’assister pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord”.

L’OTAN est fondée sur ce principe d’accord et d’entraide mutuelle dont le but affiché est de faire respecter les valeurs démocratiques et à assurer une stabilité de paix dans le monde. Cette conséquence juridique d’une adhésion (ou non) demeure fondamentale pour comprendre la situation ukrainienne aujourd’hui et l’impossible assistance à ce pays, du moins dans le cadre de l’OTAN.

LE TRAITÉ DE L’ATLANTIQUE NORD NE PERMET PAS D’INTERVENIR MILITAIREMENT EN AIDE À L’UKRAINE

La guerre qui fait rage en Ukraine a confronté les pays occidentaux à plusieurs problèmes majeurs. La question centrale reste celle de l’intervention militaire collective en cas d’attaque dirigée contre l’un des États membres de l’alliance. Les pays membres de l’OTAN se sont à plusieurs reprises demandés si une telle intervention était juridiquement fondée, mais surtout si celle-ci est raisonnable.

D’autant plus qu’une intervention militaire mènerait à des conséquences irréversibles en provoquant des réponses militaires de la part de la Russie. De plus, l’article 5 du traité Atlantique Nord ne prévoit aucun mécanisme de défense conjoint pour un État non membre. De fait, intervenir militairement en Ukraine ne pourrait en aucun cas être justifié juridiquement par les statuts de l’organisation et encore moins par le mécanisme de légitime défense. Cela ne signifie pas qu’il soit impossible de venir en aide militairement à l’Ukraine, mais cela ne se ferait pas en vertu du traité. Cela se ferait en vertu d’une simple volonté d’un ou plusieurs États souverains, de venir en aide à un autre État souverain agressé.

Autre point important, l’article 4 du traité prévoit une consultation générale entre États membres en cas d’agression contre l’un d’entre eux, pour envisager une réponse d’entraide en vertu de l’article 5. Mais l’article 4 ne prévoit pas cette consultation pour un État qui n’est pas membre de l’alliance. L’Ukraine n’étant pas membre, elle peut toujours en faire la demande, mais l’OTAN n’a pas à y répondre favorablement. Cependant, cette disposition a fait l’objet de contournements : les États membres de l’OTAN qui sont géographiquement proches de l’Ukraine ou de la Russie ont demandé une consultation générale craignant d’être les prochains à subir une telle attaque.

C’est ainsi que ces États frontaliers de l’Ukraine ont demandé l’activation de l’article 4 du traité. Ces consultations demeurent cependant sans effets et restent avant tout symboliques : elles n’engagent à aucune suite dans le contexte actuel. Les États limitrophes sont uniquement soucieux de leur sécurité mais ne font pas l’objet d’une menace qui serait affirmée par la Russie.

La seule option possible pour l’OTAN réside dans la mise en œuvre de l’article 3 du traité qui prévoit le maintien et l’accroissement de la capacité militaire collective en cas de menace. Cet article permet de justifier la présence de troupes de l’OTAN stationnées dans les pays membres de l’alliance, limitrophes de l’Ukraine. L’envoi des troupes dans les États membres de l’alliance à proximité de l’Ukraine constitue pour les États concernés avant tout des garanties de sécurité. Le premier ministre Jean Castex a lui-même rappelé qu’en cas de menace et d’extension du conflit dans les pays membres de l’OTAN, l’intervention militaire serait sûre et purement justifiée du point de vue du droit international.

LA SEULE ALTERNATIVE (HORS ENTRÉE EN GUERRE) : L’AIDE INDIRECTE À L’UKRAINE

En réponse à l’agression de l’Ukraine, les États membres de l’OTAN et de l’Union européenne ont largement accepté de fournir une assistance à ce pays, se traduisant par l’envoi non pas de troupes, mais de matériels et d’armements militaires. Ainsi, l’Allemagne a franchi un cap historique en fournissant de l’armement à l’Ukraine, tout comme d’autres États. À cela s’ajoutent les sanctions économiques qui ont été décidées par la majorité des États membres de l’Union européenne et l’Union européenne en réponse aux agissements russes. Mais ce n’est pas l’OTAN qui agit dans ce cas.

L’OTAN n’a cessé de s’élargir ces dernières années, aussi bien pour les adhésions que la mise en place de partenariats avec les pays non membres. Les relations développées entretenues entre l’OTAN et l’Ukraine et la volonté de cette dernière, qui a inscrit le projet d’intégration à l’OTAN comme un objectif constitutionnel, a toujours fait pencher la balance vers une possible adhésion.

Néanmoins, la position ambivalente ukrainienne au regard de ses relations avec la Russie mais aussi avec les États occidentaux a rendu la tâche d’intégration délicate. D’autant plus que la violation de l’intégrité territoriale de l’Ukraine par la Russie dès 2014 dans la région de la Crimée a marqué un réel blocage, suspendant alors toute possibilité d’adhésion, justement en raison de l’obligation d’entraide, sauf à faire entrer l’Ukraine dans l’OTAN… sans la Crimée ni le Donbass, ce qui revient à entériner l’annexion Russe et la séparation de ces régions du reste du pays. En tout état de cause, cette adhésion serait perçue comme une véritable provocation du côté de la Russie, qui ne souhaite pas voir l’OTAN s’étendre jusqu’à ses frontières une fois de plus, après les pays baltes et la Pologne.

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POURQUOI L’AGRESSION DE L’UKRAINE PAR LA RUSSIE EST ILLÉGALE ?

Raphaël Maurel, maître de conférences en droit public, chercheur au CREDIMI et au CEDIN, secrétaire général adjoint du Réseau francophone de droit international, le 26 février 2022

La version du gouvernement russe est désormais bien connue : il s’agit d’une “opération spéciale” visant à “dénazifier” l’Ukraine et à protéger les populations des régions de Donetsk et Lougansk d’un prétendu génocide. Juridiquement, cette tentative de justification ne tient pas, et il faut rappeler avec force les raisons qui font que cette agression est illégale.

Le droit international contemporain, largement issu de la reconstruction post-1945 et du sentiment collectif que la paix entre les Nations devait être maintenue par le droit, repose sur un principe cardinal : la souveraineté des États. Et la souveraineté, c’est l’indépendance, c’est-à-dire pour l’essentiel la capacité de jouir librement de son territoire – sous réserve de ses obligations internationales librement consenties.

C’est sur cette souveraineté pleine et entière des États qu’est fondée la “colonne vertébrale” du droit international : l’interdiction du recours à la force entre États. Consacrée à l’article 2, paragraphe 4, de la Charte des Nations Unies signée à San Francisco en 1945, cette interdiction ne souffre que de trois exceptions. Aucune n’est invocable par la Russie en l’état actuel.

NI L’UKRAINE, NI LES NATIONS UNIES N’ONT CONSENTI À CETTE INTERVENTION RUSSE

La première exception est celle du consentement de l’État sur le sol duquel l’intervention a lieu. Autrement dit, il s’agit du cas où un État appelle à l’aide la communauté internationale ou un État en particulier. Ce fut par exemple le cas du Mali en janvier 2013, et c’est aujourd’hui le cas de l’Ukraine. La Russie ne peut évidemment pas se prévaloir du consentement ukrainien pour justifier son agression, même si elle invoque un prétendu appel à l’aide des deux “républiques populaires” auto-proclamées de Lougansk et de Donetsk pour tenter de fonder juridiquement son intervention sur le sol de ces deux régions – et seulement sur ce sol.

Dans ce dernier cas, la question est de savoir si ces “autorités” qui auraient appelé la Russie à l’aide sont bien des États, ce qui n’est pas le cas : la reconnaissance unilatérale russe de l’indépendance de ces deux régions ne suffit pas à en faire des États. Il s’agit donc, dans tous les cas, d’une agression.

La deuxième exception est l’autorisation donnée par le Conseil de sécurité des Nations Unies. En vertu du chapitre VII de la Charte, cet organe politique – et non juridique – chargé principalement du maintien de la paix et de la sécurité internationales a le pouvoir de prendre des mesures coercitives contre les États qui menaceraient de rompre, ou rompraient, cette paix. L’autorisation d’une intervention militaire, qui peut être terrestre (cas de l’Irak envahissant le Koweit avec la résolution du 30 novembre 1990) ou uniquement aérienne (cas de la Libye, pour protéger les civils, avec la résolution du 17 mars 2011), est exceptionnelle et succède à un échec d’autres mesures préalables. Ce n’est ainsi qu’en dernier ressort que le Conseil de sécurité autorise le recours à la force, à condition qu’aucun de ses cinq membres permanents (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie) ne pose son veto. Dans le conflit entre l’Ukraine et la Russie, une telle autorisation fait naturellement défaut et est impensable : la Russie aurait immanquablement posé son veto.

LA RUSSIE N’A PAS SUBI UNE AGRESSION DE LA PART DE L’UKRAINE

La troisième exception est celle de la légitime défense, droit “naturel” et coutumier de chaque État, également prévu à l’article 51 de la Charte des Nations Unies. L’invocation de la légitime défense par un État suppose cependant qu’il ait subi préalablement une “agression”, au sens où l’entend  l’Assemblée générale des Nations Unies. Tel n’est pas le cas de la Russie qui n’a subi aucune agression, la volonté ukrainienne de rejoindre l’OTAN (de même que son éventuelle adhésion) ne pouvant en aucun cas être considérée sous cet angle. Quand bien même la légitime défense individuelle de la Russie serait invoquée, ce qui semble être le cas puisque Vladimir Poutine a mentionné l’article 51 de la Charte dans son annonce à l’aube du 24 février, Moscou aurait dû notifier sa démarche au Conseil de sécurité des Nations Unies, dans l’attente d’une “prise de relais” onusienne.

Surtout, la Russie aurait dû réagir de manière proportionnée à l’agression, qui demeure introuvable. Toutefois, une idée jusqu’ici défendue par les États-Unis pourrait aussi faire son chemin au Kremlin, situation ironique si elle n’était pas si dramatique : la “légitime défense préventive”. Selon cette explication utilisée en 2003 par les États-Unis de Georges W. Bush pour tenter de justifier l’agression de l’Irak, hors de tout mandat onusien, , les États auraient le droit, en cas de menace d’agression, de “riposter préventivement”. Cette prétendue légitime défense préventive n’a néanmoins, en l’état du droit positif, aucun fondement et est fortement rejetée par la société internationale.

LES ÉTATS TENTENT GÉNÉRALEMENT DE JUSTIFIER, MÊME DE FAÇON DILATOIRE MALHONNÊTE, UNE INTERVENTION MILITAIRE AU REGARD DU DROIT INTERNATIONAL

La clarification du discours juridique russe, qui lui permettrait de justifier son action en droit international, est en tout cas attendue. Même si le Président russe n’entretient qu’une considération limitée pour le droit international, les États – même les plus puissants – ont conscience que ce droit demeure la meilleure garantie pour éviter d’être soi-même victime de violations. Ils ont donc globalement intérêt à fonder leur action internationale en droit, quitte à le faire a posteriori, et le font généralement, le cas échéant en proposant des interprétations plus ou moins éloignées des textes et de la pratique préexistants.

On relève souvent, dans ces situations, un discours juridique quelque peu confus voire confusionniste, tendant à présenter comme évidente une justification qui ne saurait l’être, ou à en mélanger plusieurs. Ainsi, il est aujourd’hui difficile de savoir si la Russie invoque réellement la légitime défense, si oui s’il s’agit de la sienne (légitime défense individuelle) ou de celle des deux républiques autoproclamées qui l’auraient appelée à l’aide (légitime défense collective), ou si elle invoque la responsabilité de protéger d’un génocide prétendument commis par Kiev, comme semblait le suggérer la déclaration du représentant russe au Conseil de sécurité le 23 février dernier (d’après lui, “The goal of this special operation is protection of people who have been victimized and exposed to genocide by the Kiev regime. To ensure this, we will seek demilitarization and denazification of Ukraine, and criminal prosecution for those who committed numerous heinous crimes against civilians”). Cette responsabilité de protéger sa population incombe prioritairement à l’Ukraine. Elle peut, à défaut et dans des cas rarissimes comme en Libye en 2011, être garantie par la communauté internationale, mais en aucun cas par un État voisin qui s’autoproclamerait défenseur de la population voisine soi-disant persécutée.

Dans tous les cas, il faut se rappeler que le droit international se caractérise par sa souplesse et son caractère dynamique. Autrement dit, une succession d’interprétations audacieuses d’un principe coutumier bien établi – comme celui de la légitime défense – pourrait, peu à peu, éroder la conception contemporaine tendant à défendre son usage à titre préventif, jusqu’à installer l’idée qu’une nouvelle interprétation commune s’est installée. C’est la raison pour laquelle il est important de s’opposer à de telles interprétations lorsqu’elles ne sont pas conformes au droit positif et qu’il n’est pas souhaitable qu’elles le deviennent.

Il faut donc l’affirmer et le répéter : l’attaque russe est une agression injustifiable au regard du droit international, et constitue un fait internationalement illicite. La Russie engage donc sa responsabilité internationale. Pour l’heure et en attendant le cessez-le-feu et les conséquences de l’agression sur les plans politique, économique et juridique, c’est l’application du droit international humanitaire qui doit prévaloir sur tout autre considération.

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EN SAISISSANT LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE CONTRE LA RUSSIE, L’UKRAINE SE PLACE RÉSOLUMENT DU « BON CÔTÉ » AUX YEUX DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

Raphaël Maurel, maître de conférences en droit public, chercheur au CREDIMI et au CEDIN, secrétaire général adjoint du Réseau francophone de droit international, le 28 février 2022

Dimanche 27 février, le président Ukrainien, Volodymyr Zelinsky, a annoncé avoir saisi la Cour internationale de justice contre la Russie. Cette annonce a été suivie, dans la soirée, par la confirmation par les services de la Cour dans un communiqué de presse puis la publication de la requête ukrainienne. Des audiences devraient se tenir rapidement au siège de la Cour à La Haye, où les représentants de l’Ukraine comme de la Russie seront invités à exposer leurs arguments.

LA SAISINE DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE MONTRE QUE L’UKRAINE VEUT AUSSI UTILISER LE DROIT POUR RÉGLER LE CONFLIT

La Cour internationale de justice est l’organe judiciaire principal des Nations Unies ; elle ne peut juger que les États. Il ne s’agit donc pas d’un juge pénal habilité à condamner les individus comme la Cour pénale internationale, qui siège également à La Haye mais ne juge que des dirigeants, généralement a posteriori, pour des crimes particulièrement graves – comme le crime contre l’humanité. Devant la Cour internationale de justice, il s’agit de régler pacifiquement les différends entre les États, conformément à la Charte des Nations Unies adoptée en 1945.

La Cour est souvent saisie par des pays, ce qui démontre l’attachement de la communauté internationale au droit international. D’ailleurs, une autre affaire, introduite par l’Ukraine en 2017 et portant sur l’application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, est en cours contre la Russie. La Cour s’est déclarée compétente en novembre 2019, la Russie doit encore remettre ses conclusions d’ici décembre 2022, pour une décision attendue sans doute en 2023.

L’UKRAINE CHERCHE À OBTENIR DE LA COUR DES MESURES PROVISOIRES EN URGENCE

Il est vrai qu’alors que Kiev est assiégée, le moment semble mal choisi pour un procès à la Cour internationale de justice. Néanmoins, les États agressés ont globalement intérêt à mobiliser les moyens de droit à leur encontre, ne serait-ce que pour attirer l’attention de la communauté internationale sur le bienfondé de leur argumentation et sur les violations commises par les agresseurs. En 2008, la Géorgie en partie envahie par la Russie avait usé de la même possibilité.

Cette saisine montre que l’Ukraine ne positionne pas sa défense uniquement sur le plan militaire, mais également sur le plan juridique, en s’appuyant sur les justifications avancées par Vladimir Poutine pour tenter de fonder en droit son agression. Elle permet aussi à l’Ukraine de se placer résolument du « bon côté » aux yeux de la communauté internationale, en activant les mécanismes juridiques à sa disposition tout en continuant à se défendre sur le terrain.

De manière moins symbolique et plus pragmatique, l’Ukraine demande également des « mesures conservatoires », comme le lui permet l’article 41 du Statut de la Cour, c’est-à-dire des mesures provisoires rendues en urgence par la Cour, en attendant sa décision définitive. Il s’agit par exemple pour la Cour d’ordonner à la Russie de cesser son agression. Fréquemment demandées, ces mesures, qui ne sont pas toujours ordonnées par la Cour et peuvent être différentes de celles demandées par les parties, sont toujours obligatoires. Autrement dit, leur méconnaissance peut engager la responsabilité de l’État qui ne s’y conforme pas, au même titre que les autres violations du droit international alléguées. Ici, l’Ukraine demande la cessation du conflit et le retrait des troupes russes de son territoire.

QUESTION ESSENTIELLE POUR LA COUR : LA RUSSIE A-T-ELLE COMMIS UNE VIOLATION DE LA CONVENTION SUR L’INTERDICTION DU GÉNOCIDE EN AGRESSANT L’UKRAINE ? 

La première question posée est celle de la compétence de la Cour. Celle-ci repose toujours sur le consentement des parties, car les États sont souverains et ne peuvent pas être jugés contre leur gré. Ce consentement peut être établi de différentes manières, mais est souvent contenu dans les clauses des nombreux traités internationaux ratifiés par les parties, qui donnent explicitement compétence à la Cour internationale de justice en cas de différend sur l’interprétation ou l’application du traité.

La Cour doit alors vérifier que la requête satisfait aux différentes conditions posées par cette clause et que le différend qui lui est soumis entre bien dans le champ de la convention internationale, sans quoi sa compétence ne sera pas établie. Ici, c’est l’article IX de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 qui est invoqué, un traité ratifié par l’Ukraine et la Russie et qui prévoit qu’elles acceptent la compétence de cette Cour. Dans la mesure où ni l’Ukraine, ni la Russie n’ont de réserves – c’est-à-dire d’opposition dûment enregistrée – actuellement en vigueur sur cet article, et qu’il ne prévoit pas de conditions préalables à la saisine de la Cour, la compétence ne devrait pas soulever de difficulté majeure, d’autant plus au stade des mesures conservatoires où celle-ci n’est examinée que prima facie (« à première vue », c’est-à-dire sans examen poussé).

La Convention sur le crime de génocide ratifiée par l’Ukraine et la Russie définit le périmètre du différend, c’est-à-dire l’étendue des questions qui peuvent être posées à la Cour. L’Ukraine ne peut donc pas invoquer directement toutes les violations commises par la Russie, à commencer par celle de l’article 2§4 de la Charte des Nations Unies qui interdit le recours à la force entre États, qui n’est pas contestable directement devant la Cour dans ce cas : il faut montrer que celle-ci est liée à la convention sur le génocide.

Dans sa requête à la Cour, l’Ukraine reproche à la Russie d’avoir mal interprété la Convention, en considérant que la prétendue commission d’un génocide par l’Ukraine l’autorisait à agresser son voisin. Cet argument a des chances de faire mouche, à condition de pouvoir démontrer que l’agression russe est bien fondée sur ce motif. Cela pourra en effet poser des difficultés à deux stades différents de l’examen de la demande des mesures conservatoires.

D’abord, c’est la question de l’objet du différend qui est en cause. La Russie pourrait arguer qu’il n’existe aucun différend sur la question du génocide, mais que le litige est lié à autre chose, même s’il a entretenu à plusieurs reprises l’idée selon laquelle l’agression en Ukraine vise à faire cesser un génocide. Elle pourrait ainsi chercher à démontrer que le différend porte sur l’attaque(la Russie refusant le terme d’« agression ») en elle-même, et donc sur l’interprétation de la Charte des Nations Unies et non sur l’interprétation de la convention sur le génocide, ce qui priverait la Cour de sa compétence.

Si l’Ukraine avait gain de cause sur ce point et que la Cour établissait sa compétence prima facie, ce qui paraît possible, il lui faudra ensuite démontrer qu’elle invoque des droits dont la violation par la Russie est « plausible », au sens de la Cour. Or, même si l’appréciation de ce critère est assez souple, l’argument selon lequel l’attaque russe constituerait une violation de la Convention sur le génocide car celle-ci ne prévoit en aucun cas la possibilité d’une agression est discutable : ce qui n’est pas prévu n’est pas nécessairement interdit formellement par le texte invoqué, même si cela peut être interdit par d’autres textes. Autrement dit, le fait que l’interdiction de l’emploi de la force découle de la Charte des Nations Unies et de la « coutume » internationale, et non directement de la Convention sur le génocide, pourrait là encore jouer en défaveur de l’Ukraine.

Si ces deux obstacles étaient franchis, il n’y a pas de doute que la Cour indiquerait des mesures conservatoires, la situation étant urgente et grave. L’évaluation du risque de dégradation des évènements est importante à ce stade : il s’agit de « figer » en urgence une situation pour éviter toute évolution négative, en attendant que la Cour se prononce définitivement sur le fond de l’affaire.

FACE À POUTINE, L’UKRAINE SAIT QUE CE RECOURS A PEU DE CHANCES D’AVOIR DES EFFETS IMMÉDIATS

Dès cette semaine, la Cour pourrait tenir des audiences à La Haye pour entendre les arguments des parties. La Russie pourrait refuser d’y participer, ce qui n’empêcherait pas la Cour de juger de sa compétence et d’indiquer, le cas échéant, des mesures conservatoires qui demeureraient obligatoires. Il est néanmoins possible que la Russie, comme dans le précédent géorgien, décide de se présenter à la Cour pour tenter d’argumenter.

La Cour pourrait rendre son ordonnance très rapidement. Dans l’affaire Lagrand en 1999, la Cour avait statué en 24 heures au vu de l’urgence (la demande portait sur la suspension d’une condamnation à mort prévue le lendemain) ; à l’inverse, elle a attendu près de trois mois dans la récente affaire Iran c. États-Unis, où était en cause le durcissement les sanctions américaines contre l’Iran. Même si la demande de mesures conservatoires « a priorité sur toutes autres affaires », selon l’article 74 du Règlement de la Cour, le délai est donc variable. La pratique montre que la difficulté de l’affaire et, dans une moindre mesure, son caractère politiquement sensible sont des critères déterminants.

Il y a malheureusement peu de chances que la Russie respecte une éventuelle ordonnance qui la contraindrait à cesser son agression. Elle ne s’était pas conformée à l’ordonnance rendue en 2008 à la demande de la Géorgie, et vient à l’évidence de méconnaître la deuxième mesure conservatoire indiquée par la Cour en 2017 dans l’autre affaire Ukraine contre Russie, et qui l’obligeait à « s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre la solution plus difficile ».

Ce sont là les limites du droit : la Cour ne dispose pas du pouvoir de contraindre physiquement un État à se conformer à ses décisions, ce qui n’enlève rien à leur caractère obligatoire. L’Ukraine n’est pas dupe et connaît ses faibles chances de succès en saisissant la Cour : pendant que les représentants des deux États mèneront la bataille juridique à La Haye, la guerre continuera en Ukraine. Il n’en demeure pas moins que la Russie sera, au final, comptable de certains au moins de ses actes devant la communauté internationale.

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La Belgique doit lutter contre le trafic illicite d’art et d’antiquités, mais n’est pas directement obligée d’avoir une cellule policière spécialisée

Marie-Sophie de Clippele, professeure invitée à l’Université Saint-Louis - Bruxelles, le 21 février 2022.

Le démantèlement de la cellule de police judiciaire spécialisée en recherches de vols et trafic illicite d’art et d’antiquités le 1er janvier dernier a reçu de nombreuses réactions médiatiques. Cette suppression – sur laquelle la Ministre de l’Intérieur semble vouloir revenir – risque toutefois de mettre à mal les engagements internationaux et européens de la Belgique, même si aucune obligation directe ne la contraint à disposer d’une cellule spécialisée.

Depuis le 1er janvier, la cellule unipersonnelle chargée du suivi du trafic illicite d’œuvres d’art et d’antiquités est de facto démantelée. Le seul policier qui y travaillait, Lucas Verhaegen, est alors parti à la retraite. Cette cellule avait déjà été démantelée en 2016, mais finalement ce même policier avait pu continuer à travailler sur les affaires criminelles en art et antiquités. Il avait même reçu un appui administratif et se faisait seconder par une « civile » selon ses termes. Mais ces deux autres personnes, l’agent administratif et la civile, ont été affectées ailleurs le 1er janvier 2022.

Interrogée au sujet du démantèlement de la cellule par le député Jean-Marc Delizée le 12 janvier dernier, la Ministre de l’Intérieur a voulu rassurer que le travail de recherche policière en trafic illicite continuerait, mais sans service spécial : « Les directions déconcentrées de la police judiciaire fédérale mèneront des enquêtes spécialisées supralocales de qualité ».

Cette affirmation permet-elle toutefois de remplir les obligations internationales et européennes de la Belgique en matière de lutte contre le trafic illicite d’œuvres d’art ? Quelles sont au juste ces obligations ? 

Quelles sont les obligations internationales en matière de lutte contre le trafic d’art et d’antiquités ?

La Belgique est partie à la Convention de l’Unesco de 1970 pour lutter contre le trafic illicite des biens culturels depuis 2009. Cette convention oblige les États à « combattre ces pratiques [de trafic illicite] par les moyens dont ils disposent, notamment en supprimant leurs causes, en arrêtant leur cours et en aidant à effectuer les réparations qui s’imposent. » (art. 2.2). La Convention impose aussi que chaque État, pour remplir ses obligations d’exécution de la Convention, dote « dans la mesure de ses moyens, […] les services nationaux de protection du patrimoine culturel d’un budget suffisant et, si nécessaire, pourra créer un fonds à cette fin. » (art. 14). 

Les obligations de lutter contre le vol et le trafic illicite des biens culturels de la Convention sont clarifiées par l’Unesco même, dans des directives dites “opérationnelles”. Ces directives encouragent explicitement les États à créer des « unités spécialisées de police et des douanes » ou des « services de répression » tels qu’une équipe de procureurs ou d’experts spécialisés dans les enquêtes concernant la criminalité artistique, spécialisés dans la protection des biens culturels et la récupération des biens culturels volés en collaboration constante avec l’ensemble des autorités pertinentes dans les différents secteurs et échelons gouvernementaux au sein des États parties ». 

La cellule belge « Art et Antiquités » parvenait, malgré ses faibles capacités, à remplir cette recommandation. Même si les directives opérationnelles ne sont pas contraignantes à l’égard de la Belgique, elles permettent de mieux interpréter les obligations de la Convention et doivent donc être prises en compte. 

Des obligations internationales non contraignantes, que la Belgique n’a pas souhaité transposer à ce jour

En résumé, la Convention de l’Unesco de 1970 oblige la Belgique à se doter de services nationaux de protection suffisamment spécialisés pour lutter de manière effective contre le trafic illicite de biens culturels, mais avec une large marge de manœuvre : la Belgique doit le faire dans la mesure de ses moyens. La Convention n’impose donc pas la création d’une cellule de police spécialisée, et, même si ses directives opérationnelles l’encouragent explicitement, cela ne pourra être utilisé contre l’État qui ne le ferait pas.

De plus, la Convention Unesco de 1970 doit encore être intégrée dans notre droit national (en droit, on parle de “transposition”) pour que n’importe quel citoyen puisse l’invoquer devant le juge belge et donc plaider pour son application effective. Cela signifie, actuellement, qu’un citoyen ne peut pas contester devant le juge belge la suppression de cette cellule spécialisée, au motif que cela violerait la Convention de 1970. Cela fait d’ailleurs déjà près de 13 ans que la Belgique est partie à cette Convention, mais sa transposition se fait toujours attendre, les dernières nouvelles datant de fin 2018

À côté de la Convention de l’Unesco de 1970, plusieurs Résolutions du Conseil de Sécurité, celle pour l’Iraq en 2003, pour l’Iraq et la Syrie en 2015 et surtout celle pour le patrimoine culturel en général en 2017 ne prévoient pas non plus directement la création d’une cellule policière spécialisée, mais obligent les États à prendre les mesures voulues pour empêcher le commerce illicite des biens culturels. Les résolutions demandent aussi à ce que l’Unesco et Interpol veillent à la bonne exécution de cette obligation. À nouveau, ces obligations ne sont pas directement applicables – c’est-à-dire qu’elles ne peuvent pas être directement invoquées devant un juge belge – et laissent une marge de manœuvre aux États.

Enfin, la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU de décembre 2018 demande clairement la création de services policiers spécialisés, en collaboration avec Interpol. Mais cette résolution n’est pas contraignante non plus. 

Des obligations européennes plus précises, qui n’imposent pas non plus la création d’une cellule spécialisée

Au niveau européen, la directive de restitution de biens culturels a été transposée en droit belge. L’obligation vis-à-vis des services policiers est plus claire ici puisque la loi belge prévoit que les services de police doivent rechercher les biens culturels volés ou exportés illicitement et l’identité des auteurs de ces infractions. Il n’est pas précisé qu’il faille une cellule spécialisée, même si cette possibilité est explicitement prévue par la loi belge (article 13). 

L’absence de cellule spécialisée empêche-t-elle la Belgique de remplir ses obligations ?

Eu égard à la spécificité de ce trafic – un tableau de Rembrandt volé n’est pas la même chose qu’une bicyclette volée – il est difficilement défendable que sans service spécialisé ces recherches policières puissent être effectives. 

De même, l’inspection économique ne remplace pas la cellule spécialisée de la police judiciaire : en même temps que le service spécialisé dans la police judiciaire se dissout, celui du service d’inspection économique se renforce. Compétente depuis juillet 2020 pour lutter contre le blanchiment d’argent en matière d’art, l’Inspection économique du SPF Économie commence à compter pas mal de dossiers à son actif. Il reste que la question du blanchiment est plus limitée que celle du vol et du trafic illicite en général et que l’inspection économique – qui ne dispose pas de cellule spécialisée sur ces questions non plus – n’a pas les mêmes compétences que la police judiciaire. L’un ne devrait pas disparaître au profit de l’autre. 

Et c’est bien là tout l’argument de la responsabilité de l’État belge par rapport à ses engagements internationaux et européens : il apparaît difficile que la Belgique puisse remplir ces obligations de lutter contre le trafic d’art et d’antiquité sans disposer de service spécialisé comme la cellule « Art & Antiquité. » 

Des sanctions internationales et européennes peu probables

Que risque l’État belge s’il persiste à démanteler la cellule ? L’Unesco pourrait proposer d’aider la Belgique à mettre en œuvre ses obligations, comme le prévoit l’article 17 de la Convention de 1970. D’autres États parties à la Convention de 1970 pourraient introduire une demande devant l’Unesco, voire un recours devant la Cour internationale de Justice s’ils considèrent que ce manque d’exécution constitue une violation de la Convention. Par exemple, des États victimes de nombreux vols d’art et d’antiquités pourraient agir si la Belgique ne fait rien pour limiter ce trafic, sachant que notre pays pâtit déjà d’une mauvaise réputation à cet égard. S’agissant de la directive européenne, la Commission européenne pourrait lancer une procédure d’infraction si l’obligation de rechercher les biens culturels volés ou exportés illicitement n’est pas appliquée. Mais tout cela reste peu probable, vu la marge laissée à chaque État pour appliquer ces obligations. 

Il n’empêche que cet ensemble de règles internationales et européennes impose certaines obligations à la Belgique. La Belgique est responsable pour la bonne exécution de ses engagements internationaux et européens. Cela n’a pas échappé au Gouvernement. Preuve en est du récent revirement de la Ministre de l’Intérieur, qui par le biais de son collègue le Ministre des Finances, a annoncé le 3 février dernier, dans la foulée de l’attention médiatique à ce démantèlement : « Nous allons faire en sorte que cette décision puisse être annulée ». Peut-être que les recommandations formulées par le Sénat en 2018 pourraient être suivies. 

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Les mesures sanitaires à la Chambre des représentants challengent le droit parlementaire

Marie De Beer, étudiante en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles // sous la supervision de Marie-Sophie de Clippele, chargée de recherche FNRS, professeure invitée, et de Julian Clarenne, chercheur en droit parlementaire, Université Saint-Louis – Bruxelles, le 23 décembre 2021

Les vagues pandémiques successives n’empêchent pas la poursuite des activités de la Chambre et la tenue des séances plénières. Des mesures sanitaires de précaution sont mises en place pour assurer le bon fonctionnement des travaux parlementaires, même si ces mesures peuvent susciter l’indignation de certains parlementaires, en particulier au sein de la NVA, comme Theo Francken ou Peter De Roover, notamment à l’égard de la limitation physique du nombre de députés à la Chambre. Sollicité par ce dernier, l’Institut Fédéral pour la protection et la promotion des Droits Humains (IFDH) a lui-même émis des doutes sur le maintien des mesures prises, à tout le moins au moment où la limitation était de 41 députés. Que faut-il en penser?

La restriction du nombre de parlementaires présents ne porte pas atteinte au droit du Parlement de se réunir si la décision est prise de manière autonome…

La Chambre a en effet décidé mi-octobre de limiter à 67 sur 150 le nombre de parlementaires présents dans l’assemblée. Pour Théo Francken – 11 sur les 24 parlementaires de son parti peuvent être présents – ce nombre reste tellement peu élevé que la mesure n’est pas démocratique. La décision vient de la Conférence des présidents, qui est l’un des principaux organes de la Chambre (article 14 du Règlement de la Chambre des représentants), notamment chargé de l’organisation des travaux de la Chambre (article 16 du même Règlement). C’est à ce titre que, le 12 octobre dernier, la Conférence a décidé que la mesure de limitation du nombre de députés demeurait nécessaire au regard de la situation sanitaire et des mesures d’application à Bruxelles, passant toutefois de 41 à 67 députés admis en salle. La décision prise par la Conférence s’appuie sur des mesures en vigueur à Bruxelles (ici et ici) – où se situe la Chambre des représentants – relatives à la crise sanitaire. Ces mesures étaient par ailleurs plus sévères, en tout cas au moment de la décision de la Conférence des présidents, qu’ailleurs en Belgique, mais peuvent être réévaluées à mesure de l’évolution de la pandémie, comme la décision portant sur la modification du nombre de députés (de 41 à 67) présents le confirme.

En d’autres mots, cette décision ne porte en principe pas atteinte au droit du Parlement de se réunir, ni à l’autonomie du Parlement, dans la mesure où cette décision a été prise de manière autonome par la Chambre et constitue une modalité du droit de réunion au Parlement qui s’inscrit dans le cadre des exceptions prévues par le Règlement de la Chambre. 

Mais, selon l’Institut Fédéral des droits humains – qui analyse la décision antérieure de modification du Règlement de la Chambre limitant à 41 le nombre de parlementaires présents – cette décision ne devrait pas se fonder sur un ‘simple’ arrêté de police bruxellois. Pour l’Institut, les mesures de distanciation sociale imposées en août par les autorités régionales ne s’appliquent pas au Parlement qui doit rester autonome pour ses décisions. Le Parlement est bien sûr tout à fait libre de s’inspirer de ces mesures locales applicables, mais sans se fonder sur celles-ci. Il adopte ses propres mesures – comme la décision du 12 octobre – en toute autonomie, dans le respect de la procédure prévue par le Règlement de la Chambre. 

…ni au droit des parlementaires d’exercer leur mandat tant qu’elle reste proportionnée

Indépendamment de la décision de la Conférence des Présidents, le Règlement de la Chambre encadre les modifications des modalités de réunion dans les cas où « une situation grave et exceptionnelle qui menace la santé publique et qui empêche des membres de la Chambre d’être physiquement présents » (article 42, 3bis du Règlement). 

Il est ainsi possible pour les élus de suivre les débats en ligne et de voter à distance (article 58, § 3, du même Règlement). L’organisation du vote par bulletin électronique permet de préserver le caractère individuel du mandat des élus et de respecter l’exigence des quorums de présence prévus par la Constitution. Les parlementaires d’un même groupe politique ont par ailleurs la possibilité de se relayer au cours d’une séance plénière et le temps de parole en plénière est organisé par groupe politique, et non par orateur considéré individuellement (exception faite des élus indépendants). Enfin, la présence physique des élus n’a pas été restreinte en commission. 

Cependant, ces restrictions pourraient paraître disproportionnées. Selon l’IFDH, vu la possibilité d’organiser d’autres évènements de masse dans le pays – mais justement il est question de prendre des mesures spécifiques pour Bruxelles – et le taux très élevé de vaccination auprès des parlementaires, la quota maximum de parlementaire en séance plénière pose un “grave inconvénient pour le fonctionnement parlementaire”. Le passage de 41 à 67 députés – intervenu après l’avis de l’IFDH – et l’ensemble de modalités prévues pour permettre aux parlementaires d’exercer leur mandat valablement, tout comme l’évolution constante de la pandémie, permet de maintenir une balance entre le droit individuel des parlementaires et les mesures sanitaires. Comme le souligne la Commission de Venise (un organe d’avis du Conseil de l’Europe sur les questions constitutionnelles), la présence physique des parlementaires est essentielle, mais “une crise peut altérer le fonctionnement normal d’un parlement” et des solutions – proportionnées – sont alors envisageables (§ 75 de son rapport).

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Des réquisitions ordonnées lors de la grève du personnel soignant : pourquoi c’est inédit !

Ysaure Fally, étudiante en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles // Pierre-Olivier de Broux, professeur de droit public, Université Saint-Louis – Bruxelles, le 8 décembre 2021

Ce mardi 7 décembre avait lieu la grève du secteur des soins de santé contre la vaccination obligatoire du personnel soignant. Dans certains services hospitaliers, les deux tiers du personnel avaient manifesté leur intention d’y participer. Pour pallier le déficit certain et prévisible des membres du personnel et assurer la continuité des soins de santé, des mesures inédites ont été prises : plusieurs centaines de personnes ont été réquisitionnées, c’est-à dire qu’elles ont reçu l’ordre formel de leur bourgmestre ou de leur gouverneur de province, le cas échéant notifié par la police à leur domicile, de se présenter à leur poste de travail le jour de la grève. De telles mesures sont extrêmement rares, bien qu’elles aient déjà dû être prises durant la crise sanitaire, notamment lors des grèves de juin 2021.

Le personnel soignant peut-il faire grève? 

Le personnel soignant bénéficie bien sûr du droit de grève, mais moyennant le respect de certaines conditions. Dans le secteur privé, c’est une loi de 1948 qui encadre, en cas de grève, les “prestations d’intérêt public en temps de paix”. Elle prévoit que les mesures à prendre, en cas de besoins vitaux à assurer malgré une grève, soient concertées entre les employeurs et les travailleurs. Pour les soins de santé dans le secteur privé, cette concertation a permis de conclure un nouvel accord en 2010 (rendu obligatoire par arrêté royal). Cet accord impose d’une part le dépôt d’un préavis annonçant la grève quinze jours à l’avance; et d’autre part, il engage les travailleurs et les employeurs “à ce que tous les patients et résidents en traitement ou à traiter ne subissent aucun préjudice au point de vue thérapeutique ou en matière de soins de base”. Pour assurer cela, diverses procédures et commissions peuvent être organisées dans chaque institution. Il est notamment prévu qu’il soit “fait appel par priorité aux non-grévistes pour exécuter les prestations”, puis à l’engagement volontaire des travailleurs, puis à une concertation au sein de l’hôpital pour se mettre d’accord, entre organisations syndicales représentées et direction, au niveau de chaque hôpital ou, à défaut, de l’ensemble du secteur hospitalier, sur les noms des travailleurs à désigner.

Ce n’est qu’à défaut d’accord à ces différentes étapes que la loi permet la réquisition de membres du personnel par le Ministre ou son délégué (à savoir, le plus souvent, le Gouverneur de province). Dans ce cas, si la personne réquisitionnée ne respecte pas l’obligation qui lui est imposée, elle risque des sanctions pénales.

Rien d’aussi organisé, en revanche, pour les institutions de soins et les hôpitaux relevant du secteur public, même si des pratiques comparables à celles du secteur privé sont le plus souvent mises en œuvre par chaque établissement concerné. A défaut d’accord en leur sein, la direction de l’hôpital peut alors faire appel au pouvoir de réquisition du bourgmestre prévu par la loi sur la sécurité civile. Dans le cadre des “missions d’assistance aux personnes dans des circonstances dangereuses” et “d’aide médicale urgente”, celui-ci peut “en l’absence de services publics disponibles et à défaut de moyens suffisants, procéder à la réquisition des personnes et des choses qu’il juge nécessaire”.

Qu’est-ce qu’une réquisition?

La Cour Constitutionnelle définit la réquisition comme “un procédé de droit administratif permettant aux pouvoirs publics d’exiger, dans des circonstances exceptionnelles, la fourniture d’une prestation ou d’un service, l’accomplissement d’une tâche d’intérêt public ou l’exécution d’un travail d’intérêt général, en faisant appel à des particuliers.” La réquisition peut donc s’appliquer tant à des choses qu’à des personnes. Ce procédé a montré son utilité durant la crise sanitaire. Il a notamment permis la réquisition de bâtiments, afin de les transformer en centre de testing ou de vaccination, ou encore la réquisition de matériel médical (masques, respirateurs,…). Ces réquisitions étaient pour la plupart tolérées, car elles ne concernaient que du matériel.

En revanche, lorsque le Gouvernement a décidé d’autoriser la réquisition de personnel médical, il a immédiatement subi la fronde des organisations syndicales, puis fait machine arrière à peine quelques semaines plus tard, en retirant l’arrêté royal contesté, notamment au motif que “cette mesure a entraîné un malaise social important”. C’est dès lors avec prudence que la nouvelle loi pandémie a prévu la possibilité de recourir à des réquisitions.

Une mesure attentatoire aux libertés et donc très encadrée

La réquisition est donc une mesure relativement brutale, par nature attentatoire aux droits et libertés des travailleurs, notamment à leur droit de grève et à leur liberté individuelle. C’est pourquoi les mesures de réquisition font l’objet d’un encadrement juridique très exigeant, tout en devant respecter des procédures rigoureuses de mise en œuvre. Il est essentiel de justifier la nécessité des mesures, et de s’assurer qu’elles sont proportionnées par rapport à l’objectif poursuivi. En d’autres termes, même lorsqu’elles sont permises par la loi, il faut encore vérifier que les réquisitions ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but fixé, et que d’autres mesures, moins contraignantes ou moins restrictives, ne sont pas envisageables. 

De telles contraintes expliquent sans doute pour partie le recours finalement très limité à de telles mesures durant la crise sanitaire. La possibilité d’une réquisition semble surtout servir de repoussoir, en pratique, pour permettre la mise en place des mesures plus acceptables par les acteurs concernés. La réquisition ne s’utilise qu’en dernier recours.

L’usage récurrent qui semble devoir en être fait lors des grèves récentes dans le secteur des soins de santé, sans doute un des secteurs les plus touchés par la crise sanitaire, est donc particulièrement interpellant. Il faut tout mettre en œuvre pour que ces réquisitions retrouvent le caractère exceptionnel qui est le leur en droit.

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Reconnaissance faciale dans l’espace public : entre éthique et progrès, le Parlement européen face à un choix cornélien

Ahmida Naimi, étudiant en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles // Sous la supervision de Pierre-Olivier de Broux, professeur de droit public, Université Saint-Louis – Bruxelles, le 20 novembre 2021

C’est à l’occasion de la publication des conclusions d’un rapport intitulé Biométrique et surveillance de masse comportementale dans les États membres de l’Union européenne, commandité par le Groupe des Verts/Alliance libre européenne (ALE), que le Parlement européen s’est penché sur les enjeux éthiques et juridiques des technologies de reconnaissance faciale. Tandis que certains parlementaires préfèrent que la cadence soit ralentie, d’autres, comme Tom Vandenkendelaere, député européen CD&V affilié au groupe PPE, soulignent ce développement comme une opportunité unique à saisir. Et d’ajouter : il faut utiliser “le potentiel de ces nouvelles technologies“ lesquelles sont “à la veille de leur grande percée“

Importée progressivement au sein de l’Union européenne, la reconnaissance faciale constitue une technique logicielle qui permet instantanément, grâce aux algorithmes, de relier une identité à un visage apparaissant dans l’espace public en comparant les traits de celui-ci à des images stockées dans un espace de données. Si de plus en plus d’États membres en mesurent toute l’utilité, loin de faire l’unanimité, cette technologie provoque encore de nombreuses controverses dans le paysage politique et, de manière générale, dans la société civile. 

C’est particulièrement le cas en Belgique, notamment. L’aéroport de Zaventem a pris les devants en 2017, par l’achat de caméras intelligentes qui établissaient à distance un modèle biométrique pour chaque passant. Le système a montré quelques défaillances à corriger, liées aux biais provoqués, par exemple, par les lunettes ou la pilosité des voyageurs. De même, un logiciel appelé Clearview permet aujourd’hui de constituer un espace de données à partir des photos utilisées notamment sur Twitter et Meta. Enfin, à Londres, comme à Moscou par ailleurs, un dispositif mis en place par Eurostar est en phase d’évaluation pour permettre, à la suite de nombreuses restrictions sanitaires, de voyager sans se préoccuper des formalités obligatoires : une identification algorithmique du client permettra de lui épargner le contrôle de son titre de transport et la présentation du passeport aux autorités. Qu’en est-il alors ? Et que nous dit le droit ?

ENTRE SÉCURITÉ ET VIE PRIVÉE, LA RECHERCHE D’UN JUSTE ÉQUILIBRE…

Au mois d’avril dernier, la Commission européenne a dévoilé une proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle qui, selon Thierry Breton, Commissaire européen au Marché intérieur, a pour souci de concilier la protection des droits fondamentaux et les avantages économiques et sociétaux de la technologie. Pour assurer au mieux la compétitivité internationale de l’UE, ce règlement dont l’application sera uniforme dans tous les États membres ambitionne d’instaurer un système de marquage certifiant, pour les entreprises, si leur IA est digne de confiance. La préservation des droits des concitoyens européens ne devant pas se faire aux dépens du progrès technologique, le Commissaire a également souligné sa volonté d’envisager dès à présent une intelligence artificielle sécurisée, fiable et centrée sur l’humain. Dans un souci d’efficacité, il prévoit ainsi la mise sur pied d’un espace européen commun de données, pour chaque secteur stratégique relevant de l’intérêt public, comme la santé ou la mobilité, sans modifier les règles relatives à la protection de données personnelles. Or, sur ce point, le Parlement européen n’est pas épargné par de fortes divergences internes. Si Tom Vandenkendelaere considère qu’un cadre juridique rigoureux est possible et souhaitable, Saskia Bricmont, eurodéputée Ecolo, juge à l’inverse que ces pratiques sont et doivent rester illégales sur le territoire européen.

Si les avis sur le sujet sont souvent très politiques, il est vrai que, du point de vue des juges européens, les craintes liées à la surveillance de masse peuvent à certains égards s’avérer fondées, entre autres sur le plan de la vie privée. Tout en appliquant les articles 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et 7 de la Charte des droits fondamentaux dans une affaire relative à une fécondation in vitro, l’arrêt Evans v. United Kingdom, 6339/05, impose aux États membres du Conseil de l’Europe une obligation positive d’assurer l’effectivité du respect de la vie privée. Mais d’ajouter néanmoins que, “dès lors que le recours aux traitements par fécondation in vitro suscite de délicates interrogations d’ordre moral et éthique s’inscrivant dans un contexte d’évolutions rapides de la science et de la médecine”, le Royaume-Uni doit disposer en la matière d’une marge d’appréciation dans la mise en balance des intérêts concurrents. Or, précisément, l’ère post-Covid dicte à ce point un nouveau rythme mondial que la Commission tente, en harmonisant les règles à la lumière de nos valeurs et divers impératifs, de conjuguer prudence juridique et ambition technologique. 

PROHIBER OU RÉGLEMENTER ?

Après l’adoption d’une résolution non-contraignante visant à demander l’interdiction du recours à la police prédictive et à cette technologie dans les lieux publics, le Parlement européen envoie, d’après Politico, un “signal fort“ quant à sa position future en la matière. La Commission, pour sa part, veut faire sienne une conception plutôt alternative à la fois protectrice et flexible à travers l’application de différentes réglementations, présentes et à venir. Après avoir plaidé contre certaines pratiques comme le social scoring, un système de récompense et de répression basé sur les conduites sociales de chaque citoyen, elle a décidé d’adopter une approche résolument tournée vers l’avenir. C’est aussi en ce sens que Angela Merkel a plaidé, demandant une “réglementation favorable à l’innovation“. Pour ce faire, la Commission se basera essentiellement sur un système de prévention des risques, catégorisant chaque usage de l’IA comme présentant un risque inacceptable, élevé, limité ou minimal. 

Ainsi, en ce qui concerne les systèmes d’identification biométrique à distance et en temps réel, alors que le Règlement général de protection des données (RGPD) et la directive 2016/680 dans son article 10 en font une exception en cas de “nécessité absolue”, l’article 5, Titre II, de la proposition de Règlement prohiberait leur utilisation à des fins de maintien de l’ordre public. Cette interdiction serait néanmoins assouplie notamment lorsque la sécurité publique est éminemment compromise. Certains critères offrent donc désormais plus de souplesse, tels le degré de gravité et l’ampleur des conséquences d’une telle utilisation sur les droits et libertés dont l’appréciation est laissée aux autorités compétentes. En amont, les fournisseurs seront par ailleurs tenus de collaborer avec leurs clients pour anticiper les risques d’atteinte aux libertés individuelles et proposer des processus d’atténuation en vue de les prévenir. Si certaines associations craignent donc que l’encadrement de la reconnaissance faciale ne soit pas suffisant, la CNIL, en France, a manifesté toute sa satisfaction. Entre protéger et progresser… la conciliation de ces impératifs passerait-elle par un équilibre juridique indispensable, disions-nous, pour arbitrer les intérêts en présence ?

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Une bonne fois pour toutes, comment distinguer Conseil de l’Europe, Conseil européen et Conseil ?

Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherche VIP, Université Paris-Saclay, le 4 novembre 2021

Ces derniers jours, le Conseil de l’Europe a fait circuler sur les réseaux sociaux une campagne visant à promouvoir la tolérance, et qui faisait incidemment la promotion du voile islamique comme élément de liberté de la femme. Une campagne rapidement dénoncée par divers partis politiques et responsables associatifs en France, et finalement retirée des réseaux sociaux par le Conseil de l’Europe. Cette campagne faisait partie d’un programme plus large de promotion de la tolérance ayant reçu des fonds de la Commission européenne. Il n’en fallait pas plus pour que sur les plateaux télé et les réseaux sociaux, la plus grande confusion se répande sur qui avait fait quoi et qu’on mélange tout de go Conseil de l’Europe et Conseil européen.

Quand, en 1948, un millier de personnalités politiques se retrouvent à La Haye sous la présidence d’honneur de Winston Churchill à l’invitation des mouvements fédéralistes européens, on n’est pas encore certain que le congrès donnera l’impulsion de la construction européenne, mais enfin on s’y attache fermement.

Le Conseil de l’Europe, avec un grand “E”, pour la grande Europe à 47

De ce raout fédéraliste sortiront deux réalisations concrètes : le Conseil de l’Europe et ce qui deviendra l’Union européenne. Le Conseil de l’Europe est une organisation internationale créée en 1949 dont l’objectif est de promouvoir les idéaux et les principes communs aux États qui en sont membres (article 1er du Statut du Conseil de l’Europe). Très vite, de nombreux États vont rejoindre ce Conseil de l’Europe dont l’action va se développer avant tout dans la protection des droits de l’homme. Aujourd’hui, 47 États en sont membres, du Portugal à la Russie, du Royaume-Uni à la Turquie. C’est le Conseil de l’Europe qui établit la Convention européenne des droits de l’homme et sa cour, la Cour européenne des droits de l’homme.

C’est la grande Europe, avec un grand “E”.

La construction de l’Europe communautaire

Rapidement après la création du Conseil de l’Europe en 1949, six États décident de créer une organisation dont le but est là aussi de promouvoir des principes communs, mais en utilisant non pas l’outil des droits de l’homme, mais celui du commerce, d’abord limité au charbon et à l’acier. C’est la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), d’après une proposition française exprimée par Robert Schuman, alors ministre des affaires étrangères, et qu’il appelle de ses vœux lors d’un discours resté célèbre : le discours du salon de l’Horloge du 9 mai 1950.

Pour fonctionner, cette Communauté a besoin d’institutions. L’une d’elle réunira les ministres des États membres, alors au nombre de six : le Conseil des ministres. Ce Conseil des ministres traversera la deuxième moitié du 20ème siècle et perdure encore aujourd’hui dans l’Union européenne contemporaine sous le nom désormais raccourci de Conseil (article 13 du Traité sur l’Union européenne). La presse continue néanmoins à l’appeler Conseil des ministres, ce qui a l’avantage de préciser qui y siège. Ce Conseil est une sorte de chambre haute du pouvoir législatif européen, aux côtés de la chambre basse, le Parlement européen. Cette chambre haute a un nom étrange – Conseil – en lieu et place du mot plus habituel de “Sénat” comme en France ou aux États-Unis. Mais il n’est pas si étranger que cela, quand on se rappelle que le Sénat s’appelait Conseil de la République sous la Quatrième République, et que le Bundesrat allemand se traduit en français par Conseil fédéral.

Le Conseil européen, avec un petit “e”, pour la petite Europe à 27

Mais alors, d’où vient la confusion ? La faute revient, si l’on peut dire, à Valéry Giscard d’Estaing, qui contre l’avis de ses partenaires chefs de gouvernements qui ne voulaient pas donner de nom à leurs réunions régulières et informelles, lance lors de la conférence de presse qui clôture le sommet de décembre 1974 un “nous avons assisté au dernier sommet européen, et nous avons participé au premier Conseil européen” (voir la vidéo à la 5ème minute). Ce qui s’était décidé lors du sommet de 74, c’était de rendre ces réunions entre chefs d’États et de gouvernements régulières, moins informelles. Car au sein de la Communauté, il n’y avait aucune institution dans laquelle ils pouvaient se réunir. Mais ce qui était aussi décidé, c’était de ne pas donner de nom à ces réunions. On garderait “sommet européen” comme la presse et les responsables politiques avaient nommé jusque là ces réunions.

Le Conseil européen est ainsi né contre son gré, et commence alors un embrouillamini sans fin où tout un chacun se met à confondre les appellations. Comme si, entre le Conseil de l’Europe et le Conseil, le Conseil européen était venu s’immiscer en jetant un pont entre les deux termes. En fait de pont, c’est plutôt une patinoire qui a été jetée là, sans vraiment y réfléchir, un soir de décembre 1974.

Confusion à tous les étages, au bénéfice des gouvernements

Car tous désormais font l’erreur. De l’étudiant en droit qui au bout de cinq années d’études se trompe encore, aux politiques, en passant par les journalistes comme Catherine Rambert qui réclamait sur RMC ce mercredi 3 novembre la démission “du président du Conseil de l’Europe”, Charles Michel, pour avoir diffusé une campagne vidéo faisant la promotion du voile islamique – une campagne retirée depuis. Sauf que Charles Michel n’est pas président du Conseil de l’Europe, mais du Conseil européen de l’Union européenne. La confusion fait que la journaliste s’étonne qu’il n’y ait pas de femme au Conseil de l’Europe pour s’opposer à ce genre de campagne – précision : sa secrétaire générale, Marija Pejčinović Burić, est une femme –, et croit bon de rappeler que Charles Michel – qui donc n’y est pour rien dans cette affaire – est l’homme qui avait piqué le fauteuil à Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, lors d’un déplacement diplomatique en Turquie.

Il y a certes une responsabilité des élus, des journalistes et des chroniqueurs, qui ne prennent pas la peine de vérifier ces informations avant de parler ou ont une connaissance trop lacunaire du fonctionnement de l’Europe. Mais il y a surtout une responsabilité des chefs d’États et de gouvernements européens qui se satisfont très bien de cette confusion générale, qui permet de diluer la responsabilité de leurs actes au niveau européen. Pour preuve, le site internet consilium.europa.euest le site commun au Conseil européen et au Conseil, Conseil qu’ils ont rebaptisé sur leur site “Conseil de l’Union européenne”. C’est bien la peine d’appeler son site “consilium” si c’est pour nous en faire perdre notre latin.

Alors, un “conseil” de juriste, pour aider nos lecteurs à y voir plus clair :

Le Conseil de l’Europe, avec un grand “E”, c’est pour la grande Europe à 47.

Le Conseil européen, avec un petit “e”, c’est pour la petite Europe à 27.

Le Conseil tout court, composé des simples ministres, c’est le modèle réduit du Conseil européen, composé de leurs chefs.

Vous n’avez plus d’excuse pour faire l’erreur.

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Inondations : l’État fédéral ne peut pas donner d’argent à la Wallonie

Théo Schwers, étudiant en droit, Université Saint-Louis – Bruxelles, // sous la supervision de Pierre-Olivier de Broux, professeur de droit public, Université Saint-Louis - Bruxelles, le 17 novembre 2021.

Le bilan des inondations de la mi-juillet en Région wallonne est sérieux : plus de 100 000 sinistrés dans 209 communes et 40 décès liés à la catastrophe. Les mesures économiques mises en place, tant celles des assureurs que celles de la Région wallonne sont insuffisantes. Une aide du fédéral semblait par conséquent indispensable. 

Le 20 septembre 2021, Thomas Dermine (secrétaire d’État pour la relance et les investissements stratégiques) a proposé un don de 600 millions d’euros du fédéral à la Région wallonne. Cette somme correspondrait à la moitié des investissements nécessaires à la Région. Or, le 29 septembre 2021, le Gouvernement fédéral a accordé à la Région wallonne un prêt de 1,2 milliard d’euros. Ce prêt est une première : il a été mis en place par un mécanisme ad hoc. Certains députés du Parlement wallon ont critiqué le prêt car ils s’attendaient aux subventions fédérales proposées par Thomas Dermine. Contrairement à un don qui n’est qu’un engagement unilatéral à titre gratuit, le prêt implique inévitablement un remboursement

L’État fédéral ne peut pas subventionner une région…

La Belgique n’a pas de mécanisme de solidarité interfédérale dans les cas de calamité naturelle, contrairement à l’Allemagne. Le Gouvernement fédéral (représenté par son Premier ministre Alexander De Croo) ne peut tout simplement pas accorder de subventions à la Région wallonne, parce qu’un don ou un subside ne relève pas de ses compétences. La Constitution (article 177) prévoit que c’est une loi dite “spéciale” (c’est-à-dire une loi “renforcée” par un quorum de présence et de vote) qui fixe le système de financement des régions. Cet article constitutionnel, et le principe du fédéralisme financier qui en découle, s’oppose donc à ce que l’État fédéral attribue, autrement que par une loi “spéciale”, des moyens financiers aux entités fédérées (telle la Région wallonne). 

Le principe du fédéralisme financier exige également que chaque entité (en ce compris donc l’État fédéral) dépense ses moyens exclusivement dans les matières pour lesquelles elle est compétente. Or, depuis 2014, “l’intervention financière à la suite de dommages causés par des calamités publiques”, telles que les inondations, n’est plus du ressort de l’autorité fédérale, mais des régions (article 6, §1er, II, 5° de la loi du 8 août 1980, modifié en 2014). L’octroi d’un don ou d’un subside fédéral à la Wallonie, qui plus est dans cette matière, est donc à tout point de vue illégal.

… en revanche, une région peut emprunter à l’État fédéral.

Si un don est impossible, toute entité fédérée peut néanmoins emprunter. Le mécanisme du prêt est prévu par la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des Communautés et des Régions (article 49), et rien n’empêche la Région wallonne de contracter son emprunt auprès de l’Etat fédéral, du moment que les conditions légales prévues pour les emprunts publics soient respectées (moyennant, notamment, l’accord formel du ministre fédéral des finances, Vincent Van Peteghem). Jean-Luc Crucke (ministre wallon des finances et du budget) soulignait également dans les médias que le prêt octroyé est assorti d’une période de standstill de cinq ans, durant laquelle aucun remboursement ne sera dû. Concrètement, l’endettement est étalé sur 15 années. Jusqu’en 2025, l’autorité fédérale n’exige aucun remboursement. Cette période de « standstill » permet à la Région wallonne, sans coût ou surprime additionnel, de pouvoir d’abord gérer les conséquences matérielles et personnelles dues aux inondations et puis seulement de rembourser l’autorité fédérale sur une période de 10 ans. 

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La Pologne dénonce l’ingérence de l’Union européenne mais souhaite continuer d’en faire partie

Hugo Leroux, master droit de l’Union européenne, Université de Lille // Tania Racho, docteure en droit européen, chercheure associée à l’IEDP, Université Paris-Saclay // Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au VIP, Université Paris-Saclay, le 14 octobre 2021

Des dépressions se sont formées récemment en Pologne et une tempête pourrait bientôt s’abattre sur toute l’Europe. La primauté, pilier juridique de la construction européenne, est à nouveau mise à mal au sein de l’Union depuis que, jeudi 7 octobre, le Tribunal constitutionnel polonais a déclaré que certains articles des traités européens étaient contraires à la Constitution polonaise.

L’« Union à la carte » dont s’inquiétait la Commission européenne en juin n’est plus si irréaliste

Le Tribunal constitutionnel polonais a longtemps tardé à rendre sa décision, reportée quatre fois. C’est maintenant chose faite. En mars dernier, le Premier ministre Mateusz Morawiecki avait demandé à la plus haute juridiction du pays de se pencher sur la conformité à la Constitution polonaise de dispositions européennes. Pour les tribunaux polonais, s’est aussi posée la question de l’exigence de se conformer aux décisions de la Cour de justice de l’Union européenne. À Bruxelles, la Commission s’est indignée de cette décision et a tenu à réaffirmer dans un communiqué la primauté du droit de l’Union européenne sur le droit national et la force contraignante des décisions de la Cour de justice. Le Commissaire européen à la Justice, Didier Reynders, a déclaré que « tous les outils » devaient être utilisés pour protéger les principes fondamentaux de l’Union.

La Cour constitutionnelle allemande avait déjà remis en cause la primauté du droit de l’Union européenne sur le droit national, ce qui avait valu à l’Allemagne l’ouverture d’une procédure d’infraction. Et cela, alors même que la chancelière allemande, Angela Merkel, avait montré son opposition à la décision des juges de Karlsruhe. Dans cette affaire les faits étaient différents. La Cour constitutionnelle allemande remettait en cause l’indépendance de la Banque centrale européenne et refusait d’appliquer une décision de la Cour de justice de 2018. La primauté impose pourtant que les arrêts de la Cour de justice soient contraignants pour les juges nationaux.

Il faut le rappeler, l’Union est fondée sur le principe de la primauté, c’est-à-dire le fait que face à une disposition nationale contraire au droit de l’Union, un tribunal ou une cour doit écarter… la disposition nationale. La Cour de justice rappelle régulièrement que ce principe exige des États membres qu’ils ne portent pas atteinte au droit de l’Union européenne censé primer sur les droits nationaux. Et c’est tout l’enjeu qui se joue dans le cadre de la récente décision polonaise. Cette décision soumet au contrôle du Tribunal constitutionnel certaines dispositions des traités de l’Union. Notamment, la Cour constitutionnelle polonaise a considéré que les articles 1 et 19 paragraphe 1 alinéa 2 du traité sur l’Union européenne, qui évoquent respectivement « une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe » et la protection juridictionnelle effective qui doit être assurée par les cours nationales, sont incompatibles avec des dispositions constitutionnelles polonaises. L’article 1 pose problème, selon le Tribunal constitutionnel, en ce qu’il permet aux institutions de l’Union européenne d’agir au-delà des compétences transférées par la Pologne, qu’il remet en cause la primauté de la Constitution polonaise et qu’il remet en cause la démocratie et la souveraineté polonaise. Tandis que pour ce qui est de la protection juridictionnelle effective, la Cour constitutionnelle s’inquiète de ce que l’article 19 du traité permette à la Cour de Luxembourg d’examiner l’indépendance des juges polonais. Cela est préoccupant selon Didier Reynders, commissaire européen à la Justice, car c’est une remise en cause des fondements de l’Union européenne. Les États membres seraient-ils bientôt libres de choisir les dispositions du droit de l’Union européenne qu’ils souhaitent respecter ?

 Une décision prise par des juges à la botte du parti au pouvoir ?

La Pologne n’en est pas à son coup d’essai, elle fait l’objet depuis plusieurs années de diverses procédures au niveau de l’Union européenne pour non respect de l’État de droit,  qui implique que les juridictions soient indépendantes et impartiales, une règle qui, il faut le constater, n’est plus garantie en Pologne.

Cette notion d’État de droit est une valeur pourtant commune aux États membres énoncée à l’article 2 du traité sur l’Union européenne et doit donc être respecté par les États qui l’ont mis eux-mêmes, à l’unanimité, dans le traité. La procédure instituée à l’article 7 du traité sur l’Union, qui tend à faire constater un risque clair de violation grave de l’État de droit, ou encore le recours en manquement devant la Cour de justice, sont des mécanismes qui permettent de sanctionner ceux qui ne respectent pas ces valeurs. Ce sont d’ailleurs des mécanismes qui ont été utilisés contre la Pologne. La procédure de l’article 7 a été utilisée pour la première fois le 20 décembre 2017. À quatre reprises, la Commission a ouvert des procédures d’infraction au sujet des réformes de la justice polonaise. La semaine dernière, dans une déclaration, la Commission s’est dite prête à utiliser les « pouvoirs qui lui sont conférés par les traités pour garantir l’application uniforme et l’intégrité du droit de l’Union. » Il est fort à parier qu’un nouveau recours en manquement sera ouvert contre la Pologne à la suite de cette décision du Tribunal constitutionnel.


…À LIRE : Violations de l’État de droit en Pologne et en Hongrie : que fait (ou peut faire) l’Union européenne?


La Pologne a en effet multiplié les réformes de son système judiciaire et comme s’en inquiétaient Eric Maurice, de la Fondation Robert Schuman, il semblerait que l’on assiste à une « transformation des magistrats en relais du pouvoir politique ». Ces juges seraient sous la houlette du parti politique au pouvoir, le Parti Droit et Justice (PiS), sans capacité de pouvoir s’en défaire car ils courent le risque d’être mis à la retraite prématurément par exemple. Le 14 février 2020, la Pologne donnait de grandes prérogatives à la chambre disciplinaire de la Cour suprême pour contrôler notamment les décisions concernant la mise à la retraite de ces juges. La Cour de justice, un an plus tard, a demandé la suspension de ces modifications législatives car elle considérait que cette chambre disciplinaire manquait d’indépendance et d’impartialité au regard des autorités publiques. L’indépendance des juges n’est donc plus garantie en Pologne.

Le « Polexit« , un scénario écarté par le parti au pouvoir, mais il va falloir choisir

Certains voient dans cette décision les prémisses d’un Polexit, selon l’expression utilisée en référence au Brexit. Or, comme l’a affirmé sans équivoque le président du PiS, Jarosław Kaczyński, « il ny aura pas de Polexit (…) Nous voyons sans équivoque lavenir de la Pologne dans lUnion européenne ». Les Surligneurs ont « surligné » plusieurs fois qu’une telle remise en cause de la primauté de l’Union européenne n’est pas possible sans une modification des traités ou une sortie de l’État de l’Union européenne comme l’a fait  le Royaume-Uni.


…À LIRE : Arnaud Montebourg souhaite que le parlement français puisse « modifier » le droit européen… mais ce serait au risque d’un « Frexit ».


Désormais, la fronde s’organise en interne. Ce mardi, le Comité des sciences juridiques de l’Académie polonaise des sciences a déclaré que cette décision du Tribunal constitutionnel constituait une « menace (aux) fondements de l’ensemble de l’UE ». Plus tôt, une association polonaise réunissant 3 500 magistrats avait tenu à rappeler dans une déclaration que ses juges se « conformeront aux jugements des tribunaux européens et (qu‘ils) défendrons les valeurs européennes », au mépris des sanctions de la chambre disciplinaire auxquelles ces juges feront face. C’est sans doute le prix à payer pour défendre l’indépendance de la justice.

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Procès des attentats du 13 Novembre en France : comment sont sécurisés ces procès hors normes ?

Par Camille Dubuffet, master de droit public, Université Lyon 3 Jean Moulin // Jean-Paul Markus, professeur de droit, Université Paris-Saclay, le 18 septembre 2021

Le 13 novembre 2015, la ville de Paris était le théâtre d’attentats djihadistes faisant 129 morts et plus de 350 blessés. Près de 6 années après le drame, s’ouvre le procès “hors norme” d’un certain nombre de commanditaires, auteurs et complices de ces attaques. En conséquence, la Cour d’assises spéciale de Paris, juridiction accueillant l’événement, fait l’objet d’une sécurisation toute particulière et à la hauteur de la menace terroriste persistante. Si, pour les procès médiatisés comme celui-ci, se met en place un système de sécurité extraordinaire aux abords de la Cour d’assises spéciale, pour les autres procès, la vigilance reste également de mise. L’intérêt étant de rendre la justice dans les meilleures conditions possibles. La sécurité, assurée par différents intervenants, s’ancre à l’intérieur du bâtiment et s’étend à ses extérieurs.

la sûreté dans l’enceinte des tribunaux 

À l’intérieur du bâtiment, les personnels en charge de la sécurité diffèrent suivant l’espace concerné. Les forces de l’ordre (policiers et gendarmes) gardent les salles d’attente de victimes, parcourent les couloirs, les lieux recevant du public et portent une attention toute particulière aux cellules contenant les accusés. De plus, le personnel des tribunaux est formé à réagir s’il advenait un quelconque incident.

Lors des audiences en revanche, c’est le président de la formation de jugement qui veille à l’ordre public (c’est la police des audiences). En effet, d’après le Code de procédure civile, “Tout ce qu’il ordonne pour assurer (l’ordre de l’audience) doit être immédiatement exécuté”. Il peut décider de faire intervenir les forces de l’ordre pour évacuer un individu perturbateur. Plus encore, s’il le juge pertinent, il peut s’interposer entre des avocats qui s’opposeraient trop violemment. Les débats doivent donc être “dignes”, selon les textes, ce qui exclut le désordre ou les échanges houleux.

À cela s’ajoute, et au regard de la difficulté pour le président de devoir gérer l’audience et la sécurité de celle-ci, la possibilité, depuis un protocole de 2011, de s’appuyer sur des réservistes de la police ou de la gendarmerie pour renforcer la sûreté. Des sociétés privées de sûreté sont pareillement autorisées à le faire.

la sécurité des accès aux tribunaux

Aux entrées et aux sorties des tribunaux se tiennent des forces de l’ordre prêtes à intervenir. Des contrôles spécifiques ont lieu, en plus d’un passage obligatoire par des portiques sécurisés, afin d’éviter qu’un objet porté par un accusé, spectateur ou témoin, ne puisse faire office d’arme. Les fouilles sont prévues par les règlements propres à chaque tribunal. Quant aux contrôles d’identité, ils sont effectués par des officiers ou des agents de police judiciaire en vertu du Code de procédure pénale. Le but est de prévenir un acte délictuel ou criminel dans l’enceinte du tribunal en éloignant un individu suspect, ou de faciliter son appréhension par les forces de l’ordre en vue d’une neutralisation future.

Dans le cas des personnes détenues menées à l’audience pour y être jugées, c’est l’administration pénitentiaire qui assure la protection des convois. Elle obéit à des règles strictes et est connue, depuis 2019, sous le nom de “Pôle de Rattachement des Extractions Judiciaires” (le PREJ). Cette branche de l’administration pénitentiaire est spécialisée dans les transports à risque.

la protection des abords des tribunaux lors de procès retentissants 

Le cas très particulier du procès des attentats du 13 novembre 2015 permet d’évoquer les mesures de protection et de sécurité parfois exceptionnelles pouvant être mises en place. À l’extérieur du bâtiment, partout en France, c’est le mairede la ville (sous le contrôle du préfet) qui maintient la sûreté publique en exerçant sa compétence en matière de police administrative générale. À noter cependant qu’à Paris, d’après le Code général des collectivités territoriales et un vieil arrêté du 1er juillet 1800, sont établies des compétences partagées entre le maire de la ville et le préfet. Ainsi, c’est le préfet qui, dans une “situation de crise affectant une juridiction”, comme lors d’un procès hors normes, décide d’accroître la présence de forces armées, qu’il déploie et coordonne (lorsque plusieurs services de police interviennent) aux abords des tribunaux en application de “plans de protection externe” (PPE). Il peut, par arrêté, interdire certaines zones à la circulation en respectant un calendrier précis et clairement défini.

Enfin, d’après le Code de la sécurité intérieure, la vigilance pourra être renforcée par un  processus de filtrage du public et la délivrance d’accréditations (notamment pour les journalistes).

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Violations de l’État de droit en Pologne et en Hongrie : que fait (ou peut faire) l’Union européenne?

Par Miriana Exposito et Hugo Leroux, master droit international et européen, Université de Lille // Tania Racho, docteure en droit européen, enseignante à l’Université Paris-Saclay et Sorbonne-Nouvelle// Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au VIP, Université Paris-Saclay, le 28 septembre 2021

Le 7 septembre 2021, la Commission européenne a demandé à la Cour de justice de l’Union européenne d’imposer des sanctions financières à l’égard de la Pologne. Récemment condamnée par la Cour de justice pour avoir instauré une chambre disciplinaire bridant l’indépendance et l’impartialité des juges, la Pologne ne semble pourtant pas décidée à cesser son atteinte à l’État de droit. Cette chambre disciplinaire, qui possède le pouvoir de lever l’immunité des juges ou de réformer leurs salaires, continue d’exister et de mener des enquêtes disciplinaires. Pourtant, le gouvernement avait annoncé en août 2021 sa suppression en raison de la condamnation par la juridiction européenne.

Les violations de l’État de droit par la Pologne (et sa voisine la Hongrie) sont “plus systémiques que dans le reste de l’Union européenne” selon Didier Reynders, commissaire européen à la Justice. En réaction, la Commission européenne a ouvert à la mi-juillet une procédure d’infraction contre les deux États de l’Union européenne pour que cessent les violations des droits fondamentaux des personnes LGBTQI commises sur leur territoire. La Hongrie est visée par cette procédure en raison de sa loi pour la “protection de l’enfance”. Cette loi que les Surligneurs avaient décortiquée interdit la promotion et la représentation de l’homosexualité auprès des mineurs. Concernant la Pologne, la Commission reproche au gouvernement d’avoir laissé une centaine de collectivités locales mettre en place des “zones sans idéologie LGBTQI”.

Face à de telles violations de l’État de droit, la Commission réagit à l’aide d’une des armes que les traités européens mettent à sa disposition : la procédure d’infraction, de son vrai nom le recours en manquement (articles 258 à 260 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).


…À LIRE : Critiques européennes contre la réforme de la justice en Pologne : pour le Gouvernement polonais, ces questions relèvent « exclusivement du domaine national »


Comment sont sanctionnés les États qui violent le droit de l’Union européenne ?

Le recours en manquement est un outil précieux qui permet à la Commission européenne de faire pression sur un des 27 États membres qui ne respecte pas le droit de l’Union européenne, afin qu’il cesse les violations qui lui sont reprochées. C’est bien l’objectif poursuivi dans les affaires concernant la Hongrie et la Pologne. Cette procédure est constituée de plusieurs étapes, dont la dernière est la condamnation de l’État membre par la Cour de justice de l’Union européenne à une sanction financière, qui peut être lourde.

Les affaires concernant la Hongrie et la Pologne sur les droits des LGBTQI n’en sont, pour l’heure, qu’au stade de la lettre de mise en demeure. Les deux États avaient jusqu’à mi-septembre 2021 pour fournir à la Commission des informations concernant les violations prétendument commises.

Si les informations n’ont pas été envoyées à la Commission, il est possible que l’institution leur communique un avis motivé et qu’elle saisisse la Cour de justice. Il s’agit donc de la première marche d’un long processus.

Première étape : la discussion entre la Commission européenne et l’État fautif

En premier lieu, lorsque la Commission estime qu’un État ne respecte pas le droit de l’Union européenne, elle engage une discussion informelle pour trouver un règlement à l’amiable. Non prévue par les traités européens, cette étape a un grand intérêt pratique : ce n’est qu’en l’absence de compromis entre l’État fautif et la Commission européenne qu’une procédure d’infraction est réellement engagée.

Deuxième étape : la lettre de mise en demeure

Si cette tentative de discussion échoue, la Commission adresse une lettre de mise en demeure à l’État concerné, afin d’obtenir des informations détaillées sur l’infraction reprochée. Dans le cadre de l’affaire concernant la violation des droits des personnes LGBTQI cette lettre a été envoyée le 15 juillet 2021.

À cette lettre s’ajoute un communiqué de presse dans lequel la Commission détaille les faits reprochés à l’État concerné et les éléments de droit de l’Union européenne qui font l’objet d’une violation. Par ce communiqué l’exécutif européen rend public le constat d’un manquement de la part de l’État. Au sein de ce communiqué, la Commission peut aussi mentionner ses objectifs dans la lutte contre de telles violations. La Commission a ainsi tenu à rappeler à la Hongrie et à la Pologne la stratégie de l’UE en faveur de l’égalité des personnes LGBTQI, axée notamment sur l’amélioration de la protection juridique contre les discriminations et sur la protection de leur sécurité.

Troisième étape : un avis motivé pour faire cesser la violation

Si au vu des informations fournies dans la lettre de mise en demeure, la Commission conclut que l’infraction continue d’être commise, elle adresse à l’État concerné un avis motivé dans lequel elle lui demande de manière formelle de respecter ses obligations et de cesser la violation. Un avis motivé sera également envoyé à l’État voyou qui refuse de fournir les informations dans le délai imparti par la Commission dans la lettre de mise en demeure.

Quatrième étape : intervention de la Cour de justice

Ce n’est qu’ensuite, si l’infraction ne cesse pas, que la Commission peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne. La France fait actuellement l’objet d’une telle procédure pour le traitement de ses eaux résiduaires, qu’elle ne traite pas convenablement dans 100 villes de plus de 2000 habitants. Toutefois, cela reste en pratique assez rare, car les États membres, la plupart du temps, se mettent en conformité avec le droit de l’Union avant ce stade de la procédure. Ainsi en 2020, la Cour de justice a été saisie de 18 recours en manquement seulement, une infime part des centaines de procédures initiées chaque année…


…À ÉCOUTER : La France ne respecte pas le droit européen ? – Objection votre Europe


Si la procédure d’infraction initiée par la Commission dans le cadre de la violation des droits des personnes LGBTQI aboutit à la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour pourrait reconnaître que la Pologne et la Hongrie ont effectivement violé le droit de l’Union européenne. Quelles seront les conséquences pour les deux États ? En réalité, la première décision est purement déclaratoire.

Autrement dit, la Cour constate seulement qu’il existe un manquement aux règles européennes, mais ne prévoit pas de sanctions spécifiques à l’égard des États membres pour y remédier. Attention, les États membres sont bien obligés de cesser leur infraction, mais ils sont libres de choisir la manière dont ils souhaitent se mettre en conformité.

Dernière étape : les sanctions financières

Donc, dans un premier temps, la Cour de justice n’est pas compétente pour prononcer une sanction pécuniaire sauf s’il s’agit d’absence de transposition de directive. Mais cette étape peut être efficace, même pour un État particulièrement récalcitrant. Dans l’affaire concernant le système judiciaire polonais, la Cour de justice a constaté par une décision du 15 juillet 2021 que la Pologne avait manqué à ses obligations en adoptant un régime disciplinaire à l’égard des juges qui ne garantissait pas leur impartialité et  leur indépendance. Aucune sanction financière n’avait été prononcée par la Cour. Pour autant, trois semaines plus tard, Jaroslaw Kaczynski, président du parti Droit et justice (PiS), principale formation de la coalition conservatrice au pouvoir, a annoncé renoncer à cette réforme.

À l’occasion du recours en manquement, ce n’est que si l’État concerné, malgré la constatation par la Cour de justice d’un manquement, continue de commettre l’infraction que la Commission pourra de nouveau saisir la Cour. Cette fois pour demander des sanctions financières. En juillet 2005, la Cour de justice a condamné la France dans le cadre d’un recours en manquement formé par la Commission. Dans le cadre de cette affaire la Cour a cumulé les deux types de sanctions prévues par les traités européens, une amende – 20 millions d’euros – et des astreintes par semestre de retard – 58 millions d’euros.

C’est dans cette optique que la Commission a demandé à la Cour de justice le 7 septembre 2021 d’infliger des sanctions financières à la Pologne, qui a certes annoncé le retrait de la réforme de la justice début août 2021, mais qui continue pourtant d’initier des procédures disciplinaires contre les juges qui ne sont pas en ligne avec la majorité au pouvoir. Ainsi en août 2021, une procédure disciplinaire a été ouverte contre un juge qui venait d’appliquer la décision de la Cour de justice de l’Union demandant à la Pologne de ne plus appliquer sa loi sur la justice… Double discours du Gouvernement conservateur ? Dans le doute, la Commission a préféré agir vite car le temps presse : chaque jour, les juges polonais ne peuvent rendre une justice impartiale, de peur de déplaire au pouvoir et de subir une sanction disciplinaire.


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Le projet Europe Talks consiste en un format de discussion qui réunit des citoyens de 15 pays européens avec des opinions politiques différentes afin de promouvoir le dialogue et échanger des points de vue.

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Tribune – Le passe sanitaire est-il conforme au droit de l’Union européenne ?

Antoine Bailleux, professeur de droit européen à l’Université Saint-Louis – Bruxelles // Didier Blanc, professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 – Capitole // Emmanuelle Bribosia, professeur de droit européen à l’Université libre de Bruxelles // Anastasia Iliopoulou-Penot, professeur de droit public à l’Université Panthéon-Assas // Arnaud Van Waeyenberge, professeur de droit européen à HEC Paris // Lamprini Xenou, maître de conférences en droit public à l’Université Paris-Est Creteil, le 25 juillet 2021

La conformité du passe sanitaire français au droit de l’Union européenne n’a rien d’évident. La portée très large de ce passe cause en effet d’importantes entraves au droit à la libre circulation des citoyens des autres États membres.


… À LIRE : Le passe sanitaire passe devant le Parlement


La première concerne l’exercice même de la liberté de se rendre en France et d’y séjourner, par exemple pour ses vacances. En exigeant la présentation du pass sanitaire pour accéder au territoire, la loi française restreint sans aucun doute cette liberté. Si elle est la plus évidente, cette restriction n’est toutefois pas la plus problématique. Tant le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne que la directive 2004/38 qui réglemente l’exercice du droits des citoyens européens de circuler reconnaissent la possibilité aux États membres de limiter l’accès à leur territoire pour des raisons de santé publique. En l’occurrence, l’objectif consistant à limiter la reprise de la pandémie, conjugué à l’importante marge d’appréciation dont jouissent les États membres sur les questions sanitaires, est sans doute de nature à justifier une telle entrave.

La seconde restriction concerne l’accès aux lieux de détente et de loisirs. Celle-ci emporte une entrave au droit des touristes étrangers à la libre prestation des services. Ils ne peuvent en effet plus accéder librement aux services fournis dans un restaurant, un parc zoologique ou une salle de cinéma.

Du point de vue du droit de l’Union européenne, cette entrave est plus grave que la première parce qu’elle s’accompagne d’une double différence de traitement. D’une part, les résidents étrangers non totalement vaccinés devront dès à présent, et contrairement aux ressortissants français, payer les tests leur permettant d’établir leur non-contamination. D’autre part, un test positif entraînera une obligation d’isolement de dix jours sur le lieu de résidence déclaré lors du test. Si elle s’applique aux « locaux » comme aux touristes, cette obligation pèse de facto plus lourdement sur les seconds, qui auront potentiellement bien du mal à demeurer dix jours sur leur lieu de villégiature, pour des raisons de coût, mais aussi de disponibilité de l’hébergement loué.

De telles différences de traitement sont-elles conformes au droit de l’Union ? Il est permis d’en douter.

S’agissant de la première, la directive 2004/38 impose l’égalité de traitement entre nationaux et citoyens européens résidant légalement sur le territoire. Cette égalité s’impose « dans le domaine d’application du traité », ce qui, à lire la jurisprudence de la Cour de justice, semble couvrir toute situation qui, comme en l’espèce, entraîne une restriction à une liberté de circulation. Selon la directive, cette égalité souffre une seule exception : un État membre n’est pas tenu d’accorder aux citoyens des autres États membres de droit à une prestation d’assistance sociale pendant les trois premiers mois de leur séjour. Il est toutefois douteux que la gratuité des tests PCR et antigéniques bénéficie de cette exception. Elle ne constitue pas une prestation d’assistance sociale au sens que la Cour de justice a donné à ce terme, à savoir des régimes d’aides institués par des autorités publiques auxquels a recours un individu qui ne dispose pas de ressources suffisantes pour faire face à ses besoins élémentaires.

Un test positif entraînera une obligation d’isolement de dix jours sur le lieu de résidence déclaré lors du test : « Une restriction à ce point sérieuse ne pourra être acceptée qu’au terme d’une examen serré du bien-fondé de la mesure »

S’agissant de la seconde distinction de traitement, elle n’est pas le résultat d’une différence de régime formelle entre nationaux et ressortissants étrangers. Elle échappe donc sans doute à l’interdiction de la directive. Mais son impact discriminatoire a pour effet d’aggraver la restriction à la libre prestation des services mentionnée plus haut. Une restriction à ce point sérieuse ne pourra être acceptée qu’au terme d’une examen serré du bien-fondé de la mesure. Or, ce bien-fondé est questionnable, pour au moins trois  raisons.

Premièrement, et indépendamment de son effet sur la libre circulation des citoyens européens, le passe sanitaire entraîne de sérieuses restrictions aux droits fondamentaux de tous les citoyens. On songe ici non seulement au droit à la vie privée et familiale – qui implique le droit à une vie sociale – mais aussi à l’interdiction des discriminations sur la base de la fortune (pour les personnes qui ne peuvent se permettre de payer des tests de façon régulière) et du handicap ou de l’état de santé (s’agissant de personnes qui ne peuvent pas être vaccinées). La question des droits des enfants (pour lesquels le bénéfice de la vaccination est le moins évident tandis que les barrières à la vie sociale sont les plus néfastes) mérite elle aussi d’être posée.

« La vaccination obligatoire représente sans doute – et paradoxalement – une mesure moins attentatoire tant aux libertés de circulation qu’aux droits fondamentaux que le passe sanitaire »

Deuxièmement, des restrictions aux droits fondamentaux doivent être prévues par une loi suffisamment accessible et prévisible. Or, les innombrables zones de flou entourant l’application du passe sanitaire et son entrée en vigueur quasi immédiate (privant le public non vacciné de la possibilité de se faire vacciner suffisamment vite pour échapper aux tests) laissent penser que ces qualités font, en l’occurrence, défaut.

Troisièmement, il n’est pas certain que cette mesure puisse être raisonnablement justifiée par un objectif de santé publique. D’une part, elle risque de ne pas être efficace. L’obligation d’isolement aura probablement pour effet de dissuader certains citoyens – et en particulier les ressortissants étrangers – de se faire tester, accentuant ainsi le risque d’une propagation souterraine du virus. D’autre part, l’interdiction de fréquenter des lieux en plein air tels que des terrasses, même muni d’un masque, alors que des personnes vaccinées – dont il est établi qu’elles peuvent transmettre le virus – peuvent y accéder sans masque paraît difficilement justifiable au regard de l’objectif poursuivi.


… À LIRE : Passe sanitaire pour les restaurants, théâtres, musées : quels problèmes juridiques ?


On rétorquera peut-être que le but premier de la mesure est d’inciter à la vaccination, laquelle contribue à la protection de la santé publique. Si tel est le cas, alors la vaccination obligatoire représente sans doute – et paradoxalement – une mesure moins attentatoire tant aux libertés de circulation qu’aux droits fondamentaux que le passe sanitaire. En logeant tout le monde à la même enseigne, une telle obligation supprimerait les discriminations et les incertitudes. En outre, elle prévoirait une période raisonnable pour s’acquitter d’une telle obligation, ainsi que des exceptions pour raison de santé. Enfin, et surtout, elle obligerait l’État français à appeler un chat un chat et à prendre ses responsabilités – sur un plan politique comme judiciaire –, en acceptant de couvrir les risques liés aux éventuelles incertitudes scientifiques entourant une telle vaccination plutôt que de le faire peser sur le consentement de moins en moins libre et rarement éclairé de ses administrés et des touristes étrangers.

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Belgique : Le vaccin obligatoire pour le personnel soignant et des maisons de repos ? Seulement si c’est prévu par une loi

Par Marie-Sophie de Clippele, professeure invitée à Université Saint-Louis, Bruxelles, le 20 juillet 2021

Plusieurs politiciens, ainsi que certains représentants dans le secteur hospitalier, ou encore le Commissaire du gouvernement en charge de la crise du Covid, songent à rendre le vaccin obligatoire pour le personnel soignant et des maisons de repos. On comprend la crainte d’une recrudescence du Covid-19 et du risque que cela présenterait pour les patients et les résidents, même si la majorité d’entre eux est vaccinée. Toutefois, l’obligation vaccinale reste l’exception : aucun vaccin ne peut être imposé, sauf par la loi, et à certaines conditions.

Seule la loi peut imposer une vaccination…

Dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la Belgique adopte une loi sanitaire du 1er septembre 1945 qui admet que le Gouvernement puisse imposer des mesures sanitaires en cas de maladies transmissibles présentant un danger général, notamment par l’obligation vaccinale. Le cas le plus connu de vaccin obligatoire est celui du vaccin antipoliomyélitique (la polio), imposé aux enfants entre 2 et 18 mois en vertu de l’arrêté royal du 26 octobre 1966. Par ailleurs, le Code du bien-être au travail de 2017 admet trois cas de vaccinations obligatoires dans le cadre des relations travail si les travailleurs sont exposés à différents risques de contamination (tétanos, tuberculose, hépatite B). Enfin, l’arrêté royal du 29 octobre 1964 relatif à la police sanitaire du trafic international – qui rend obligatoire le Règlement sanitaire international de l’OMS de 1951 – permet également d’imposer aux voyageurs entrant en Belgique d’exiger la preuve de leur vaccination contre certaines maladies. Cet arrêté royal a été l’une des bases utilisées par le Gouvernement belge lors de la gestion de la pandémie liée au COVID-19.

…mais sous certaines conditions…

Dans chacune de ces réglementations, l’impératif de santé publique prend le dessus sur des considérations liées au droit au respect de la vie privée, protégé par l’article 22 de la Constitution et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Très récemment, la Cour européenne des droits de l’homme a examiné cette mise en balance entre le droit au respect de la vie privée et la nécessité de protéger la santé publique dans l’arrêt Vavřička et autres c. République tchèque du 8 avril 2021. La Cour souligne que »la vaccination obligatoire, en tant qu’intervention médicale non volontaire, constitue une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée » (paragraphe 263). Cette ingérence doit donc être

1/ prévue par la loi, (comme la loi belge du 1er septembre 1945 ou comme les arrêtés royaux de 1964 et 1966),

2/ légitime (poursuivre l’objectif légitime de protection de la santé publique),

3/ et proportionnée, c’est-à-dire nécessaire dans une société démocratique.

Dans le cas tchèque, la Cour conclut que le vaccin pouvait être rendu obligatoire, dans la mesure où cette obligation, une ingérence dans la vie privée, a pu être considérée nécessaire dans une société démocratique. Mais qu’en est-il de la proposition de politiciens belges pour le vaccin COVID-19 à l’égard du personnel soignant et de maisons de repos ?


… À LIRE : Nicolas Dupont-Aignant : « on n’impose pas de prendre un vaccin dont le fabricant se désengage de toute responsabilité »


Comme le précise le Comité de bioéthique dans son avis du 14 décembre 2015 relatif aux aspects éthiques de l’obligation de vacciner, l’obligation de vacciner doit rester l’exception et se limiter à des cas de maladies contagieuses pour lesquelles il n’existe pas de traitement curatif. Selon le Comité, une telle obligation ne devrait être prévue que par une loi (comme celle du 1er septembre 1945), et sa nécessité doit être revue périodiquement. Enfin, le Comité préconise que le législateur « devrait mieux régler l’indemnisation d’effets secondaires préjudiciables » : si le citoyen solidaire se plie à l’obligation de se vacciner, cette solidarité collective qui lui est imposée implique également que l’État doit intervenir si ce citoyen subit des effets secondaires néfastes, et que l’État indemnise son dommage.

 … qui dans le cas présent sont réunies

En d’autres mots, si l’appel lancé par plusieurs politiciens est entendu, il devrait se traduire par l’adoption d’une loi imposant le vaccin au personnel soignant et des maisons de repos. Il pourrait être admis, si on reprend l’arrêt tchèque de la Cour européenne des droits de l’homme, qu’on passe par arrêté royal (le pouvoir exécutif fédéral), pris en vertu de la loi du 1er septembre 1945. Le passage par un arrêté royal pourrait davantage susciter des discussions car l’article 22 de la Constitution exige plutôt l’adoption d’une loi formelle devant le Parlement, là où l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme admet aussi d’autres formes légales, comme un arrêté royal. La loi ou l’arrêté royal devrait également veiller à motiver dans quelle mesure cette obligation est nécessaire pour assurer l’impératif de protection de la santé publique.

Enfin, détail important, la compétence pour l’adoption d’une telle loi ou arrêté revient au pouvoir fédéral, comme le rappelle la section de législation du Conseil d’État du 16 juin 2021. Le Conseil supérieur du travail n’aurait d’ailleurs aucune compétence en la matière, malgré ce que semble suggérer le ministre bruxellois de la Santé, Alain Maron.

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Viktor Orban organisera un référendum pour plébisciter sa loi anti-LGBTI : pourquoi cela ne changera rien par rapport au droit européen

par Miriana Exposito, rédactrice // Tania Racho, docteure en droit européen de l’Université Panthéon-Assas, Paris II, le 26 juillet 2021

Le Premier ministre hongrois l’a annoncé : il soumettra à référendum la loi anti-LGBTI qui agite l’Union européenne. Cette loi adoptée le 15 juin 2021, sous couvert de protection de l’enfance, interdit toute présence de  l’homosexualité et du changement de sexe dans les publications accessibles aux mineurs. Elle a pour conséquence de discriminer et stigmatiser la communauté LGBTI. En réaction, la Commission européenne a introduit le 15 juillet 2021 des procédures d’infraction à l’encontre de la Hongrie. Si Viktor Orban ignore les mises en demeure de la Commission, cette procédure pourra conduire jusqu’à la saisine de la Cour de  justice de l’Union européenne et à l’application de sanctions financières.


… À LIRE : L’impuissance de l’Union européenne face à une loi hongroise d’inspiration homophobe


Pour autant, la Hongrie ne semble pas d’humeur à coopérer, bien au contraire : Viktor Orban, en organisant un référendum, cherche l’approbation de son peuple contre l’Union européenne. Il a d’ailleurs demandé aux hongrois de répondre massivement “non” aux 5 questions qui leur seront posées. Le but ? Renforcer la légitimité démocratique de cette loi, face aux critiques de l’Union et de certains de ses membres.

Le référendum peut-il faire plier l’Union européenne ?

Pas en droit, en raison du principe de primauté du droit européen sur les droits nationaux, principe affirmé depuis le début de la construction européenne. Ce principe fondamental implique la supériorité des traités de l’Union européenne sur les lois nationales. Donc, si un État adopte une loi qui contredit le droit de l’Union, c’est la loi qui sera écartée, pas le droit de l’Union. Le fait que la loi ait été approuvée par le peuple ne fait en aucun cas obstacle au principe de primauté. Peu importe donc le résultat de ce référendum : juridiquement, il ne pourra couvrir une violation du droit de l’Union par la Hongrie.


… À LIRE : Marine Le Pen a déclaré : « Je souhaite faire un référendum constitutionnel où j’indiquerai que toute loi nouvelle aura une autorité supérieure à celle des traités européens [IMPOSSIBLE]


Autrement dit, le référendum organisé par Viktor Orban est moins un instrument juridique – d’ailleurs inefficace – qu’un instrument politique pour faire passer ses messages à Bruxelles. Depuis son arrivée au pouvoir, le premier ministre hongrois a organisé pas moins de 9 consultations nationales. Pour Viktor Orban, l’important est que son peuple l’approuve, contre l’Union..

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Concerts, vacances en Grèce : les passeports sanitaires sont-ils un danger pour nos données personnelles ?

Sébastien Chaudat, doctorant en droit privé, laboratoire DANTE, Université Paris-Saclay, le 19 mai 2021

Le 11 mai, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture la possibilité de lancer un passe sanitaire dès le 9 juin. Le 25 mars, le Parlement européen s’était déjà prononcé en faveur d’un tel certificat à l’échelle européenne. Des voix se sont alors élevées pour dénoncer un fichage de la population, quand la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a mis en garde contre le risque de pérennisation d’un tel système. Qu’en est-il vraiment de la protection de nos données personnelles ?

La collecte des données personnelles pour le suivi et l’évolution de la crise sanitaire est encadrée par un ensemble de garde-fous. La mobilisation des institutions européennes, du législateur français, ou encore des autorités de protection de données comme la CNIL sont censées assurer la sécurité et le respect de la vie privée des personnes. À ce jour en tout cas, elles semblent être parvenues à éviter un fichage actuel ou futur par l’utilisation publique ou privée des données personnelles relatives à la gestion de la crise sanitaire.  

Une collecte de données limitée, pour des usages limités

La promulgation de l’état d’urgence en 2020 a engendré la création de systèmes d’information pour la surveillance de l’évolution de l’épidémie. D’abord, le Système d’information de DEPistage (« SI-DEP ») permet l’enregistrement des tests Covid-19, afin d’assurer la prise en charge des cas positifs. Puis le système « Contact-COVID » assure la prévention et l’accompagnement des cas-contacts. Ces dispositifs ont été complétés en décembre 2020 par la création du système « Vaccin Covid ». Ces systèmes d’information seront primordiaux pour le fonctionnement du passe sanitaire voulu par le gouvernement français et approuvé en première lecture par l’Assemblée nationale, considéré comme nécessaire par le Conseil scientifique et accepté dans son principe par la CNIL.


… À LIRE : Pour Jean-Michel Mis (LREM), le RGPD n’interdit pas la collecte de données sans le consentement en cas de crise sanitaire [À NUANCER]


Ainsi, les données collectées permettant de prendre contact avec les personnes infectées ou des cas contacts ne sont accessibles que par des professionnels de santé soumis au secret professionnel. Les accès aux données sont également limités pour l’exercice de leurs missions déterminées dans le cadre de la lutte contre la pandémie.  

Afin d’éviter toute discrimination pour les personnes ne pouvant ou ne souhaitant se faire vacciner, le passe sanitaire est délivré dans trois situations différentes : en cas de résultat d’un test négatif au Covid-19, d’un justificatif de l’administration d’un vaccin, ou d’un certificat de rétablissement. La communication du résultat du test négatif est effectuée par le biais du système SI-DEP et celle du justificatif de vaccination  par « Vaccin Covid ». 


… À LIRE : Passe sanitaire pour les restaurants, théâtres et cafés : quels problèmes juridiques ?


Les décrets établissant ces systèmes d’information ont été pris dans le respect du Règlement général relatif à la protection des données (RGPD), une législation européenne très contraignante sur la protection des données. Ces décrets s’attachent à définir les responsables du traitement, les finalités du traitement, la base légale du traitement, les droits des personnes concernées, les informations à transmettre aux personnes, etc. Ces éléments assurent que seules les données nécessaires font l’objet d’un traitement, et que ces données ne peuvent servir à un autre usage que ceux prévus. 

Les décrets précisent toutefois qu’il ne sera pas possible pour les personnes de s’opposer à la collecte de leurs données ni de demander leur effacement une fois collectées. Dans le cas contraire, cela remettrait en cause l’existence même du traitement de données, qui ne pourrait être déployé conformément aux objectifs de gestion et de sortie de la crise sanitaire. 

Toutefois, il sera possible de s’opposer à la transmission des données à la Plateforme des données de santé (le Health Data Hub). Cette plateforme lancée fin 2019 permet de faciliter le partage de données de santé à des fins de recherches médicales. Cette opposition est bienvenue en raison des problématiques soulevées lors du lancement de cette plateforme, tant au regard des déboires sur son hébergement par Microsoft que de l’opacité de son fonctionnement

La question des risques de fraude ou des fuites de données

Sur la forme, le passe national ou le certificat vert numérique européen ont recours au système de “QR Code”. L’Agence nationale des titres sécurisés (délivrant notamment la carte nationale d’identité, le passeport, les certificats d’immatriculation etc.) met en place une solution permettant de sécuriser ces nouveaux outils. Prenant le nom de « 2D-DOC », cette solution consiste en un code-barre contenant des données. À la différence d’un simple QR Code, le 2D-DOC est un “Code Datamatrix” permettant à l’autorité délivrant le passe d’y apposer sa signature électronique afin de certifier l’authenticité des données. Par exemple, les codes 2D-DOC sont déjà insérés sur certaines factures de fournisseurs d’énergie comme Engie, permettant d’attester la preuve du domicile de la personne. Dans d’autres cas, cela permet d’attester un diplôme sanctionné par l’État, la carte mobilité inclusion, etc.

Au niveau de l’Union européenne, le « certificat vert numérique » fonctionne selon les mêmes principes que le passe français : les fondements du passeport et la délivrance sur papier et numérique sont identiques. La Commission européenne  développe un logiciel à l’usage des États membres pour une vérification harmonisée de l’authenticité des certificats. Le développement de ce logiciel s’inscrit dans la démarche du respect de la protection des données personnelles et de la vie privée des personnes. Par ailleurs, le certificat vert numérique n’implique la création d’aucune base de données centralisée au niveau de l’Union européenne. Ainsi, les données personnelles ne figurent que sur le certificat de la personne concernée et sous sa maîtrise exclusive. 

Quelles données seront insérées dans ces passeports ?

Le principe de minimisation des données implique que seules les données pertinentes et adéquates aux usages prévus par le passe sanitaire peuvent y figurer. 

Ainsi, les données permettant l’identification de la personne (nom et prénom), l’identification de l’émetteur du certificat ou l’identifiant unique du certificat, sont requises pour tous les passeports vaccinaux. Certaines données spéciales seront à préciser en fonction du fondement de délivrance du passeport. 

En cas de vaccination notamment, des informations sur le vaccin administré seront insérées dans le passe sanitaire. La France a fait le choix de mentionner le nom du vaccin, du laboratoire, l’état vaccinal ainsi que la date de vaccination. Concernant le certificat délivré à partir d’un test, des informations sur le test effectué seront aussi insérées. Quant au certificat de rétablissement, il requiert la collecte d’informations relatives aux antécédents d’infection par le Covid-19. 

Celui qui contrôle le passe ne pourra pas en conserver les données

Ces données figurant au sein du passeport vaccinal ne sont pas pour autant celles mentionnées lors de la présentation du passeport. La lecture des données contenues dans le certificat n’emporte, tant en France qu’au niveau de l’Union européenne, aucune collecte de données de la part des autorités ou des établissements privés. La lecture du QR Code permet seulement de vérifier et de confirmer le statut du titulaire du certificat. La limitation des données lisibles par ces opérateurs de même que l’absence de collecte de ces données font de ces passeports sanitaires une seule mesure permettant d’adapter la circulation des personnes tout en améliorant le contrôle de l’épidémie. 

Ainsi, dans l’hypothèse d’un établissement ne pouvant ouvrir au public que sur présentation d’un passeport sanitaire, le scan du code présenté ne permettrait pas à l’établissement de récupérer des données. À cet égard, le Gouvernement s’interroge sur la pertinence d’afficher uniquement le résultat de conformité (par l’apparition d’une couleur verte ou rouge) ainsi que l’identité de la personne. La CNIL encourage l’adoption de cette modalité, en respect du principe de minimisation, impliquant d’afficher seulement les données nécessaires à la validité. 

Aucune transmission de données n’est donc opérée à la lecture du code : celui-ci permet uniquement de vérifier que le passe sanitaire n’est pas un faux, ceci pouvant requérir de vérifier l’identité de la personne la présentant.  Cette mesure empêchera les établissements de vous adresser des communications notamment commerciales à partir de la connaissance de votre état vaccinal. Les établissements doivent ainsi se garder de collecter et de croiser ces données avec leurs fichiers clients. Cette interdiction avait déjà été rappelée lorsqu’avaient été mis en place les cahiers de rappel dans les restaurants à l’automne 2020. 

Une autre mesure devrait renforcer la sécurité des données : chaque établissement qui devra scanner les passeports à l’entrée sera considéré juridiquement comme “responsable du traitement”. Cela signifie qu’il devra former les personnes chargées de vérifier les passeports sanitaires, et sera responsable en cas de violation de la loi ou du RGPD par son établissement.  

Et après l’épidémie ? 

Le projet de règlement européen relatif au certificat vert numérique prévoit la suspension de l’existence et de la délivrance des différents certificats dès lors que le directeur de l’OMS de la santé déclarera la fin de l’urgence de santé publique internationale. Mais en cas de retour de la crise sanitaire, le certificat vert pourrait être à nouveau exigé. 

Les décrets mettant en place les systèmes d’information au niveau national, en dehors du système d’information « Vaccin Covid », sont pris en application de la loi relative à l’état d’urgence sanitaire. La longévité de ces systèmes d’information est alors dépendante de la période d’urgence sanitaire. 

Une fois la crise passée, les données collectées seront effacées des systèmes d’informations. Ces modalités doivent être également applicables pour les preuves conservées par les utilisateurs au sein de l’application TousAntiCovid. À ce dernier égard, les données contenues au sein de l’application sont conservées sur le seul téléphone portable de l’utilisateur, sans sauvegarde ni transmission de données à des prestataires tiers. Reste qu’il faudra s’assurer que ce régime d’exception n’ait pas créé une accoutumance telle qu’une pérennisation de ces passeports puisse être envisagée. Comme le rappelle la CNIL dans son avis, le passe sanitaire – et la règle vaut aussi pour le certificat vert européen – est et doit rester temporaire.

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